Minuit était passé lorsque le shérif, rentrant d'une urgence au poste, découvrit sa maison dans le noir complet et la porte, grande ouverte. Aussitôt sur ses gardes, il activa la fonction lampe de son téléphone et sortit son arme de son étui. Il avança à pas de loups et fit le tour des pièces du rez-de-chaussée prudemment jusqu'à se retrouver dans la buanderie, devant le compteur électrique, qu'il bidouilla. Aussitôt, l'électricité revint. Les sourcils froncés, il éteignit la lumière de son cellulaire et revint au salon. La voiture de Stiles était présente dans l'allée, mais il ne l'entendait pas : l'étage lui paraissait complètement silencieux.

- Stiles ? Appela-t-il.

Seul le silence lui répondit et Noah ne sut pas s'il devait se détendre ou non. Son fils aurait dû répondre. Peut-être dormait-il déjà ? Après tout, il commençait à se faire tard et il avait cours le lendemain. Et Noah se trouva soudainement idiot. Stupide. Complètement à l'ouest. Parce qu'un détail de plutôt grande envergure lui revint à l'esprit. La porte était grande ouverte. Pourquoi ce fait lui était-il sorti de la tête aussi simplement que cela ? Peut-être parce que son esprit épuisé par son travail avait voulu, dans un sens, se protéger. Ne pas imaginer quoi que ce soit qui puisse, par exemple, détruire en un claquement de doigts ces défenses qu'il avait péniblement érigées au fil des années. Celles qui lui avaient permis de ne pas sombrer dans les affres de l'alcool chaque fois qu'il avait un moment de faiblesse.

Les talonnettes des chaussures du shérif firent un bruit monstre lorsqu'il monta les escaliers, un air effrayé collé au visage. L'urgence le saisissait, peut-être plus que jamais.

Parce qu'il ne s'agissait cette fois pas d'un moment de faiblesse.

Il ouvrit la porte de la chambre de Stiles à la volée et balaya rapidement la pièce du regard : rien. Elle était en bordel comme à son habitude. L'hyperactif n'avait rien rangé et c'était foutrement rassurant. Ce qui l'était moins, c'était son absence. Noah enchaîna avec les toilettes, allumées pour il ne savait quelle raison. Rien. Rien. Rien ! Et puis, il tourna la tête.

La porte de la salle de bain était entrouverte et la lumière, rallumée depuis qu'il avait fait revenir l'électricité. Noah n'hésita pas une seule seconde. Stiles devait être là. Autrement, où serait-il ? Mais s'il se trouvait effectivement dans cette foutue pièce, pourquoi diable ne répondait-il pas lorsqu'il l'appelait ? Lui faisait-il une blague ? Peut-être avait-il une nouvelle lubie et mis ses écouteurs en prenant une douche ou un bain ? Lorsqu'il ne se lavait pas la tête, il lui arrivait effectivement de faire cela, de mettre de la musique à fond dans ses écouteurs sans fil. Il risquait chaque fois de les mouiller tout en se détruisant les tympans, mais il n'en avait cure, et c'était à peine s'il écoutait d'une oreille distraite les conseils de son père.

Mais lorsque le shérif pénétra dans la pièce, tous ses espoirs hypothétiques furent réduits en bouillie. Il tomba à genoux sans se soucier de ses os et articulations vieillissants. Une fois le choc plus ou moins passé, il plongea ses mains dans l'eau, sans remarquer les petites flaques sur le sol, les sillons à moitié secs sur les murs. La glace éclaboussée.

Il ne se soucia pas de la nudité de Stiles tant elle lui importait peu à l'heure actuelle. Sa froideur, malgré l'eau encore un peu tiède, lui sautait aux yeux. Il l'appela, hurla, chercha péniblement des signes de vie. Ses mains tremblèrent lorsqu'il chercha son pouls. Des larmes s'écoulèrent en pagaille sur ses joues alors qu'il essayait péniblement de se remémorer les gestes de premiers secours qu'il avait appris des années plus tôt et dont il se servait plus ou moins régulièrement. La peau de Stiles était blanche, plus qu'elle ne l'avait été. Voilà déjà quelques heures que son corps flottait dans l'eau du bain. Quelques heures qu'il ne respirait plus.

Qu'il était mort.

Noah enchaîna les massages cardiaques et autres moyens de réanimations. Il y passa un temps fou, incapable de se résoudre à accepter ce qui n'aurait jamais dû arriver. Il ne réfléchit même pas à la manière dont cela avait pu se dérouler. Il était concentré sur son unique objectif. Réanimer son fils, la chair de sa chair, l'être qu'il aimait le plus au monde. Jamais il ne pourrait se résoudre à le laisser partir.

Alors, Noah oublia tout le reste. Il n'entendit plus rien. Ne perçut plus rien. Ne vit plus rien, mis à part le cadavre pâle et glacial de son pauvre fils. Qu'importait le déni. Il allait continuer, encore et encore, dans l'espoir mêlé au déni de le voir bouger, recracher toute l'eau qui avait pénétré à l'intérieur de son corps. Ensuite, Stiles lui ferait une blague, puis deux. Noah l'engueulerait pour lui avoir fait une peur pareille. Puis, il le prendrait dans ses bras et ne le lâcherait plus de la soirée.

- Shérif !

Noah ne l'entendait pas. Pas l'ombre d'une voix, même familière, ne parvint à ses oreilles. Il continua son massage cardiaque sans se laisser distraire. Il ne pouvait pas faire attention à autre chose. Il était persuadé que ça allait fonctionner. Ne remarquait pas que malgré toutes ses tentatives, Stiles restait irrémédiablement immobile. Pas un souffle ne s'échappait de sa bouche entrouverte et sa peau faisait peur tant elle était pâle. Par endroits, le bleu de ses veines ressortait un peu trop bien. Son corps était un peu raide. Rien ne s'agitait chez lui. Aucune vie n'animait ce corps qu'il s'acharnait à essayer de réanimer.

- Bordel, Shérif Stilinski !

- Oh mon dieu…

- Laissez-moi passer !

Il y eut du bruit autour du shérif. Du mouvement, beaucoup de mouvement. On lui toucha le bras, on l'empoigna, le tira. Noah résista, hurla qu'on le laisse tranquille. Il devait sauver son fils. Il allait y arriver, il fallait juste qu'on le laisse faire, il… Stiles allait se réveiller, ce n'était qu'une question de temps !

- Non, Shérif, non ! C'est fini. C'est fini, Shérif.

- Non ! Ce n'est pas fini ! Lâchez-moi !

La voix de Noah était brisée, peut-être autant que ne l'était son être. Si les poignes sur ses bras étaient fortes, le shérif mit toute son énergie à se débattre comme un diable. Mais que pouvait faire un humain face à un chien des enfers ? Parrish avait pourtant bien du mal à immobiliser son supérieur. Peut-être parce qu'il était animé par l'énergie du désespoir et que celle-ci était incroyablement puissante.

- Shérif, je suis désolé, mais c'est fini…

C'était fou comme la voix de Jordan lui parvenait à peine, à un volume si bas que c'était tout juste possible pour lui de dissocier les mots des uns des autres. Mais il s'en foutait. S'il cet idiot d'adjoint de merde le lâchait, il allait y arriver ! Il allait réanimer Stiles ! Il était à deux doigts d'y parvenir, il…

- Non, Shérif, vous n'y arriverez pas.

Noah n'avait pas conscience d'énoncer ses pensées à voix haute. Dans sa tête, tout se bousculait et seul Stiles se détachait de tout. Stiles, son fils adoré. Son fils unique.

Le shérif ne re rendait même pas compte qu'il sanglotait à n'en plus finir. Mais vint un moment où il se figea, plongeant soudain dans une sorte d'état de choc, incapable de sortir de cette brusque paralysie. Il avait l'air hagard, les yeux vides et pourtant, l'émotion sortait par chacun des pores de sa peau. Mais peut-être qu'enfin, il était doucement en train de réaliser l'ampleur de la situation, obligé d'envisager le plus pénible.

Et Dieu sait à quel point Noah se sentait incapable de supporter ça, tant et si bien qu'il perdit à moitié connaissance. Jordan Parrish le maintint contre lui, histoire d'éviter qu'il s'effondre totalement sur le carrelage froid et partiellement mouillé de la salle de bain. Le shérif se mit à trembler comme cela ne lui était jamais arrivé et Jordan se tourna, se mettant entre lui et le corps de Stiles. Il fallait l'éloigner d'ici au plus vite. Noah entendit vaguement Jordan parler et se sentit soulevé.

Du reste, il ne garda aucun souvenir. Un seul visage lui martelait l'esprit et faisait couler dans sa tête autant de larmes que de pensées noires.

xxx

Le shérif avait été emmené à l'hôpital et Melissa s'était personnellement occupée de sa sédation, pour la simple et bonne raison que le pauvre homme s'était mis à délirer et à se débattre à son arrivée dans la chambre qui lui avait été attribuée. L'infirmière restait également à son chevet et pouvait compter sur son amitié récente avec le docteur Dunbar pour lui donner sa soirée et la consacrer entièrement à son vieil ami shérif.

Elle avait appris la nouvelle, bien sûr, mais n'en avait pas touché un mot à Scott. Son collègue n'avait pas non plus tenu Liam au courant, pour la simple et bonne raison que la nouvelle n'était pas des plus simples à annoncer. De son côté, Melissa faisait de son mieux pour être forte, mais elle ne pouvait s'empêcher de lâcher quelques larmes, au chevet de Noah, dont l'immobilité forcée lui faisait peur. Son cœur de mère ne pouvait supporter qu'il ait découvert le cadavre de son propre fils. Fils qui était un peu celui de Melissa aussi, tant Stiles avait passé de temps chez elle. Mais elle s'efforçait d'y penser le moins possible, parce qu'elle était à deux doigts de s'effondrer.

Et l'on ne pensa pas à Lydia, qui fut incapable de rentrer chez elle. En fait, elle ne quittait plus les bras de Parrish. C'était elle qui l'avait alerté, elle qui l'avait appelé, en pleurs. Sa voiture étant en panne, elle n'avait pas pu se rendre chez les Stilinski et avait dû attendre que Jordan veuille bien passer la chercher pour venir confirmer ce que son cri avait plus que suggéré. Elle avait tout de suite su. Le hurlement d'une banshee ne mentait jamais. Son instinct non plus. Elle avait toujours eu cette intuition un peu trop précise qui lui donnait parfois des indices sur l'identité des gens donc elle annonçait la mort. Mais ô combien elle aurait aimé se tromper ! Ô combien l'horreur l'avait saisie avant même que sa bouche ne s'ouvre pour laisser s'échapper ce cri si funeste ! Parce qu'elle avait compris. Elle avait tout de suite vu le visage de Stiles apparaître dans son esprit. Son meilleur ami. Son âme sœur. Son frère. C'est ce qu'il était, au final. Là encore, elle tremblait de tous ses membres, dans un état de choc évident. Elle ne sentait rien, à part l'aura de la mort la submerger. Elle s'écarta brusquement de Jordan. Elle étouffait. Elle avait besoin d'air, tout de suite.

Jordan ne lui dit pas de se calmer, c'était inutile. Il ne lui dit pas non plus que tout allait bien, parce que rien n'allait et il serait hypocrite de sa part d'insinuer le contraire, d'autant plus qu'il peinait à contenir ses propres émotions. A l'heure actuelle, on n'attendait pas de lui qu'il l'exprime, mais bien qu'il tienne, pour la jeune femme dont il était follement épris. Le shérif, c'était Melissa qui s'en occupait, et il était sédaté.

Tout ce qu'il pouvait faire à son niveau, puisque ses collègues étaient déjà en train d'investiguer et de passer la maison des Stilinski au peigne fin, c'était rester auprès de Lydia et lui montrer qu'elle n'était pas toute seule. Sa détresse était impossible à nier. Elle réclamait de l'air, tant et si bien que l'adjoint dut la porter pour l'emmener à l'extérieur de l'hôpital. Mais là encore, ce ne fut pas assez.

Bien vite, son visage livide devint rouge et Jordan commença à s'inquiéter. Au départ, il pensait qu'elle était victime d'une crise de panique, mais plus les secondes passaient plus il était convaincu du contraire. Elle s'étouffait réellement, comme un poisson hors de l'eau. Son sang se glaça. Il la garda dans ses bras. Appela au secours. Dut rentrer à l'intérieur de l'hôpital et alpaguer le premier infirmier qui se présenta à son regard. Et Lydia se mit à convulser, avant de perdre connaissance.