Stiles ne cessait de fixer le plafond de cette chambre qu'il connaissait si peu et qu'il découvrait tout simplement depuis son arrivée ici, dans la journée. Il y avait bien des choses qu'il ne comprenait pas, y compris celles qui devraient lui paraître les plus évidentes. Déjà, la raison pour laquelle Liam lui laissait son lit était un mystère. Il tourna la tête, mira le matelas installé à même le sol et les draps pas encore dépliés qui avaient été déposés dessus. Liam était sorti de la pièce depuis quelques minutes déjà et de ce que percevait difficilement Stiles, il discutait avec ses parents. Parents avec lesquels il avait mangé, d'ailleurs. Le repas, bien que succulent, ne lui avait pas fait envie. Stiles avait avalé quelques bouchées de son plat pour faire plaisir à ses adorables hôtes, mais le cœur n'y était pas. C'était encore pire côté discussion : Stiles n'avait rien fait de plus que forcer un sourire de temps à autres pour faire état de sa présence lorsque cela s'avérait nécessaire. En cela, il avait trouvé le dîner désastreux. Pourtant, les Dunbar étaient véritablement gentils de nature, qu'il s'agisse des parents ou du fils. Simplement, Stiles n'avait pas la moindre envie d'être là. De faire face à des gens. De discuter, alors qu'il n'aspirait qu'au silence. Pourtant, il s'agissait d'une chose qui l'avait toujours angoissé – et qui continuait, d'ailleurs. Simplement, le silence lui laissait la place suffisante pour réfléchir… Un peu trop, d'ailleurs. Pour lui, ça restait plus facile à gérer qu'un essaim de voix qu'il entendait parfois sans comprendre un traître mot de ce qu'elles pouvaient dire. Chaque interaction qu'il avait depuis son premier réveil à l'hôpital lui faisait cet effet-là. Voilà pourquoi il coupait toujours court, ou laissait l'autre parler à sa guise.
C'était d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles il n'avait pas empêché Liam de babiller comme il le voulait. Les autres étaient toutes aussi simples.
La voix de Liam était étonnamment agréable à entendre – de son point de vue. Même si elle chevrotait parfois, elle avait ce petit truc rassurant dont Stiles avait terriblement besoin. A côté de cela, il y avait sa présence. Bien que l'hyperactif ait besoin de solitude et l'apprécie davantage à la compagnie, celle de Liam ne le dérangeait pas. S'il n'était pas pleinement capable d'expliquer ce fait, il avait toutefois quelques pistes. Déjà, le simple fait de savoir qu'il était là depuis le début de son hospitalisation et qu'il soit resté à ses côtés chaque jour qui était passé lui faisait quelque chose. Parce qu'il avait été le seul. Le seul dont il avait en quelque sorte eu la « visite ». Stiles n'avait pas eu la chance de voir Scott, ou Lydia, ni même Isaac… Son frère spirituel pour le premier, son âme sœur amicale pour la seconde, un très bon ami en devenir pour le troisième. Il n'y avait eu que Liam.
Stiles ne savait pas grand-chose. S'il n'était pas encore au courant pour Lydia, on avait tardivement fini par lui dire que son père était à l'hôpital, lui aussi, dans un service différent du sien. Melissa lui avait expliqué que son « attaque » avait été si soudaine et violente que Noah n'avait pu le supporter et était entré dans un état de détresse tel que l'hospitalisation s'était avérée obligatoire.
Et même si l'explication lui avait paru bancale, presque mensongère, elle avait des accents de vérité que Stiles devinait aisément. La mémoire lui étant rapidement revenue, l'hyperactif avait tout naturellement reconstitué mentalement la scène de ce qu'il avait véritablement dû se passer.
Son père l'avait tout bonnement trouvé mort et ne l'avait pas supporté.
Cette version-là, bien que ressemblant fort à celle de Melissa, lui convenait davantage en termes de vraisemblance. Il aimait le détail et celle-ci en avait.
Et pourtant, elle lui faisait terriblement peur – à raison. Ce serait mentir que de dire que Stiles vivait bien le fait que l'on avait tenté de le tuer. Il ne se souvenait pas simplement de ce fait : il le revivait chaque fois qu'il fermait les yeux et ne l'acceptait d'aucune manière. C'était trop frais, trop dur – traumatisant. Oui, c'était le mot. Stiles se savait traumatisé, mais il ne dirait rien. Parler de ce qui le mettait mal ne faisait pas partie de ses habitudes – et on n'avait jamais cherché à contredire sa façon de faire, de toute façon.
Alors, il essayait de se détacher de ces images ou du moins, d'y penser le moins possible même si c'était extrêmement dur. Rien au monde ne pouvait préparer à cela. Et lui, se retrouvait non seulement à devoir accepter au mieux ce qui lui était arrivé tout en sachant que son propre père ne serait pas là pour l'aider, cet épisode l'ayant lui-même plongé dans un état mental déplorable. Stiles ne put s'empêcher d'imaginer la taille de la facture hospitalière qu'ils auraient tous deux à payer bientôt. De son côté, les dégâts étaient limités puisqu'il avait pu quitter l'hôpital relativement vite, mais… En ce qui concernait Noah, les choses promettaient d'être quelque peu différentes. D'après Melissa, sa sortie n'était pas encore à l'ordre du jour.
Et ça, ça déprimait Stiles. L'air de rien, il avait besoin de son paternel. De parler de la tentative de meurtre à son encontre. D'exprimer tous ces mots qu'il gardait pour lui depuis le départ, noyés dans cette eau qui l'avait tué. Parce qu'il était bel et bien mort l'espace de quelques minutes, voire quelques heures : personne ne pourrait jamais réussir à le convaincre du contraire. La sensation, dont il se souvenait parfaitement, continuait de le terrifier alors qu'il faisait au mieux pour tenter de la réprimer au maximum. Comment faisait-on pour passer outre un traumatisme, ou bien… Vivre avec ? En soi, il pouvait y arriver. Après tout, il l'avait déjà fait… Avec la mort de Donovan, dont il continuait de se sentir responsable de temps à autres malgré les preuves du fait qu'il ne s'agissait que d'un horrible concours de circonstances. Là, on parlait de la sienne – et c'était la raison pour laquelle il peinait à statuer. A s'habituer à ce fait.
- Je suis de retour, fit cette voix qu'il commençait à bien connaître.
Stiles tourna doucement la tête vers Liam qui n'arrivait pas à cacher cette fébrilité qui le prenait en sa présence. Le louveteau faisait au mieux pour assurer et il le savait : simplement, il n'y arrivait pas autant qu'il l'aimerait.
- Ça tombe bien, tu vas pouvoir reprendre ton lit, articula Stiles d'une voix rauque d'aussi peu parler.
L'air de rien, l'idée de lui voler sa place le dérangeait. Qu'il soit invité, certes : pour autant, cela ne justifiait pas qu'il lui prenne son confort. Stiles pouvait fort bien se contenter de ce matelas au sol – il semblait fort épais.
Liam eut l'air surpris – il est vrai que les mots de Stiles étaient devenus rares et qu'en entendre un était particulier. Pour autant, il ne se laissa pas démonter et s'assit au bord du lit.
- Je dors sur le matelas, à côté du lit et je ne changerai pas d'avis.
S'il y avait bien une chose qu'il avait apprise à force de côtoyer la meute et Stiles par la même occasion, c'est qu'il devait se montrer ferme avec lui. L'hyperactif avait toujours cette fâcheuse tendance à minimiser l'importance de ses besoins, son confort, ses envies. A contrario, il privilégiait toujours autrui.
Cette fois-ci était une belle occasion de doucement l'habituer au contraire.
- Je veux que tu sois bien et tu le seras, continua-t-il.
- A quoi bon, souffla Stiles. Je ne vais pas dormir, de toute façon.
Avec Liam, parler se révélait étrangement facile et l'hyperactif lui-même mentirait s'il disait ne pas être surpris par ce fait. L'avoir à ses côtés était doucement en train de briser ses défenses et même s'il préférait la solitude, Stiles ne voyait pas d'inconvénient à voir cette préférence se casser lentement la figure. Parce qu'il n'était pas idiot et que l'air de rien, il ressentait le besoin de dire quelque chose, d'émettre son avis. De montrer qu'il était là, de… De parler, de s'exprimer.
- Pourquoi ? Entendit-il.
- J'ai peur de dormir, avoua-t-il sans aucune difficulté.
Parce que c'était réel. Parce que ce qui se déroulait derrière ses paupières chaque fois qu'il fermait les yeux le tétanisait sur place… Et c'était d'autant plus vrai depuis qu'il avait complètement recouvré ses souvenirs. Au départ, ça allait. Quand il y avait dans sa mémoire quelques trous encore, il pouvait passer outre. Plus maintenant. A côté de cela… Il n'était pas chez lui, ne pouvait pas se permettre un laisser aller complète, pour la simple et bonne raison qu'il pouvait déranger. Son père était habitué à gérer certaines de ses crises : pas Liam, pas ses parents. Puis il avait honte. Comment pourrait-il se regarder dans la glace s'il se retrouvait victime de ses récents démons ici ? Plus les secondes s'écoulaient, plus la peur de dormir s'emparait de lui… Comme une évidence qu'il ne pouvait ignorer et qu'il se sentait obligé de partager avec Liam… Ce louveteau avec qui il n'était pourtant pas proche, mais qui était là depuis le départ et chez qui... Il allait terminer sa convalescence, de ce qu'il semblerait.
- J'ai peur de dormir, répéta-t-il, la gorge serrée, le regard rivé au plafond.
Regarder Liam dans cet état lui semblait impensable tant il avait honte… Honte de lui-même. Honte de cette terreur qu'il n'avouait qu'à demi-mots, honte de sa force de caractère qui lui semblait s'être envolée.
Honte de la façon dont il avait l'impression de lentement s'effondrer.
