- Ici, tu as la cuisine.
On le fit avancer. Stiles reconnut le style de la pièce, nota le nombre incalculable de placards ainsi que le bloc à couteaux sur le comptoir à côté de la gazinière. Pour une raison obscure, le reste n'avait pas de réelle importance, pas même le frigo sans doute rempli de nourriture, ni même le panier à fruits au centre de la table. C'était bête, parce que Stiles aimait beaucoup les fruits – les pommes, surtout. Là, il y en avait à foison.
- La salle de bain, lui présenta-t-on la pièce suivante après avoir pénétré dans un couloir.
Classique, dans les tons bleu ciel et blanc. Stiles laissa son regard traîner, passer du lavabo à la douche, pour finir sur la baignoire juste à côté. S'il se raidit, ce fut de manière imperceptible. Il se hâta de fixer autre chose – ses pieds. Plus rassurant que ce qui… Stop. Stiles s'interdit la moindre pensée à ce sujet, comme il le faisait depuis qu'il avait retrouvé la pleine conscience de son corps et de ses souvenirs. Ainsi, il apprécia lorsque le père de Liam poussa son fauteuil pour lui faire visiter le reste de la maison. Techniquement, Stiles pouvait marcher – ses jambes fonctionnaient parfaitement. Simplement, son corps récupérait lentement et restait d'une faiblesse affolante. L'hyperactif détestait se retrouver dépendant de quelqu'un, alors forcément… Il espérait se remettre de cet « incident » au plus vite. Son but ? Rentrer chez lui d'ici trois jours. C'était ce qu'il se donnait comme objectif, tout en sachant qu'il n'était pas extrêmement réalisable et que le docteur Dunbar refuserait de le laisser partir aussitôt : d'une part parce que Stiles mettrait bien plus de temps que cela à se remettre et d'autre part… Parce qu'il n'y était pas en sécurité. Le châtain lui-même le savait, mais il avait toujours ce truc de se dire qu'il ne devait pas s'imposer trop longtemps. Même si cette convalescence chez les Dunbar n'était pas de son fait, il trouvait là qu'il s'imposait, obligeait sa présence de par son état – et il détestait ça. Stiles n'aimait pas se voir comme un fardeau que l'on devait se coltiner dans l'attente de sa remise en forme. Même si c'était faux, il préférait faire semblant d'être en forme et que l'attention d'autrui ne soit plus portée sur lui.
- Et voici la chambre de Liam, annonça le médecin.
Chambre dans laquelle le concerné attendait. Par chance, elle se trouvait au rez-de-chaussée, l'étage ne comprenant pas grand-chose à part un débarras et les bureaux des parents du louveteau. Stiles ne fit pas réellement attention à l'agencement de la pièce. Une chambre restait une chambre – et il ne savait toujours pas où on allait l'installer. Se connaissant, il savait que le canapé lui conviendrait très bien… Il trouvait juste le salon un peu grand et les grandes pièces, ça lui faisait un peu peur – en particulier dans son état. Il aimait bien ce qui était petit… C'était facile de voir les choses – ou les gens – arriver.
Et ça, Stiles en avait besoin.
S'il ne s'attarda effectivement pas sur la chambre en elle-même, l'hyperactif laissa son regard se poser sur Liam. Et y rester. Le sportif lui semblait quelque peu fébrile, et pas si en forme que cela. Qu'y avait-il de surprenant à cela ? Stiles l'avait vu chaque jour lui rendre visite à l'hôpital et rester des heures sans les compter. A vrai dire, lorsqu'il y réfléchissait bien, Liam avait été le seul à être là pour lui, ou du moins… A lui rendre visite. Stiles, pas complètement à l'ouest, se disait bien qu'on n'avait pas alerté la meute quant à ce qui lui était arrivé, mais il était persuadé que Scott était au courant. Avec sa mère travaillant à l'hôpital, il ne pouvait en être autrement. Pire que ça : il était l'alpha de la meute – dont l'hyperactif faisait partie ou non. Ami ou non, il devait donc avoir été informé de son agression – son meurtre.
Parce que Stiles était mort ce soir-là, il en était plus que persuadé.
- Stiles ?
L'hyperactif releva un regard quelque peu perturbé en direction de Liam, qui s'était rapproché de lui après avoir fait un petit signe de la main à son père.
Le louveteau arborait un air inquiet, et ses yeux… Contrairement à ceux de Stiles, ils étincelaient, transpiraient la vie. Le châtain baissa la tête en sentant quelque chose. Les mains de Liam entouraient les siennes serrées en poing et crispées comme jamais. Evidemment, il y avait pensé. Il y avait pensé et… N'arrivait pas à passer outre. Retenant un soupir tremblant, Stiles s'efforça de desserrer ses doigts, d'arrêter d'enfoncer ses ongles dans ses paumes. Pourquoi était-il là, déjà ? Bien qu'il connaisse la réponse et la comprenne parfaitement, l'hyperactif aurait préféré se retrouver seul. C'était plus facile de se laisser aller sans un regard sur soi pour nous surveiller, bien plus aisé de céder à la panique, de s'exprimer. Ici, Stiles se muselait et dans un sens, c'était ce qu'il lui fallait : la chose le forçait à se protéger, à éloigner de sa conscience les images traumatisantes dont il se souvenait désormais parfaitement. Le brouillard de son premier véritable réveil lui manquait… L'ignorance était sans doute le plus beau cadeau que la vie aurait pu lui faire.
- Stiles, tu m'entends ?
Liam était mignon, à faire pression sur ses mains pour qu'il les desserre tout en faisant attention à ne pas user de sa force surnaturelle – qui les lui briseraient à coup sûr. Il était adorable à s'inquiéter pour lui, à essayer de lui parler. Sans doute devait-il se dire que Stiles n'était pas vraiment là, qu'il voguait entre réalité et pensées. Si Liam n'avait pas complètement tort, il était toutefois important d'apporter quelques précisions à sa réflexion. Stiles s'était perdu dans un certain pan de sa conscience et laissé brièvement emporter par l'horreur. Sur le coup, il ne s'en était pas vraiment rendu compte, tant la chose était profonde. C'était si sombre, dans sa tête… Comme une marée noire.
- Oui, finit-il toutefois par articuler d'une voix rauque.
Depuis la tentative de meurtre perpétrée à son encontre, Stiles parlait extrêmement peu. C'était étrange lorsqu'on le connaissait, lorsqu'on avait l'habitude de son côté « moulin à paroles », parce que son silence donnait l'impression qu'on l'avait éteint. Et quelque part, c'était le cas. L'eau l'avait englouti tout entier… Emportant avec elle quelques morceaux de son âme.
Face à lui, Liam se mordit la lèvre inférieure. Si l'impression tenace que plus rien ne serait comme avant le chevillait au corps, il essayait de passer outre, de faire comme si ce n'était pas vrai. Tout ne pouvait pas être complètement détruit. Liam était malgré lui un éternel optimiste – et ce côté-là de lui le poussait à se dire que les choses pourraient s'arranger s'il prenait correctement soin de son ami. Si tout le monde l'entourait, aussi. Evidemment, Stiles aurait des séquelles, mais… Ça irait quand même, n'est-ce pas ? Il étouffa le doute aussi fort qu'il le put et laissa un sourire des plus factices orner son visage. Stiles n'avait pas le moral – son odeur ne cachait rien de son humeur sombre –, alors pas la peine qu'il l'alourdisse davantage. D'ailleurs, il décida de le mettre à l'aise et de lui parler en continu. Ses mots l'empêcheraient sans doute de trop se déconnecter de la réalité – il l'espérait – et, ainsi, se faire en sorte de lui changer les idées. Difficile de s'imaginer faire ceci, mais Liam était prêt à tout pour l'aider et ce, même s'il n'avait pas tant de choses à dire que cela. En fait, il trouvait même sa propre voix et ses sujets de conversation en solitaire ridicules, mais qu'importe. Le jeune loup avait la satisfaction d'avoir le regard de Stiles sur lui et surtout, d'y voir une minuscule étincelle de vie. Savoir qu'il l'écoutait le galvanisa : et il continua, continua, continua. L'aida à s'installer sur le lit, qu'il trouvait bien plus confortable que le fauteuil roulant qu'il n'avait pas quitté depuis sa sortie de l'hôpital. Fit tout ce qui était en son pouvoir pour garder son attention sur lui et éviter qu'il se perde encore dans ses pensées.
Cela fonctionna : Stiles ne se crispa pas une seule fois.
