Derek se réveilla le souffle coupé, dans un état de panique avancée. C'était tel qu'il se débattit comme un beau diable lorsque l'on essaya de le forcer à se rallonger. Il essayait de frapper ces entraves, ces chaînes qui le gardaient cloué à ce lit qui n'était rien d'autre que son ennemi.

- Calme-toi, Derek ! Calme-toi, bon sang !

Mais il ne se calmait pas. Les visions cauchemardesques qui s'invitaient de plus en plus souvent dans son sommeil agissaient comme un poison latent, quelque chose qui lui faisait perdre la raison lorsqu'il était inconscient. Parce qu'il avait beau être réveillé, il n'était pas conscient pour autant : son corps était sorti de son état léthargique dû au sommeil, mais pas son esprit, qui s'y trouvait encore. Chris Argent et Alan Deaton eurent bien du mal à canaliser ce loup en proie à une panique hors du commun, et leur seule arme fut leur patience. Ils durent attendre non pas une accalmie chez Derek, mais son épuisement. Et si cela ne fut objectivement pas bien long, à peine plus d'un quart d'heure, les deux hommes sentirent bien le temps passer. A la fin, leurs bras étaient endoloris à force de maintien et de contraction. Derek, de son côté, haletait. Il était capable d'ouvrir les yeux mais c'était tout ce qu'il pouvait faire à l'heure actuelle.

Cette fois, il était conscient. Mais pour combien de temps ? Il en avait assez de cette saleté d'aconit qui lui montait à la tête.

- Je ne pense pas que ce soit juste l'aconit, Derek.

La voix calme et inquiète du vétérinaire surprit le loup qui n'était même pas conscient d'avoir pensé à voix haute. Il voulut alors se déplacer légèrement mais se retrouva bloqué par ses deux compères qui continuaient de le bloquer. Le loup s'était peut-être calmé, mais rien ne leur disait qu'il n'allait pas repartir en vrille.

- Vous pouvez me lâcher, je… C'est bon, leur assura-t-il.

Chris et Alan se regardèrent, inquiets, mais Derek leur promit qu'il s'était complètement calmé. Dès la fin de sa phrase, il dut reprendre son souffle et se massa mollement les poignets une fois que ceux-ci furent libres. L'air de rien, ses amis avaient une poigne de fer. Même le vétérinaire ne payait pas de mine, mais il savait comment tenir. Péniblement, il leur demanda ce qu'ils faisaient là et s'attendit tout naturellement à ce qu'ils lui répondent qu'ils avaient été alertés par ses probables cris ainsi que son état – qui laissait à désirer. C'est effectivement ce qu'ils firent, mais le regard du vétérinaire lui laissa entendre que ce n'était pas tout. Il lui cachait quelque chose.

- Accepterais-tu de venir faire un tour dehors en ma compagnie, Derek ? Chris se charge de veiller sur le reste de la meute.

- Je pense pas qu'on ait le temps de…

- Chaque chose en son temps, le coupa Deaton.

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Derek n'aimait pas la position dans laquelle il se trouvait. Ainsi faible, sur un fauteuil roulant, il se sentait plus vulnérable que jamais, dépendant de quelqu'un pour se déplacer. L'aconit rare utilisé par cette étrange meute coulait toujours dans ses veines et il peinait à se remettre de son agression, comme les autres. Mais derrière tout ça, il s'énervait, il s'angoissait. On ne devrait pas être là à le chouchouter, à attendre tranquillement que la meute dont il faisait partie se rétablisse. Une chose était certaine, la meute ennemie avait bien prévu son coup : en s'assurant de l'invalidité totale de la bande de Scott McCall, elle pouvait être tranquille pour garder Stiles au chaud et préparer ce rituel auquel il ne survivrait sans doute pas, d'après Deaton. Derek serra les poings sur ses cuisses en se répétant qu'il ne devrait pas rester là, à se laisser conduire en extérieur. Même faible, même rampant, il se sentait le devoir de chercher Stiles.

- L'air frais devrait te faire du bien.

Il s'agissait des premiers mots prononcés par le vétérinaire depuis qu'ils étaient sortis du manoir Argent. Renfrogné et de mauvaise humeur, Derek choisit de ne pas répondre. Qu'est-ce qu'il en avait à faire, de l'air frais ? Si Deaton savait ce que son propre bien-être lui importait peu… Il ne pensait qu'à Stiles, ne rêvait que de lui, réfléchissait à un moyen efficace de le retrouver. Si les troupes de Chris Argent n'avaient rien trouvé au bout de quatre jours… Son souffle se bloqua un instant. Enfin, il décida de briser le silence :

- Pourquoi m'avoir emmené ici ?

Ils étaient loin du manoir et se rapprochaient du parc central de Beacon Hills. Deaton poussait Derek à une allure ni trop lente ni trop rapide, mais lui donnait l'impression d'être détendu. Pourtant, le loup sentait – péniblement – l'inquiétude qui le rongeait, et autant dire que ça ne le rassurait pas vraiment.

- Pour éviter que des oreilles indiscrètes nous écoutent.

Par là, le vétérinaire parlait de leurs amis de la meute.

- Pourquoi ?

- Parce que pour l'instant, je n'accorde ma confiance qu'à Chris Argent et toi. J'aurais bien dit qu'il en était de même pour Lydia, mais elle est entre la vie et la mort.

Derek n'oubliait pas que la banshee était elle-même dans un état incertain. Pour autant, il n'arrivait pas, même s'il le voulait, à se détourner de Stiles et de cette certitude : il souffrait. C'est à peine s'il fut touché de la confidence d'Alan alors qu'en temps normal, il se serait confondu en remerciements, peu coutumier de ce genre de témoignage de confiance. En général, il était celui qu'on craignait, pas celui à qui l'on se confiait. Mais là, Stiles l'obsédait, à tel point qu'il commençait à se faire peur.

- Que contiennent tes cauchemars, Derek ? Qu'est-ce qu'ils racontent ?

Au moins, le vétérinaire allait droit au but. Tant mieux, parce que le loup avait été à deux doigts de lui demander à quoi rimait tout ça. Pour autant, il hésita à lui répondre. Alan Deaton avait-il réellement besoin de savoir que Stiles peuplait l'intégralité de ses sombres rêves depuis son enlèvement ?

- Pour que nous puissions embrayer sur ce dont j'aimerais te parler, il faut que tu me répondes. Crois-moi, c'est important.

Derek se détendit légèrement et eut un moment de lucidité objective. Oui, bien sûr. Alan n'était pas du genre intrusif pour rien, et ne parlait des choses que lorsqu'il jugeait cela nécessaire. Se forçant à se dire que le vétérinaire pouvait entendre ce qu'il avait à dire sans le juger, le loup finit par cracher qu'il rêvait sans arrêt de Stiles. Si les premiers mots furent difficiles à prononcer tant une partie de lui voulait garder ça secret, la suite s'écoula bien plus facilement de sa bouche, comme si commencer à se confier avait ouvert les vannes de ce qui était pour lui une sorte de secret involontaire.

- Et que vois-tu dans ces rêves où il est là ? Continua le vétérinaire, en poussant toujours son fauteuil à une allure modérée.

- Je le vois souffrir, je le vois… Subir toutes sortes d'atrocités, confia le loup d'un ton qui trahissait complètement son inquiétude. Il hurle, il pleure et parfois, il ne peut pas faire tout ça, parce que… Parce qu'il perd connaissance. Et moi, je suis là… Je vois tout ça, mais je ne peux pas intervenir. Il y a toujours cette barrière qui m'empêche de passer, qui m'empêche de l'aider.

Il fit une pause, tant les images qui tournaient dans son esprit étaient violentes. Son impuissance le terrifiait tout autant qu'elle le frustrait. Et ces rêves le torturaient.

- Tu te souviens lorsque j'ai parlé aux autres de la condition de Stiles ? J'ai dit qu'il pouvait vouloir communiquer avec nous.

- Avec l'alpha, s'il a une forte connexion avec, se rappela lentement Derek.

- Exactement. J'ai donc des raisons de penser que tes rêves ne sont pas juste là pour décorer, Derek.

Le loup mit un peu de temps à réagir, à comprendre ce que sous-entendait le vétérinaire. Mais fut un moment où ses paroles firent tilt dans son cerveau. Il fronça les sourcils et lâcha une évidence :

- Je ne suis pas l'alpha.

- Et pourtant, tu es le seul à rêver de lui, rétorqua le vétérinaire. J'ai sondé les autres. Leur sommeil est complètement vide de tout intérêt. S'ils rêvent, ils ne s'en souviennent généralement pas au réveil. Toi, tu t'en souviens et tes cauchemars concernant tous Stiles. Comme toi, je baigne dans le surnaturel depuis assez longtemps pour arrêter de croire aux coïncidences.

A vrai dire, Deaton soupçonnait qu'il y avait quelque chose de louche depuis le début de cette histoire. Il n'y avait qu'à voir la dévotion de Derek envers Stiles depuis l'enlèvement de ce dernier : à la différence du loup de naissance, Scott montrait beaucoup moins d'inquiétude pour son meilleur ami, mis à part lorsque l'on parlait de ses prétendus pouvoirs. Alors, forcément, l'idée qu'il y avait anguille sous roche avait fait son chemin dans l'esprit du vétérinaire.

Derek non plus ne croyait généralement pas aux coïncidences et c'était pour cette raison qu'il ne chercha pas à douter du raisonnement du vétérinaire en qui il accordait une confiance réciproque.

- Qu'est-ce que ça voudrait dire ? S'enquit-il.

- Etant donné qu'un émissaire primordial ne peut être aussi intimement lié qu'avec un alpha et que Stiles tente – sans doute instinctivement – de communiquer avec toi seulement, je dirais… Qu'il n'est pas le réel alpha de cette meute.

- Mais c'est un vrai alpha, rétorqua toutefois Derek.

- C'est une distinction qui se mérite et s'il l'a effectivement méritée lorsqu'il l'a eue, laisse-moi te dire qu'elle s'effiloche pour lui. Peu de monde le sait, mais cette distinction n'est pas éternelle. Si Scott continue de prendre son rôle et l'importance de son émissaire primordial à la légère, laisse-moi te dire qu'il la perdra bientôt.

- Il ne le voit pas à sa juste valeur, dit alors Derek en parlant de Stiles. Il faut lui en parler.

Deaton manqua de sourire et comprit encore mieux pourquoi son raisonnement tenait la route : Derek était humble, jusqu'au bout. Cela ne fit que conforter la décision qu'il avait prise.

- Absolument pas.

Derek haussa un sourcil et tourna la tête vers lui. Difficile dans sa position, mais il réussit à voir partiellement le visage du vétérinaire. Si l'homme au teint chocolaté arborait un air calme, celui du loup témoignait d'une perplexité sans précédent.

- Je ne fais pas confiance à Scott. A ton avis, pourquoi s'isoler de la meute pour parler de cela ? Tout simplement parce que je voulais éviter qu'il entende ce que j'avais à te dire.

- Mais pourtant, c'est…

- C'est l'alpha, oui, et en toute logique, il devrait être au courant de cette conversation, mais j'émets de plus en plus de doutes à son sujet.

Derek se remit dans sa position initiale et écouta religieusement le vétérinaire, même si pour cela il était obligé de combattre les pulsions qui le poussaient à faire abstraction de sa faiblesse pour aller essayer de trouver Stiles.

- Lorsque j'ai parlé de la nature angélique de Stiles, je n'ai pas aimé sa réaction. Sa première question a été de savoir de quoi est capable un ange, tandis qu'il a ensuite demandé ce que Stiles pouvait faire.

Derek vit finalement tout de suite où il voulait en venir et commença à mieux comprendre le désir du vétérinaire de garder le secret sur cette conversation.

- J'ai bien peur que Scott soit comme la majorité des alphas responsables de l'extinction quasi complète des émissaires primordiaux, avoua Alan Deaton. S'il ne voit Stiles qu'au travers du prisme de ses pouvoirs, je préfère ne rien lui dire, autrement il risque de causer sa perte avant même qu'on puisse le retrouver.

Derek hocha la tête et serra les poings. Maintenant qu'il y repensait, le comportement de l'alpha était louche, si bien qu'il s'en voulut de ne pas y avoir fait attention plus tôt. Mais son obsession involontaire pour l'hyperactif le rendait aveugle à beaucoup de choses et il remercia intérieurement Deaton pour lui ouvrir les yeux au moment où il en avait le plus besoin. Il se promit alors de faire très attention.

- Puisque Stiles essaie, sans vraiment le savoir, de communiquer avec toi, je vais te demander une chose, Derek. J'espère que tu y arriveras.

Le vétérinaire ne continua pas, n'explicita pas sa demande. C'était inutile. Parce qu'il savait que Derek avait compris où il voulait en venir. Le loup leva un pouce en l'air.

Oui, il allait essayer de glaner des informations au travers de ses rêves. Pour la première fois, son sentiment d'impuissance recula. S'il pouvait enfin faire quelque chose pour essayer de retrouver l'hyperactif, impossible à tracer d'après les chasseurs, il le ferait.