XVIII Le temps

1999 (Rafael)

J'arrive un matin pour trouver Tonks-Lupin avec le Commandant Shacklebolt. Ils sont assis à notre bureau. Je commence par reculer en murmurant quelque chose sur le fait de boire un café, mais ma mentore m'arrête.

"Notre Commandant est là aussi pour toi". Il n'y a pas beaucoup d'introduction qui m'aurait donné davantage l'envie de fuir. Ça doit se voir. "C'est important, mais pas grave", formule Tonks-Lupin en me désignant une chaise. "Promis."

Je me force à faire face à Shacklebolt, qui a l'air de prendre ma réaction avec patience et philosophie. Pas la tête d'un chef qui va me passer un savon, je me prends à espérer. Je m'assois donc à côté de ma mentore.

"Aspirant Soportújar, j'ai parlé avec mon homologue espagnol hier soir, le colonel Esteban Luis Milagro", commence le Commandant britannique de sa voix grave et profonde, quand il estime que je suis prêt à l'entendre. Il n'estropie pas trop les patronymes espagnols qu'il emploie, sans avoir l'aisance de Jeffita. "Milagro s'intéresse à toi, tes résultats, ta date probable de fin d'aspiranat qui conditionne évidemment la date de ton intégration dans ses services. Avant toute chose, nous sommes tombés d'accord pour ne pas considérer l'incident de Grenade comme révélateur de tes capacités."

"Incident, Kingsley ?", soupire ma mentore.

"Sa formulation, Dora", il lui répond et, même si je ne le connais pas si bien, il me semble qu'il y a une mise en garde assez claire à ne pas l'interrompre dans sa voix. D'ailleurs, Jeffita lève les deux mains comme pour s'excuser. "Je lui ai assuré que tu as d'excellentes évaluations - que je vais lui transmettre ce matin, dans leur version originale et avec une traduction espagnole que Dora veut bien relire avec toi. J'ai fait appel aux services de la coopération magique, mais je n'ai pas les compétences pour vérifier leurs capacités, et ça me semble important qu'aucune erreur ou mauvaise interprétation ne soient possibles."

Comme je n'imagine pas ce que je pourrais dire d'intelligent à ce stade, je me contente d'acquiescer. Juste montrer que j'écoute.

"Pour ce qui est du calendrier, je viens de vérifier avec Dora, qui ne voit aucune raison que tu ne sois pas qualifié en même temps que tes camarades de promotion. Donc, disons à un horizon de la fin novembre, au plus tard avant le solstice d'hiver. Tu pourrais ainsi être intégrable, si Milagro le souhaite, en début d'année prochaine... "

Mon cœur a accéléré en entendant parler de ma qualification. Sans parler du "en même temps que mes camarades". Mais Tonks-Lupin toussote alors en penchant la tête de côté, comme si elle objectait, et ça me paralyse.

Et Shacklebolt la regarde, acquiesce et reprend : "Si ton commandant le souhaite, ai-je dit, mais bien sûr, tu as ton mot à dire. Il y a plusieurs options. La première est ton intégration directe en Espagne. J'ai compris qu'il n'avait pas encore décidé où, nous y reviendrons. La deuxième option est que tu restes encore quelques mois avec nous, une sorte de stage toujours dans le cadre de la coopération entre les bureaux espagnol et britannique. Trois à six mois seraient possibles. Ils te permettraient de gagner en assurance avant de... Je ne te cache pas que Tonks aime bien ce scénario, mais moi, j'y vois un risque : celui que tu aies d'autant plus de mal à te couler dans le moule des Aurors espagnols. Plus tu attends, plus les différences seront un obstacle pratique. Plus tu seras différent... "

"Ce que je suis déjà sans doute un peu trop", je lâche.

"Le colonel Milagro ne t'a pas envoyé ici sans anticiper ou minimiser ce risque ; nous en avions parlé quand tu as commencé l'aspiranat", m'apprend Shacklebolt. "Il n'a pas l'air foncièrement inquiet aujourd'hui. Il dit qu'il faut trouver où cette différence sera utile, ses mots. Des mots sages.

"Oui, Commandant", je murmure.

"Il y a une dernière option", reprend Shackelbolt après avoir de nouveau consulté du regard ma mentore. "Tu peux décider que tu... n'as pas envie de retourner en Espagne. Tu es aujourd'hui de plein droit un des nôtres, Soportújar. J'ai rappelé cette option au colonel Milagro."

Il marque une nouvelle pause, comme pour me laisser l'occasion de commenter, mais je n'arrive même pas à articuler une réponse protocolaire. Oui, Jeffita avait dit que la possibilité existait, mais s'entendre répéter par le Commandant que je vais être un Auror qualifié et que je peux être intégré au Bureau britannique, si je le souhaite, moi, le petit Mouton noir ? C'est juste trop.

"Nous sommes tombés d'accord tous les deux sur l'idée que, pour choisir, pour toi comme pour lui... il faudrait que tu passes un peu de temps en Espagne... C'est ce que je viens de négocier avec ta mentore. Je voulais proposer trois semaines, mais elle pense que c'est trop ou pas assez pour avoir du sens. Elle pense qu'une grande semaine suffirait pour... Voyons, comment as-tu formulé ça, Dora ?"

"Poser les questions qui doivent être posées, voire recevoir quelques garanties", énonce Tonks-Lupin en me regardant.

"Qu'en dis-tu, Aspirant ?"

"Mais qu'est-ce que tu veux qu'il te réponde, Commandant !?", s'agace ma mentore.

"Dora, soit il est effectivement prêt à recevoir un athamé et prêter serment, soit il faut que tu lui tiennes encore la main, il faut choisir."

"Ce que je veux dire, Kingsley, c'est qu'il n'a pas tellement le choix", elle explique sur un ton notoirement plus diplomatique. "Tu as fait l'effort de négocier avec ton homologue, et moi comme lui te sommes reconnaissants. Tu listes toutes les options, et c'est important de se rappeler combien le jeu est ouvert. Mais je doute que Rafael ait une opinion à ce stade, même sur simplement évaluer de combien de temps, il a besoin pour en avoir une... "

"J'entends bien, mais je viens de poser les règles du jeu et, finalement, c'est assez simple. Soit, Rafael sait qu'il veut rester ici — et j'ai dit que c'était possible. Soit, il sait qu'il veut rentrer, et il sait qu'il peut retourner en Espagne en janvier prochain, voire trois à six mois plus tard. S'il a besoin de temps, d'ailleurs, c'est la meilleure option pour éviter de choisir, et je sais bien que c'est pour ça qu'elle te plaît. Au final, de mon point de vue, il a beaucoup plus de choix que ses petits camarades de promotion. Et tout ce que je lui demande est d'aller en discuter avec ses pairs espagnols pendant dix jours. Calme la mère poule qui est en toi, s'il te plaît, Dora."

"Mère poule ?", elle sourit.

"On pourrait penser que quatre enfants te suffisent", il badine à son tour.

"Aucun n'est aspirant Auror", elle rappelle.

"Tu as encore deux candidats potentiels."

"Que Cerridwen m'en préserve" est sa réponse. "Ok, que Rafael aille vite à Madrid afin d'avoir tous les éléments pour prendre une décision... éclairée."

"Tenez-moi au courant", conclut Shacklebolt en se levant.

oo 1999

Je n'arrive pas à l'état-major des Aurors espagnols, dans lequel je n'ai passé que quelques mois après mon recrutement, avec moins d'appréhension que je n'en ressentais quand j'ai poussé la porte du Bureau de Londres.

Le grand bâtiment est surmonté d'un taureau monumental et un peu menaçant avec ses yeux brillants, surveillant sans cesse le grand parvis dallé qui l'entoure. À chaque pas, je me répète que je peux choisir de ne plus jamais y revenir, que je ne suis obligé à rien, et que j'ai une chance énorme d'ailleurs.

Tous mes potes de Londres l'ont répété. Ogden lui n'a même pas compris pourquoi je me posais la question : "Tu veux retourner bosser avec cette bande qui a bâclé l'enquête nous concernant ?"

Et, si je risquais d'oublier, j'ai dans la poche le poids de ce miroir que tous mes amis de la Division de Londres se sont cotisés pour m'offrir. Un modèle écossais que j'ai encore bien du mal à considérer comme mien. A priori, Tonks-Lupin avait des prix par son père qui serait investisseur du fabricant. "Ou elle a mis de sa poche une sacrée différence de prix", m'a révélé Dikkie après la petite fête qu'elle avait organisée. Une fête absolument inimaginable pour moi, il y a encore quelques mois. Même Nydia est passée et a contribué. C'est pour dire.

Ce poids dans ma poche me donne du répondant pour affronter le secrétaire du Bureau des Aurors espagnol, qui est un policier — différence notable avec la pratique britannique et que j'avais oubliée. Mon uniforme britannique — puisque je n'ai jamais reçu d'uniforme espagnol — n'est pas foncièrement différent du sien, même si comme moi, ce qui lui saute aux yeux, ce sont les différences. Si ça ne suffisait pas, quand je me présente, je vois bien que mon nom lui évoque des choses — et pas seulement mes origines. Il a été prévenu de mon arrivée. Il est sobre en me tendant un sauf-conduit temporaire d'une semaine, jusqu'au prochain mercredi. Il doit me permettre de circuler dans le bâtiment a priori sans restriction. En tout cas, le planton n'en indique pas.

"Le lieutenant Fervi vous attend, Aspirant Soportújar. Direction centrale, deuxième étage, le bureau sera le deuxième à droite en face de vous en sortant de l'ascenseur."

Je n'ai pas réellement le temps de me demander si j'aurais dû m'y attendre ou comment interpréter que ce Fervi soit encore mon interlocuteur. Est-ce lui qui m'a écrit ? Est-ce que Milagro est de son côté ? Est-ce que Fervi et sa mystérieuse confrérie le manipulent ?

Toutes ces bonnes questions restent sans réponse. Et Fervi est dans le vestibule carré sur lequel s'ouvre l'ascenseur. Il parle à un homme plus âgé - disons l'âge de Jeffita - mais m'apostrophe tout de suite. Je parierais qu'il m'attendait.

"Soportújar, bienvenue ! Zuzen, notre aspirant britannique. Aspirant, je vous présente, le Capitaine Zuzen."

"J'ai eu l'honneur de relire tous les rapports vous concernant pour notre Commandant, le colonel Milagro. Des rapports élogieux. Milagro dit que vous pourriez être tenté de rester à Londres.", m'annonce le fameux Zuzen.

Un nom basque, je réalise. Parce qu'il va falloir sortir toutes tes antennes et tous les sous-titres, je me répète.

"Le commandant britannique m'a dit que c'était une des possibilités", je formule.

"Élogieux", estime Zuzen chaleureux. "Allons poursuivre cette conversation dans mon bureau, si tu veux bien Fervi ?"

"Mais bien entendu, Capitaine."

Je les suis en me félicitant d'avoir été jusqu'à relire une description des grades espagnols, que je suis allé emprunter à la bibliothèque de la Coopération magique. Dikkie les a découverts avec curiosité par-dessus mon épaule : "Un titre par grade ? Quelle drôle d'idée !"

Me voilà donc vite installé avec un café, aux côtés de Fervi dans le bureau de Zuzen. C'est sans doute moins inquiétant que ce que j'ai pu imaginer depuis que Shacklebolt est venu me parler de ce stage de réinsertion au sein des Aurors espagnols.

"Une expérience plus que positive donc", estime le capitaine Zuzen en me regardant. "Vous avez été quatre à être envoyés à l'étranger. Une en Italie. Une en France, Un en Belgique et, vous, au Royaume-Uni", il raconte. "Vous allez revenir en même temps — ou presque. Enfin, nous l'espérons. Et, ce sera une vraie richesse pour notre bureau."

"Nous sommes un certain nombre à l'espérer", commente Fervi. "Même s'il ne faut pas s'attendre à ce que... certains bureaux régionaux coopèrent pleinement et sans arrières-pensées..."

"De mon point de vue, ces personnes doivent rester à la Division centrale et être envoyées en région sur des missions ponctuelles... Vous auriez une prévention contre un placement à Madrid, Aspirant ?", il me questionne avec des yeux plutôt francs et directs.

"Je n'ai pas autant d'attaches en Andalousie que certains veulent bien le croire", je réponds.

"Il ne faut pas rejeter ce pays tout entier en raison de ce qui s'est passé à Grenade", plaide Zuzen.

"Puis-je demander, respectueusement, où en est l'enquête, Capitaine ?", je me risque.

Fervi et Zuzen se regardent. C'est finalement le plus gradé qui reprend : "Je ne vais pas vous mentir, Soportújar. Classer cette agression comme le geste de petites frappes mauresques contre des touristes dont ils ont mal évalué les capacités a arrangé le plus grand nombre..."

"Oh, ce n'est même plus un règlement de compte contre moi ?"

"Surtout pas."

"Et le gars qui a été égorgé... ?"

"Le résultat regrettable d'un règlement de compte entre eux", explique Zuzen.

"Des suppositions jugées probables, rien de plus… L'enquête n'est pas officiellement fermée mais... personne ne travaille dessus", rajoute Fervi.

"Et si mes... collègues et amis britanniques s'offusquaient ?"

"On leur parlerait des taux de pauvreté dans la communauté mauresque", soupire Zuzen. "On s'excuserait aussi sans doute."

Je regarde ces deux hommes. J'ai le sentiment qu'ils ne seront pas ici et maintenant, paradoxalement, aussi prompts à évoquer la confrérie, mais que les deux en font partie. Est-ce que je veux devenir comme eux ?

"Revenir ici ne serait pas ouvrir cette enquête... mais rendre possible... une autre sorte de justice", reprend Zuzen.

"Pas de vengeance", je formule.

"Pas celle-là", il contre.

"Le long terme", je suppose. Il y a peut-être plus d'ironie dans ma voix que je ne le voudrais.

"Nous comprenons que vous doutiez, Aspirant", m'assure Zuzen. "Si quelqu'un peut être tenté de refaire sa vie loin de tout... notre héritage historique, c'est bien vous. Surtout que vous vous êtes fabriqué les moyens de le faire."

Mais si je ne l'avais pas fait, est-ce que tu voudrais autant de moi dans ton camp ? est la question que je garde pour moi. Juste après, je m'oblige à me répéter que je n'ai pas construit ça tout seul, et que ne pas saisir la main tendue par Londres est, quand même, faire comme si certains là-bas n'avaient pas réalisé des efforts considérables pour moi.

Les deux jours qui suivent, je visite tous les services de la Division centrale avec un statut bizarre d'Aspirant à qui on demande cependant une expertise. Tout le monde semble vouloir comparer son fonctionnement avec l'organisation en Angleterre. Comme c'est souvent très différent à première vue, je n'ai pas l'impression de prendre des risques en soulignant toutes les différences procédurales. Pas que ça m'aide à mieux choisir entre les deux destins qui s'offrent à moi. Deux destins pour un seul mouton noir.

"Mais vous savez quelle est la principale différence selon moi", je finis par lâcher le soir à Fervi qui m'accompagne jusqu'à mon hôtel. Il me fait signe qu'il m'écoute. "C'est la place des femmes. Ma mentore est tout le temps en train de dire qu'il n'y a pas assez de filles, qu'elles choisissent trop souvent de se retirer de la Division si elles ont des enfants… mais il y en a. Je veux dire, en deux jours, j'ai vu quelques femmes policiers, mais je n'ai vu aucune femme Auror."

"À la Division centrale, il n'y en a pas", confirme Fervi. "Il y en a eu. Jamais beaucoup. Mais, en ce moment, il n'y en a pas. Les dernières en activité ont préféré des affectations en région. Par contre, dans nos quatre stagiaires qui doivent comme toi revenir, nous avons deux filles."

"Elles se rendent compte ?"

"Bonne question, Aspirant. Je n'ai pas la réponse. Je ne sais même pas si, moi, je mesure ce qu'elles vont devoir vivre... Elles auront besoin d'alliés, certainement. De gens qui, eux, se rendent compte..."

"Je ne suis pas là pour...", je commence, puis je souris parce que je vois bien qu'une fois de plus, subtilement, il a continué à essayer de me recruter. "Comment faites-vous pour garder espoir, lieutenant Fervi ?"

"Je crois au temps long. Même une goutte d'eau peut percer une pierre si on lui en laisse le temps."

2021 (Dora)

"Donc, l'équipe de votre fille a sorti un infiltré d'une cage en verre et "trouvé" un dispositif anti-rituel ?", s'excite Zorrillo.

Peut-être est-il sincèrement inquiet pour Sopo, même s'il est aussi certainement prêt à le sacrifier au prétexte que Rafael serait d'accord pour ce sacrifice.

Comme ma fille.

Ne pas penser comme ça.

Attendre la réponse de Remus.

Ne pas sauter d'étape.

"Ils ont prudemment transmis que l'identification était probable", souligne Ron avec patience. Sans doute est-ce mieux que ça ne soit pas moi qui protocolairement doive faire les rapports.

"Et ils sont en route pour le cœur du rituel ?", vérifie encore l'émissaire espagnol. Il est rasé de frais, a certainement pris un petit déjeuner après une vraie nuit. Oui, je suis jalouse. Et ne parlons pas de Philippine qui n'est pas encore là.

"Ils devraient atteindre la zone dans l'heure qui vient. Ils doivent s'arrêter pour mailler les corridors", continue d'expliquer mon adjoint.

"Et l'autre équipe ?"

Bonne question, je rumine. Oui, Darnell s'est mis à donner davantage de nouvelles et à faire des relevés. Néanmoins, quand les experts du Département des Mystères ont demandé qu'eux aussi commencent à poser des dispositifs anti-rituel, il a carrément répondu que ça allait les ralentir. Comme si la vitesse était l'important. "Dis-leur que ça va leur sauver la vie", j'ai presque aboyé, exaspérée. Seamus a transmis.

Je n'ai pas attendu de savoir si Darnell obtempérait pour décider que je ne pouvais plus tourner autour du pot et je suis sortie demander à Remus de faire ce qu'il déteste : divulguer au Bureau des Aurors des informations que seul Poudlard a. "Pour Iris", ai-je argué. Il a détesté encore plus. Je le comprends. Moi aussi. Quand je suis revenue, Zorrillo était arrivé.

"L'équipe écossaise a plus de distance à parcourir", continue de répondre factuellement Ron. "Mais elle a bien avancé. On pense qu'elle peut y être en un peu plus de deux heures."

"Et vous allez le lancer quand, le contre-rituel ?"

"Les experts hésitent encore. On attend un nouveau rapport d'eux, d'une minute à l'autre.

C'est le moment que choisit mon miroir pour vibrer. Je sors sans explication pour répondre à Remus. Son visage est épouvantable. Lui faire ça le jour de la lune montante est une grande violence, j'en suis intimement consciente.

"En toute logique, tu devrais être la marraine de cette petite Zara", est sa façon de me confirmer l'identité de Rafael comme père de la fille de Dikkie.

"En toute lettres ?", je vérifie.

"Oui, Dora", il articule avec difficulté, agacé de mon insistance.

"Merci", je souffle.

"Je ne sais pas exactement ce que ça change. Tu postules que Dikkie veut le sauver... mais tu n'en sais rien !", il gronde assez bas.

"C'est le plus probable", je répète.

"C'est ce que tu espères", il accuse sans détours. Un lycanthrope Gryffondor le jour de la pleine lune, il ne faut pas en attendre beaucoup plus. Je ravale qu'il devrait prier pour que j'aie raison.

"J'ai des ordres à donner", je préfère couper court. Il n'insiste pas. J'entends dans le couloir la voix si reconnaissable de Philippine Maisonclaire comme celle, immanquable, de mon ami, Aelius Wind, que j'ai supplié cette nuit de venir nous donner son avis.

Je n'ai pas beaucoup de temps. Je sors donc le jeton de communication que j'ai dans ma poche et que je n'ai utilisé qu'une fois pour l'instant. J'écris d'abord le nom de Dikkie et je vois que son jeton à distance capte ma prise de contact. J'hésite une dernière fois avant de tracer le message qui, je l'espère, rendra son sang-froid et son envie de jouer collectif à ma subordonnée : "Contre rituel nécessaire pour sauver petit mouton."

Je vois que le message a été lu. J'attends en espérant que la réponse viendra avant que Philippine ne soit là et que je doive me concentrer sur la diplomatie, ne serait-ce que pour que mon équipe, elle, puisse se concentrer sur l'opérationnel.

"Même s'il est au cœur du rituel ?"

J'hésite, mais il me semble que la réponse ne peut pas être celle de quelqu'un qui jouerait double jeu. C'est plus un aveu de son propre raisonnement.

"Le mouton fait équipe avec ma petite fleur." Comme j'imagine qu'elle doit digérer ça, je passe aux ordres : "Communiquez et coordonnez-vous."

"Dora, tu fais l'école buissonnière ?", s'enquiert Philippine qui arrive jusqu'à moi, accompagnée par Aelius qui a dû dire à la secrétaire qu'ils connaissaient le chemin.

"Je gère des affaires annexes", je lui réponds en plaçant résolument le jeton dans ma poche et un sourire sur mon visage. "Mais ça devrait être bon."

"Si tu prends ce temps, c'est que ça doit se passer bien", elle estime. Toujours cette petite suffisance quand elle s'adresse à moi.

"Ça se passe plus ou moins comme prévu, mais ils entrent dans la phase de contre-rituel... "

"Je ne sais pas comment tu arrives à rester aussi calme... Je suis bien contente de ne pas avoir d'enfant", est son commentaire qui se veut sans doute empathique.

Aelius, lui, se contente de pencher sa tête sur le côté. Je sais qu'il est sincère dans son inquiétude, peut-être pas pour Iris spécifiquement, mais pour la situation générale. Je leur ouvre la porte et je leur fais signe de rentrer.

"Nous vous attendions pour écouter l'avis des experts du Ministère", nous apprend Ron quand nous pénétrons dans la salle. J'imagine qu'il aimerait savoir ce que je fabrique, mais je ne vois aucun moyen direct de lui expliquer. Reste l'indirect.

"Des développements sur le terrain ?", je m'enquiers.

"Les points de réseau du contre rituel se développent des deux côtés", nous informe Seamus et sur la carte magique étalée sur notre table, ce réseau est maintenant plus dense. Surtout du côté écossais. Pas de mystère, il est soulagé de pouvoir annoncer ça.

"Les experts vont être contents", je commente. Je vois bien que Ron me soupçonne maintenant d'y être pour quelque chose. C'est toujours bien de vérifier la bonne opinion que mes subordonnés ont de moi. "Ils sont là, Seamus ?"

"Je leur dis que vous êtes prêts."

Quelques secondes plus tard, on voit les têtes des trois experts désignés par le Département des Mystères, et mon lieutenant aux expertises, Elisa Cresswell apparaître dans le feu. Des trois, celui que je connais le mieux est le mage Rivers. Les deux autres sont plus jeunes, mais tout le monde nous a promis qu'ils étaient sacrément bons en rituels, en Arithmancie appliquée et en manipulation des forces telluriques. Un des deux a été le thésard de Cyrus d'ailleurs. Et, je tiens à dire que je n'ai pas appelé pour vérifier ce qu'il pensait de lui parce que je n'ai besoin ni de mauvaises nouvelles, ni d'un Cyrus voulant s'en mêler. C'est Rivers qui parle et centralise.

"Tous les relevés des deux équipes contribuent à confirmer notre hypothèse. Les galeries ont été creusées de manière à former le pentacle nécessaire au rituel et donc le point central est facile à localiser avec précision. À peu de choses près ce que nous imaginions d'ailleurs puisqu'ils ont pris la peine de s'informer sur le plateau géologique et de chercher un point de faiblesse sur lequel s'appuyer pour faire émerger une île... On peut se risquer d'ailleurs aussi à prédire une taille à cette île. Moins de 400 km²."

"On peut dire qu'ils ont essayé d'être raisonnable d'une certaine façon", ponctue Cresswell.

"Je ne vois pas du tout ce que ça représente", avoue Maisonclaire.

"L'île de la Gomera aux Canaries à peu près", propose un des jeunes experts.

"Sans doute un de leur modèle", rajoute Rivers. "Jusqu'au relief probable de falaises qui rendront l'endroit facile à défendre..."

"L'horaire du déclenchement du rituel reste le même ?", intervient Ron, toujours pragmatique.

"Ce qu'on enregistre ne semble pas plus puissant qu'anticipé. On perçoit une mobilisation croissante des forces telluriques, amplifiée par la lune montante bien sûr", explique Rivers avec un air entendu. "Reste à s'assurer que le contre rituel est déployé de manière suffisante et cohérente. Du côté irlandais, on a déjà un bon réseau en place. L'équipe écossaise a un peu de retard, mais elle vient de placer quelques nœuds importants qui nous rassurent un peu."

"Un retard ?", relève évidemment Maisonclaire.

"Ils ont davantage de distance", essaie Ron.

"Ils ont beaucoup avancé. Ils semblent d'ailleurs avoir renvoyé quelqu'un en arrière pour placer des relais", nous indique Rivers.

"On n'est pas certains que ce soient eux ?", creuse Philippine, et c'est la question que j'aurais posée à sa place.

"Finnigan, faut être sûrs", intervient Ron en me regardant. Je soutiens d'un coup de menton.

La réponse de Caradoc nous arrive en quelques secondes : "L'équipe de Winnie s'occupe de nos arrières."

"Si jamais elle est prise à revers", s'inquiète Zorrillo avec presque un regard d'excuse pour moi parce qu'il envisage le pire.

"Ils sont plutôt partis pour une fuite en avant", estime Rivers. "La seule façon de protéger une arrière garde reviendrait à affaiblir le rituel de création de l'île", il nous rappelle.

"Sont-ils vraiment au-dessus de sacrifier des troupes ?", se questionne avec une certaine justesse Philippine. Heureusement, c'est à Zorrillo qu'elle demande ça.

"Partons du principe que, même si c'est le cas, une équipe armée et sur ses gardes a ses chances", intervient Aelius.

"Sait-on combien de temps, il faudra encore pour mettre en place le contre-rituel ?", se lance Zorrillo.

Les trois experts se regardent et Rivers nous répond : "Un peu plus de temps que prévu. On imaginait qu'ils auraient fini à cette heure. Mais il reste six heures. On n'est pas encore passé dans une zone temporelle dangereuse..."

"Elle commencera quand, cette zone ?", je décide d'affronter la réponse.

"Ça dépend aussi de l'avancée du rituel, Commandant", commence Rivers, mais il croise mon regard et arrête de jouer la montre. "Je dirais qu'on a deux heures devant nous, quoi qu'il arrive, avant de devoir penser aux alternatives."

ooooo

Le suivant s'appelle Le verdict... à vos suppositions