- La seule chose à faire, Derek, c'est de le laisser dormir, fit Deaton.
- D'accord, répondit celui-ci sans éloigner son téléphone de son oreille.
- Par contre, il faut absolument qu'il mange quelque chose à son réveil, intervint une autre voix, celle du shérif. S'il s'est effondré de cette manière alors qu'il te parlait, c'est qu'il manque cruellement d'énergie.
Alors même qu'il disait cela, la voix de Noah transpirait la douleur. Savoir que son fils s'était évanoui l'avait choqué : se douter qu'il ne mangeait sans doute pas assez lui serrait le ventre même si au fond, il était déjà au courant. Derek soupira de manière presque inaudible. C'est vrai qu'en y repensant, Stiles semblait avoir un peu maigri, son visage était plus fin, légèrement émacié.
- Il faudrait aussi que tu restes avec lui le temps qu'il reprenne connaissance, l'informa Deaton, et Noah Stilinski va rester avec moi, je vais le cacher deux ou trois jours. Avec ce… Phénomène, il risque d'y avoir des curieux dans la forêt et pour éviter de trahir la présence du bunker, il faut réduire au maximum le nombre d'allées et venues. Je sais que tu as des obligations, Derek, et le shérif et moi sommes désolé de te demander ça, mais c'est tout ce qu'on peut faire dans la situation actuelle.
- Et puis il faut que Stiles mange. S'il se réveille seul, je ne suis pas sûr qu'il y pense, lâcha Noah.
Mais dans sa voix, Derek n'entendait qu'une sombre certitude, comme s'il avait voulu dire que l'hyperactif ne prendrait pas la peine de songer à manger quelque chose de lui-même. Cette pensée serra quelque chose en lui et raviva un peu son inquiétude.
- Pourquoi vous me faites confiance ? Demanda-t-il soudainement, sans pouvoir s'en empêcher.
C'était vrai : pour quelle raison Deaton lui avait-il si facilement donné les indications concernant l'emplacement du bunker ? Pourquoi lui avait-on confié ce semblant de secret ? Car Derek savait maintenant où étaient censés se cacher les deux Stilinski – sauf que cette fois, le shérif était contraint de rester un peu chez le vétérinaire.
- Parce que tu ne l'as pas laissé tomber, répondit simplement Alan. Tu aurais pu le laisser là, dans la forêt et ne pas l'aider. Or, tu ne l'as pas fait. Tu m'as appelé, parce que tu voulais l'aider.
- Et ça suffit pour me faire confiance ? S'étonna-t-il.
- Les autres n'en auraient pas fait autant, ajouta le shérif avec une certaine hargne à peine dissimulée.
Pour lui, ce simple fait semblait vouloir tout dire.
- Pour en revenir à ce qui nous intéresse, continua le vétérinaire pour recentrer la conversation, nous aimerions que tu restes avec lui jusqu'à son réveil. Comme on se doute bien que tu as des choses à faire, tu pourras t'en aller à ce moment-là. Fais simplement attention à être discret quand tu sortiras. Si cet endroit est découvert, je ne sais pas où ils pourront aller.
Dans cette simple phrase, Alan Deaton montrait tout son dépassement par rapport à la situation, ainsi que la précarité des Stilinski, obligés de quitter leur maison et de se cacher.
Pour vivre.
Derek commençait à réellement comprendre que la situation de Stiles était bien plus compliquée qu'il n'y paraissait de prime abord.
- Cet endroit restera secret, assura-t-il.
Par cela, il entendait également le fait que la meute ne serait pas au courant de l'emplacement de cette cachette. Elle était si bien pensée qu'il avait eu du mal à la trouver malgré les indications données par le vétérinaire. Avec un hyperactif inanimé dans ses bras, la chose s'était avérée encore plus compliquée.
- Merci Hale, entendit-il provenir du combiné.
La reconnaissance du shérif était palpable et son remerciement, sincère. Perturbé par l'émotion qu'il sentait passer au travers du combiné, Derek ne parla pas de ce qu'il pensait au sujet de la colonne de feu. Il se contenta de bredouiller un vague « de rien » avant de raccrocher.
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« Merci Hale »
Ces deux mots résonnaient dans l'esprit perturbé de Derek, qui se rongeait les sangs. Déjà trois heures qu'il était là et Stiles n'avait pas bougé. Alors oui, d'accord, il était peut-être épuisé, mais… De là à ne pas bouger d'un millimètre ? Il respirait lentement et doucement, son souffle était si discret que le loup ne pouvait s'empêcher de surveiller son rythme cardiaque pour s'assurer qu'il était bien vivant. Jamais il n'avait vu quiconque dormir aussi profondément. Pourtant, ce lit de camp ne lui paraissait pas des plus confortables… Mais c'était tout ce qu'il y avait.
Derek avait eu le temps de parcourir le bunker de long en large et à plusieurs reprises, tant il n'était pas tranquille. Et autant dire que ce n'était pas du luxe. Deaton n'avait pas dû imaginer qu'il aurait un jour à s'en servir… Il y avait l'électricité, bien sûr, mais c'était bien peu. L'entrée était petite et donnait sur un petit couloir menant à une pièce à vivre faisant à la fois office de salon et de cuisine. C'était étroit, elle n'était remplie que par une table agrémentée de trois pauvres chaises à moitié rouillées, ainsi que quelques étagères remplies de denrées alimentaires. Des boîtes de conserves, il y en avait. Des paquets de pâtes aussi. Il y avait un petit congélateur à côté d'un évier minuscule dont l'eau ne lui avait pas semblé extrêmement claire lorsqu'il avait voulu se rafraîchir le visage. Il s'était donc abstenu. Heureusement, il y avait plusieurs packs de bouteilles entreposés à côté du congélateur. De l'autre côté, un radiateur maintenait péniblement une température décente. Le salon-cuisine donnait sur trois portes : la première était une petite salle de bain de fortune contenant une petite douche aux parois opaques, des toilettes et un lavabo. Derek avait, par curiosité, actionné l'eau et dans cette pièce, elle lui avait semblé être de meilleure qualité. Si la présence de la cuvette presque collée à la cabine le dérangeait un peu, il comprenait bien que l'espace avait été aménagé de sorte à ce que tout puisse rentrer. Enfin, les deux autres portes menaient à deux petites chambres séparées. Leur taille relativement petite était due au fait que rien ne s'y trouvait, mis à part un lit de camp et deux-trois étagères pour stocker des vêtements. Le bunker était spartiate mais fonctionnel. Ou fonctionnel mais spartiate, il fallait choisir son ordre. L'ambiance était froide, il n'y avait pas de décoration et les murs sombres n'aidaient pas à trouver ce lieu impersonnel accueillant.
Et c'était ici que vivaient les Stilinski depuis plusieurs jours. Seuls, dans le secret, avec seulement quelques affaires. Le minimum, dans l'attente de… De quoi, au juste ? De ce qu'il avait compris, Stiles et son père devaient se cacher de ces Psis qui voulaient les supprimer à cause de leur classification. Mais quand devraient-ils arrêter de se cacher ? Y aurait-il une fin à cette traque qui semblait sans merci ? Derek se rappelait sans mal de ces cadavres au poignet mutilé par un « E » inscrit à la va-vite dans la peau. Stiles avait la même inscription horrible. Cependant, il avait survécu. Pourquoi les Psis étaient-ils si violents envers des gens de leur propre espèce ? Certes, la présence d'individus émotifs dans un peuple ayant supprimé ses émotions pouvait déranger. Mais n'y avait-il pas d'autres solutions que… La mort ?
Oui, l'annonce du mensonge de Stiles l'avait ébranlé. Dégoûté. Mis en colère. Il ne comptait pas le nombre de fois où l'hyperactif aurait pu les aider avec ce, ces flammes presque irréelles. Pourtant, Stiles les avait bien soutenus, épaulés, à sa manière. Il fallait avouer que, sans son aide, beaucoup de choses auraient pu mal se terminer. Il avait simplement… Agi en tant qu'humain, en faisant son maximum dans les limites qu'il s'était imposées. Alors oui, il aurait pu faire plus et son mensonge pouvait paraître égoïste, sachant que la meute aurait, du point de vue de Scott et de la majorité des autres, pu l'aider et garder secret son état véritable. Mais, à la différence de la plupart des membres de la meute, Derek pressentait que la teneur dudit secret était… Plus grande que ce qu'ils imaginaient tous. Tous ces meurtres en étaient la preuve. S'il avait raison, ces gens vivaient eux aussi en tant qu'humains, sous couverture, dans l'espoir d'éviter la mort causée par leur statut et leurs semblables. Vraisemblablement, cela n'avait pas marché, puisqu'ils finissaient par être découverts.
Derek connaissait le danger qui accompagnait souvent la condition surnaturelle. Les chasseurs, il en avait affronté beaucoup dans sa vie. Mais les Psis… C'était autre chose, il le savait. On pouvait amadouer certains humains et même gagner leur sympathie, voire s'allier. Chris Argent en était la preuve. Les Calavera également, même si leur entente était extrêmement fragile.
Les Psis, eux, semblaient impitoyables. Et ils l'étaient. Ils tuaient à cause d'une simple différence. Ils tuaient le corps et l'esprit, faisaient imploser le cerveau de leurs victimes et les marquaient comme du simple bétail mort.
Et ça, c'était pire que tout ce qu'il aurait pu imaginer.
Alors, Derek n'entretenait plus vraiment de rancœur envers Stiles. Le jour où il avait appris tout ça, peut-être un peu. Ce temps était déjà révolu. N'était-ce pas lui qui avait insisté pour qu'un membre de son espèce vienne le soigner ? S'occuper des blessures internes causées par ce faux-infirmier qui allait le tuer de sang-froid ? Derek n'oubliait pas non plus ce qu'il avait ressenti durant l'intervention de la M-Psi. Il était tendu, stressé et son angoisse l'avait quitté d'une manière étrange. C'était comme si on l'avait aspirée pour le soulager.
Quelques secondes plus tard, il avait senti une odeur de stress. Elle provenait de Stiles. Le loup ne savait pas comment il avait fait, mais le fait est qu'il lui avait pris sa préoccupation, lui permettant de se détendre et de laisser le champ libre à la jeune femme. Malgré son mensonge, l'hyperactif ne pouvait pas avoir un mauvais fond. Même si c'était la M-Psi qui lui avait rendu ses capacités perdues, Derek considérait que c'était grâce à Stiles qu'il les avait récupérées. Après tout, sans lui, serait-il encore en vie ?
C'était ce questionnement – mais pas seulement – qui l'avait poussé à tout faire pour le mettre à l'abri dans ce bunker. Il avait bien pensé au loft, mais la meute s'y trouvait et sans doute verrait-elle d'un mauvais œil sa présence, quel que soit son état. Alors cet endroit, aussi spartiate soit-il, ferait l'affaire pour le moment. Tant que Stiles pouvait se reposer… Après tout, faire apparaître une si grande colonne de feu devait user une quantité d'énergie monstre. Parce que Derek n'avait pas de doute : ce feu orangé avec quelques touches de bleu cyan, il l'avait déjà vu, par deux fois. Et puis, lorsqu'il avait senti l'odeur de Stiles à l'endroit où les flemmes s'étaient élevées, il avait définitivement compris. Restait à savoir ce que c'était que ça et la raison pour laquelle l'hyperactif avait usé de ses pouvoirs alors qu'il prônait son impossibilité de le faire. Une chose était sûre : sa puissance était réelle, son père n'avait pas menti.
Sur la table de la pièce à vivre sobre et à l'atmosphère glaciale, son téléphone n'arrêtait pas de vibrer, mais Derek s'en fichait. Actuellement, la meute n'était pas sa priorité. Au début, il avait sonné. Le loup, par agacement et par peur de réveiller Stiles l'avait mis sur vibreur.
En buvant un petit verre d'eau tiré dans la salle de bain, Derek fut pensif. Il se souvenait fort bien des messages échangés avec Stiles quelques jours plus tôt. Pour être honnête, il ne s'attendait pas à une telle réaction de sa part. Oubliée, sa combattivité. Oublié, son entêtement légendaire. Oublié, son sarcasme. Tout ce que Derek avait entrevu dans leur « conversation », c'était de la souffrance et de la… Soumission. Ce n'était pas Stiles, ça. Le petit génie de la meute n'était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds, à avoir peur des insultes, à… A tout ça. Dans cet échange, il lui avait semblé atrocement fragile. En soi, c'était compréhensible, mais à ce point-là ?
Se pourrait-il que Stiles soit détruit ?
Derek avait voulu lui faire comprendre qu'il ne lui en voulait pas, en faisant quelque chose de peu habituel de sa part : le premier pas. Il y était allé en douceur, espérant venir à lui faire comprendre qu'il pouvait parler avec lui, petit à petit. Mais la réaction de Stiles avait été telle qu'il avait perdu ses moyens, lui, Derek Hale. Cette réaction, il l'avait aussi eue dans la forêt, lorsqu'il l'avait vu : cette même souffrance, couplée à cette même soumission et ce désir de fuir pour éviter reproches et insultes. Sauf que le loup-garou n'avait aucunement l'intention de l'insulter. Ce qu'il voulait, c'était en apprendre plus, comprendre tout ça. Et ne pas le lâcher. Parce que… Ce n'était pas vraiment de sa faute, s'il avait dû cacher sa véritable nature. Derek ne faisait-il pas la même chose, avant que son oncle décérébré morde cet idiot de Scott ? Alors non, définitivement, il ne pouvait pas lui en vouloir. Etant né loup, le bêta comprenait. Durant des années, il avait fallu cacher sa nature lupine au plus grand nombre. L'alpha, lui, avait été mordu. Il avait des gens à qui parler de sa condition, des gens plus ou moins comme lui. Stiles, lui, n'avait que son père.
Après un long moment à méditer assis sur l'une des chaises, Derek finit par se saisir de son téléphone, histoire de calmer ses harceleurs qui, il le savait, s'inquiétaient pour lui après toutes ces heures de silence, en témoignaient les tonnes de messages qu'il avait reçus.
De : Lydia.
Derek, tout va bien ? On n'a pas de nouvelles de toi depuis un moment… Je suis inquiète. Envoie-nous un message ou appelle-nous au moindre souci.
De : Jackson.
Un problème ? Je sais que tu ne réponds pas souvent, que la technologie, c'est pas vraiment ton truc mais… Ouais, réponds s'il te plaît.
De : Liam.
Tu as besoin d'aide ?
Jusqu'ici, ça allait. Certains des membres qui s'inquiétaient pour lui avaient choisi les messages pour l'exprimer et c'était la bonne chose à faire. Scott, lui, l'avait appelé trois fois avant de lui envoyer des messages il y a une bonne heure. Des messages qui le tendirent automatiquement.
La colère, elle, naquit lentement.
De : Scott.
Derek, ça va ?
Réponds s'il te plaît.
Allez.
Si j'ai pas de réponse d'ici cinq minutes, je viens.
Derek, c'est quoi ce bordel ? Ça sent Stiles… Et toi. Tu étais bien là où il y a eu le feu…
Tu l'as vu ? Il t'a fait quelque chose ?
Si Stiles t'a fait quoi que ce soit, il va le payer.
Je vais le chasser et te retrouver.
Si tu vas bien ou si tu peux me répondre, fais un bruit, hurle, n'importe quoi, je vais te localiser et venir t'aider !
S'il t'a fait du mal… Je le tuerai. De mes propres mains, sois-en sûr. Puissant ou pas, je m'en tape. Il paiera.
Décidément, Scott McCall, en plus d'avoir un cerveau de la taille d'une amibe, avait le don de faire des raccourcis inouïs. Des raccourcis qui avaient le don de mettre Derek en colère. Si bien qu'il dut se contrôler pour ne pas être agressif. Pour le moment, mieux valait agir comme si tout était normal… Et l'éloigner d'ici. Le bunker étant particulièrement bien isolé, et sa présence était indétectable, sachant que l'endroit autour de l'abri était équipé d'une technologie très sophistiquée qui dissipait les odeurs lupines, humaines et autres sur une certaine distance. Pratique lorsque l'on ne voulait pas être retrouvé… Surtout par des loups-garous. C'était sans doute une précaution d'émissaire en cas de dérèglement dans la meute. Toutes les meutes animales ne traitaient pas bien leur émissaire.
A : Scott.
Tout va bien. J'ai senti son odeur aussi mais je ne l'ai pas croisé. J'effectue des patrouilles un peu plus loin, je rentre plus tard. Rassure les autres.
La courte longueur de ses différentes phrases avait été un moyen de distribuer ces informations sans montrer ses réelles intentions. Malgré la colère qui tendait tout son corps, il devait se contrôler et ne donner aucune piste. Toutefois, une interrogation subsistait : pourquoi Scott se montrait-il aussi véhément envers son ancien meilleur ami ? Derek comprenait bien qu'il puisse se sentir trahi, mais était-ce une raison pour le menacer de la sorte ? « Je le tuerai. De mes propres mains, sois-en sûr. » Une chose était certaine, le bêta n'avait aucunement l'intention de laisser ça arriver et c'était d'ailleurs pour cela qu'il avait choisi de lui répondre alors qu'il n'avait qu'une envie : l'ignorer et le laisser mariner dans son inquiétude. Il était hors de question qu'on attente à la vie de Stiles juste parce que Derek ne répondait pas. C'était insensé. L'hyperactif avait bien assez de choses à gérer et le loup-garou n'avait absolument pas l'intention de lui rajouter le poids de son propre silence sur ses frêles épaules. Trop occupé à contenir sa colère qu'il faisait en sorte de ne pas laisser paraître alors qu'il se mettait à répondre aux autres pour se calmer, il n'entendit pas le rythme cardiaque de Stiles changer, ni celui-ci se lever.
