Dans son lit, Derek dormait mal. Ses doigts serraient les draps à s'en blanchir les phalanges mais il ne s'en rendait pas compte. Il grimaçait et pourtant, il n'était que rarement expressif lorsqu'il dormait – parole de Peter qui pouvait en témoigner. Il se tournait, retournait, tandis que des sueurs froides commençaient à lui glacer le dos, à mouiller son débardeur d'où ne se dégageait pas une très bonne odeur. Deux heures qu'il était dans cet état.

Deux heures que le visage de Stiles le hantait.

Deux heures qu'il le voyait gémir et subir.

Deux heures qu'il essayait comme un acharné d'intervenir.

Il était là, à quelques mètres, le visage couvert de sang. Mais ce que fixait Derek, c'était les marques bleutées autour de son cou. A nouveau, on l'agrippa et Stiles suffoqua alors que les grandes mains étaient enserrées autour de sa gorge. Le pauvre avait de la bave autour des lèvres, ses plaintes n'étaient plus que de légers souffles, ses yeux se révulsaient… Et puis l'air revenait alors que sa tête se cognait contre le sol sale, le cou violemment lâché par son agresseur qui s'amusait à l'épuiser.

- Arrête ! Hurla Derek à s'en briser la voix.

Il voulait y aller, sauter sur cet enfoiré qui jouait avec Stiles. Lui arracher la gorge avec ses dents. Lui crever les yeux. Lui faire regretter sa naissance. Alors, Derek tenta encore de passer. Ses poings entrèrent durement en contact avec… Le vide ou plus précisément, une surface complètement invisible. Peu importe en quoi était faite cette barrière, peu importe combien elle était solide, il ferait tout pour la briser. Ce spectacle auquel il était obligé d'assister… Non, juste non.

Puis, l'homme qui s'amusait à étranger l'hyperactif entreprit de se servir de lui comme sac de frappe et Derek redoubla d'efforts. Ses hurlements étaient plus forts, ses coups, plus puissants. Mais c'était vain. La barrière invisible ne le laisserait pas passer, tout simplement parce qu'il était en plein rêve.

Puis, d'un coup, Derek ouvrit les yeux en sursaut. Ses yeux accrochèrent sur le plafond de sa chambre – celle qu'on lui avait attribuée –, gris clair, propre. Péniblement, il se redressa et son regard balaya la pièce. Un endroit lumineux, d'autant plus que le soleil était haut dans le ciel et qu'en réalité, Derek dormait depuis plus de quatorze heures. Ses bras tremblaient tant qu'il finit par se laisser tomber à nouveau dans le lit. L'aconit coulait toujours dans ses veines, tant et si bien que cela faisait déjà deux jours qu'il passait le plus clair de son temps à dormir. La veille, il s'était dit qu'il allait faire une sieste. Une simple sieste. Quarante minutes, pas plus. Mais ça, il ne le savait pas, tout comme il ne savait pas qu'il avait passé deux heures à rêver de Stiles. Pour lui, cela faisait peu de temps qu'il s'était allongé mais son corps lui montra brutalement qu'il se trompait. Il était lourd, complètement engourdi. Ses doigts lui faisaient mal tant il les avait serrés.

Parce que durant ces quatorze heures largement passées, il avait rêvé trois fois de Stiles.

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Deaton regarda le contenu de la seringue qu'il tenait entre ses doigts avant de le transvaser dans une petite fiole qu'il ferma et à laquelle il colla une étiquette. « Derek » y était inscrit au stylo noir et le petit tube trouva ensuite sa place à côté de ses petits frères, sur lesquels étaient marqué « Liam », puis « Scott », suivi de « Peter » et « Isaac ». Les autres viendraient plus tard. Puisqu'ils dormaient encore pour la plupart, ce n'était pas la peine de les embêter avec ça. Néanmoins, Melissa et Chris se relayaient assez régulièrement pour surveiller que tout allait bien.

Liam, Scott, Peter, Isaac et Peter étaient assis dans la grande pièce à vivre et attendaient le verdict de Deaton tout comme Derek, que Chris avait péniblement acheminé jusqu'au dernier fauteuil libre. Le loup avait récupéré un peu d'énergie, mais ses membres étaient encore sacrément engourdis et il lui faudrait encore quelques minutes, peut-être une heure pour que cette sensation disparaisse.

- Ce qu'il vous reste d'aconit dans le sang ne vous tuera pas, mais il est clair que ce n'est pas tout de suite qu'il va disparaître, surtout si l'on prend en compte le fait que ce type d'aconit est rare et tenace, finit par annoncer Deaton.

- Combien de temps ça va prendre ? Demanda Peter d'une voix un poil enrouée.

- Au moins une semaine, répondit le vétérinaire. J'ai extrait ce que j'ai pu, mais c'est délicat, je ne peux pas éliminer le reste, les particules sont trop fines et disséminées dans tout votre corps.

- Mais il faut qu'on agisse, fit remarquer Isaac, un air soucieux collé au visage.

- On peut pas attendre une semaine pour chercher Stiles, intervint Derek.

Parler lui était un peu difficile tant sa gorge lui piquait, mais c'était bien peu si l'on faisait attention aux cauchemars qui avaient torturé sa longue, très longue nuit. Et surtout, Derek se fichait de la douleur qu'il pouvait ressentir. Ses rêves avaient beau n'être que des songes, il était certain qu'ils gardaient une part de vérité. Quelque chose à l'intérieur du loup lui faisait se dire que Stiles souffrait. Qu'il était en train de souffrir. Que ses cauchemars étaient plus réels qu'il n'acceptait de l'imaginer. Ça, c'était ce que se disait son inconscient. Sa partie consciente savait simplement qu'il fallait le secourir au plus vite pour des raisons tout à fait logiques : Stiles était malade, en témoignaient ses veines noires, ses nombreux vomis de jais et sa faiblesse qui avaient obligé la meute à le garder alité. Il fallait le trouver et le soigner au plus vite.

Un problème se posait toutefois, et ce fut Scott qui le souleva :

- On ne sait même pas s'il est encore en vie.

Et même si la remarque était faite de manière un peu trop nonchalante – Scott balançait ce fait sans réellement sembler en être touché –, elle était véridique. Stiles avait été enlevé, certes. Par qui ? Bonne question. Enfin, il s'agissait d'une meute, mais c'était la seule information dont ils disposaient. Pourquoi ? Avec la petite explication que Deaton lui avait fournie au préalable la dernière fois qu'il avait été conscient, Derek avait une petite idée de la réponse, mais celle-ci était encore un peu vague.

- Il est vivant. Il le sera sans doute jusqu'à la prochaine pleine lune. Toutefois, je ne peux pas garantir qu'il en sortira vivant.

Les propos du vétérinaire pouvaient sembler alarmistes, mais ils étaient plutôt représentatifs d'une sincérité hors norme et d'un danger réel. Son cœur n'avait eu à déplorer aucun raté et son front n'en finissait pas de se plisser d'inquiétude. Puisque seul Derek était au courant – Chris l'était également, mais il était reparti faire sa ronde auprès des autres loups malades –, Deaton entreprit d'expliquer rapidement l'origine des premiers émissaires et leur nature.

- Stiles… Un ange ? S'étonna faiblement Scott.

Alan hocha la tête mais au lieu de s'appesantir sur ce fait « minime », choisit d'embrayer pour leur expliquer le reste, plus important encore que la nature de Stiles en elle-même.

- Cette meute ne l'a pas ciblé au hasard. Les émissaires Primordiaux sont rarissimes et la plupart ont disparu de la surface de la terre. Aujourd'hui, il en reste très peu. Un émissaire Primordial est une denrée rarissime très utile pour une meute. En avoir un dans ses rangs, c'est un gage de durée dans le temps, de puissance également. Un ange est capable de beaucoup de choses mais ça, on en parlera plus tard. Ce qui est important, c'est de récupérer Stiles au plus vite mais dans votre état, je ne sais pas vraiment comment on va faire… Expliqua-t-il, embêté.

Voyant qu'on ouvrait déjà la bouche pour protester ou poser des questions, Deaton reprit :

- Passons les détails inutiles pour le moment. Même si vous n'êtes pas en état, il faut que vous soyiez au courant du principal. Cette meute attend la pleine lune pour introduire Stiles de force dans ses rangs. Pour ce faire, ils mettront en place un rituel dur et douloureux. Je ne sais pas si Stiles le supportera, tout simplement parce que ce rituel peut être mortel.

Il ne traîna pas trop mais leur apprit que le rituel d'insertion était une coutume sanglante visant à forcer l'intégration d'un émissaire à une meute, qu'il soit Primordial ou non. Il s'agissait principalement de faire boire à la victime un mélange de poudre démoniaque et du sang de tous les membres de la meute initiant le rituel. S'il fonctionnait et si l'émissaire survivait, il avait le symbole de la meute gravé dans la peau, en signe d'appartenance à celle-ci. Dès lors, il se voyait obligé d'obéir à la meute qui l'avait signé dans le sang. Le supplicié était donc comme marqué au fer rouge – s'il survivait. C'était quelque chose d'assez éprouvant.

L'on s'étonna de ne pas avoir été au courant de toutes ces choses et surtout, de l'existence des émissaires Primordiaux. Deaton expliqua cela par le fait que ces gens-là ayant pour la plupart disparu, les émissaires venant de druides gardent le secret sur leur existence pour éviter qu'on les harcèle, qu'on les kidnappe, qu'on les tue, aussi. Toutes les meutes ne connaissaient pas l'existence du rituel alors, par jalousie, ils tuaient parfois l'émissaire Primordial par jalousie. Il ajouta qu'il n'était au courant de la nature de Stiles que depuis qu'il avait analysé son sang bourré de particules démoniaques et que ces particules n'agissaient que sur un seul type d'êtres surnaturels, ce qui éliminait beaucoup de possibilités.

- De quoi est capable un ange ? Qu'est-ce que Stiles peut faire ? S'intéressa Scott, curieux.

Derek fronça légèrement les sourcils. Lui, il n'aurait pas posé cette question. Il se fichait de quoi Stiles pouvait être capable et avoir ces informations n'allait pas les aider à le retrouver.

- Je ne sais pas tout, parce que les informations que j'ai trouvées à ce sujet sont vagues, mais de ce que j'ai trouvé, cela va de la guérison physique à la guérison émotionnelle, au renforcement et à la stabilisation de la meute, l'augmentation de certaines caractéristiques physiques et puis… Beaucoup de choses. Un émissaire Primordial, c'est très prisé.

- Vous en parlez comme si c'était un objet, ou… Un animal, objecta Isaac.

- Parce que c'est comme ça que ces émissaires sont vus pour la plupart des meutes.

Le vétérinaire ajouta qu'il ne partageait bien évidemment pas ce point de vue mais expliqua que par ce fait et cette manière de parler, il essayait d'alerter, de faire comprendre la mesure du danger qu'encourrait Stiles. Il informa les loups présents que Chris avait dépêché deux équipes de chasseurs : une pour ratisser la ville, une autre pour s'occuper de la forêt. Tant que les loups seraient dans cet état, affaiblis par cet aconit plus que tenace, ce serait leurs alliés humains suréquipés qui chercheraient l'hyperactif.

- On a quand même un avantage, continua le vétérinaire. Stiles fait partie de cette meute. Il n'a peut-être pas la marque, mais il est là depuis le début. J'ai lu qu'un émissaire Primordial peut avoir une connexion très importante avec son alpha et si ce qui était dans mon vieux grimoire est juste, il peut vouloir, de son côté, communiquer avec nous.

Liam se mit à tousser : il avait du mal à respirer. De son côté, la concentration d'aconit se situait dans ses poumons, ce qui nécessitait parfois un petit coup de pouce. Il assura péniblement à ses amis que ça allait, mais Deaton s'éclipsa une seconde. Il revint avec une petite machine et un masque qu'il posa sur le nez de Liam, la machine à côté du fauteuil. Derek le regarda, aussi inquiet que Deaton. Ils n'étaient clairement pas d'attaque. Mais lui, peut-être que… Il essaya de se lever et y parvint, mais son appui sur ses jambes n'était pas solide, loin de là, si bien que Deaton se précipita pour le forcer à se rassoir. Il grogna. Il voulait sortir d'ici, participer aux recherches. Retrouver Stiles. Ils n'étaient peut-être pas en état, mais trop de temps était passé.

- Derek, ne fais pas d'efforts inconsidérés, ordonna gentiment Deaton. Tu n'as peut-être plus vraiment de difficultés à respirer comme Liam, mais tu n'es pas en meilleure forme.

- On perd du temps, râla-t-il. A quoi bon nous raconter tout ça si c'est pour ne rien faire ? Il est malade et il souffre à l'heure actuelle ! La prochaine pleine lune est dans moins d'une semaine, il ne tiendra pas jusque-là !

C'était sorti comme ça. Son inconscient avait tambouriné à la porte de son conscient jusqu'à la forcer et l'enfoncer. Oui, c'était une certitude, cette douleur qu'il avait vue en rêve devait être réelle, au moins en partie.

Parce que Derek sentait des choses. La douleur de l'hyperactif en faisait partie.