Stiles se sentait… Lourd. Lourd et faible. Ouvrir les yeux fut un réel effort, si bien qu'il les referma presque aussitôt. Il était épuisé, il avait besoin de temps. Des bruits légers parvinrent à ses oreilles. Il ne les identifia pas tant ils étaient faibles et… Peu discernables. Une odeur de pin, de forêt, quelque chose d'extérieur, emplit ses narines. Il aimait bien, c'était apaisant et familier. On ne sentait pas cette fragrance dans le bunker. On sentait l'humidité, le métal, le froid, le renfermé. Pas cette liberté donnant l'impression de se trouver en pleine forêt.

Une constatation simple mais assommante l'ébranla.

Effectivement, on ne sentait pas ça dans le bunker.

Stiles rouvrit brusquement les yeux et se força à les garder ouvert. Un sentiment de danger avait pris possession de lui. Il avait été attrapé, on l'avait sédaté, quelque chose, il… Mais il reconnaissait cet endroit. Ce n'était pas une prison, ni une cellule, encore moins un appartement Psi.

C'était la chambre de Derek.

Stiles se redressa péniblement. Son cœur battait vite, sa tête bourdonnait intérieurement, il était mort de fatigue et son angoisse retombait lentement. Oui, c'était bien ça. Il reconnaissait l'ordre à la limite de la manie de Derek, la propreté de la chambre, les rideaux sombres, le plancher rustique… Et puis la photo de sa famille, sur la table de nuit. Ils étaient là, toujours. A jamais dans son cœur. Stiles était déjà allé dans cette chambre avant toute cette histoire de meurtres de E-Psis. Alors oui, forcément, il la reconnaissait, mais ça ne l'aidait pas vraiment. Il était en territoire connu, oui, mais pourquoi ? Ses bras tremblèrent, il se recoucha doucement. Pas longtemps. Il fallait juste… Qu'il réfléchisse un peu, qu'il essaie de voir ce dont il se souvenait en dernier. Le problème, c'est que c'était flou. Il entendait mal, sa vue n'était pas excellente même si elle lui avait suffi à discerner tous les détails l'ayant aidé à identifier la chambre. Il savait à quoi cela était dû : il venait de se réveiller, sans doute d'un long sommeil et souffrait toujours de cette étrange fatigue lancinante, qu'il n'avait pas ressentie depuis longtemps.

Très longtemps.

Il eut alors un flash.

Faiblesse. Epuisement. Engourdissement. Vue floue, perception difficile des odeurs, bourdonnement dans la tête.

Combustion. Il avait fait une combustion.

Au moment où il comprit ce fait, les évènements lui revinrent en mémoire. Liam l'avait tenu au courant du lieu et de l'heure où la meute serait dehors, à faire il ne savait quoi. Il était arrivé, au moment où Isaac s'effondrait après avoir subi une attaque Psi. Il avait sans doute détruit la vie des deux sbires qui, avec un peu de chance pour eux, passeraient par la case rééducation avant de mourir, puis il avait attiré l'attention du chef de la troupe, lequel avait appelé des renforts. Enfin, Stiles avait pensé au bunker et s'était téléporté.

Mais force était de constater qu'il avait un sens de l'orientation mental déplorable.

L'angoisse revint. Merde. Un nouveau sentiment d'urgence l'envahit. Il aurait dû faire attention, bordel, se concentrer, rester focus sur sa destination, il… On allait lui en vouloir ! Et Derek, pourquoi ne l'avait-il pas chassé ? Pourquoi ne l'avait-il pas jeté à la rue dans son sommeil ? Bordel de merde. Faisant fi de son épuisement, Stiles repoussa les draps, ne remarqua pas qu'il avait changé de tenue, se leva un peu vite. Il ignora les vertiges qui le prirent en tenaille, tout comme son mal de tête grandissant. Il devait partir, libérer les lieux rapidement. Ses jambes tremblaient, il n'était pas stable, pas le moins du monde solide sur ses appuis. S'il s'en allait assez vite, peut-être aurait-il un peu de temps avant de s'effondrer, ou bien s'évanouir. Il pouvait tenir un peu même si son corps n'arrêtait pas de lui envoyer des signaux d'alerte. Il s'était levé trop vite, il était épuisé, il avait faim, ses membres étaient encore engourdis. Il ne faisait attention qu'à son angoisse grandissante. Stiles sortit précipitamment de la chambre mais n'alla pas bien loin. Il s'arrêta brutalement, faillit tomber. Son cœur battait trop vite, si bien que sa main s'accrocha à son haut, un vieux t-shirt trop grand pour lui, au niveau de son palpitant.

Derek se trouvait là, face à lui, surpris. Stiles, complètement désemparé, resta un instant interdit. Ses yeux tricolores ne reflétaient qu'une peur immense, une peur qui le tétanisa sur place. Il n'était pas terrifié à l'idée de mourir, non, simplement… En présence de Derek, il perdait tous ses moyens, se sentait minable, laissait involontairement ses faiblesses prendre le dessus. Avec lui, incapable de faire semblant d'avoir confiance en lui, de parler de manière assurer, de ne pas flancher. Le loup ne disait rien, ne faisait rien, mais face à lui, Stiles n'arrivait pas à se sentir autrement que fragile. Et là, ses forces semblèrent l'abandonner doucement. Il recula d'un pas, puis deux et sa main se posa brusquement sur le mur le plus proche de lui. Il allait tomber. Ses vertiges gagnaient en puissance. Alors il fallait qu'il s'appuie sur quelque chose, juste pour ne pas tomber. Pas face à lui, pas devant Derek.

- Hey, calme-toi, lui enjoignit le loup en avançant doucement la main vers lui, jusqu'à la poser sur son épaule.

Stiles tressaillit et ferma les yeux un instant. Il voulait s'excuser. S'excuser et partir. Loin. Rentrer au bunker. S'excuser, encore et encore, lui envoyer un long SMS d'excuses, à ce loup à qui il n'était plus censé adresser un mot depuis des lustres. Oh bordel. Il baissa les yeux sur son corps, sur ces vêtements trop grands pour lui, qui n'étaient pas les siens. Son cœur rata un battement et d'autres détails lui revinrent en tête, mais son esprit était si embrouillé par la peur qu'il ne posa aucune des questions qui lui venaient à l'esprit.

- Je suis désolé, souffla-t-il.

Pour s'être téléporté ici. Pour l'avoir malmené avec son test l'autre jour. Pour avoir échangé avec lui alors qu'il n'était plus censé lui parler. Pour porter ses vêtements. Pour avoir dormi dans son lit. Pour être là, tout simplement.

Ses jambes, qui tremblaient, le lâchèrent soudainement, mais il ne chuta pas. Avec une rapidité prodigieuse, Derek le ramena contre lui, un bras fermement enroulé autour de lui. Plus par instinct qu'autre chose, Stiles s'accrocha au loup alors qu'il savait que ce n'était pas la chose à faire. Mais il allait tomber. Il allait tomber et il avait besoin de se raccrocher à quelque chose. A quelqu'un. Il n'en pouvait plus d'être seul, sans arrêt, de tout garder pour lui. Ses jambes ne tenaient pas, son corps était à bout de force et son esprit était si embrumé qu'il n'avait pas envie d'utiliser sa télékinésie. Il le pouvait, il en était capable, mais il n'en avait pas envie. Il voulait se reposer, il en avait besoin, il…

- Calme-toi, tout va bien, entendit-il.

Contrairement à tous les bruits qu'il avait entendus jusqu'à lors, la voix de Derek parvenait à ses oreilles avec une étrange clarté. Pourtant, il était à deux doigts de tourner de l'œil. Il était si faible… Combien de temps était-il resté inconscient ? Combien de temps avait-il fait l'affront d'occuper ce lit.

- On va descendre, d'accord ? Il faut que tu manges.

Stiles se retint de nicher sa tête dans le cou de Derek. Il abusait. Il ne devrait pas être collé à lui, Derek aurait dû le laisser se rétamer sur le sol… Et puis, pourquoi s'accrochait-il à lui de cette manière ? Pourquoi Derek ne le repoussait-il pas ? Craintif au possible, il s'attendait à rencontrer le sol à tout moment. Derek était gentil, il l'avait peut-être rattrapé par gentillesse, mais après…

- Pourquoi manger ? Demanda faiblement Stiles, le front contre l'épaule du loup.

Sa bouche était aussi pâteuse que sa voix, parler, tout comme garder les yeux ouverts, lui demandait des efforts considérables. Il n'arrivait pas à se tenir droit et sa faiblesse était telle qu'il se reposait presque entièrement sur le loup. Il ne le voulait pas, mais il n'arrivait pas à faire autrement. Il sentit l'étreinte de Derek se raffermir sur lui.

- Tu as passé trois jours à dormir, Stiles, il faut te requinquer, lui répondit tout naturellement le loup, qui le tenait contre lui avec une fermeté impressionnante.

Stiles, de son côté, n'arrivait pas à se résoudre à desserrer l'étreinte de ses doigts sur le haut de Derek, dans son dos. Depuis combien de temps avait-il besoin d'un contact ? Depuis combien de temps avait-il besoin d'une présence ? Bordel, il n'avait pas le droit d'en profiter. Prenant sur lui, il s'éloigna légèrement du loup, se redressa dans son étreinte. Si le fait d'avoir dormir trois jours ne le surprenait pas, l'étonnante prévenance de Derek le prenait au dépourvu. Mais ne l'éloignait pas de son objectif premier : partir. Il ne pouvait pas rester dans ce loft qui lui rappelait douloureusement de bons souvenirs, tout comme il ne pouvait pas rester en présence de cet ancien alpha qui lui faisait si facilement perdre ses moyens.

- Je… Prendrai quelque chose en rentrant, dit-il aussi clairement qu'il le put, même si parler était un défi en lui-même.

Derek, dont il n'arrivait pas à décrypter l'expression, secoua la tête. Stiles fronça légèrement les sourcils, perplexe.

- Non, tu ne le feras pas, soupira le loup, qui prit les devants.

Sans prévenir, il prit l'hyperactif dans ses bras de manière à le porter et au lieu de se débattre, de chercher à toucher le sol, Stiles sembla… S'effondrer dans les bras fort du loup alors que celui-ci le serrait assez fermement pour éviter qu'il tombe. Son corps s'était ramolli, se fondait contre celui de Derek alors qu'il ne pouvait ensuite s'empêcher de fermer les yeux. Il était si fatigué… Et le fait de savoir que cette fatigue n'était pas uniquement due à la combustion ne l'aidait pas. D'un seul coup, il se rendait compte que tout ça, c'était beaucoup à gérer émotionnellement pour une seule personne. Il ne put alors s'empêcher de crisper sa main sur le haut de Derek, entre ses pectoraux. Ses yeux s'étant fermés tous seuls, il ne vit pas le regard plus qu'inquiet de Derek, ni la manière dont ses traits se crispaient. Il se sentit légèrement balloté, sentit chaque marche que Derek descendait pourtant avec lenteur. Puis, le sol redevint plat, et il était si faible qu'il ne ressentit même pas la présence d'autres membres de la meute dans le salon. En temps normal, il aurait fait un scan télépathique dès son réveil. Ainsi, il aurait détecté plusieurs signatures psychiques qu'il connaissait bien, se serait affolé, aurait trouvé le moyen de fuir, qu'importe les conséquences. Mais Derek… Sans rien faire, il le désarçonnait réellement, lui faisait perdre tous ses moyens sans qu'il puisse y faire quoi que ce soit.

- Ne te rendors pas tout de suite, Stiles, s'il te plaît.

Contre lui, l'hyperactif sursauta et se força à ouvrir les yeux.

- Pardon, souffla-t-il, épuisé, alors qu'ils arrivaient dans la cuisine.

- S'il te plaît, reste éveillé, au moins quelques minutes. Il faut que tu manges.

La voix de Derek était un tantinet suppliante, empreinte d'un désespoir que Stiles trouvait étrange. D'accord, l'avoir au loft n'était pas un cadeau, mais tout de même… Stiles réprima comme il le put la peine qui s'insinuait dans son cœur. Derek voulait qu'il s'en aille au plus vite, très bien. C'était parfaitement compréhensible. Mais alors, pourquoi insister pour qu'il mange ? Et puis, Stiles n'était pas certain que cela soit une bonne idée. Il n'avait pas la moindre sensation de faim qui pointait son nez, c'était même tout l'inverse. Rien que de penser à ingurgiter quelque chose, il avait la nausée alors effectivement, il n'aurait rien mangé en rentrant au bunker.

Stiles essaya de se concentrer sur le monde qui l'entourait lorsque Derek le déposa avec douceur sur une chaise. De sa vue floue, il aperçut la cuisine, la table, le mobilier en bois moderne, les luminaires allumés. Dehors, il faisait nuit. « Tu as passé trois jours à dormir, Stiles » lui avait dit Derek. Trois jours. C'était long, plus long que d'ordinaire. Derek réapparut dans son champ de vision.

- Tu tiens, assis, ou tu as besoin de mon aide ?

Stiles assura faiblement que ça allait, même s'il ne le pensait pas du tout. Il était à nouveau à deux doigts de tourner de l'œil. Semblant le remarquer, Derek ajouta qu'il pourrait retourner bien vite dormir s'il le voulait, mais qu'il devait d'abord manger quelque chose. Son corps en avait besoin. Quoi de plus normal, après trois jours à simplement… Dormir ? En moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, Stiles se retrouva avec une assiette devant lui, ainsi que des couverts et un verre d'eau. Il plissa les yeux. Il discernait des pâtes, mais il n'en était pas certain. Son cœur continuait de battre à une vitesse un peu élevée, mais il passa outre et s'attela à la tâche. Plus vite il se serait nourri, plus vite il s'en irait. Il n'avait pas la force de résister, de se battre contre Derek. Cependant, c'était plus facile à dire qu'à faire : ses mains tremblaient et il devait se mentaliser un maximum pour avaler ne serait-ce qu'une bouchée. Manger des pâtes au réveil n'était pas un problème. Le rejet de son estomac, si. Se nourrir était difficile, surtout lorsque l'on angoissait et que l'on était épuisé. Mentalement, il répétait un nombre d'excuses incommensurables qui tournaient en boucle dans son esprit. Oh oui, il aurait de quoi dire pardon à Derek une bonne centaine de fois au moins.

- Il va falloir qu'on parle, Stiles.

L'hyperactif leva doucement ses yeux particuliers vers le loup, qui s'était installé en face de lui. L'angoisse reprit toute la place dans sa tête, dans son odeur et il n'osa rien dire. Il détourna le regard, honteux d'il ne savait quoi, et essaya de prendre une deuxième bouchée. Partir. Il devait partir. Mais d'abord, il posa une question qui le turlupinait – à raison d'ailleurs. Il savait qu'il ne pourrait pas partir sans avoir cette information.

- Comment va Isaac ? Demanda-t-il d'une voix toujours aussi faible, après avoir avalé – difficilement – sa bouchée.

Le visage de Derek ne se détendit pas vraiment. L'inquiétude dans son regard ne diminuait pas. Stiles ressentait ses émotions, mais il était si mal en point qu'il n'y faisait pas attention.

- Il va bien, répondit-il, mais c'est de toi qu'on va parler.

La main de Stiles, celle qui tenait la fourchette, se figea au-dessus de l'assiette. Parler de lui ? Mais pourquoi ? Avait-il encore fait quelque chose de mal ? Outre le fait d'avoir dormi dans son lit, bien sûr… Etonnamment, il vit le regard du loup avec clarté. Regard qui s'illumina très légèrement, signe que son loup était là, presque à la surface. Derek demanda d'un ton plus que sérieux :

- J'ai vu ton visage, ton vrai visage, et pas que. Qui t'a fait du mal ? Ce n'est pas un de ces Psis, n'est-ce pas ?

Stiles lâcha la fourchette, qui rebondit très légèrement sur la table sous la pesanteur avant de s'immobiliser complètement. L'hyperactif se sentit défaillir et sa nausée revint en force. Bordel, il avait oublié.

La combustion l'avait tellement épuisé qu'il avait complètement laissé tomber son masque illusoire. L'angoisse prit une place folle, grignota plus de terrain qu'elle n'en avait déjà et donna à ses iris une teinte un peu plus sombre, plus instable. Le peu de forces qu'il avait encore menaça soudainement de s'envoler. Une bouffée de panique prit possession de lui.

Et ses pensées allèrent vers Lydia.

- R-rien, c'est… Rien, articula-t-il difficilement.

Personne ne devait savoir.