Stiles ne savait pas vraiment ce qui lui prenait à se dire qu'il avait une chance de fuir alors qu'il savait pertinemment que c'était fichu. A vrai dire, il ne pensait même pas pouvoir s'éveiller ou rouvrir les yeux jusqu'à ce qu'il ait fini par le faire. Et même s'il avait mal, si corps et esprit étaient plus lourds que jamais, Stiles arrivait plus ou moins à penser, à réfléchir. A être lucide. Il se savait en grand danger, à deux pas de la mort. A l'intérieur, quelque chose le rongeait – sans doute ce qu'on l'avait forcé à boire. Ça le brûlait, ça le tuait.
Mais Stiles se connaissait et s'il était seul… Il n'allait pas attendre ici que la mort vienne le cueillir. Qu'elle débarque à bras ouverts ou non, il n'avait pas la moindre intention de la laisser faire son travail de cette façon.
Parce qu'il n'était pas comme ça, pas du genre à se laisser faire.
On lui avait toujours dit qu'il était chiant, emmerdant, toujours à bouger, sans arrêt. Ce qui était un défaut pour certains allait lui servir pour d'autres. Stiles ne savait toujours pas exactement ce qu'on lui voulait, mais il n'avait pas la moindre intention de faciliter la tâche à ces loups de malheur. La respiration lourde, il eut un mal fou à décoller son ventre de la terre. La brise fraîche de la nuit le fit violemment frissonner, passant sur sa peau aussi doucement que la lame d'un couteau. Stiles eut d'ailleurs l'impression de sentir son propre sang couler sur son corps. Mais du peu qu'il y voyait, il n'y avait rien. Une chose était certaine, il avait froid. Constata qu'il était nu. Afficha un air interdit. Réprima aussitôt la nuée de questions qui montait lentement en lui. Depuis son réveil, tout avait l'air ralenti.
Était-ce réellement le moment de s'interroger ? Stiles tourna la tête. Pas un loup à l'horizon. Il ne savait pas pourquoi il se trouvait là, mais il se doutait bien qu'on l'avait laissé ici dans le but de revenir le chercher rapidement.
Alors, il n'avait pas de temps à perdre. Quelques minutes pourraient lui suffire à les emmerder. En cet instant, Stiles ne pensait qu'à leur mettre des bâtons dans les roues. La peur, la douleur, les traumatismes qu'on lui avait causés… Tout ça, il n'y pensait pas pour le moment, pour la simple et bonne raison qu'il était lui… En partie seulement. C'était la partie froide et pragmatique de son cerveau qui agissait, celle qui ne cherchait qu'à lui permettre de survivre.
Stiles vivait une forme de dissociation.
Parce que tout ce qu'il avait vécu était trop dur pour qu'il puisse agir sans l'aide précieuse de ce mécanisme qui témoignait de la façon dont on l'avait traité. Survivre, voilà le maître-mot de ce mécanisme. La partie logique du jeune homme se disait que la survie était un objectif un peu trop ambitieux pour être réellement atteignable, mais elle lui permettait de se concentrer sur un but précis pour s'assurer de faire perdre du temps à ces loups. Une ligne directrice pouvait beaucoup aider à traverser le brouillard.
Stiles se leva péniblement et ne put que notifier sa faiblesse. Tout son corps lui faisait mal – il le tiraillait de tous les côtés. Ses jambes tremblaient. Il respirait vite, de manière saccadée. Paradoxalement à tout cela, il se sentait calme. Dissocié de sa réalité, ancré dans un monde quelque peu robotique où sentiments, émotions et états instables étaient bannis tant qu'il était en danger. Sans doute retrouverait-il l'usage de la partie émotionnelle de son être une fois aux portes de la mort… Un évènement qui n'allait pas tarder, c'était certain.
Stiles n'irait pas jusqu'à dire qu'il était prêt, mais avoir conscience de tout cela l'aida momentanément à appréhender le moment.
Ainsi, il s'éloigna lentement de l'endroit où Logan l'avait laissé. Au départ, il ne savait où aller, mais quelque chose le poussa à trouver la falaise, celle où il allait parfois, ce point majestueux qui rendait la ville plus belle à regarder. C'était un endroit simple et calme… Où il ne faisait toutefois pas bon d'aller si l'on avait vu ou que l'on n'avait pas un assez bon équilibre. Certains avaient tendance, dans ce cas-là, à s'approcher d'un peu trop près du bord et survenait généralement un drame. L'accès n'y était toutefois pas limité étant donné que le nombre de chutes n'était pas si alarmant que cela – la mairie avait également d'autres chats à fouetter mais ça, c'était une autre histoire. Ainsi, Stiles put lentement mais sûrement s'en approcher et finalement y arriver au bout de quelques minutes.
La vue était splendide, tant et si bien que les yeux étoilés de Stiles semblèrent briller davantage alors qu'il se stoppait, laissant à son corps meurtri de toutes parts le temps de faire une pause. Une pause si brève qu'elle en méritait à peine le nom. Sauf que lorsqu'il voulut se remettre en marche pour s'approcher du bord de la falaise, ses jambes le lâchèrent. Stiles s'écrasa lourdement sur le sol et son visage se crispa sous la douleur qui parcourait son corps par salves. Quand cela comptait-il s'arrêter ? Il n'en avait aucune idée, mais il ne devait pas se laisser abattre. Il y était presque. Mais presque à quoi ? Lui-même ne le savait pas. Il n'avait pas… Conscience de ce qu'il devait faire, c'était plus une histoire de… D'instinct, qu'il ne comprenait pas mais suivait aveuglément. Stiles crispa ses doigts sur le roc et appuya sur ses bras pour tenter de se redresser, puis de se relever.
Au même moment, il perçut des bruits de pas rapides qui se rapprochaient vite, très vite. Ne s'en soucia pas réellement. Tu dois y aller, tu dois sauter, lui dit une petite voix dans sa tête. Et bizarrement, ça lui semblait être la meilleure chose à faire. La seule, d'ailleurs. Ainsi, il ne se laissa pas distraire. Tu n'as plus beaucoup de temps devant toi. S'il tardait trop, on allait le rattraper. L'enfermer. Le Rituel… Ce qu'on lui avait fait boire allait le tuer. En quelques heures, quelques minutes, il n'en savait rien. Ainsi, il réussit à se relever, mais… Il restait terriblement faible et s'effondra à nouveau, épuisé, sans réussir à empêcher un gémissement rauque de passer la barrière de ses lèvres. Si l'on ajoutait à cela le fait qu'il respirait difficilement et par salves irrégulières… Il était dans de beaux draps.
Puis, de beaux bras.
Des bras qui l'entourèrent, le redressèrent, des dont les veines prirent aussitôt une teinte des plus sombres. Stiles se sentit défaillir, complètement vaseux. Où était passée cette énergie qui lui avait permis de fuir ? Il avait l'air de ne plus l'avoir… Et sa tête rencontra mollement une épaule. L'étreinte sur lui se raffermit.
- Bordel… Bordel, Stiles…
Ces mots n'étaient que des chuchotements. Des chuchotements empreints d'une espèce de soulagement qui manqua de réveiller la conscience de Stiles – sa partie émotionnelle notamment. Et cette voix si basse, il finit par la reconnaître. Leva un regard à moitié vide en direction de Derek qui, en constatant une réaction de sa part, se mordit la lèvre et resserra son étreinte sur lui. Glissa l'une de ses mains dans ses cheveux sales. Poisseux. Stiles laissa sa joue reposer contre le torse du loup. Ce semblant de force qui l'avait animé était doucement en train de le quitter, alors même que… Alors même qu'il était là, Derek. Quelqu'un de la meute était venu… Le cherché. Et l'avait trouvé.
Stiles devrait se réjouir de ce fait et se sentir on ne peut plus soulagé.
Mais son cœur ne se réchauffa pas, pour la bonne raison qu'il ne ressentait rien. Il était juste en mode « survie » – et il n'avait aucune idée du temps que celui-ci durerait. Rien n'était clair dans sa tête. Il savait juste qu'il devait au moins essayer de fuir… Et sauter de cette falaise. Se laisser tomber dans le vide. L'on ne parlait pas ici d'une pulsion suicidaire, mais d'un instinct.
Sauf qu'il était doucement en train de perdre le peu d'adrénaline qui l'avait maintenu à flot. C'est à peine s'il sentit Derek bouger, déposer sa veste sur ses épaules, ce qui était d'ailleurs inutile au vu du fait qu'il était quasi entièrement nu. Mais Derek était perdu et arborait un air goguenard. Il faisait ce qu'il pouvait tout en tentant d'assimiler à la fois ce qu'il voyait et ce qu'il sentait.
- Tout va bien se passer, maintenant. Je… On va te mettre en sécurité.
En réalité, Derek était seul, dans ce coin de la forêt, pour l'instant. Il avait suivi la piste olfactive qu'il avait trouvée… Ainsi que son instinct et des bribes de souvenirs. A sa manière, il s'était servi de l'espèce de lien qui le reliait à Stiles et… Oui, il pouvait dire qu'il fonctionnait. Il ne savait pas réellement comment il faisait pour s'en servir ni tout ce qu'il pourrait faire avec, mais au moins, ça marchait.
Néanmoins, il parlait au pluriel. Essayait de rassurer Stiles, d'obtenir une réelle réaction de sa part… Et puis de toute manière, Isaac, Jackson et les chasseurs devraient bientôt arriver Ce n'était qu'une question de temps.
Toutefois, Derek n'avait pas l'intention de les attendre. Il avait besoin de mettre l'hyperactif en sécurité. De le ramener au manoir Argent, de soigner toutes les blessures qu'il voyait, de continuer de prendre cette douleur qui déformait malgré tout toujours le visage inexpressif de Stiles. Un visage mort.
Cette constatation le fit frissonner d'horreur. Il faut qu'on parte d'ici. Ainsi, il prit l'hyperactif dans ses bras en essayant de lui faire le moins de mal possible et lui répéta qu'ils allaient partir. Que tout était fini. Stiles l'entendait-il seulement ? Peu importe.
- On s'en va, souffla-t-il encore.
Il préviendrait ses alliés une fois Stiles hors de danger.
Sauf que Derek s'était tant concentré sur son protégé apathique qu'il n'avait pas entendu les pas discrets qui s'arrêtèrent à quelques mètres d'eux. C'est seulement l'aura de colère lui parvenant qui le fit se tourner d'un coup et relever les yeux pour croiser un regard rougeoyant de fureur.
- Je ne crois pas, non.
