Isaac n'était pas vraiment sujet à la panique, en général, sauf lorsqu'il se retrouvait enfermé dans un endroit exigu, quelque chose qui lui rappelait les sévices subis par son père. Si l'endroit dans lequel il se trouvait était tout sauf exigu, la présence d'ennemis mortel avait à ses yeux l'allure de lion. Scott l'avait précipité dans la cage aux lions. Il leur avait été jeté en pâture, comme une vulgaire proie dont on savait le temps compté. Le bouclé retint son souffle alors que les trois paires d'yeux meurtriers le sondaient. Son cœur rata plusieurs battements. Il paniquait et la certitude qu'il allait très vite mourir ne l'aidait pas à se calmer.

- Un gêneur, lâcha simplement l'un des Psis d'un ton monocorde.

Sur lui, les yeux des deux Empathes en pleurs étaient sans doute aussi paniqués que lui. Chacun savait que cette situation ne pouvait se solder que dans une effusion de sang et qu'ils n'en réchapperaient sans doute pas. Le plus vieux des Psis silencieux qui se tenait là était un bon Tk et un bon Tp : il allait réduire leur cervelle en bouillie à tous les trois, puis inciser la peau des poignets des deux premiers exécutés pour signifier leur appartenance à la classification qu'ils jugeaient comme déficiente. Voilà comment tout ceci devait se passer.

Voilà comment la meute de Beacon Hills allait perdre un autre de ses membres, tout en assistant à la mort de ceux qu'elle désirait protéger.

Isaac se mit soudain à hurler de douleur en se prenant la tête dans les mains. On se crispa, on voulut intervenir, Scott refusa tout et menaça les plus téméraires. Le bouclé, de son côté, s'effondra très exactement trois secondes plus tard, tremblant, du sang s'écoulant de ses oreilles. Il n'était pas mort, mais bel et bien diminué. Derek, de son côté, était complètement tétanisé. Il se revoyait, à l'hôpital, impuissant face à cet infirmier qui le tuait sans lever le petit doigt et il comprit qu'Isaac avait subi la même chose que lui. Une déferlante télépathique, une frappe unique non pas destinée à le tuer tout de suite, mais bien à le mettre hors-jeu. Comme les autres, il vit avec douleur et horreur le bouclé tenter de se relever, mais ne pas y arriver.

- Ne vaudrait-il pas mieux l'achever ? Demanda l'un des Psis à celui d'entre eux qui paraissait le plus vieux.

- Ce serait en effet judicieux. Quoiqu'actuellement, il ne doit plus être capable de grand-chose. Mais vous avez raison. Suivons notre ligne de conduite. Soyons efficaces.

L'aîné des trois « robots » se tourna vers le pauvre Isaac dont le sang continuait de sortir des oreilles et le toisa d'un air qui aurait été méprisant s'il ressentait… Des émotions. Ce qui n'était pas le cas, bien évidemment.

- Si vous le touchez encore une fois, vous êtes morts.

Les membres de la meute, cachés, mirent un peu de temps à reconnaître cette voix un peu trop dure, plus qu'elle ne le devrait. Ferme et sans appel, elle appelait à l'obéissance ou bien ses menaces promettaient d'être exécutées. Stiles surgit de l'ombre, la figure impeccable quoique le teint un peu pâle. Entièrement vêtu de noir et dépourvu de ses habituels vêtements décontractés, il avança jusqu'à se placer devant Isaac. On le vit jeter un coup d'œil appuyé aux deux E-Psis terrifiés. D'un air tranquille quoiqu'un peu tendu, il retira ses lentilles ambrées, qu'il prit le temps de ranger avec soin dans sa boîte sans qu'aucun des Psis ne fasse quoi que ce soit, trop perplexes pour réagir instantanément. Il releva ses yeux si particuliers dans leur direction, des yeux dans lesquels brillait une détermination sans faille quoiqu'un tantinet teintée d'un désespoir qu'il n'était pas si facile de déceler. Il rangea sa boîte alors que le chef de la troupe face à lui lâchait simplement :

- Un double cardinal, une rareté de la génétique. Voyez-vous cela. Sais-tu que tu vas finir dans nos rangs ?

C'était une question rhétorique, comme si l'homme était plus que certain de ce qu'il affirmait. Comme si la puissance de Stiles ne lui faisait pas peur, mais qu'elle lui paraissait paradoxalement très profitable.

- Quelle est ta classification dominante ? S'enquit le chef.

Derrière Stiles, Isaac continuait de trembler et son état ne semblait pas s'améliorer. Stiles recula d'un pas pour se rapprocher de lui sans trop éveiller la méfiance de leurs ennemis. Toujours cachée, la meute fut incapable de réagir mais la majorité éprouva un vif sentiment de soulagement en voyant un visage connu… Se mettre devant le pauvre Isaac.

- La classification X, répondit Stiles sans mentir.

Autant être honnête.

- Dans ce cas, je te propose un marché. Nous laissons ce jeune homme en vie et en échange, tu viens avec nous.

- Et les E ? Rappela Stiles.

- Nous devons les exécuter. Ils sont déficients.

Cela sonnait comme une évidence, que Stiles n'accepterait jamais. Il parla alors sans réfléchir, mais sut qu'il aurait fait la même chose même après avoir pris son temps :

- Qu'est-ce que vous préférez, récupérer le X, ou tuer le E ?

Il retroussa alors brusquement sa manche, laissant apparaître aux yeux de tous l'horrible mutilation à l'intérieur de son poignet, cette lettre « E » incrustée dans sa chair et qu'il avait refusé de faire disparaître. Il l'exposait au grand jour, trahissant son appartenance à cette classification jugée déficiente et vouée à disparaître sous Silence.

Face à lui, le chef Psi resta interdit un instant. Cette perle rare était aussi idiote que précieuse, mais il devait prendre une décision. En fait, il n'eut pas à réfléchir.

- J'espère que ton esprit supportera la rééducation. Tu es un diamant brut qu'il suffit de polir pour retirer toutes ses tares. Messieurs, attrapez-le.

Stiles eut un rictus mais ne sembla pas surpris le moins du monde : il s'y attendait. Sentant son pouvoir de X monter en lui à une vitesse affolante, il les contint autant que possible, concentrant son esprit sur autre chose. A nouveau, son regard se posa sur les E.

- Je vous en prie, ne m'en voulez pas, les implora-t-il par télépathie.

Il sentit leur étonnement, leur incompréhension, et cela le galvanisa. Des émotions diverses, il lui en fallait et celles qu'éprouvaient ces innocents étaient assez fortes pour ce qu'il comptait faire. Il déploya une main mentale qui arracha purement et simplement sa peur de son être, peur qu'il déplaça et fit pénétrer à l'intérieur du corps de l'un des deux Psis qui avait commencé à avancer d'un air froid vers lui. Le Psi se figea et ses traits se déformèrent violemment.

- Pierce ? L'appela le chef Psi.

- C-chef, je…

La peur qu'il ressentait était violente, d'autant plus qu'il était on ne peut plus silencieux quelques secondes auparavant. Alors, à la peur se succéda une émotion nouvelle : la confusion. La douleur s'invita parmi ce petit monde et le jeune homme se laissa tomber à genoux. Ce que Stiles avait fait était mal puisqu'il condamnait le sbire à la rééducation, mais il n'y avait aucun retour en arrière possible s'il voulait sauver Isaac et les deux pauvres E-Psis. Celle à qui il avait pris sa peur, la mère, ne pleurait plus et arborait une expression d'un calme surprenant pour tous ceux qui assistaient à la scène.

- Leur attention est sur moi, éloignez-vous ! Leur ordonna mentalement Stiles.

La mère eut l'air perplexe mais elle sécha vite ses larmes et se releva doucement en serrant son fils contre elle et les deux se mirent à courir, disparaissant rapidement dans le noir de la nuit. Stiles leur donna un petit coup de pouce puisqu'il choisit de réitérer son acte, en dirigeant cette fois-ci la terreur de l'adolescent vers le chef qui… Ne cilla pas. Alors, ladite terreur se répandit à l'intérieur de Stiles qui se retrouva paralysé un instant. A la différence du pauvre sbire Psi, il ne s'effondra pas. Parce qu'il connaissait la peur, il avait l'habitude de la ressentir et n'était donc pas aussi désemparé que lui. Néanmoins, il ne put empêcher son souffle de se couper quelques secondes. Et dompta son émotion aussi rapidement que possible. Il retroussa ses manches aussi haut que possible et laissa ses mains s'embraser. Mentalement, il para presque instinctivement une attaque télépathique lancée sur ses boucliers qui, même s'ils étaient fragiles, tenaient bon. Les yeux de l'homme, imperturbable, se fixèrent sur les flammes bicolores, à la fois orangées et bleues. Il eut un rictus froid, dénué de toute émotion et lâcha ce qui n'était pour lui qu'un constat :

- Le bleu… La couleur des condamnés.

Il écorchait volontairement Stiles avec cette douleur secrète, intime, celle qui lui rappelait à chaque utilisation de ses flammes qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps. Mais il n'eut pas le temps de s'apitoyer qu'une voix surgit dans son esprit :

- Isole-toi avec le Silencieux. J'ai contacté ma sœur, qui est une M de haut rang. Elle pourra soigner ton ami et ne te demandera rien en échange. Je lui ai donné les coordonnées de cet endroit. Elle est en route.

La E-Psi. Sans jamais avoir entendu sa voix, il savait que c'était elle. Et parce qu'il n'avait pas le temps de réfléchir ni de tergiverser, il choisit de lui faire confiance. De toute manière, il n'avait pas d'autre choix que celui-ci…

- Aucun problème et merci, répondit-il sincèrement.

Malgré cette terreur qui n'était pas la sienne mais qu'il assimilait comme telle, Stiles se décala sur le côté et montra ostensiblement qu'il s'éloignait.

- Tu veux me tuer ? Dans ce cas, il va falloir m'attraper, prévint-il.

Un mur de flammes s'éleva devant le corps secoué de spasmes d'Isaac, un mur aussi protecteur que meurtrier, assez près pour le protéger, assez loin pour ne pas le blesser. Le rictus de l'homme s'évanouit et il déclama :

- J'ai appelé des renforts, tu ne t'en sortiras pas.

- Et ça c'est ce qu'on va voir, lâcha Stiles sans sourire avant de se mettre à courir à une vitesse hallucinante, les bras en arrière, complètement embrasés.

Le Psi, sans pester outre mesure, se mit à le poursuivre et bientôt, on ne les vit plus. Seuls les deux jeunes soldats complètement bouleversés étaient là, au sol, encore plus tremblants qu'Isaac. Dans leur état, ils étaient incapables de faire quoi que ce soit et même si personne n'avait rien compris, le résultat était là : Stiles les avait neutralisés sans bouger le petit doigt. Le mur enflammé s'évanouit et n'y tenant plus, Derek déboula dans la ruelle malgré les menaces répétées de Scott. Il s'agenouilla auprès d'Isaac et le prit dans ses bras. Et alors qu'il allait hurler pour appeler à l'aide, une voix bien connue s'insinua dans son esprit :

- Une M arrive, Derek. Ça va aller pour Isaac, je te le promets.

Et alors qu'il avait juste envie d'égorger Scott et d'appeler tous les secours possibles et imaginables, la voix de Stiles le calma instantanément.

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Stiles allait et venait, courait entre les immeubles de Beacon Hills. La propulsion de son X-feu lui permettait d'aller vite, plus vite qu'un humain lambda, mais c'était dangereux et il le savait, d'autant plus que le nombre d'assaillants le poursuivant était passé de un Psi à… Neuf. Ils étaient neuf à ses trousses. Il ne s'en sortait pas si mal, mais il se retrouva bien vite à bout de souffle, ses poumons tout autant que ses flammes lui rappelant ainsi qu'il n'avait plus la même forme qu'autrefois, qu'il était en train de mourir, lentement. Ce qui était sadique, c'était que le pouvoir qui l'aidait actuellement à se faire la malle le tuait à petit feu – au sens propre comme au sens figuré. Alors forcément, Stiles, était conscient du fait qu'il allait falloir mettre un terme à cette course-poursuite. Ce qu'il allait faire était un tout petit peu suicidaire, mais il le fallait s'il voulait échapper aux Psis qui, contrairement à lui, n'avaient pas l'air de se fatiguer. Ils allaient simplement moins vite que lui. Cette course, de leur point de vue, serait gagnée. Ils l'auraient à l'usure.

Stiles prit une dernière impulsion, ferma les yeux, visualisa l'intérieur du bunker, disparut dans un souffle.

Il s'était volatilisé au milieu d'une pauvre ruelle semblable à celle qu'il avait quittée, sans laisser aucune trace.

Stiles s'était téléporté, usant de ses dernières ressources pour fuir et planter ses assaillants. Il espérait que les E-Psis s'étaient cachés et que la meute, de son côté, avait eu le temps de partir avec Isaac, tout comme il espérait que la M contactée par la E avait soigné son ancien ami.

Oui, il l'espérait sincèrement. Autrement, il ne se le pardonnerait jamais.