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Chapitre 5 : La bête en lui

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Noir.

Il se redressa.

Lentement.

Fixa un long moment le vide, son esprit ailleurs.

Personne ne l'avait cru quand il avait affirmé que quelqu'un voulait s'emparer de la pierre philosophale.

Personne ne l'avait cru quand il avait dit ne pas avoir mis son nom dans la coupe de feu.

Personne ne l'avait cru quand il avait annoncé le retour de Voldemort.

Il agrippa avec désespoir sa poitrine, à l'emplacement de son cœur.

Il y sentit la fissure, probablement déjà présente depuis de nombreuses années, s'élargir un peu plus.

Il n'arrivait pas à savoir si ce qui le faisait autant souffrir était de la tristesse, de la rancœur, de la rage ou de la haine.

Quoi que ce fut, c'était dévorant.

Ça mastiquait ses organes avec férocité.

Ça faisait craquer ses os sous ses dents.

Ça brisait son âme en tout petits morceaux.

Ça.

La bête en lui.

Tom l'avait prévenu.

Tous ces sorciers… Harry avait toujours pensé que c'était sa famille. Celle qu'il n'avait jamais pu avoir.

Mais il se rendait désormais à l'évidence : il était seul.

Il tourna son regard vers le miroir.

Son reflet acquiesça solennellement.

Des menteurs.

Des manipulateurs.

Des profiteurs.

Il se leva.

Lentement.

Ses pas le conduisirent au plateau de victuailles. D'une main, il l'envoya s'écraser sur le mur. Les pâtisseries se rependirent sur le sol. Impassible, il en écrasa une sous la plante de son pied nu.

Il se souvenait, maintenant, des humiliations qu'il avait subi, plus jeune. Il se souvenait du nombre de fois où on l'avait traîné dans la boue. Il se souvenait quand il avait dû courber la tête.

Et toutes ces fois où il avait été trahi.

Il leva les yeux vers le plafond. Des faux semblants. Toute sa vie avait été bâtie sur des faux semblants. Ils le craignaient. Ils étaient tous terrifiés. Alors ils avaient fait semblant de l'aimer. Pour masquer l'odeur de leur peur.

Une fois qu'il avait accompli son rôle, une fois qu'il les avait tous sauvé, ils s'étaient retournés contre lui. On l'avait méprisé. On l'avait enfermé. On l'avait tué.

La fissure dans sa poitrine se mut en quelque chose de plus profond.

De plus abyssal.

Comme une crevasse qui engloutissait son cœur.

Quelque chose de nouveau émergea lentement en lui.

Quelque chose de terrifiant.

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On frappa à la porte : « Harry ! » Hermione, chaleureuse, se précipita sur lui. Harry recula d'un pas. La jeune femme s'arrêta, interloquée.

Ron avança la main vers lui. Il allait dire quelque chose mais son regard s'arrêta sur le petit déjeuner écrasé à terre et il garda le silence, la main suspendue dans les airs.

« Tout… va bien, Harry ? »

Harry les fixa un long moment avant de répondre, indifférent : « Tout va bien. »

Hermione le poussa légèrement pour entrer dans l'appartement : « Il s'est passé quelque chose ? »

Harry regarda le plateau argenté qui gisait au sol : « Il ne s'est rien passé. »

« Je vois ! Tu t'entrainais pour la bataille ! » Résuma Ron avec un grand sourire, entrant à son tour dans l'appartement.

Harry referma la porte derrière eux. « C'est ça. Je m'entrainais. »

« Tu fais bien. - Dit Hermione, un air légèrement supérieur inscrit sur le visage - La date du combat final a été décidée entre les deux partis. C'est imminent, Harry. Il va falloir être prêt. Beaucoup de sorciers se cachent ou ont disparu, ces derniers temps… Il y a l'exode, bien sûr… mais il y a aussi des disparitions politiques. »

Ron prit un air conspirateur et baissa la voix : « On raconte que Malfoy fils est manquant. On ignore s'il a rejoint les forces de Voldemort ou s'il a simplement été tué... Enfin, si vous voulez mon avis… »

Il fut coupé par Harry : « Pourquoi ? »

« Pourquoi quoi ? »

« Pourquoi vous n'iriez pas combattre Voldemort vous-même ? »

Un long silence lui répondit. Ron papillonna un instant, interdit : « Ben… parce que… parce que c'est toi l'élu ? Enfin, la prophétie, tout ça. »

« Ha oui. La prophétie. » répondit Harry, laconiquement.

Hermione se racla la gorge : « Enfin, Harry, c'est le peuple entier qui compte sur toi. C'est ton combat qui va décider du futur du monde sorcier ! »

Harry la regarda et lui offrit un sourire qui n'atteint pas ses yeux : « Je sais, je plaisantais. »

Ron éclata de rire et offrit à son ami une grande bourrade dans le dos : « Hahaha ! J'y ai presque cru ! »

Harry ouvrit la porte : « Maintenant si vous voulez m'excuser, j'ai besoin de préparation pour sauver le monde. »

Il attendit, calmement, assis dans son fauteuil, que les deux jours s'écoulent.

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Alors que la bataille faisait rage, Harry observait, l'air distant, les sorciers s'entre-tuer.

Il y avait dans l'air une odeur de sang et de chaire brûlée. Cela sentait la mort à plein nez.

Un homme le harangua : « Qu'est-ce que tu fais, espèce d'idiot ! Débarrasse-nous de Tu-sais-qui ! » Une femme appuya : « Tu attends qu'on soit tous morts ou quoi ? »

Une main paternelle se posa sur son épaule. Harry fit lentement remonter son regard le long du bras qui le touchait : Dumbledore. « Mon garçon, je sais toute l'inquiétude qui t'étreint. Je sais à quel point tu as peur. Tuer n'est jamais une chose simple. Mais pense que tu n'auras qu'à prendre une seule vie pour en sauver cent-mille. »

Harry lui offrit un regard désintéressé avant de se dégager doucement : « Je sais ce que j'ai à faire. »

Il n'y avait plus de fissure en lui.

Juste un trou.

Profond.

Abyssal.

Et la bête qui grattait pour sortir.

Le mot « vengeance » glissa le long de sa colonne vertébrale et s'encra sous sa peau pour la nourrir.

On voulait qu'il combatte ?

Il allait combattre.

On voulait qu'il tue ?

Il allait tuer.

Cela ne lui posait aucun problème.

Il s'avança, fendant la foule qui s'écartait sur son passage.

Sûrement.

Calmement.

Une voix retentit : « Harry Potter. Le garçon qui a survécu… »

C'était Voldemort.

Harry se tourna vers lui et lui tendit la main.

Le mage noir se figea, incertain, avant d'éclater de rire : « Harry, Harry, Harry ! Tu ne cesseras jamais de me surprendre ! » Il attrapa le poignet tendu et tira le jeune homme vers lui. « Dois-je en conclure que nous sommes amis ? »

Harry le regarda avec mépris : « Nous ne serons jamais amis. Je vais t'aider à gagner cette guerre, puis je te torturerais. Encore. Et encore. Et encore. Jusqu'à ce que tu me supplie d'arrêter. Jusqu'à ce que tu te jettes à mes pieds pour que je mette fin à tes souffrances. »

Tom lui décocha un sourire carnassier : « C'est un bon programme. J'aime tes préliminaires. »

Ce fut un bain de sang.

Un carnage.

Ils ne s'arrêtèrent que lorsque le dernier souffle du dernier sorcier s'échappa du champ de bataille.

Harry tint sa promesse.

Il aida Tom Jedusor à vaincre, à dominer le pays entier. Enfin, quand tout ne fut plus que ruines et désespoir, il se retourna contre lui.

Mais jamais il ne trouva la satisfaction qu'il avait recherché.

Ainsi finit sa vie : dans le coin sombre d'une rue malfamée, un matin d'hiver.

Il avait 32 ans.

La rage qu'il avait eut lors de sa troisième résurrection s'était flétrie. La bête s'était à nouveau tapie en lui, silencieuse et tranquille. Il se senti vide lorsqu'il se réveilla à nouveau.

Prenant le contre-pied total de sa vie précédente, il passa plus de 30 ans à apprendre tout ce qui pouvait être appris. Severus devint son maître et lui enseigna avec patience l'art des potions. Il essaya de se spécialiser en sortilèges de métamorphose. Puis s'intéressa aux sorts offensifs et défensifs.

Son cercle de relations se restreint au minimum.

Une mauvaise grippe l'emporta, deux jours avant son anniversaire, dans l'indifférence la plus totale.

Il ne se souvenait plus vraiment comment il était mort la 6ème fois, mais il se rappelait être devenu immensément riche.

Cela ne l'avait pas rendu plus heureux.

Plus le temps passait, plus les résurrections s'enchaînaient et plus sa mémoire lui jouait des tours.

La solitude semblait être devenue sa seule amie.

Il avait fait le tour du monde.

Il avait fui, s'était caché, avait vieillit seul, anonyme.

Lassé, épuisé, il avait fait le choix de mettre par lui-même fin à sa vie, l'automne de sa 8ème résurrection. Les préparatifs avaient été long. Il tergiversait, manquait de courage.

À l'aube de sa neuvième vie, il savait désormais comment s'y prendre et n'avait plus la moindre once d'hésitation dans ses gestes.

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Il se força à inspirer profondément, comme s'il n'avait pas respiré depuis des siècles, puis ouvrit les yeux.

Il s'empara d'un des livres de son étagère et le feuilleta. L'odeur du papier en décomposition lui arracha un léger sourire. Un souvenir fugace de l'atelier de potion de Severus, envahi de parchemins de recettes diverses, lui revint en mémoire.

Le rendit nostalgique.

Cela faisait des années qu'il n'avait pas vu son ancien maître. Il se dirigea silencieusement vers les cachots.

Severus était là.

Immuable.

Il prit un moment pour l'observer.

Jeune, il n'avait jamais trouvé le bon angle pour apprécier à sa juste valeur le professeur. Mais aujourd'hui, il savait. Il savait tout ce par quoi cet homme était passé. Et il s'avouait qu'il restait un des rares sorciers qu'Harry gardait encore en haute estime.

Severus Snape posa son stylo, agacé : « Monsieur Potter, si vous souhaitez me dire quelque chose, faites-le maintenant ou sortez de mon bureau. »

Harry sourit, mélancolique. Voilà pourquoi il aimait cet homme : direct. Droit. Il ne mâchait jamais ses mots. Bien sûr, Severus n'était pas parfait. Il avait été injuste. Blessant. Harry avait eu envie de le faire souffrir à de nombreuses reprises. Mais, au final, c'était un homme vrai.

Le survivant pencha sa tête sur le côté : « Je m'en vais. »

Le professeur de potion posa un long regard transperçant sur lui.

Un silence s'installa.

Puis il reprit son stylo et se remit à corriger ses copies : « Monsieur Potter, votre combat est dans deux jours. »

Harry sourit, doucement : « Je ne combattrais pas. Je m'en vais. »

Severus leva à nouveau ses yeux sur lui, l'air impassible.

Harry, attentif, observait ses réactions.

C'était un test.

Il voulait savoir.

Savoir si l'homme face à lui était comme les autres. Il implora une longue litanie dans sa tête : « Ne le dis pas. Ne le dis pas. Ne le dis pas. ».

Severus s'appuya contre le dossier de sa chaise et arbora une moue dubitative, croisant les bras : « Je comprends. »

Harry attendit, retenant son souffle.

« Approchez. »

Harry s'exécuta.

« Prenez cela et disparaissez. » Dit-il en lui tendant un papier griffonné. Harry s'en empara et déchiffra l'inscription : une adresse. Le nom d'un village. Une… dernière destination.

Le jeune homme fit demi-tour. Une voix le retint : « Monsieur Potter. » Il s'arrêta, la main sur la poignée de porte. « Retenez ceci, Monsieur Potter. Même si vous en avez l'impression, vous n'êtes pas seul. »

Harry serra les dents avant de disparaitre sans un mot, avalé par les couloirs sombres de Poudlard.