III. L'initiative

13 janvier 1999 (Rafael)

Le lendemain matin, j'ai la satisfaction de pouvoir entrer seul et directement au Ministère puis à la Division des Aurors. Moi, le petit mouton noir andalou qui aurait dû mourir lors d'une descente de sorciers se prétendant purs dans son village.

Tonks-Lupin est déjà là, et ça, j'avoue que ça m'agace un peu. Je décide que, demain, je viendrai une demi-heure plus tôt pour pouvoir être celui qui lui tend un thé comme elle me tend un café. J'ai noté qu'elle préfère le thé.

Elle m'accueille aussi chaleureusement que la veille, me présente à de nouveaux collègues, puis m'entraîne vers un bureau qui serait le mien, collé au sien.

"Une nouvelle dimension du concept d'ombre", je commente à haute voix. Mais tout le monde n'aime pas le persiflage, alors je rajoute immédiatement : "Parfait, cheffe."

Mais il y a une sorte de sourire sur ses lèvres. "Je vois que tu apprends vite" est son commentaire amusé. "On va voir si tu es aussi patient, organisé et systématique que Wind le dit. Je suis passée au service du réseau de cheminées, à son ouverture - histoire qu'ils ne nous disent pas qu'ils n'ont pas le temps. Voici les enregistrements de la nuit du vol."

Je prends la liasse de parchemins en me demandant par quel bout je suis censé faire le tri et en notant pourquoi elle était là si tôt.

"On sait que notre point d'arrivée ne sera pas dans la liste puisqu'il a été falsifié", me rappelle ma mentore. "Donc, il faut partir à l'envers et enquêter sur tous les transports enregistrés, en élargissant un peu la fenêtre temporelle de Wind, je dirais. Entre 2 et 5 h du matin. J'ai regardé, ça fait moins de cent trajets. On a de la chance que ça ne soit pas un week-end avec des sorties et des visites. Je veux que tu fasses la liste, que tu regardes si certains ne sont pas déjà étranges - par exemple, s'il manque des infos ou si elles paraissent bizarres ; on commencera par ceux-là. Quand c'est prêt, tu me montres. Puis, on va te trouver une équipe de policiers pour t'accompagner... "

"Moi ?", je vérifie, sidéré et excité à l'idée d'être si vite en train de mener une enquête.

"Je n'ai pas dit que tu allais diriger cette petite expédition", elle amende en se marrant presque. "Pardon si je n'ai pas été claire. Tu vas les suivre, écouter, prendre des notes et, surtout, ne prendre aucune initiative."

"Bien sûr, cheffe", je fais de mon mieux pour cacher ma déception et je récolte un nouveau sourire amusé sur ses lèvres en réponse.

J'ai assez vite fini la liste de trente-sept voyages enregistrés ayant au moins Londres comme origine ou arrivée. J'ai en sus une quinzaine de voyages entre différentes régions de la zone surveillée.

"Mais comme on sait que les informations ont été falsifiées, on ne peut pas les écarter a priori", je regrette à haute voix.

"T'as raison. Mais aussi malin soit ce voleur, il faut compter sur la paresse et la logique. Commençons par ceux ayant Londres quelque part."

"Surtout s'il y a un aller et un retour", je souligne un peu pour moi.

"Bien vu", elle approuve avec intérêt. Je me sens stupidement rougir, mais elle s'intéresse au fond : "Et tu as des allers-retours officiels ?"

"Dix. Je veux dire cinq allers-retours."

"Vous commencerez par ces trajets-là", elle décide. "Montre-les-moi". Je m'exécute. "Même s'il ne faut jamais jurer de rien, un aller-retour à Ste-Mangouste est sans doute juste un accident domestique. Ça en laisse quatre prioritaires. Bon, allons négocier une équipe de policiers. Si je n'avais pas une audience à préparer, j'irais avec toi, mais patrouiller avec des policiers est plus instructif que tu ne croies."

C'est comme ça que je me retrouve à la remorque de deux policiers à aller frapper à différentes portes londoniennes, avec des transplanages sur plan à la clé - quand on pense à ce que j'ai galéré pour arriver à en maîtriser la technique, je suis assez content du résultat. Chacun des policiers a au moins cinq ans d'expérience - exigence de Tonks-Lupin qui a insisté pour que ça ne soit pas une "sortie scolaire", faisant rire le major de la Brigade. Donc, ils frappent, ils posent les questions, je prends les notes avec toute l'humilité que je peux réunir.

"C'est quand même cool d'avoir une plume-papote qualifiée", commente finement le chef de notre petite expédition, après nos deux premières visites : un type qui revenait de chez sa maîtresse et a hurlé à l'atteinte à sa liberté que représentaient nos questions ; un autre qui avait du travail en retard et est allé le placer sur le bureau de son patron avant le lever du soleil et nous a fait jurer de ne rien dire.

L'agent principal chef Saral - un type d'origine indienne visiblement - du haut de ses dix années d'expérience ne s'est laissé impressionner dans aucun des deux cas. Son adjoint s'appelle Stanley Alter, et il est plus souriant et prévenant avec moi que son chef, mais je crois que, quand même, il est amusé de la situation. On ne se sent après tout important que quand on a des gens en dessous de soi. Et, dans leur tête, je suis un futur Auror qui les prendra de haut. Ça doit être satisfaisant de me voir fermer ma gueule, j'imagine avec une certaine sympathie au final.

Le suivant est absent. "Ce qui veut dire qu'on va devoir revenir", souligne Saral avec fatalisme. "S'ils ne sont pas là la seconde fois, on fera une enquête de voisinage." Je vois bien qu'il se justifie à lui-même de ne pas prendre davantage d'initiatives. À moins que ça ne soit pour ma gouverne. Dans le doute, je me tais et je limite mes notes à "absent : revisite à planifier".

Le quatrième trajet habite dans un petit quartier sorcier, deux rues coincées dans une banlieue moldue assez aisée a priori. La plaque dorée à droite de la porte indique Balor McLaggen, expert en potions. Je me demande si ma grand-mère aurait aimé en avoir une pareille - Nuria Soportújar, experte en potions... Quand nous frappons à la porte, un homme d'une trentaine d'années vient nous ouvrir. Vêtements sorciers modernes soignés. Une très belle chevalière brille à sa main droite. Urbain, aurait dit ma grand-mère.

Comme aux précédents, Saral lui explique que nous faisons "une enquête de routine sur son utilisation du réseau de Cheminette". À la demande du service. Pour vérifier la qualité des informations enregistrées. On a déjà eu des réactions négatives, mais, là, le type se liquéfie totalement. Il recule et cherche frénétiquement sa baguette, pas besoin de légilimancie pour le deviner.

"Monsieur, je vous en prie, ne faites rien que vous pourriez regretter", essaie Saral, sans sortir la sienne, dans un bel exercice de désescalade.

Mais Alter, lui, me fait signe de me tenir prêt. Je mets donc ma main droite sur ma baguette. J'avoue que mon cœur bat à tout rompre tellement je crains de faire foirer quelque chose.

"Je peux lui rendre... je... Je voulais juste... me venger... l'empêcher de participer à ce concours... de se détourner de moi... Mais c'était stupide, je le mesure... "

Quand Saral et Alter l'arrêtent formellement, McLaggen a déjà tout avoué du vol de la tiare de Jovela Sylfor, allant même à s'étonner ouvertement qu'on ait su le retrouver. Ça m'a fait un paquet de notes à prendre.

"Bravo les gars", applaudit Tonks-Lupin, venue nous rejoindre à la Brigade. "Vous êtes allés plus vite que je ne l'espérais. Et on a même récupéré la tiare. Bien joué !"

"Un type éconduit", remarque Saral avec dédain.

"Jovela Sylfor ne nous a pas parlé de lui", je glisse.

"C'est dire !", abonde Tonks-Lupin.

"McLaggen dit qu'il voulait la blesser, comme elle l'avait blessé", intervient Alter avec plus d'empathie, il me semble. "Qu'après l'avoir éconduit, il l'a appelé ou cherché à la voir tous les jours, et elle lui a dit avoir trop de travail à cause du concours. Ça lui a fait mal de passer après son travail... "

"Son art", corrige Saral.

"Il dit aussi que tout avait du sens quand il a planifié sa vengeance. Qu'il s'est senti puissant et malin, mais que depuis, il regrette."

"On va laisser les juges décider si ça suffit", conclut Tonks-Lupin sans beaucoup d'état d'âme. "On vous associera aux procédures. Merci de m'envoyer le rapport. Je vous reprends Soportújar."

"Ce fut un plaisir, Aspirant", prétend Saral, mais j'espère que c'est un peu vrai.

Pendant le retour à la Division, Tonks-Lupin me fait raconter les autres visites en détail sans que je sache bien ce qu'elle cherche à savoir. On vient à peine d'entrer dans la salle commune que le lieutenant Berrycloth l'apostrophe : "Tonks, j'ai besoin de renforts. Maintenant. Un gars est entré de force dans l'Atrium, a pris une otage et menace de s'immoler. Tu viens avec moi. J'ai lancé l'alerte, mais je n'ai pas le temps de savoir qui va répondre."

J'estime que c'est sans doute une des situations dans laquelle elle ne veut pas avoir à me dire de la suivre et je leur emboîte le pas. On ignore les ascenseurs qui, d'ailleurs, semblent arrêtés, pour descendre les étages au pas de course. Berrycloth et Tonks-Lupin sont devant. Ils ont l'air d'être capables de courir sans effort l'un comme l'autre. Ce n'est pas mon cas même si je m'accroche. Les deux autres Aurors qui ont suivi le mouvement me semblent peiner autant que moi. Faible consolation.

On en retrouve d'autres en bas - notamment Dikkie Forrest avec celui qui doit être son mentor. Un type à lunettes du Ministère est là avec un plan des lieux et l'opération est décidée en trois secondes à peine - ce qui me fait mesurer a posteriori la justesse de la déception de nos formateurs quand on dépassait le quart d'heure de réflexion. Berrycloth forme trois équipes et ma mentore en dirige une ; le mentor de Dikkie, une autre. Au moins, je ne serai pas avec elle, je me félicite. Je crois que des ordres sont donnés. Tout le monde opine comme s'il avait compris, je fais de même.

Tonks-Lupin discute avec les deux Aurors qui sont sous ses ordres - un homme et une femme, tous les deux plus jeunes qu'elle - et ils partent chacun d'un côté d'un couloir dans une géométrie de couverture que je reconnais pour l'avoir révisée plusieurs fois en Combat magique. Combat magique. Il n'y a pas de mots qui peuvent davantage m'intimider. D'autres pourraient me mettre en colère, mais ceux-là m'intimident. Quand les deux sont en position, Tonks-Lupin se retourne vers moi qui suis resté obstinément deux pas derrière elle à sa droite.

"On n'a pas encore eu le temps de s'entraîner ensemble", elle commence, et je pense que c'est faux, mais je ne le dis pas. "Mais ne cherche pas à m'impressionner, ok, Rafael ? Tu protèges mes arrières, et tu ne prends aucune autre initiative que d'éviter une blessure pour toi-même. Compris ?"

Quand j'ai murmuré le "Oui, cheffe" qu'elle attendait, elle fait signe aux Aurors devant. La femme avance la première, la baguette pointée, l'homme la suit à distance, nous fermons la marche. On prend position devant une porte ornementée qui doit donner dans la salle où le type s'est retranché. Tonks-Lupin communique par jeton avec les autres.

"À cinq", elle annonce. Les deux autres acquiescent et elle commence son décompte. À cinq, comme à l'exercice, l'Homme à droite fait sauter la porte, la Femme entre. On les suit baguette à la main. Les deux autres équipes entrent en même temps et le type retranché lance, avec d'impressionnants cris de bêtes blessées, une série d'Incendio qui embrasent les tentures. Berrycloth le somme d'arrêter sans résultat visible.

Le type hurle des "N'avancez pas", sa baguette pointée vers la tempe d'une des secrétaires de l'accueil qui a l'air au-delà de la terreur. Je ne peux pas m'empêcher de me demander si ma grand-mère a eu peur quand ils sont entrés dans son village, ont fait tomber toutes les portes et anéanti toutes les protections.

Ce sont les gestes de Tonks-Lupin pour les deux autres de l'équipe qui me font réaliser que je n'ai pas réellement fait gaffe aux derniers développements. En plus, elle se tourne vers moi, toujours deux pas en arrière à sa droite.

"On va tenter un truc", elle souffle avec un calme qui ne semble pas prendre en compte les flammes, les risques que courent la femme ou le fait que j'ai été ailleurs. "Perkins et Nuttley vont faire mine de chercher à le prendre à revers, mais de loin pour qu'il ne panique pas totalement. Quand il se tourne pour les suivre des yeux, les autres équipes pourront l'assommer. Nous, on reste en alerte. Soutien à Perkins et Nuttley. Éventuellement, désarmement et récupération de la fille. Concentré et prêt, Rafael, ok ?"

"Concentré et prêt", je répète pour montrer que j'ai entendu, mais aussi pour essayer de me convaincre que je sais ce que ça veut dire. Prêt à tout, c'est ça ? Doux Merlin !

Elle opine et les deux autres sont partis. Comme prévu, le type en colère - est-ce qu'à un moment quelqu'un a dit pourquoi ? - les remarque et les suit des yeux. Son corps accompagne le mouvement sans qu'il en ait conscience sans doute, je réalise parce que, cette fois, je suis concentré sur lui. Prêt, je ne sais pas, mais concentré oui.

"À trois, tu le désarmes. Je m'occupe de la fille", annonce Tonks-Lupin, toujours avec cette voix calme, presque désincarnée.

Trois arrive trop vite. Mon sort part sans doute à quatre. La baguette tremble en réponse, le gars titube, touché par un Assommoir, sa baguette tombe puis arrive dans ma main. Le type s'écroule sur le sol. Dans cet ordre. Tonks-Lupin a la fille dans ses bras, elles sont protégées par un bouclier. Je me dis que ça doit globalement être le résultat escompté. Dans les minutes qui suivent, les Médicomages arrivent, les policiers éteignent le feu et évacuent le type réveillé et apparemment calme. Berrycloth console la fille et dit que tout le monde peut vaquer à ses occupations. Alors que Tonks-Lupin rigole avec l'homme et la femme qui formaient son équipe, Dikkie me rejoint l'air de rien et me fait part, comme d'habitude, de ses fines observations :

"Une chance qu'il ne se soit pas agi d'un tir de précision."

"Je n'ai jamais candidaté aux Tireurs de baguette d'élite", je grommelle.

"Ils ne sont pas toujours disponibles, même dans le bâtiment du Ministère."

Tonks-Lupin me fait alors signe de la rejoindre et ça me donne une bonne raison de ne pas tenter davantage de me justifier auprès de la parfaite Dikkie - une cause perdue de toute façon.

"On va au pub", annonce Tonks-Lupin. "Charity, Osmond, je vous présente Rafael."

"Le baptême du feu", commente gentiment le gars qui a l'air taillé pour jouer au Quidditch, viser juste et plaire aux filles. Tout ce que j'aime.

"Enchantée, Charity Perkins", se présente la fille en me serrant la main. "Tonks oublie souvent les patronymes, mais ça peut compliquer la lecture du tableau de service."

"Charity a raison", admet Tonks-Lupin avec le sourire. "Je paie la première tournée, ça m'apprendra."

"Ma bourse est contente de l'entendre", commente la fille alors qu'on s'oriente vers la sortie. "Faut croire que t'as aimé ce que tu as vu ? Tu diras au grand Shacklebolt qu'il peut arrêter de nous prendre pour des Aspirants, Nuttley et moi ?"

"Tu as vu ce que je fais des Aspirants", répond Tonks-Lupin, "je ne les mets pas au front sur des manœuvres de feinte. T'as un Rang Trois, le même que moi, Charity, faut que tu arrêtes de douter. Moi, je n'ai pas douté de toi."

"Ce Rang Trois, on l'a peut-être eu le même jour, mais Berrycloth ne s'est pas dit qu'il allait me confier une équipe", remarque la fille. Ça se veut le ton de la plaisanterie, mais je mesure que ça ne l'est pas totalement.

"Charity, Tonks a plus d'expérience qu'en dit son Rang", estime Osmond Nuttley d'une voix raisonnable.

"On a toujours plus d'expérience que le voudrait son rang", commente Tonks-Lupin avec patience. "Y aurait quelqu'un de plus expérimenté que moi, j'aurais été à ta place."

"Et tu le vis bien", admet Charity Perkins en levant les deux mains. "T'es mon modèle, Tonks, faut pas mal le prendre."

"J'attends les mèches roses alors", conclut ma cheffe, et les deux s'esclaffent. L'incident semble passé.

On entre dans le pub et Tonks-Lupin commande pour nous tous. Il y a suffisamment de gens du Ministère pour que tout le monde veuille sa version de l'incident. Je prends l'initiative de penser que je ne suis pas obligé de suivre ma mentore dans chacune de ses conversations. Je me trouve un coin pour m'asseoir et calmer mes mains qui tremblent. Dikkie et son mentor et d'autres arrivent. Je me renfonce d'autant dans mon coin. Il faudrait y aller et faire bonne figure. J'irai plus tard, je décide, commençant déjà à préparer des phrases pour diverses situations - des félicitations à la moquerie possible. Ça fait une longue liste qui m'occupe jusqu'à ce que Tonks-Lupin me rejoigne.

"Tu te remets ?", elle questionne en se mettant en face de moi. Tous doivent la voir et comprendre, je mesure.

"Ça commence à aller mieux", je mens - parce que la vérité est que ça commençait à aller mieux avant qu'elle vienne. Là, à croiser ses yeux gris, j'ai l'intuition que ma liste de réponses n'est pas réellement prête.

Elle lève son verre et m'oblige d'un geste à faire de même et à trinquer.

"À une affaire de vol bien réglée et une intervention réussie", elle formule.

Je me force à sourire. N'importe qui aurait trouvé ce McLaggen qui ne demandait qu'à avouer et je n'ai pas, vraiment pas l'impression d'avoir fait une différence dans l'intervention. Je suis visiblement transparent.

"Être Auror est un sport d'équipe, Rafael", elle reprend. "Charity a envie de reconnaissance, Osmond aussi, toi, tu te dis que tu ne sers à rien... Mais, tout seul, même Shacklebolt ne ferait pas un quart de ce qu'on abat collectivement. Il s'agit juste de faire de son mieux là où on est, d'accepter là où on en est... Qui on est… "

"Oui, cheffe", je marmonne parce que la conversation prend exactement le genre de direction que j'évite de m'autoriser à prendre. Là où j'en suis ? À flipper grave. Qui je suis ? Un gars qui ne devrait pas être là, pour faire court.

"Ce qui ne veut pas dire ne pas bosser pour s'améliorer et prendre confiance", elle continue d'une voix égale. "Demain, après avoir mis le dossier du vol sur le bureau de Berrycloth, toi et moi, on va aller voir ce que tu fabriques avec cette baguette... " J'ouvre la bouche, mais aucune de mes phrases préparées n'est adaptée à la situation. "Ne me réponds pas parce que : un, t'as pas le choix ; deux, c'est un sujet qui doit être compliqué pour toi et on ne va pas en discuter ici ; et, trois, c'est le moment où tu te lèves de cette banquette, t'arrêtes de te planquer et tu viens socialiser avec moi."

12 janvier 2021 (Iris)

La question d'où j'allais atterrir quand je reviendrai à la Division après la naissance des fille s'est posée bien avant que je nous sente collectivement prêts à cette étape. Pas tout de suite, non. Les premiers jours après la naissance, j'ai découvert avec stupeur que je n'avais aucune envie de retourner bosser. Plus étonnant encore, Samuel était dans le même état d'esprit, tellement qu'il a pris un congé de trois mois - du jamais vu à la Division. On s'est découverts tous les quatre, on a trouvé un rythme, on a été très heureux. Et je crois que tous ceux qui nous fréquentaient l'ont vu et l'ont respecté.

Nimuë et Klervie n'avaient néanmoins pas six mois quand Ron est venu me rendre visite et m'a proposé de réfléchir à devenir son adjoint.

"Finnigan, il a envie de partir en Irlande, de s'investir là-bas. Les ancêtres, tout ça. Et moi, je sais que c'est avec toi que je pourrais faire de cette équipe un truc qui marche vraiment. Ta mère ne veut pas qu'on t'emmerde avec ça, mais Samuel a pensé que tu serais contente que je te le dise en face."

C'est encore Ron qui a pensé à un retour progressif où je commencerais par intervenir à l'Académie, pour les futurs policiers comme les futurs Aurors, et venir le soutenir pour la préparation des procès - "comme tu l'as fait pendant ta grossesse". Avec l'aide de la mère de Sam, toujours d'accord pour venir nous aider, ça s'est mis en place. Bref, quand je suis revenue pour de vrai, aux un an des filles, on peut dire que ma place m'attendait. Je ne dis pas que ça a été du gâteau, mais ça a été sans doute plus facile que ce que beaucoup de femmes connaissent. Je suis également la seconde de sous-commandant la moins gradée de tout le Bureau des Aurors britanniques, mais ça, c'est une autre histoire. Ou un héritage peut-être.

Ce matin, c'est Sam qui est allé poser les filles à la garderie sorcière qu'elles fréquentent. Ma belle-mère les récupérera dans l'après-midi et attendra que l'un de nous rentre. On est régulièrement pris de remords quand on pense au temps qu'elle nous donne, mais à chaque fois qu'on aborde le sujet, Fergie s'affole à l'idée qu'on ne veuille plus d'elle.

Je traverse assez vite la salle commune, prenant un café et saluant ceux qui sont là en montrant clairement que je n'ai pas le temps de plus. Ce que tout le monde respecte.

"Ron est là", me glisse Wintringham avec un air entendu.

De fait, quand j'arrive à notre grand bureau collectif, Ron est déjà en train de discuter avec des policiers sur une opération qui a eu lieu la nuit précédente. Je me greffe pour en apprendre assez pour être capable de faire mon travail plus tard.

"Tu sais ?", il questionne pour la forme quand nous nous isolons comme nous le faisons tous les matins pour nous répartir le travail.

"Je sais que la décision de ma participation t'appartient", je formule sans chercher à avoir l'air surprise. "Je sais aussi une partie au moins des enjeux pour notre service. Et je sais qu'elle aura passé une mauvaise nuit et pourquoi."

"Je n'ai pas bien dormi non plus. Crois-moi, quand elle ne se fait pas confiance, c'est que l'affaire est pourrie" est l'évaluation de Ron. "Je viendrai aussi à la réunion."

"Wang ?"

"Franchement... pas tant qu'on ne sait pas si on a une place dans la distribution de la pièce", décide Ron. "Tu représenteras le dossier et moi le service. Dora sera là. Si on ne fait pas le poids, c'est qu'on ne doit pas le faire."

"Tu le fréquentais, toi ?", je questionne encore.

"Pas réellement. De loin. J'étais encore à l'Académie. Mais la question n'est pas là."

"Tu le penses en danger ?"

"Une infiltration n'est jamais sans danger, tu le sais comme moi. Je n'ai suivi sa carrière que de très loin, mais de ce que j'ai compris ça fait un moment que c'est le genre de choses qu'il fait... "

"Vraiment ?"

"Beaucoup de rumeurs, peu de faits."

"Qui est de son époque ?"

"Albus, Zoya, Dikkie, entre autres. Je crois me souvenir que Ogden, Lytton et lui habitaient dans la même collocation. Des souvenirs de fête étudiante... un peu brumeux par définition. Mais... "

"Je n'en suis pas à aller leur poser des questions, chef. Je croyais que tu me trouvais assez maligne pour t'assister ?"

"Un peu trop maligne, la môme", il se marre, mais il se sent aussi obligé de préciser : "Tu sais bien que je veux dire que ce n'est pas le moment que son nom revienne à la mémoire collective."

J'opine sobrement. "Sinon, des urgences, chef ?"

"On n'a pas le retour du service juridique", il énonce sombrement.

"Oh, j'y vais", j'annonce.

"Non, tu y es déjà allée hier. Je vais me déplacer. Comme ça, la prochaine fois, ils te prendront au sérieux quand tu leur diras que je m'impatiente." J'essaie de dire que c'est inutile, mais il est déjà parti en rajoutant : "Et toi, tu révises le dossier pour être totalement au point quand nos amis de Bruxelles pointent leur baguette."

Je suis en train de relire nos analyses croisées des preuves accumulées dans les différents cambriolages quand Mark Wang, le co-auteur de tout ce travail, frappe à l'embrasure de ma porte ouverte.

"Je vois que tu es sur le bon dossier, cheffe", est son entrée en matière. Je lis l'excitation contenue dans ses yeux.

"Tu veux me parler de ce dossier ?", je vérifie. Mark me connaît assez pour se contenter d'un bref signe de tête. "Entre et ferme la porte."

J'imagine que l'ordre inhabituel confirme sa première impression, mais Mark a son propre agenda : "Si je te disais que cette affaire a des ramifications internationales ?"

Doux Merlin, clémente Cerridwen.

"Je t'écoute", j'arrive à articuler d'une voix neutre.

"Tu te rappelles l'experte qu'on est allé voir à Glasgow ?" J'opine. Difficile d'oublier cette grande fille rousse aux yeux verts, comme une publicité moldue pour l'Irlande. Peut-être que ses yeux étaient juste un peu trop en amande pour qu'elle n'ait pas du sang du petit peuple. Une fille un peu énigmatique. Polie et de bonne volonté a priori pour répondre à nos questions. "Cette fille de notre âge, connue de personne, qui nous a dit qu'elle ne voyait pas de lien évident entre les différents documents volés : on était d'accord pour se dire qu'elle mériterait qu'on creuse son cas."

"Tu as donc creusé", je comprends avec fatalisme.

Il paraît que j'ai formé ce type, que j'en ai fait un enquêteur obsessionnel et têtu, un très bon Auror, plein de compétences et d'initiative. Est-ce que ça suffira pour qu'on ne se prenne pas un savon monstrueux - si ce n'est un passage en conseil de discipline - parce que Ron comme ma mère auront dû s'excuser à plat ventre devant Maisonclaire ? Chouette question. Mark, lui, est content de me répondre.

"On s'est dit qu'on pouvait commencer par savoir d'où cette fille au nom irlandais avait un manoir en Écosse..."

"On ?", j'interromps sur un ton qui fait que Mark est pour la première fois réellement sur ses gardes.

"Olivia et moi... Elle était de garde hier soir et, plutôt que de rester seul à la maison... j'en profitais pour mettre à jour des trucs... Je sais, tu es contre, mais franchement, j'étais dans mon coin et elle dans le sien... Je suis même rentré à la maison avant elle !"

"J'attends plutôt la suite", je soupire.

C'est de mieux en mieux - je veux dire de plus en plus pourri. S'il y a une enquête interne, il y aura toute cette dimension compliquée d'avoir fait intervenir une policière, sa femme, dans une enquête non officielle des Aurors. Ceux qui nous attendent au coin du bois seront trop contents. Mais je sais que si j'embraye sur ce point, Mark aura beau jeu de me rappeler toutes les fois où Sam et moi avons travaillé de concert sans l'aval de personne. Peut-être est-ce une justice poétique.

"Donc je cherchais à qui était cette maison, mais je galérais pour avoir accès aux registres écossais - ou irlandais, vu son nom. Olivia m'a aidé. En fait, on n'est pas obligés de mettre son aide dans le rapport."

"Si on peut, effectivement, je préfère."

"Cette maison, figure-toi qu'elle appartenait à une certaine Hermosa Fioralquila McNair", il commence. Je ne peux pas m'empêcher de réagir. "J'ai vu que c'est toi qui l'avais arrêtée", il ajoute d'ailleurs avec une certaine satisfaction. "Mais je me souvenais des procès qui ont suivi. Mon père en avait parlé à la maison à l'époque. Bref. Cette maison, quand elle a dû payer toutes les amendes qu'elle devait partout, elle a été autorisée par le Magenmagot à la vendre. Et tu sais qui l'a achetée ?" Je secoue la tête parce que le mauvais sentiment est tenace. Il sort son carnet : "Un autre Espagnol, Edelmiro Allodia... Un hasard, tu penses ?"

"Ça se vérifie", je tente en priant pour qu'ils en soient restés là.

"C'est ce que je me suis dit. L'Espagne, je me suis aussi dit qu'il allait falloir que je passe par toi, mais j'ai écrit à Eolynn pour le côté irlandais. On s'est parlés ce matin et elle doit me rappeler, mais..."

"Eolynn ?", je relève, cette fois sans chercher aucune neutralité.

"Elle est la mieux placée, cheffe..."

"Alors non. Soyons clairs : personne n'enquête plus sur les maisons, personne ne tape à la porte des voisins, personne ne creuse davantage... Trouvez-vous d'autres trucs à faire, mais pas ça. Pas tant que je ne donne pas un feu vert sans équivoque."

Mark me considère longuement avant de se risquer à une hypothèse : "Ça... vient d'en haut."

"Ça vient... de Bruxelles", je lâche. Ses yeux s'écarquillent. "Mais tant que la réunion de cet après-midi n'a pas eu lieu, si tu dis ça à quiconque - ton Olivia en tête, j'en fais une affaire personnelle."

"Quelle réunion ?"

"Bruxelles vient discuter."

"À quelle heure ?"

"Tu n'es pas invité. On y va avec Weasley."

"Je. ne. suis. pas. invité ?", il vérifie en séparant les mots.

"Ce n'est pas ma décision, mais ça ne change rien, Mark. Maintenant, fais-moi plaisir : calme Olivia et Eolynn. Et arrêtez de mener vos petites enquêtes dans le dos de tout le monde !"

"Tu étais bien contente de nos petites enquêtes l'autre jour", il marmonne, vexé à plusieurs niveaux, maintenant.

"Il y a des enjeux qui te dépassent", j'essaie, consciente que c'est un peu pathétique comme réplique.

"Certainement, c'est pour ça que j'attends toujours mon Rang Trois... Ah non, pardon, c'est parce qu'ils n'osent pas me promouvoir davantage tant que tu n'es pas Rang Deux."

"Je crois qu'on s'égare, là, Mark", je soupire. C'est plus que vrai, mais, franchement, ce n'est pas le moment.

"Tu es la seule seconde d'un sous-commandant qui n'a pas un Rang Deux", il rajoute.

"Merci du rappel."

Il rumine sa mauvaise humeur, je le vois bien, et ne me regarde de nouveau que pour dire : "C'est un truc énorme, non ?"

"Vu la pression qu'on me met, je dirais que oui, Mark."

"Tu flippes, cheffe", il réalise avec une empathie nouvelle.

"Eh bien, un peu, oui. On a le nom de cette experte d'origine irlandaise dans le dossier ?"

"Je pense oui, mais comment oublier un nom pareil : Siofra O'Shea. Tu veux des notes informelles pour cet après-midi ? Sur elle, sur la maison, son acheteur ?"

Je me demande en vrac s'il faut que j'aille prévenir ma mère de ce dernier développement, si ça me donne une carte à jouer et laquelle. Et je ne suis sûre de rien.

"Si tu peux me faire ça vite... "

"Entendre, c'est obéir", il promet en se levant immédiatement.

Je sais que le recours à l'expression vient de moi, mais, pour la première fois, je me demande si ceux à qui je l'ai servie l'ont déjà trouvée aussi amère et ironique. Et j'en suis encore à cette réalisation quand Ron revient avec sa tête de chef qui s'est pris la tête avec ses subordonnés. Il dépose une demi-douzaine de rouleaux sur mon bureau.

"Je te laisse distribuer. Je ne suis pas parti avant de les avoir tous. Y en a un qu'on a revu ensemble. Diantha elle-même a fini par s'y coller avec nous. Je dirais que certains vont en prendre pour leur grade et tant mieux, ils t'écouteront mieux la prochaine fois."

Ma décision est instantanée. Je me lève, je ferme la porte ouverte depuis le départ de Mark et, debout, le dos contre cette porte, j'explique à Ron ses dernières découvertes. À la couleur de ses oreilles, il apprécie autant que je l'anticipais. Mais laisser courir n'est pas une option. Ce que je me permets même de conclure. Il lui faut du temps pour me répondre.

"Décidément, ce truc est un puits de bouse de dragons", est sa première sortie. Il inspire plusieurs fois avant de reprendre, légèrement plus calme. "Ok. On nous a dit de ne pas les sous-estimer. Ne les sous-estimons pas. Va me chercher Wang." Ron voit mon hésitation. "Je vais l'envoyer là-bas coordonner une surveillance des lieux avec les oreilles qui résonnent encore assez du son de ma voix pour qu'il ne se croie pas en vacances. Ne me dis pas que c'est sur-réagir, Iris. J'admets qu'il ne pouvait pas savoir, mais puisqu'il veut de l'initiative, qu'il se coltine les conséquences."

J'entends et j'obéis.

ooo

Notes personnages (Complétées, avec des précisions temporelles)

Rafael Eolo Soportujar : Aspirant Auror d'origine andalouse sous la responsabilité de Dora Tonks-Lupin, Rang Trois, juste revenue à la Division, en 1999.

Nuria Soportujar : Grand-mère décédée de Rafael, maitre des potions.

Jovela Sylfor : Bijoutière qui s'est fait voler une tiare

Lieutenant Jérémy Berrycloth : bras droit de Kingsley Shacklebolt en 1999. Proche de Scrimgeour

Kingsley Shacklebolt : Commandant en 1999 ancien mentor de Dora

Carley Paulsen : Auror Rang Trois en 1999, ami de Dora, a été le mentor d'Albus Ogden.

Charity Perkins : Auror de Rang Trois en 1999 (sera la mentore d'Iris)

Osmond Nuttley : Auror de Rang Quatre en 1999

Zoya Twycross: Jeune Auror de Rang 5, petite amie d'Albus Ogden en 1999.

Albus Ogden : Jeune Auror Rang 5, habite dans la même colocation que Rafael en 1999. Son père est juge.

Eurydice "Dikkie" Forrest, Aspirante de Gawain Robards en 1999.

Aonghus Giles, Aspirant de Andrea Williamson en 1999, colocataire de Albus Ogden, Nydia Lytton et Rafael Soportujar.

Nydia Lytton, Aspirante de Herman Hawlish en 1999, colocataire de Albus Ogden, Aongus Giles et Rafael Soportujar .

Aelius Wind, ancien petit ami de Dora, Analyste en 1999

Agent principal chef Saral en 1999

Agent Stanley Alter en 1999

Balor McLaggen, petit ami éconduit de Jovela Sylfor, voleur de la tiare, maître des potions, en 1999.

Iris Lupin McDermott, R3 dans l'équipe mixte Aurors/Brigade sous les ordres du sous-commandant Ron Weasley en 2021

Samuel McDermott, R2 dans l'équipe centrale d'enquête en 2021, époux de Iris Lupin

Nimuë et Klervie McDermott, filles jumelles de Iris et Sam, 5 ans en 2021

Fergie McDermott, mère de Samuel, s'occupe souvent des jumelles en 2021

Mark Wang, R4 dans l'équipe mixte Aurors/Brigade, en 2021, ancien aspirant d'Iris Lupin

Agente Principale Olivia Miller, petite amie de Mark Wang en 2021

Hermosa Fioralquila McNair - sorcière hispano-britannique, ancienne cheffe du XIC, en prison en 2021

Edelmiro Allodia, sorcier espagnol qui a racheté une propriété d'Hermosa. Retenez son nom, ça vaut le coup.

Siofra O'Shea, sorcière irlandaise, spécialiste en bibliothèque, un autre nom utile.

Philippine Maisonclaire, sous-commandante française, Commandante du Bureau européen des Aurors à Bruxelles en 2021