Stiles rêvait de bleu. L'immense étendue bougeait au rythme des battements lents de son cœur apaisé. Apaisé par l'eau, les vagues aussi douces que légères. Il y a peu de temps, une tempête s'était abattue sur son esprit. La mer avait claqué contre les parois fragiles du bateau sur lequel il se trouvait. Ses assauts avaient continué jusqu'à l'éclatement total de la coque. Stiles n'avait su à quoi se raccrocher. Dans sa tête, il avait perdu l'équilibre et s'était retrouvé prisonnier de l'étendue bleue. L'eau, si belle et qui lui avait semblé de bonne température, s'était refermée sur lui en devenant glaciale. La morsure l'avait tout d'abord paralysé. Puis, elle s'était insinuée en lui. Stiles avait voulu se débattre, vraiment. Son corps n'avait pas obéi… Et il s'était enfoncé dans les eaux noires, sans vie.

Celles-ci étaient désormais claires et limpides. Par endroits, la mousse légère s'écrasant avec douceur sur le bord de la plage semblait briller. Ici régnaient calme et tranquillité. Le silence, relatif, ne faisait qu'apaiser davantage les battements plus ou moins réguliers du cœur du jeune homme. Il sortit de l'eau, se laissa tomber sur le sable chaud. Ferma les yeux. Profita de la caresse des rayons du soleil sur sa peau tendre et blanche. Ici, il n'avait pas peur de s'exposer. Il n'y avait personne sur cette plage… Et Stiles s'y sentait bien, tout simplement.

Mais toute bonne chose avait une fin, et les nuages passèrent devant le soleil. Ils se multiplièrent, encore et encore, s'amoncelèrent jusqu'à étouffer le moindre de ses rayons. Stiles rouvrit les yeux et regarda autour de lui, soudainement perdu. Pourquoi tout était en train de s'assombrir ? La mer lui sembla d'un coup s'affoler. Les vagues redevenir noires et la mousse… Piquante. Fade. Elle ne brillait plus. Le vent se leva, siffla à ses oreilles. Fort. Il en eut mal. Se tourna, encore et encore, essayant de trouver quelque chose, un endroit où se mettre à l'abri. Autour de lui, le paysage idyllique s'effaçait peu à peu. Il n'y avait rien. Rien d'autre que les vagues qui s'écrasaient violemment contre lui, le sable qui lui brûlait la peau, piquait ses yeux.

Et puis, le noir.

Toujours du noir. Mais plus de bruit de vagues, plus de vent soufflant contre ses oreilles. Un bruit répétitif, une sorte de bip redondant, incessant. Adieu la chaleur du soleil, celle de ses rayons bienfaiteurs. Juste du froid. Un froid relatif et un air sec, aseptisé. Désagréable, piquant. Stiles se crispa brusquement. Il n'aimait pas ça. N'apprécia pas non plus l'inconfort, qu'il ressentit nettement avant la douleur qui, elle, survint un peu plus tardivement. Elle se concentra sur le haut de son corps en commençant par sa tête, puis sa gorge, et enfin son torse – ses poumons. Si elle était largement supportable, elle était dérangeante par sa simple présence et cette intensité étrange : Stiles ne pouvait que la remarquer, sans réellement s'en plaindre. De toute manière, il n'en était pas capable. Impossible pour lui de bouger, de se lever aussi vite qu'il l'aurait fait en se réveillant le matin. Ses bras étaient lourds, ses paupières aussi. Enfin, le terme n'était peut-être pas assez fort pour décrire la puissance de la chose. Stiles avait l'impression que quelque chose l'écrasait ou le maintenait allongé. Et lui, il ne pouvait rien y faire, si ce n'est attendre. Attendre quoi ? Il n'en savait rien. A vrai dire, il n'était pas en état de réfléchir. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était ressentir… Et se rendre compte qu'il n'allait pas bien. Le pire, c'était qu'il n'était pas capable de dire à quel niveau. Était-ce seulement physique ? Mental ? Réel ? Qu'était-il censé sentir, au juste ? Et que s'était-il passé pour qu'il se sente aussi… Aussi… Ailleurs ? Confus ? Rien ne lui vint. Bip, bip, bip… Ces petites tonalités monotones ne l'aidaient d'ailleurs pas vraiment à réfléchir. C'était répétitif, abrutissant. Désagréable, aussi.

Et après un temps qui lui parut infini, ses forces commencèrent à revenir. La première chose qu'il parvint à faire fut d'ouvrir les yeux. S'il eut du mal à s'habituer à la luminosité ambiante rendue plus agressive par la blancheur des murs et du plafond, il finit par réussir. Stiles associa ce qu'il voyait à l'idée qui lui vint directement à l'esprit : une chambre d'hôpital. Si cela pouvait paraître comme une évidence à certains, cela ne l'était pas pour lui. Il avait le crâne en compote et réfléchir, connecter les choses entre elles s'avéraient être une réelle épreuve. Tout était trop lumineux, trop fort, trop lent. Un mélange de « trop » qui le rendait encore plus vaseux qu'il ne l'était déjà. C'était tel qu'il aimerait appeler à l'aide. Quelqu'un, n'importe qui. Mais il se rendit doucement compte que sa gorge… Elle lui faisait mal. Irritée, elle lui donnait l'impression d'être obstruée. De ne pas laisser passer grand-chose, hormis un peu d'air. Quelque chose de suffisant pour qu'il respire – et encore. C'était dur. Il referma les yeux. Se concentra autant qu'il le put pour essayer de… De quoi, au juste ? Trop de choses le gênaient, et il en voulait tout autant. Elle était loin la plage, aussi loin que les vagues. Et le calme de cette chambre n'avait rien à avoir avec son rêve – il n'y avait pas de bip, pas de bruit dérangeant. Il n'aimait pas ça. Il n'aimait ni ce qu'il voyait, ni ce qu'il sentait, ni ce qu'il entendait. Et tout doucement, son mal de crâne s'aggrava. Il ferma fort les yeux, trouva l'énergie, la force et le moyen de se mettre en boule dans son lit. Il avait froid, il avait chaud. Il respirait vite et ce, sans s'en rendre compte. Ça n'allait pas.

Puis, il y eut du bruit, que Stiles perçut difficilement à travers les « bips » de plus en plus rapides qui lui martelaient autant les oreilles que le cerveau. Pouvait-on faire cesser ce capharnaüm ? Il ne saurait dire pourquoi, mais il en avait besoin… Pour essayer de se concentrer et respirer mieux. Il sentait qu'il pouvait y arriver, il fallait juste… Il devait simplement se calmer. Voilà, c'était l'angoisse. Elle ne l'aidait pas à reprendre le contrôle de son corps et surtout, de ses fonctions primaires – les plus importantes. Il ne demandait pas grand-chose : juste d'être à l'aise. De pouvoir respirer profondément sans trop d'efforts. Là, la chose se révélait réellement dure.

- … Stiles ? Stiles ! Stiles, calme-toi !

Trop fort. Très flou, à peine compréhensible, mais paradoxalement trop fort. Stiles haleta. Réessaya d'ouvrir les yeux. Eut bien du mal. Réussit quand même. Ne vit pas grand-chose. C'était comme si un voile semi-opaque recouvrait ses yeux – ou comme si le blanc du mur et du plafond l'avait rendu à moitié aveugle. Il entrevoyait une silhouette, un visage au-dessus de lui. Un visage… Sans réel visage. Parce qu'il n'arrivait pas à distinguer les traits du jeune homme penché sur lui. Il avait les cheveux clairs, des yeux… Était-ce du bleu ? Du gris ? Stiles n'arrivait pas à faire la différence. Tout était trop clair. Et il respirait mal… Ce qui floutait sa vue davantage. Il sentit une chaleur incroyable entourer sa main. Entendit la voix revenir – toujours trop forte – et lui dire de respirer lentement. Stiles continuait de mal l'entendre malgré tout, un peu comme pour sa vue. Trop fort, trop intense, mais flou. Les doigts autour de sa main se resserrèrent tandis qu'il essayait réellement de faire un effort, de juste… Respirer correctement. Et il sentit, lentement mais sûrement, un début d'amélioration. On l'encouragea, lui dit de continuer comme ça, de continuer encore et encore.

Vint un moment où la voix se fit moins forte, plus supportable. Et Stiles cessa peu à peu de haleter. Il se décrispa, lentement. Il avait mal à la gorge, toujours. Mais sitôt qu'il y pensa – n'avait-il réellement fait qu'y songer ? – la douleur disparut. Respirer, il y arriva. Pas aussi confortablement et facilement qu'il le faudrait, certes. C'était toutefois un peu mieux. Le jeune homme continuait de lui parler – doucement, réellement doucement. De lui dire des choses simples. De l'encourager encore et encore, même si ça allait déjà bien mieux. Stiles sentit l'épuisement l'écraser comme une chape de plomb et il ferma les yeux. Le sommeil ne s'empara pas de lui pour autant. En fait, l'hyperactif somnola brièvement, ne fit rien de plus que se concentrer sur sa respiration… Et cette main, qu'il sentait finalement serrer la sienne. Honnêtement, il ne savait pas à qui elle appartenait – le visage restait trop flou –, mais il appréciait le geste, la tentative de réconfort. Parce que c'était tout ce dont il avait besoin à cet instant.

A vrai dire, Stiles commençait à se sentir si bien qu'il n'entendait presque plus les bips incessants que faisait la machine à laquelle il était branché. Bips dont le rythme avait ralenti une fois qu'il s'était calmé. Leur intensité sonore avait également baissé, parce qu'on avait légèrement trafiqué ladite machine. Parce que Stiles avait péniblement et faiblement murmuré qu'il ne supportait pas ce bruit, que c'était trop fort. Que tout était trop fort. Le pire, c'est qu'il n'avait même pas l'air d'avoir eu conscience de parler. Mais Liam l'avait entendu.

Et le visage barré par l'inquiétude, il choisit de rester au chevet de Stiles et de ne pas lâcher sa main, même lorsque l'hyperactif céda finalement à l'épuisement.

Avec ce qu'il avait appris puis ce qu'il avait surpris après être allé rendre une petite visite à son père, Liam était encore un peu sous le choc.

Parce qu'il avait fini par se rendre compte que Stiles avait réellement manqué de quitter ce monde pour de bon. Il avait réalisé. Pas complètement, mais suffisamment pour angoisser de son côté.

La terreur de le perdre lui nouait la gorge.