Stiles était essoufflé. Rentrer au bunker, s'autoriser une crise de panique suivie d'une crise de larmes puis cautériser ses plaies lui-même et pour finir continuer de contenir ses pouvoirs montants n'était pas une mince affaire. A vrai dire, c'était même épuisant, parce qu'il n'avait personne pour l'aider, personne pour le calmer et il n'allait certainement pas demander à son père de rentrer pour le moment. Chez Deaton, il était en sécurité et mieux valait éviter d'aller et venir hors du bunker comme il l'avait fait en ce jour. Pour cette raison, il ne l'informa même pas de l'incident au loft. Pourquoi l'inquiéter ? Noah avait bien assez de soucis comme cela, ce n'était pas la peine d'alourdir un peu plus ses épaules déjà affaissées par tant d'années passées à se cacher, à s'inquiéter du lendemain.
Stiles pouvait bien assumer seul ses malheurs pour une fois, ça ne pouvait pas lui faire de mal.
xxx
Lorsque Stiles se présenta devant l'immeuble du loft trois jours plus tard, il se demanda pourquoi il continuait de s'acharner alors qu'il y avait toutes les chances pour que le scénario de la fois précédente se répète. Il entra dans l'ascenseur, appuya sur le bon bouton et tira sur les manches de sa veste. Ce n'était pas bon, ce qu'il faisait. Aller et venir, rentrer au bunker, en sortir… Il prenait des risques. Son père, lui, était toujours chez Deaton. Le vétérinaire préférait qu'il reste là, en attendant que les choses se calment. Il avait bien proposé à Stiles de venir chez lui, mais l'hyperactif avait répondu que ce n'était pas la peine, que le bunker lui convenait parfaitement. Or, c'était on ne peut plus faux. Chaque jour qui passait dans cet endroit était plus déprimant que le précédent. En fait, il avait carrément peur. Parfois, les murs lui paraissaient trop fins, d'autres fois, la matière travaillait et faisait du bruit. Et Stiles, seul dans cet abri souterrain, en était parfois terrifié. Il fallait dire que tout ce qu'il avait vécu ces derniers jours ne l'aidait pas vraiment à relativiser. Chaque bruit le faisait sursauter, chaque pseudo courant d'air qu'il provoquait le faisait frissonner et se tendre. Il faisait alors le tour de l'endroit pour vérifier qu'il n'y avait personne, une barre de fer à la main.
Mais Stiles ne se plaignait pas, il ne disait rien, comme il n'avait toujours rien dit de sa presque mort à son père. Ce n'était pas grave de toute façon, ce n'était pas comme si sa vie avait une réelle importance… L'incident avec Scott l'avait réellement ébranlé. On pouvait même dire qu'il avait continué de le briser. Stiles était déjà à terre, mais l'alpha avait piétiné le peu d'amour-propre et de confiance qu'il avait encore, que ce soit envers les autres ou envers lui-même.
Stiles sortit de l'ascenseur et eut bien du mal à dissimuler sa peur. Oui, il était terrifié. Que lui avait-on préparé, cette fois ? Comment allait-on l'accueillir ? Oh, il n'était pas obligé de venir. Il aurait très bien pu ignorer le nouveau message de Lydia lui demandant de l'aide. Parce que si c'était pour se faire humilier une nouvelle fois, ce n'était pas la peine. Pour se faire tuer, encore moins. Mais Stiles était faible et son amour pour la meute était trop grand. Puis, il avait tant perdu qu'un peu plus ou un peu moins… Cela ne ferait pas beaucoup de différence.
Stiles ne toqua pas, il attendit qu'on remarque sa présence. Pendant ce temps-là, il décida de laisser ses pensées divaguer, pour ne pas dire qu'il n'arrivait pas à les retenir. Pourquoi avait-il aussi facilement accepté de revenir en sachant qu'il risquait sa vie ? Aimait-il souffrir ? Non, bien sûr que non, mais… Il les revoyait. C'était bête, mais il les revoyait, simplement. Bien loin de réchauffer son cœur, ça le brisait. Il faisait avec. Il profitait, savait que bientôt, il ne reverrait plus personne. De toute manière, Stiles était bousillé alors il faisait n'importe quoi et prenait les mauvaises décisions, mais c'était comme ça.
La porte s'ouvrit et Stiles baissa aussitôt les yeux dans une attitude de soumission qu'il ne contrôlait même pas. En fait, il s'attendait à être tiré de force à l'intérieur du loft, comme la fois précédente et il préférait essayer d'emmurer son cœur pour supporter cette entrevue qui, il l'espérait tout de même au fond de lui, ne se déroulerait pas de la même manière.
Mais on ne le tira pas violemment à l'intérieur du loft, on l'invita à entrer.
Et il entra sans regarder personne, ni même celle qui lui avait ouvert. Il n'était pas prêt à affronter leurs regards. Il ne voulait pas savoir ce qu'il pourrait trouver dans leurs yeux si expressifs. Déjà qu'il muselait autant qu'il le pouvait ses capacités empathiques… Oh, il avait de nouveau des lentilles restrictives, mais elles fonctionnaient étrangement mal, comme si Stiles était trop cassé pour que ça ait un véritable effet sur lui. A la rigueur, ses capacités de X était largement réprimées, ainsi que sa Tk : mais pas son empathie. Alors il se bridait tout seul, se restreignait à son maximum, tout en faisant son possible pour ignorer les potentielles émotions qu'il percevait et qui venaient d'eux. Et dieu sait qu'il y en avait. Il fit cependant tout ce qui était en son pouvoir pour les ignorer. Si on devait à nouveau l'agresser, il aimerait au moins ne pas ressentir à nouveau cette haine meurtrière. Et puis s'il en venait à mourir, cette fois… Eh bien, tant pis. Ce n'était pas comme s'il accordait encore une réelle importance à sa vie, gangrénée par ses pensées noires qui ne le quittaient plus. Son instinct de survie ? Mort depuis un moment.
On le poussa vers un fauteuil, on lui parla, on lui expliqua la raison de sa présence et s'il y eut quelques questions concernant comment il pouvait aller, Stiles ne s'en souvint pas. Il savait qu'il n'était pas là pour qu'on s'intéresse à lui, alors il éludait dès qu'il sentait que le sujet pouvait dériver vers lui. En fait, il ne faisait même pas attention à qui pouvait lui parler. Il répondait mécaniquement et c'était tout. On avait besoin de son aide ? Il acceptait de la donner sans résister.
Autour de lui, tout le monde était perturbé. Scott était là, mais confiné à l'étage et surveillé par Théo, histoire qu'il ne s'en prenne pas à nouveau à Stiles par inadvertance. Les autres observaient Lydia lui parler, lui expliquer la situation. Les meurtres s'enchaînaient à une vitesse inquiétante et en ville, on commençait à se poser des questions. Mais ce qui déroutait actuellement la meute, ce n'était pas ce massacre, mais bien l'attitude de l'hyperactif. Lydia elle-même peinait à garder un air « professionnel » et sérieux. Très honnêtement, personne ne pensait que Stiles accepterait de revenir, surtout après ce que Scott lui avait fait. Mais il était là, il n'avait pas hésité et c'était à se demander s'il avait un instinct de survie. Toutefois, son audace de la veille, qui avait permis de révéler les véritables intentions de Scott, s'était complètement envolée. Il n'avait plus un mot de travers et parlait bas. S'il dissimulait la plupart de ses émotions, l'on sentait toutefois la peur dans son odeur un peu fade.
Ce qui surprenait également la meute, c'était ses yeux. Ils étaient de nouveau faux, ambrés. On lui avait également demandé des explications là-dessus et il avait mécaniquement répondu que, sa dernière paire de lentilles ayant été bousillées la fois précédente, il en avait demandé une à Deaton, sans préciser qu'il avait trouvé une excuse pour ne rien révéler de ce qui lui était arrivé, comme il omit sciemment d'ajouter que c'était une des dernières paires que le vétérinaire avait en stock. Puis, enfin, l'interrogatoire prit la tournure qu'attendait la quasi entièreté de la meute, et qui était la raison précise de la venue de Stiles au loft :
- Ton peuple… Les Psis. Comment on peut les vaincre ?
C'est à peine si Stiles leva les yeux vers Lydia, qui menait l'échange d'une main de maître malgré la nervosité que provoquait chez elle l'attitude complètement déroutante de l'hyperactif. Et puis, il n'y avait pas que ça : la fatigue de Stiles était non seulement visible, mais palpable. Ses cernes prononcés montraient qu'il ne passait pas de très bonnes nuits ou qu'il n'avait pas dormi depuis plusieurs jours. Elle n'était pas loin de la vérité. En effet, le fils du shérif ne dormait pas plus de deux heures par nuit tant il était préoccupé et torturé intérieurement. La tentative de meurtre de Scott sur sa personne l'avait également bien marqué et il avait angoissé, s'attendant à voir la meute débarquer au bunker à tout moment pour venir mettre un terme à son existence. Sa pâleur était aussi très importante et ses joues semblaient déjà un peu plus creuses. Les blessures sur son cou, grossièrement cautérisées, en mettait mal à l'aise plus d'un, rappelant que Stiles s'était intentionnellement brûlé pour faire cesser les saignements définitivement. Mais une partie du groupe ignora ces détails qui les mettaient mal à l'aise. Ils n'étaient pas encore prêts à accepter de reconsidérer Stiles. S'ils n'avaient aucune haine envers lui, ils lui gardaient encore une certaine rancune, se rappelant de toutes ces fois où il aurait pu les aider, les sortir de situations toutes plus dangereuses que les autres. En fait, ils n'avaient pas assez de recul sur ces choses-là.
Derek, si.
Lui, il lui avait complètement pardonné et s'était déjà avoué à lui-même qu'il était inquiet pour l'hyperactif. Il avait déjà repéré les membres de la meute qui avaient commencé à changer d'attitude depuis l'incident avec Scott. Lydia était celle qui semblait presque avoir autant de recul que lui. Jackson commençait à avoir un regard un peu moins agressif, Isaac également et Derek percevait parfois un regard inquiet de la part de Liam. Les autres préféraient ignorer ce qu'ils avaient sous les yeux mais il était certains que les choses changeraient bientôt. Il l'espérait. Toutefois, il ne pouvait pas intervenir directement : Stiles restait membre d'une espèce différente, considérée comme ennemie par la meute pour l'instant. Prendre parti de manière ostentatoire reviendrait à provoquer une vague de méfiance dans la meute, et pas seulement le concernant. En fait, ils risquaient tous une implosion de leur groupe. Il fallait consolider leurs liens pour ensuite qu'ils voient que Stiles était toujours Stiles, malgré ce qu'il leur avait caché à tous.
- On peut pas. Vous pouvez pas.
La réponse de Stiles avait mis du temps à venir et l'on avait cru qu'elle ne sortirait jamais de sa bouche. Son regard vide n'aidait pas.
- Qu'est-ce que tu veux dire par là ? S'enquit Lydia, qui tentait comme elle pouvait de garder une neutralité de façade.
- Vous, de votre côté, vous ne faites pas le poids, lâcha l'hyperactif d'une voix lente et lasse, du moins dans un sens. Sur le plan physique, vous êtes plus forts qu'eux, c'est certain. Mais sur le plan psychique… Vous n'avez aucune chance. Vous aurez beau être armés et avoir un plan infaillible, vous ne pourrez rien faire. Pour certains, il suffit d'une pensée pour faire exploser un cerveau.
L'aveu lâché toujours aussi mécaniquement en fit frissonner plus d'un. Mais quelle était donc cette espèce ?
- D'après ton père et Deaton, t'es super puissant, débita Malia, perplexe. Pourquoi tu ferais pas quelque chose, toi ?
Même si elle posait honnêtement la question et sans aucune once de méchanceté, Malia avait un culot monstre que Derek releva immédiatement intérieurement. Oui, c'était culotté de demander à Stiles, en plus de venir au loft à deux reprises pour avoir son aide, de faire quelque chose dans cette situation. Le faire agir alors qu'il avait été viré de la meute. Une nouvelle fois, ses yeux bleu-vert se risquèrent à fixer les marques sur son cou. Le loup serra les poings. Scott n'aurait jamais dû lui faire ça. Jamais. Comme Stiles n'aurait jamais dû être écarté de la meute de la sorte. Tout était allé bien trop vite. Il voulut parler, rétorquer quelque chose, mais il se retint : Stiles ouvrait la bouche.
- Je peux rien faire contre eux.
Il y eut un silence, puis Malia reprit :
- Mais pourquoi ? C'est du pipeau ce qu'ils nous ont raconté ? Tu nous as encore menti ?
Derek lança cette fois-ci un regard noir à sa cousine. Famille ou pas famille, elle n'avait pas à lui parler comme ça. Et puis, il avait senti un changement dans l'odeur de Stiles. Un changement infime mais bien présent. L'hyperactif baissa la tête et fixa son regard sur ses mains. Elles n'étaient plus bandées, laissant ses plaies à l'air libre. Derek faillit avoir un sursaut, se rappelant un peu brutalement à quoi elles étaient dues. Stiles avait essayé de ramasser les bouts tranchants du verre qu'il avait cassé en y allant franco, sans prendre aucune précaution. Le contraste entre l'être puissant qu'on lui avait dépeint avait du mal à se superposer à celui de l'hyperactif angoissé qui s'était blessé avec du verre.
- T'es pas idiote, Malia. Tu te doutes bien que si j'ai fui mon peuple et que si je me suis caché sous une identité humaine… C'était pas pour faire joli.
Il marquait un point. Sa voix n'était pas assurée et il répondait toujours avec une retenue folle et une peur notable. Lydia, semblant comprendre le problème qui se posait, décida de reprendre les rênes de la conversation. Toutefois, elle savait que Malia l'avait amenée sur une pente glissante et que tout le monde attendait une réponse claire de la part de Stiles. Elle lança un regard à Derek et tous deux se comprirent étrangement bien. Le loup hocha la tête de manière imperceptible et la banshee se rapprocha du fauteuil dans lequel était installé Stiles. Elle lui demanda d'un ton un peu plus doux qu'elle ne le devrait :
- Est-ce que tu pourrais nous expliquer ce que tu voulais dire quand tu as dit que tu ne pouvais rien faire ?
Elle ne voulait pas poser cette question, mais craignait qu'on ne la lui pose de manière plus violente et sèche, comme Malia avec son culot et sa franchise trop prononcée.
Stiles soupira et sembla se ratatiner dans son fauteuil. Il était mal à l'aise et l'impression qu'on pouvait le tuer à tout moment ne partait pas. Pourtant, il continuait de coopérer avec une facilité folle, comme s'il avait peur qu'on se retourne contre lui d'un seul coup, comme Scott l'avait fait.
- Je suis efficace… Dans mes domaines. Si on parle de force brute, alors oui, je… Je suis puissant. Mais chez les Psis, c'est pas la puissance qui fait le pouvoir. C'est le psychisme et le nombre. Je peux… Je peux mettre à terre facilement des dizaines d'hommes en même temps, mais il suffit d'un bon télépathe ou d'un bon télékinésiste pour me faire tomber. Le monde Psi, c'est… Beaucoup plus compliqué que vous ne l'imaginez. Il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte.
- Alors explique-nous, Stiles. On est là pour ça, dit-elle, bienveillante sans l'être trop.
Lydia avait adopté la même stratégie que Derek. Si elle ne voulait effectivement pas trop brusquer l'hyperactif, elle savait qu'elle ne pouvait pas encore ouvertement montrer qu'elle était de son côté. Et puis, Stiles n'était pas là pour rien. Malheureusement, il avait seulement été convié pour les informer sur son peuple. Il était très étonnant qu'il soit revenu malgré l'acte avorté de Scott, mais le fait était qu'il faisait acte de présence. Il fallait en profiter, même si ce n'était pas pour les bonnes raisons.
- Je ne sais même pas par quoi commencer… Articula-t-il en regardant dans le vide.
Pas une fois l'hyperactif n'avait relevé les yeux vers l'un des membres de la meute. Pas une fois.
- Comment ton peuple fonctionne ? L'aida Lydia. Comment il s'organise ?
Autour d'eux, tout le monde se taisait et écoutait religieusement la conversation. Malia mourrait d'envie d'intervenir et d'ajouter son grain de sel, mais Derek la surveillait et Peter aussi, même s'il était plus discret.
- On a un Conseil, leur apprit-il en se triturant nerveusement les doigts. Il régit l'espèce entière. C'est lui qui a imposé la mise en place du protocole Silence.
De cela, Alan Deaton et Stilinski leur en avait déjà parlé, mais de plus amples informations étaient nécessaires.
- Parle-nous de ce protocole, lui intima doucement Lydia.
- C'est… Un conditionnement. Il vise à supprimer les émotions. Mon père vous a déjà raconté pourquoi il a été mis en place, et…
- Viens en au fait, le coupa Jackson.
Derek lui lança un regard noir et, intimidé, le kanima détourna le sien.
- Tu peux reprendre, lui assura Lydia, compréhensive.
- Il n'y a pas grand-chose à dire dessus si ce n'est qu'il a détruit la classification E. Les Empathes… On peut pas vivre sans émotion, c'est impossible, ça nous rend fou. Forcément, ça ne plaît pas au Conseil. Il faut que tout soit pareil, que toutes les mêmes lois soient appliquées à tout le monde, ils n'accordent le droit à aucune exception. L'exception n'a pas sa place dans un monde parfait.
La dernière phrase en fit tiquer plus d'un, surtout que la voix de l'hyperactif avait eu un léger tremblement en la prononçant. Elle eut le don de provoquer des frissons tant elle mettait mal à l'aise. Avant même que Lydia puisse lui demander d'expliciter, Stiles se tritura un peu plus nerveusement les doigts et prit la parole d'office :
- Ils se considèrent comme une espèce parfaite. Si t'as le malheur de pas entrer parfaitement dans le moule imposé par la société Psi, tu es soit recadré, « arrangé », soit mis à mort. Il n'y a pas d'entre deux et la tolérance n'existe pas. Tu es un E-psi, tu as un rang empathique trop élevé pour ta rééducation, on te tue. Et ça passera pour un suicide ou un meurtre humain. Ou alors, une déviance : ils adorent utiliser la déviance pour justifier leurs actes, c'est un argument de plus pour imposer encore plus durement Silence.
Le ton de Stiles montrait un désespoir non feint, qu'il laissait fuiter sans s'en rendre compte dans son odeur. Il enchaîna, sans se soucier des potentielles réactions des membres de la meute :
- La rééducation, c'est horrible. Plutôt mourir que de la subir. Se faire détruire psychologiquement et psychiquement juste pour rentrer dans le moule… Je pouvais pas. Mon père non plus. C'était pas possible. Pour survivre chez les Psis si tu es différent, tu n'as pas d'autre choix que de subir une lobotomie complète durant laquelle on va complètement détruire ta personnalité ou alors… Tu fuis. Tu te caches. Et eux, ils continuent de chasser, de poursuivre, de traquer le moindre E encore en vie, juste pour garder la maîtrise sur l'entièreté de la population Psi.
En fait, Stiles allait un peu plus loin que ce qu'on lui demandait, sans même s'en rendre compte. Malgré ce qui lui était arrivé récemment, c'était la première fois qu'il pouvait parler de cela avec quelqu'un d'autre que son père et ça le poussait à s'exprimer un peu plus que nécessaire. Sans doute le regretterait-il plus tard, mais il avait… Besoin de parler, même si c'était pour se faire couper.
- On peut pas les vaincre, on peut pas. Ils sont trop nombreux, ont dans leur rangs plus de télépathes et de télékinésistes que vous n'en verrez jamais, sans compter toutes les autres classifications. Et puis, ils ont les Flèches aussi, et j'ai… J'ai failli les rejoindre. On peut rien faire face à eux, pas même moi. Ils sont trop nombreux, répéta-t-il d'un air désespéré, et tous sous la solde du Conseil. Le Conseil est d'une puissance monstre. Il est au-dessus de toutes les lois. Ce que le Conseil veut, le Conseil l'obtient. S'il veut éliminer les E jusqu'au dernier, il n'en restera plus un seul, quoi qu'on fasse.
La franchise de Stiles était surprenante et il était clair qu'il ne mentait pas : chacun de ses battements de cœur était épié, analysé, décortiqué. Son rythme cardiaque n'avait souffert d'aucun raté. Mais sa nervosité, elle, croissait. A travers ses paroles alarmistes, ses mensonges prenaient du sens. Le monde des Psis était sans pitié, encore plus que celui des métamorphes comme les loups-garous. Le mystère qui l'entourait était toutefois encore épais et malgré le bouleversement qu'elle voyait chez Stiles, Lydia fut obligée de lui demander de plus amples informations, notamment sur ce qu'il avait cité : les Flèches. L'hyperactif prononça difficilement les paroles suivantes :
- C'est un groupe de combattants d'élite Psis. Ils sont formés pour devenir des machines à tuer.
Le regard de Stiles n'était pas fixe. Il allait et venait de sa main gauche à sa main droite, parfois il allait jeter un œil aux escarpins parfaits de Lydia, parfois aux jambes des loups de la meute… Mais jamais, ô grand jamais il ne relevait la tête.
- Et tu as failli les rejoindre ?
- A vrai dire… J'avais commencé la formation. On te repère tout jeune et si tu as le potentiel adéquat, celui qu'ils recherchent, on t'envoie direct dans un de leurs centres de formations. Que tu le veuilles ou non, tu iras quand même si tes dons les intéressent. Et moi, ben… J'avais ce qu'ils voulaient. Et puis après, quand mes parents ont vu que Silence me réussissait pas et que je commençais à derrailler, ils m'ont enlevé du centre de formation et on s'est enfuis.
En laissant maman derrière.
Pour être honnête, Stiles résumait largement l'histoire, édulcorait fortement son récit. Ils n'avaient pas besoin de tout savoir et puis, cette année-là de sa vie avait été très difficile à vivre pour lui. Enfant conditionné, forcé à faire une formation destinée à le transformer en arme de destruction massive, brutalement retiré du centre, il avait vu son Silence durement acquis brisé par ses parents, ce qui n'avait pas été simple. L'enfance est le moment de la vie où l'on se construit et la transition Silence-émotions avait été raide. Stiles avait perdu tous ses repères et avait appris ce qu'était une émotion, tout comme il avait appris qu'il était un E-psi et que ressentir, c'était sa vie. Et puis au même moment, sa mère s'était sacrifiée pour qu'il puisse fuir avec son père. Stiles frissonna violemment en y repensant et réprima la vague de nausée qui montait en lui. Ce n'était pas le moment d'y penser. Il se mit à gratter d'angoisse l'intérieur de la paume de sa main, sans faire attention au fait que des blessures, il en avait un tas à cet endroit-là.
- Donc concrètement, on ne peut rien faire, soupira Liam, dépité.
Il était encore jeune, un peu plus que les autres et sans le regarder, Stiles eut de la peine pour lui. C'était le louveteau de la bande, encore un peu inconscient, innocent. Il pensait sans doute à tous ces morts qui s'accumulaient, ces gens qui ne pouvaient pas se défendre. Et il pensa à quelque chose. Pour la première fois, Stiles releva la tête et la tourna instinctivement vers Derek.
- Vous ne pouvez rien faire et vous ne devez rien faire, lâcha-t-il avec un étrange aplomb – détonnant si on le comparait à son attitude générale.
Tout autour de lui, il y eut des soupirs et des petits bruits offusqués. Avant même que l'un d'eux puisse dire quoi que ce soit, Stiles se leva et se mit face à l'entièreté de la meute. Tant pis s'il prenait des risques, tant pis s'il énervait, tant pis si on avait envie de lui arracher la gorge pour son impertinence. Donner des informations, c'était bien, mais il était hors de question qu'un seul membre de la meute intervienne de manière directe dans cette histoire. Des victimes du Conseil, il y en avait déjà bien assez. Jackson eut à peine le temps de prononcer le mot « pourquoi », lorsque Stiles reprit d'autorité la parole :
- Si vous intervenez directement, ils vous viseront et vous tueront. Ils n'ont aucune pitié. Les obstacles au Conseil sont des cibles en plus à abattre.
- Sauf qu'on ne peut pas ne rien faire, Stiles, tu comprends ? Intervint Lydia, qui ne savait pas où se mettre. Et puis peut-être qu'on s'en sortira. On est une meute solide, on a… On a des gens puissants, nous aussi.
Elle désigna les loups d'un geste vague de la main.
- Vous n'avez absolument aucune chance, tous autant que vous êtes, lâcha-t-il sans prendre de pincette.
Arrête-toi, Stiles, tu prends trop de risques, lui rappela sa petite conscience. Mais l'hyperactif ne pouvait pas ignorer la deuxième petite voix dans sa tête, celle qui l'avait poussé à se promettre de protéger la meute jusqu'à son dernier souffle. Alors oui, il manquait d'instinct de survie quand ça les concernait, oui, il était un peu trop suicidaire en ce moment, mais… Leur vie avait bien plus d'importance que la sienne et ils étaient trop importants pour l'équilibre de Beacon Hills. Combien de drames avaient-ils évité ?
- Sur le plan psychique, vous êtes… Désolé, faibles, dit-il, nerveux. Je veux dire, vous n'avez rien pour vous défendre. Si on vous envoie une déferlante, vous ne pouvez pas vous défendre, vous… Vous avez immanquablement des dommages cérébraux et ça, c'est si vous survivez. Pour survivre face à un Psi ne serait-ce que de bas rang, il faut des boucliers mentaux. Sans boucliers, vous êtes foutus, littéralement. Non seulement on peut pénétrer dans votre esprit, mais on peut aussi vous tuer de l'intérieur. Vous n'imaginez pas les risques que vous pouvez encourir en n'étant pas des Psis.
Stiles tourna à nouveau la tête vers Derek, cet homme qui l'avait sauvé puis qu'il avait sauvé à l'hôpital. Ce loup-garou qui avait formidablement bien résisté, qui avait survécu. Il s'en était sorti malgré un handicap qui, fort heureusement, avait pu être soigné.
- Tu as réussi à survivre, lâcha l'hyperactif en s'adressant à lui, parce que… Je pense que tu as des boucliers. Ils sont faibles, mais ils t'ont permis de survivre à ces deux déferlantes télépathiques que tu as reçues. Tu as survécu, mais à quel prix ? Sans la M-Psi, tu aurais gardé ton handicap à vie. A ta place, beaucoup auraient péri et si tu t'en étais reçu une troisième… Tu serais mort, tu sais ? Quand on doit faire face à des Psis, il ne faut jamais oublier que leur force, c'est leur cerveau et leurs capacités psychiques. Physiquement, vous avez tous l'ascendant sur eux, mais psychiquement ? Si vous disparaissez, qui va protéger Beacon Hills ? C'est une ville où le surnaturel ne manque pas. Sans vous, ce serait le bordel et c'est tout ce que vous récolterez en faisant ça. Vous ne pouvez rien faire, rien du tout et… Et je peux vous le prouver.
Son regard avait retrouvé une petite étincelle de vie, légère, mais tout de même présente, alors qu'il faisait de son mieux pour ne pas trembler. Au fond, il était terrifié, tant son audace pouvait avoir des conséquences. Un faux pas et il était mort. Si s'en aller trop tôt de ce monde lui importait peu, il se rendait finalement compte qu'il ne voulait et ne pouvait pas partir sans leur avoir tout dit, tout montré.
- Alors prouve-le, cracha Malia, très sceptique, mais pas méchante pour autant.
Stiles inspira à fond, essaya de chasser son angoisse qu'il réprimait pourtant assez pour qu'elle n'inonde pas complètement son odeur. D'un geste rapide mais un tantinet tremblant, Stiles retira sa lentille gauche, qu'il rangea dans la petite boîte qu'il avait toujours sur lui. Cette fois, pas question de la jeter. En cas de survie, il savait que Deaton n'avait pas un stock de dépannage infini. A vrai dire, c'était l'une de ses dernières paires. Il ne retira pas la deuxième. Pour ce qu'il allait faire, il n'avait pas besoin de toute sa puissance, bien au contraire. Le plus important était juste de leur faire une petite démonstration, pas de leur faire du mal. Alors c'est ainsi qu'il se présenta, un œil ambré, un œil tricolore. Un tableau d'autant plus perturbant qu'il n'arborait pas un air des plus tranquilles. En fait, sa terreur intérieure commençait à se voir.
- Il va me falloir un volontaire, lâcha-t-il à contrecœur en se torturant à nouveau les doigts d'angoisse.
Derek n'hésita pas une seule seconde et s'avança.
