- Quelqu'un peut nous expliquer ?

La voix d'Isaac était teintée d'une colère étrange, née d'une confusion certaine. Si Jackson était dans le même état, il ne disait rien, gardant simplement les bras croisés sur son torse tout en affichant un air qui se voulait indéchiffrable, mais qui ne l'était pas. Jackson ne savait tout simplement pas quoi penser.

Derek et le vétérinaire se regardèrent un instant, complètement désarçonnés. Deaton ordonna gentiment aux deux jeunes gens de se trouver une chaise et de s'assoir. Une fois ceci fait, il demanda à Derek de tout leur dire. L'absence totale d'hésitation dans la voix du vétérinaire le fit se décider. De toute manière, ils n'avaient pas de temps à perdre.

Derek ne dit pas grand-chose tant il restait désarçonné par sa dernière entrevue avec Stiles et tant le sédatif continuait de le perturber. Si l'on ajoutait à cela la forme aussi étrange que soudaine d'Isaac et Jackson… Il y avait de quoi être troublé. L'ancien alpha parla juste brièvement du fait qu'il rêvait de Stiles et parlait avec lui dans chacun de ses rêves les plus récents. Qu'il lui avait une fois fait part de sa faiblesse et qu'il s'était réveillé en forme. Par contre, il ne voyait absolument pas ce qu'il avait pu dire pour qu'Isaac et Jackson… En fait, il eut beau réfléchir, rien ne lui vint à l'esprit.

Sauf une chose, un peu stupide.

Il y avait pensé. Il avait pensé qu'être le seul loup à partir à la recherche de Stiles, même avec des chasseurs comme alliés, se révèlerait insuffisant. Il y avait pensé fort. A plusieurs reprises.

Stiles avait-il perçu ses pensées ? Parce que ce miracle ne pouvait venir que de lui. Derek ne savait pas vraiment comment, mais… Il savait qu'aucun loup-garou ne pouvait assimiler aussi vite quelque espèce d'aconit que ce soit.

- Derek ? L'appela Deaton, le front plissé par l'inquiétude.

L'ancien alpha revint à la réalité et ses yeux devenus orageux rencontrèrent les iris chocolat du vétérinaire.

- C'est Stiles, finit-il par révéler d'une voix un peu rauque. C'est encore Stiles.

xxx

La nuit était tombée sur Beacon Hills et la troupe étrangère avançait silencieusement au travers des arbres à l'épais feuillage sombre. Tant qu'elle n'aurait pas trouvé le Nemeton qu'elle visait, il lui faudrait rester discrète. Ensuite, plus besoin de se restreindre.

Bientôt, la forêt résonnerait de leur triomphe. L'entrée de l'Emissaire Primordial dans leurs rangs par le sang serait fêtée de la même manière puisque l'alpha avait décidé d'aller rendre une petite visite à la meute McCall une fois la cérémonie terminée. S'il avait des doutes quant à sa réussite ? Pas le moindre. L'ange était à sa merci et grandement affaibli. Autrement dit, il ne pourrait pas résister, encore moins essayer de contrecarrer leurs plans. Logan avait pu constater que son futur époux possédait un fort caractère, ce qui avait rendu d'autant plus grisantes leurs quelques entrevues entrecoupées de cris et de pleurs. Mais jamais le faux humain n'avait baissé les yeux.

Il avait même eu le cran de l'insulter. Autant dire que Logan avait trouvé un plaisir malsain à le corriger et à lui faire comprendre qu'il lui devait le respect. Ici, on lui obéissait et on ne lui manquait pas de respect. Toutefois, il fallait avouer que le punir avait été fort agréable tant il refusait d'abandonner. De s'abandonner. Comment faisait-il pour garder cette lueur de colère, cette lueur de vie dans les yeux ? Logan n'en savait rien mais il avait hâte de conclure le rituel, d'enchaîner avec la visite surprise à la meute affaiblie de McCall, avant de terminer par l'Union avec son futur compagnon, l'Emissaire Primordial. Logan gardait ce plaisir pour la fin. Rien n'était plus agréable que de terminer sa soirée avec ce qu'il considérait comme l'apothéose.

Le début de son règne, de son véritable règne. Sa meute ne lui suffisait pas. Ses amantes et amants non plus. Il lui fallait plus de pouvoir. Un époux digne de lui. Logan aurait préféré une femme, mais… Il allait se contenter de son petit ange. Les Emissaires Primordiaux ne couraient pas les rues et il ne comptait pas laisser le sien lui filer entre les doigts. Pas alors que cela faisait des années qu'il en cherchait un. C'était un homme ? Eh bien, ça lui allait. Qu'il ait une très légère préférence pour les courbes féminines importaient peu. Le corps de ce Stiles Stilinski, de ce qu'il en avait vu, lui avait suffisamment donné envie pour qu'il s'imagine le prendre de mille et unes manières.

Et puis… Une Union n'obligeait pas à la fidélité. Pas dans son cas, en tout cas.

Lui, il ne s'attachait pas aux gens : ni à leur personnalité, ni à ce qu'ils dégageaient. Ce qu'il aimait, c'était le plaisir que ces corps pouvaient lui donner ainsi que la souffrance qu'il pouvait créer. D'où venait à Logan cet attrait pour la violence ? Difficile à dire. D'aussi loin qu'il s'en souvienne, il avait toujours aimé faire couler le sang. Dominer autrui. Briser ses partenaires. Lui, son truc, c'était imposer sa vision des choses, ses plaisirs, sa manière de faire. On ne lui refusait rien, parce qu'il n'acceptait rien d'autre que la soumission.

Alors n'en déplaise à son petit ange, mais celui-ci allait finir par arrêter de lui résister. Il n'avait pas le choix. Logan avait bien l'intention de lui montrer qu'espérer qu'on le sorte de là était vain. Maintenant qu'il l'avait en sa possession, plus personne d'autre que lui ne pourrait décider de son avenir – tout tracé.

Il allait les servir, le servir et ce, jusqu'à ce que mort s'en suive.

Logan n'était pas stupide : il savait que brutaliser son futur époux à outrance pouvait le tuer, tout comme il se doutait que son esprit revêche pouvait lui donner des idées. Il était certain que si le Rituel obligeait l'Emissaire Primordial à intégrer sa meute et à lui appartenir, le jeune homme garderait sa volonté. Il pourrait, par exemple, tenter de mettre fin à ses jours dans l'espoir de faire cesser le calvaire qui l'attendait. Pour cette raison, Logan ferait en sorte de ne rien lui laisser à portée qui pourrait l'aider à exécuter ce plan. Stiles Stilinski avait l'air de posséder une certaine fierté, mais aussi d'être intelligent. Manque de chance pour lui, Logan l'était également.

Et jamais il ne prendrait le risque de perdre son petit ange.

La troupe finit par arriver dans une clairière débouchant sur une falaise. Une clairière pourvue, en son centre, d'un tronc coupé à l'air sinistre. Un tronc dont Stiles aurait immédiatement reconnu la nature s'il était conscient. L'hyperactif gisait dans les bras d'un des loups-garous, ligoté et épuisé par ces derniers jours éprouvants. Il n'avait pas eu le droit à beaucoup de sommeil. Les consignes avaient été claires : il fallait le briser et le pousser à bout, histoire que les effets du Rituel soient instantanés. Moins l'Emissaire Primordial serait en état de se défendre ou de résister mentalement, plus la cérémonie serait efficace. Elle fonctionnerait dans tous les cas, seule la rapidité de ce qu'elle impliquait différait selon l'état du futur esclave.

Les loups échangèrent un regard triomphant : pour certains, les Nemetons étaient une légende récalcitrante et rares étaient ceux qui avaient la chance d'en voir un jour. En plus de cela, la lune était pleine, comme prévu, et il n'y avait pas un seul nuage pour encombrer le ciel et réduire les effets de l'astre. Une lueur sauvage passa dans le regard animal de Logan. Pouvait-on rêver mieux ? Il était à deux pas du pouvoir ultime. A deux pas de donner à sa meute une puissance difficilement égalable. A deux pas de sombrer dans une folie définitive et de devenir un monstre de la pire espèce – titre qu'il frôlait déjà.

Et il adorait ça.

Alors, ses yeux se mirent à rougeoyer. Et il poussa un hurlement trahissant sa joie morbide.

Ses bêtas, tous aussi assoiffés de sang que lui, l'accompagnèrent dans son chant funeste. Une ode à la guerre. Une ode à la soumission. Une ode à la victoire. Parce que plus personne ne pourrait les arrêter. D'ici quelques minutes… Le destin de toutes les meutes alentours et au-delà serait tracé. Quel bonheur ! Le loup à l'intérieur de Logan en salivait d'avance. Enfin, il stoppa son hurlement bestial et jeta un regard au jeune homme dont l'avenir était scellé. Il avait les yeux douloureusement entrouverts, l'expression crispée par la souffrance. Ses blessures devaient lui faire mal et leurs hurlements à tous l'avaient forcément sorti de sa torpeur… Tant mieux, il était temps. Logan eut un sourire carnassier et aboya des ordres à ses hommes qui s'exécutèrent sans attendre. La troupe n'avait pas peur qu'on l'empêche de mener à bien ses sombres desseins. Après tout, qui pourrait venir gâcher la fête ? Certainement pas la meute de laquelle ils avaient arraché le châtain. L'aconit mettrait du temps à disparaître de leur organisme… Si elle n'en avait pas déjà tué certains.

Leur empressement tenait surtout de l'excitation, de cette puissance qu'ils avaient hâte de sentir couler dans leurs veines – Logan le premier.

Sauf qu'ils n'avaient aucune idée de ce qu'il en était réellement. Bercés par les légendes et les qu'en-dira-t-on, les loups-garous se retrouvaient avec une vision biaisée de la réalité… Une vision qui restait néanmoins vraie sur certains points. Avoir un Emissaire Primordial dans ses rangs était un atout non négligeable, mais qu'en était-il réellement du reste ? On ne se posa aucune question.

Stiles ne comprit pas pourquoi, mais ses liens finirent coupés par des griffes et on le balança sur le Nemeton. Certains pourraient y voir l'occasion pour lui de fuir cette meute cauchemardesque mais le jeune homme était si épuisé et si mal en point que se relever relèverait du miracle. A vrai dire, il avait déjà refermé les yeux. Incapable de sombrer à nouveau dans l'inconscience pour autant, il réagit à peine lorsqu'on entailla et pressa son poignet pour faire couler son sang afin que celui-ci pénètre la surface rugueuse et toujours aussi étrange du Nemeton. Il poussa simplement un gémissement des plus faibles. Un gémissement épuisé, de celui qui n'avait plus de voix, plus la force d'hurler comme il l'avait fait au départ. C'est à peine si Stiles entendit les ordres qui suivirent. Tout son corps le tiraillait et bouger dans cet état était impossible sans que de nombreuses décharges de douleur ne le paralysent. Alors il ne bougea pas, tenta de récupérer un peu, de… Peut-être, de profiter des quelques minutes qui semblaient lui être accordées et qui n'étaient pas du luxe par rapport à ce qu'il avait vécu. Mais il déchanta rapidement lorsqu'on le redressa brutalement après un moment. Il entrouvrit à peine les yeux. Sentit la coupe qu'on pressait contre ses lèvres, coupe que l'on pencha davantage et qui laissa apparaître un liquide extrêmement foncé. Stiles ne saurait en dire la couleur tant il voyait peu en cet instant. Il avait la vision d'un humain mal en point, un humain incapable de voir comme un loup dans le noir.

Mais le goût de la chose le dégoûta au point qu'il voulut recracher. Tout de suite. Fer. Goût métallique. Texture poisseuse. On plaqua une main sur sa bouche et on l'obligea à avaler. Il tenta vainement de se débattre mais avec sa force qui brillait par son absence… Stiles finit par capituler et grimaça. Eut une violente nausée. Sentit le liquide sanglant s'écouler dans sa gorge tandis qu'on le maintenait tranquille et que la main restait irrémédiablement plaquée contre sa bouche.

Au bout d'un moment qui lui parut infini, on le libéra et Stiles se laissa durement tomber sur le Nemeton. Aucune force, aucune énergie. Envie de vomir ce sang qu'on lui avait fait ingurgiter et qui remuait déjà son estomac. S'il avait pu et si son corps ne lui paraissait pas être en mille morceaux, sans doute se serait-il obligé à gerber, ne serait-ce que pour régurgiter cette horreur et ne pas avoir l'impression d'avoir été souillé de l'intérieur.

Mais Stiles fut seulement capable de se laisser aller et de refermer les yeux en se demandant vaguement ce qui le tuerait en premier. Sa douleur ? Ce qu'on comptait lui faire ? Cette chose aux allures de sang qu'il avait bue malgré lui ? A ce stade-là, la peur l'avait complètement déserté. En lui régnait un sentiment étrange, la certitude que plus rien n'existerait pour lui d'ici quelques heures. Que sa vie se terminerait là, dans cette forêt. Comment avait-il pu accepter ce fait aussi facilement ? Aucune idée. La résignation, sans doute. Stiles préférait se dire qu'il allait mourir durant cette espèce de cérémonie plutôt que d'imaginer l'hypothétique suite de sa vie dans cette meute qui n'avait de meute que le nom. C'était un ensemble de bêtes sauvages reliées par une seule chose : la sauvagerie. Il savait ce qui l'attendait s'il survivait et il préférait se dire que toute cette mascarade allait le tuer. Qu'ainsi, ces abrutis se retrouveraient bien idiots à déplorer sa mort, la mort de cet outil qu'ils désiraient si ardemment. Stiles n'avait aucun espoir de survie, alors… Il ne servait à rien qu'il résiste comme il l'avait fait au départ, lorsqu'il n'avait pas été trop abîmé. Maintenant, c'était trop tard. S'il pensait qu'on viendrait le sauver ? Non, parce que ça n'arrivait que dans les livres, ou les films. Et puis sa meute… Il la savait hors d'état de nuire. Ces visions qu'il avait eues de Derek ? Une bien piètre tentative de son cerveau pour le maintenir à flot. Mais c'était terminé, il avait déjà coulé.

Alors, il n'avait rien d'autre que la possibilité de se réjouir de l'emmerdement qu'il allait causer.

Alors allongé là, sur le Nemeton, Stiles sentit le sang qu'il avait avalé le brûler de l'intérieur et plutôt que de se battre pour essayer de contrer ses effets, le laissa le détruire en silence. Il n'avait plus de voix, plus d'envie. En fait, il ne pensait plus vraiment depuis un moment, comme s'il avait prématurément quitté son corps, avant que celui-ci n'abdique.

Plus que quelques minutes, il le savait. Une portion de temps infime avant que la vie le libère de ce carcan qu'elle lui avait imposé.

Ses yeux s'entrouvrirent malgré lui. Il voulait voir quelque chose de beau. Une dernière fois. Couché sur le dos, il ne fit pas attention à l'agitation et aux voix autour de lui, ni au fait qu'on le déplaçait légèrement, qu'on le déshabillait à moitié mais de manière frénétique, à la recherche d'une chose dont il ne se souciait absolument pas. On pouvait bien faire ce qu'on voulait de lui, il ne sentait plus rien.

Mais il voyait ce ciel. Ce ciel magnifique, rempli d'étoiles… Avait-il le souvenir d'en avoir déjà vu de pareilles ? L'absence de pollution lumineuse pouvait rendre les observations visuelles du ciel stupéfiantes… Parce qu'il voyait un grand nombre d'astres briller et ce, de différentes couleurs. Cette vision-là, elle resterait gravée dans sa mémoire pour le fil de temps qu'il lui restait. A l'intérieur, il sentait déjà les choses s'envenimer et son cœur s'emballa de manière à normal. Qu'importe, ses yeux continuèrent de fixer le ciel, comme s'il était déjà parti.

Ce ciel qui n'était rien d'autre que l'exact reflet de ses prunelles.