Quand les coups furent frappés à la porte de son bureau, Crowley cessa de masser sa jambe et ordonna : « Entrez. »

C'était Eve. Probablement une des seules personnes assez courageuse pour l'approcher. Elle alla droit au but : « Est-ce que vous savez que des gens parient de l'argent sur l'identité du mari du Dr Fell ? »

Il inclina sa tête de coté. « Vous avez participé ?

— Non ! »

Il haussa un sourcil amusé au-dessus de ses lunettes de soleil. « Pourquoi pas ? La cote serait sans doute à votre avantage, et pas qu'un peu si on se fie aux deux fois précédentes.

— Ca ne… semblait pas juste. Je vous ai vus. Ensemble, je veux dire.

— En dehors des heures de travail », corrigea Crowley, mais une expression un peu plus proche du sourire que du rictus méprisant compensait son ton sec. « Vous allez le dire aux autres ? »

Elle secoua la tête : « Ce n'est pas à moi de le faire.

— Merci. »

Elle hésita longuement, les sourcils froncés d'incompréhension. « Puis-je vous demander pourquoi ?

— Nouvelle année, nouveaux étudiants. Il va y avoir des rumeurs, alors autant leur donner un sujet plutôt inoffensif sur lequel spéculer. Et puis, c'est hilarant quand ils comprennent enfin. Sans vouloir vous offenser.

— C'est pour ça que vous ne m'avez rien dit ?

— Non, c'est parce que cela vous aurait mis dans une situation embarrassante. »


Après le départ d'Eve, Crowley entendit d'autres coups, plus timides. Il fusilla la porte du regard. Que la terre lui vienne en aide s'il devenait populaire. Il leva les yeux au ciel, arrêta le programme de transcription qui lisait les rédactions des élèves dans ses écouteurs, et gronda : « Entrez. »

Il s'agissait de deux étudiants, une dernière année méfiante et un nouveau terrifié. Ils rapportaient sur un ton d'excuse la manière dont ce dernier avait été harcelé pour qu'il prenne les escaliers, et aucun des deux n'était dans sa classe.

« Et pourquoi, exactement, me dire ça à moi ? Vous êtes en Littérature, pourquoi ne pas en parler au Dr Fell ? »

La dernière année répondit : « Parce que vous utilisez les ascenseurs. »

Un bref silence, qu'il passa à l'examiner. Puis : « Ah. » Il l'avait un jour sauvée de la brigade des escaliers, quand elle était en première année. Clairement, elle s'en souvenait.

Le Dr Crowley regarda le première année pétrifié, inspira, expira, et une série de petits changements survinrent. Son visage s'adoucit, à l'instar de la ligne sévère de sa bouche qui perdit son inflexion méprisante. Il changea d'angle sur sa chaise, relâcha ses épaules et adopta une posture plus ouverte. Il s'agissait à l'évidence d'un effort conscient et il était un peu déstabilisant de constater la manière dont l'image qu'il renvoyait passa de « terrifiant et fermé au dialogue » à « intéressé, attentif et à l'écoute ». Il n'était toujours pas aussi approchable que le Dr Fell, bien sûr, mais il n'essayait pas non plus de les terrifier. « Donnez-moi votre situation idéale, si vous aviez tout ce dont vous avez besoin. Et ce qui se passe en réalité, si vous voulez bien. » Il fit glisser sur le bureau le stylo et un bloc note qui venaient d'apparaître dans sa main. « Par écrit, si c'est plus facile. »

Le regard de l'étudiant brillait tant de soulagement et d'incrédulité qu'il aurait pu éclairer tout une pièce.

Le Dr Crowley poussa un soupir exaspéré : « je me fiche de ce que vous avez entendu, je ne vais pas massacrer un étudiant parce qu'il a des besoins spécifiques. »

Un long regard se posa sur lui, et la compréhension fut si soudaine et évidente qu'elle en fut presque audible. « Oh. » La tension qui pétrifiait le première année diminua de moitié, et une fine main attrapa le stylo. Puis s'immobilisa. « Est-ce que vous allez le dire au Dr Fell ?

— Seulement s'il pose la question. Si c'est le cas, je ne lui mentirai pas. C'est acceptable ? »

Un moment de réflexion, puis un hochement de tête et l'étudiant se remit à écrire, avant de glisser la feuille dans la direction de Crowley. Il la prit et n'essaya pas de la lire face à eux. « Je vous tiens au courant », dit-il, et ils fuirent en comprenant qu'il les congédiait. Crowley attendit que la porte soit fermée pour sortir son téléphone et envoyer un message à Aziraphale : « Mon Ange, questionne-moi sur cette entrevue quand on sera rentrés. »