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Chapitre 6 : Déferlante

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Depuis le sommet de la colline, Harry contemplait le petit hameau qui s'étendait sous ses yeux. La vue était spectaculaire : le village de pêcheurs s'étirait le long de la côte, ses maisons en pierre usées par le temps se dressant avec une dignité résignée. Des filets de pêche séchaient dehors, ondulants doucement avec la brise. L'odeur d'iode imprégnait l'air, mêlée au cri strident des oiseaux marins. Le ressac régulier de l'eau complétait la symphonie.

« C'est comme un petit cercueil. » murmura Harry en observant les collines verdoyantes qui enveloppaient les habitations, les isolant du reste du monde.

Il ne savait plus trop pourquoi il avait suivi l'adresse laissée par Severus. Un instinct étrange, une force irrésistible, l'avaient guidé jusqu'à ce village. Cependant, il n'était pas là pour apprécier le panorama.

Reprenant son chemin, il atteignit un promontoire rocheux qui offrait une vue imprenable sur la mer. L'horizon infini semblait s'étendre en une invitation silencieuse.

Une invitation à la libération.

Un vent salin caressa son visage.

Immobile, il contempla le vide devant lui, l'esprit ailleurs.

Il se pencha un peu plus vers l'avant.

Il était calme. Ne ressentait aucune peur.

Severus avait tort : il était seul. Totalement seul. Ne l'avait-il pas toujours été ? Si entouré, mais si… esseulé.

Au fil des réincarnations, il avait oublié comment accorder sa confiance, comment établir des liens avec les autres.

Il s'était éloigné de tout et personne ne l'avait retenu.

Il errait désormais sans direction, sans aspiration, vidé de toute curiosité.

Il n'avait plus le désir de comprendre pourquoi il revenait sans cesse à la vie. Tout en lui était devenu creux : il ne ressentait plus aucune tristesse, aucune joie, aucune colère. Il se contentait d'être, comme une coquille vide dénuée de toute substance.

Il se sentait vieux.

Il se sentait épuisé.

La vie n'avait de sens que lorsqu'elle suivait un cycle complet, de la naissance à la croissance, du vieillissement jusqu'à la mort. C'était cette mort, inévitable, qui lui conférait toute sa signification, sa beauté. C'était elle qui poussait l'être humain au savoir, à la connaissance, à la recherche du bonheur. Qui lui donnait la volonté de tracer sa propre destinée.

Mais que pouvait-il trouver dans l'éternité ?

Descendant la colline, il atteignit les premières maisons du village et parcouru lentement les rues étroites. Les habitants vaquaient à leurs occupations quotidiennes, ignorant le visiteur solitaire qui errait parmi eux.

Il se retrouva finalement sur un petit pont fleuri qui enjambait un cours d'eau calme. Les pétales tombés des fleurs flottaient à la surface de l'eau, créant un tableau poétique.

Les premières gouttes de pluie tombèrent, altérant le miroir aqueux.

Harry s'approcha instinctivement de la rambarde, scrutant l'onde tranquille en dessous. Les reflets du ciel orageux se mêlaient à ceux de l'eau, créant une toile hypnotique.

Il ressentit une étrange tentation envers le vide en dessous.

Sauter d'ici ne lui infligerait probablement que des blessures mineures. Il savait, de toute façon, que ce genre d'acte était voué à l'échec. Dans le passé, il avait déjà essayé de mettre fin à cette malédiction de manière brutale, en tranchant sa gorge.

Ça avait été si douloureux. Plus que tout ce qu'il avait connu.

Ça avait pris du temps. Bien trop de temps.

Et, une fois la lente torture achevée, il était revenu.

Une neuvième fois.

Pourtant, même conscient que chaque tentative serait vaine, il ressentait le besoin de recouvrer une minuscule emprise sur cette existence sans fin. L'illusion de contrôler ne serait-ce qu'un infime fragment de sa vie était une tentation qu'il ne pouvait ignorer.

Et cela le poussait à vouloir recommencer.

Encore.

Et encore.

Et encore.

Il voulait à nouveau ressentir cette douleur qui lui prouvait qu'il restait encore quelque chose en lui. Qu'il ne s'était pas dissout dans la malédiction. Qu'il était toujours… Harry.

Il se pencha un peu plus par-dessus la rambarde du pont et ferma les yeux. L'air marin ébouriffa ses cheveux déjà en bataille et une ondée glaciale glissa le long de son corps.

La pluie s'était intensifiée.

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Alors qu'il inspirait profondément, le destin lui réserva une rencontre inattendue : un poing s'abattit violemment sur sa mâchoire, le propulsant en arrière et l'étalant de tout son long sur le sol.

La douleur fulgurante le ramena soudainement à la réalité, brisant l'étreinte hypnotique du moment.

Une voix familière, déformée par la colère, résonna : « Espèce de connard ! »

Il lui fallut un moment pour identifier son propriétaire. Un nouveau coup de poing s'abattit sur lui, l'obligeant à avancer instinctivement les bras pour protéger son visage.

Quelqu'un s'installa brutalement sur son corps, le maintenant fermement contre le sol froid, et agrippa le col de son t-shirt, lui infligeant une volée de coups violents.

« Espèce de fils de... Jusqu'ici, tu viens me faire chier ! »

Harry sentit la pluie mêlée au sang couler sur son visage. Il reconnut Drago Malfoy sans vraiment le reconnaître. Les cheveux blonds, presque argentés, de l'homme penché sur lui étaient trempés, collés à son front. Son profil fin, aristocratique, ses deux yeux acier, menaçants, de la couleur du ciel qui grondait au-dessus d'eux, sa silhouette fine et athlétique qui se dessinait de manière saisissante à travers les vêtements dégoulinants… Tout cela accentuait le contraste entre l'homme devant Harry et l'enfant détestable qu'il avait connu à Poudlard. Une pensée rapide envers le peuple Vélane traversa son esprit.

« Qu'est-ce que tu fous ici, Potter ? Est-ce que tu cherches la mort ? Ou bien quelque chose de pire ? »

Harry ne répondit pas. Il attendit, tel un pantin désarticulé, et se laissa malmener jusqu'à ce que la fureur de l'autre retombe.

Drago s'essuya rageusement le visage, détaillant Harry avec un mélange de colère et de dégout. La pluie martelait le sol, accompagnant le rythme irrégulier de leur respiration.

« Réponds, Potter ! Qu'est-ce qui se passe dans cette tête détraquée de Gryffondor ? » gronda Drago

« Severus. » Souffla Harry.

« Quoi Severus ? »

« Il m'a dit de venir ici. » Le murmure de la pluie couvrait presque sa voix, mais Drago entendit la réponse. Se relevant, il enjamba le corps d'Harry avec une souplesse féline.

« Dégage. Dégage de chez moi. » ordonna-t-il d'un ton cinglant avant de s'en aller.

Mais Harry resta là, étendu à terre, les bras en croix, les yeux fermés, la respiration douloureuse.

Il écouta la pluie qui tombait sur le sol, le ressac de la mer, les cris des oiseaux.

Il sentit l'odeur de la terre mouillée.

La chaire de sa lèvre éclatée le picotait méchamment.

Un goût métallique réveilla ses papilles.

Il essuya d'un revers de main le sang qui coulait de son nez.

Et, pour la première fois depuis longtemps, il se sentit... bien.