Stiles avait vraiment l'impression que sa vie volait littéralement en éclat. Si se faire prendre un peu de son sang ne le dérangeait pas, montrer ses yeux était une tout autre affaire. Parce que c'était quelque chose de précieux, qu'il cachait depuis tout petit. Son regard particulier, plus encore que celui de Derek, c'était son petit secret à lui.
Ses blessures étaient guéries, la M-Psi avait fait un excellent travail et sans même le toucher, ce qui avait ébahi la meute entière. Pour cela, il avait fallu les rouvrir partiellement. Minutieuse et perfectionniste, Moira avait tenu à agir sur les moindres petits détails. Elle avait réparé chaque tissu par la pensée, reformé le grain de la peau. Stiles n'avait même pas de cicatrices. Seule la douleur persistait encore partiellement, et c'était là son unique souvenir de ses blessures. Le « miracle » convainquit la meute de laisser la jeune femme s'occuper de Derek, qui n'avait pas changé de position. Néanmoins, il ne cessait de fixer Stiles avec inquiétude et perplexité.
- Tes yeux, lui rappela alors Moira.
Stiles avait retiré sa deuxième lentille quelques minutes plus tôt et ses yeux de jais parsemés de milliers d'étoiles blanches étaient visibles. C'étaient là ses yeux de cardinal, mais pas ceux que la M-Psi voulait voir.
- Quand vous aurez guéri Derek, rétorqua-t-il d'un ton qu'il voulut sec.
Il savait à quel genre de personnes il avait à faire et devait par conséquent se montrer ferme. Dans le monde Psi, c'était la loi du plus fort qui régnait : il n'y avait pas de places pour les faibles. Si Stiles, qu'elle avait choisi pour dialoguer, ne se montrait pas à la hauteur, elle l'écraserait et ferait fi de ses désirs. La jeune femme semblait se tenir à carreau depuis qu'il l'avait stoppée dans sa tentative de pénétration d'esprit, mais nul doute qu'elle réitèrerait s'il ne faisait pas attention. Les loups et la coyote n'étaient pas comme lui. Ils n'avaient aucun moyen de se défendre contre les attaques mentales et mourraient sans doute avant même de pouvoir sortir leurs griffes. Si Moira frôlait l'excellence en termes de guérison, elle pouvait tout aussi bien tuer de l'intérieur. En vérité, Stiles ne lui faisait absolument pas confiance. Alors ses yeux de cardinal la scrutaient sans arrêt et épiaient son esprit à travers le PsiNet, réseau collectif de leur espèce. Son étoile brillante et trop colorée était dissimulée par une grosse couche de boucliers créés par ses soins et renforcés par son père.
Moira approcha la seringue de la peau de Derek et Stiles l'arrêta un instant :
- J'espère pour vous que ce n'est pas une entourloupe ou bien vous le regretterez.
- Tu peux te rassurer, ce n'en est pas une.
Des yeux, il chercha à déceler le mensonge, mais il se tourna vers Scott :
- Ses battements de cœur ?
- Parfaitement réguliers, répondit le loup après un instant, le visage fermé.
Nul doute que répondre à son traître d'ami le répugnait, au vu de la grimace qui déforma ses traits harmonieux. Il n'avait pas encore réussi à accepter que Stiles lui ait menti sur sa réelle condition, son… Identité. Et même si ses raisons étaient sans doute valables, c'était hors de question qu'il lui pardonne. Et puis son inquiétude pour Derek primait : c'était le loup qui allait recevoir une puce dans le cerveau, pas Stiles, dont il semblait avoir oublié la douleur et la presque mort datant de quelques jours plus tôt.
Stiles hocha la tête et vit l'aiguille s'enfoncer sous l'oreille de Derek, qui tressaillit. Moira actionna le mécanisme de la seringue et la retira une fois qu'elle fut vide. Ensuite, elle ouvrit son ordinateur qu'elle avait posé sur la table basse et se vit obligée par Stiles de décrire tout ce qu'il se passait et tout ce qu'elle ferait avec exactitude.
- La meute ici présente est capable de déceler le moindre mensonge. J'espère pour vous que vous ne vous y abaisserez pas…
Pas comme moi.
- … Ou bien vous en subirez les conséquences.
- Je pourrais très bien les tuer, argua-t-elle, sans âme, en tapant sur son clavier. Ce serait facile, j'ai quelques dons de télépathe.
Ce n'était pas une menace, mais un constat, qui rappela à Stiles qu'il avait bien fait d'accepter de dialoguer avec elle. Il était le seul en mesure de pouvoir les protéger. Même si son ancienne meute ne comprenait peut-être pas encore quelle menace représentait l'espèce Psi pour toute autre espèce surnaturelle ou juste humaine, ce n'était pas grave. L'hyperactif, lui, le savait mieux que quiconque.
- Mais je ne voudrais pas prendre le risque de m'attirer les foudres d'un X, se rattrapa-t-elle, encore moins d'un double cardinal.
- Je croyais que j'étais défectueux ? Fit-il semblant de se moquer.
Parce que le cœur n'y était pas. Toutefois, Stiles savait qu'il se devait de répondre de cette manière. Sa répartie et sa voix étaient ses meilleures armes pacifistes. S'il pouvait éviter d'utiliser ses facultés, il le ferait. Pour le moment, elles semblaient parfaitement contrôlables et c'était un fait assez rare pour qu'il en profite. Sans ses inhibiteurs, sa puissance pleuvait en lui de manière considérable et c'était toujours le cas. Cependant, ses pouvoirs l'avaient, ces derniers jours, maintenu en vie. Alors, il fallait laisser le temps à son psychisme de refaire ses réserves. Par conséquent, Stiles avait un peu de temps avant de devoir redemander des inhibiteurs à Deaton.
L'utilisation du mot « défectueux » sembla enfin faire percuter certains membres de la meute, qui se mirent à regarder Stiles d'un œil nouveau. C'était un terme bien étrange pour se décrire, comme s'il n'était qu'un vulgaire outil, un robot, quelque chose d'imparfait et facilement remplaçable. L'aspect froid qu'il arborait renforçait cette impression, bien que cette froideur transpire les émotions, contrairement à la jeune femme qui continuait de taper sur son clavier. Froide comme la glace, impassible, imperturbable. Toutefois, elle semblait craindre Stiles, même si ce n'était sans doute pas le mot approprié pour juger de cette sorte de soumission. C'était comme si Stiles était au-dessus d'elle en termes de hiérarchie. Et que signifiait la lettre « X » ? Trop de questions restaient en suspens et l'attention fut de nouveau focalisée sur Derek, qui attendait, l'air de ne rien comprendre.
- Tu l'es, dit la M-Psi en continuant de s'adresser à Stiles. Tu l'es, mais tu restes puissant. Je sais qu'il te suffirait d'une pensée pour me carboniser, mais tu désires que je sauve ton ami.
Stiles faillit grimacer au mot « ami », qui lui porta un coup au cœur. Il chancela légèrement mais se reprit bien vite.
- Bon, ça en est où ? Demanda-t-il, impatient.
- La puce est en train de migrer vers son cerveau, dit-elle en tournant l'ordinateur vers lui et la meute.
Sur l'écran, l'on voyait une sorte de carte. Le cerveau de Derek avait été scanné en bleu ciel sur fond marine et un point rouge clignotait, indiquant l'emplacement de la puce.
- Elle va chercher la zone lésée et se déployer en un minuscule robot que je pourrai, à partir de là, utiliser comme une version étirée de moi-même, expliqua platement la M-Psi. La zone est ici, la puce y sera dans peu de temps.
Stiles hocha la tête mais ne baissa pas sa garde. La jeune femme tourna la tête vers lui et le toisa de son regard sans âme avant de dire d'un ton toujours aussi monotone :
- T'avoir hors contrôle est une grande perte pour le Conseil Psi. Je sens ta puissance d'ici.
Stiles ne répondit rien. Les bras croisés sur son torse, il continuait de la fixer, attentif au moindre de ses gestes.
- Si tu n'avais pas déserté le centre de formation des flèches quand tu étais enfant, nul doute que tu serais devenu un excellent soldat, une arme puissante et sans sentiment.
Comment savait-elle cela ? Au comble de la surprise, Stiles ne put empêcher l'étonnement et l'effroi de paraître sur son visage rendu plus sérieux à cause de ses yeux si noirs mouchetés de blanc. Peu importe que la meute soit là ou pas, il n'arriva pas à réprimer certaines de ses émotions.
- Comment vous…
- Ne fais pas l'étonné, dit-elle en tapant de nouvelles instructions sur son clavier. Je me renseigne toujours sur ceux qui demandent mes services.
L'on vit le point rouge avancer tout autant que l'on vit l'air de plus en plus inquiet de Derek. Il avait quelque chose dans la tête, quelque chose qui bougeait et allait décider de son sort. Il ne le sentait pas, n'avait pas mal, mais savait et c'était diablement désagréable. Pourtant, il suivait la conversation froide entretenue par les deux Psis. Sa bouche s'ouvrit :
- Mieczyslaw Stilinski, cardinal E mais aussi cardinal X, une rareté avec un supplément non négligeable, une puissance télékinésique de rang 7,9. Double-cardinal. Né d'un père, Noah Stilinski, un Tp-Psi de rang 8,5 avec le gène E de rang 5,6, et d'une mère, Claudia Stilinski, une cardinale E. Fuite et désertion du centre de formation et du monde Psi en général datant d'il y a neuf ans. Mort de la mère relative à une tentative de rééducation au Centre un an plus tard. Cause : folie due au gène empathique, incompatible avec le protocole Silence.
Stiles avait la nausée. Oui, très honnêtement, il avait envie de vomir. La froideur et l'énonciation glaciale de ces informations le déboussolèrent, à tel point qu'il manqua de perdre l'équilibre. Une petite voix dans sa tête lui souffla de se reprendre, de tenir. Il ne pouvait pas se montrer faible maintenant. Son espèce était du genre à prendre, pas à donner. S'il lui cédait du terrain, elle se jetterait dessus et ne le lui rendrait pas. C'est là qu'il se rendit compte que Silence avait du bon : parfois, les émotions affaiblissaient. Si Stiles était effectivement très puissant, ce qu'il ressentait et qui le remuait actuellement menaçait de lui faire perdre tout contrôle de la situation. Alors, il reprit un air plus ou moins impassible et fit de son mieux pour cacher son trouble, que toute la meute avait dû percevoir. Derek le regardait, l'air choqué et profondément. Scott, lui, évitait de poser ses yeux sur lui. Les autres ne savaient pas où se mettre. Mais tout le monde avait senti le changement drastique d'odeur de Stiles. S'il se sentait auparavant mal, c'était réprimé. Là, son mal-être venait d'éclater le temps d'une seconde et la terreur l'accompagnait. Mais tout s'était déjà estompé, Stiles entoura son cœur de boucliers répressifs. Il devait garder le contrôle sur ses émotions.
- Vous avez bien bossé votre sujet, dit-il d'une voix qu'il essaya de garder stable. Maintenant, concentrez-vous et guérissez-le.
Parce que c'était ce qu'il désirait de plus cher. De plus, il savait qu'il n'allait pas tenir longtemps. Il avait besoin de rentrer au bunker, de s'enfuir, de laisser échapper tout ce qu'il ressentait et autant dire que l'absence d'inhibiteurs ne l'aidait pas à garder la face. Les flammes de ses émotions brûlaient en lui et menaçaient de le consumer s'il ne faisait pas attention.
La M-Psi hocha la tête.
- La puce a trouvé la zone, dit-elle.
Tournant l'ordinateur dans la bonne direction, elle s'approcha du loup toujours allongé sur le canapé et approcha ses mains de sa tête. Scott grogna et montra les crocs. Ce faisant, la jeune femme ramena ses mains vers elle. Si la peur ne suintait pas dans son odeur, elle savait toutefois qu'elle était potentiellement en danger en la présence de ces prédateurs.
- Scott, laisse-la, quémanda Stiles d'une voix semi-assurée, pas entièrement remis d'avoir entendu sa vie se faire étaler devant tout le monde.
- J'ai pas confiance, rétorqua l'alpha. Ni en elle, ni en toi.
Ça faisait mal, mais c'était honnête.
- Scott, s'il te plaît. On ne peut plus reculer maintenant, argumenta Lydia.
Scott, après plusieurs tentatives de sa part, finit par se calmer et se reculer. Stiles, quant à lui, se retint de remercier Lydia du regard. Parce qu'il était certain qu'elle n'arriverait pas à décrypter correctement son émotion à travers cette toile noire et blanche qui semblait inexpressive, mais qui ne l'était pas le moins du monde. Simplement, il fallait apprendre à le lire.
La M-Psi mit à nouveau ses mains autour de la tête de Derek et, sans toucher un seul de ses cheveux, resta là. Plusieurs secondes.
- Je suis dans la zone, je vais commencer par réduire la taille de la lésion. Ensuite, je vais tout bonnement la faire disparaître puis reconstituer ce qu'il manque.
Stiles manqua de sursauter en entendant la voix dans sa tête. Il ne l'avait pas prévue celle-là.
- Le problème, c'est que mon patient n'est pas détendu, constata Moira. Je ne sais pas si mon diagnostic est juste mais je crois qu'il angoisse. Toute cette tension le crispe. Il fait bouger la puce.
- Je m'en occupe, répondit Stiles.
Jetant un coup d'œil autour d'eux, l'adolescent constata que personne ne se doutait de l'échange télépathique qui avait lieu. Tant mieux : autrement, certains risquaient de crier au complot et autant dire que ce n'était pas le moment d'arrêter l'intervention.
Etendant ses sens empathiques, l'hyperactif remarqua qu'effectivement, Derek n'était pas au meilleur de sa forme. C'était ténu, sans doute parce qu'il se contenait, comme lui, mais le loup avait peur. Non, il était même terrifié. Et pourtant, son visage ne traduisait qu'un simple malaise, à la rigueur du stress. La peur. L'angoisse. Ces émotions et sentiments, l'esprit de Stiles les saisit et les aspira.
Sous les yeux de tous, Derek sembla se détendre et peu à peu, devint serein. Parallèlement, une peur immense accompagnée d'une certaine angoisse envahirent Stiles qui manqua de perdre l'équilibre un instant mais tint bon sur ses appuis. La M-Psi releva son regard océanique vers lui et si Stiles ne savait pas qu'elle était Silencieuse, il aurait juré qu'elle s'inquiétait pour lui. Parce qu'être un E-Psi, c'était particulier. Les émotions n'avaient pas de secret pour eux et ces Psis-là avaient la capacité de prendre pour eux les émotions néfastes des autres. Ainsi, elles quittaient le corps de leur hôte originel pour celui de l'empathe qui les ressentirait, jusqu'à ce que celles-ci s'évaporent naturellement dans l'air. Nul doute que Stiles ne s'en remettrait pas tout de suite, mais il allait faire avec. De toute manière, ce n'était pas comme s'il avait le choix.
- Merci. Je vais pouvoir intervenir plus facilement, l'informa la M-Psi en tournant à nouveau son regard vers son patient.
Alors que la meute commençait à se poser des questions quant à l'absence de preuves concrètes d'amélioration, Peter avait les yeux brillants. Se trouvant en retrait, il avait tout le loisir d'observer Stiles et de faire attention aux détails. L'odeur piquante de Derek lui avait sauté aux narines mais ce qui l'avait étonné, c'était de la sentir se déplacer pour se fondre à l'intérieur de Stiles. Et ça, c'était quelque chose.
Quelques minutes plus tard, la M-Psi s'éloigna du loup.
- L'intervention est terminée. La puce sortira de votre corps par voie naturelle, dit-elle en regardant Derek.
C'était la première fois qu'elle s'adressait de son plein gré à quelqu'un d'autre que Stiles depuis son arrivée.
- Vous êtes sérieuse ? Vous n'avez rien fait, cracha Malia.
La M-Psi demanda à ce qu'on lui apporte un livre et ce fut Peter qui s'en chargea. La jeune femme ordonna sèchement à Derek de lui lire le titre. Si le loup ne releva pas le ton glacial ni l'ordre donné, il s'exécuta néanmoins tout de suite et constata avec étonnement qu'il n'avait eu aucune difficulté à lire. Il s'entraîna sur néanmoins quelques pages et ne put que relever un des yeux ébahis vers la M-Psi. Il était guéri. Tout le monde se retrouva alors bouche bée et Stiles se permit un léger soupir de soulagement. De toute manière, ce n'était pas comme si on allait faire attention à lui.
La M-Psi le détrompa en se retournant vers lui.
- J'exige mon deuxième paiement, Mieczyslaw Stilinski.
Tous les regards se tournèrent à nouveau vers Stiles qui tenta de les ignorer. Il serra les poings mais savait qu'il n'avait d'autre choix que de se mettre à nu, encore. Toutefois, il était incapable de faire ça debout. L'utilisation de facultés de taille comme la télékinésie rendait ses yeux noirs et blancs. Si la M-Psi voulait réellement voir leur véritable couleur, il allait devoir ne rien faire, puisque c'était actuellement son pouvoir qui le maintenait debout : son corps était encore un peu trop faible pour compenser. Alors, il se recula et se laissa tomber sur le premier fauteuil qu'il vit. Il rappela sa capacité à lui. D'un coup, Stiles sembla plus fatigué, moins sûr de lui, plus faible, moins impassible.
Et le noir céda la place à la cohabitation harmonieuse de trois couleurs : de l'argenté tacheté d'or à gauche, du cyan moucheté d'argent à droite.
