Le cœur de Derek oscillait entre horreur et fascination. Lui et Moira avaient trouvé les cinq Psis. Leurs yeux à tous les deux ainsi que l'odorat du loup permettaient aisément de comprendre ce qu'il s'était passé. Et c'était terrible. Stiles leur avait à chacun fait fondre un doigt sans ressentir aucune émotion. Il avait fait ça de sang-froid. Mais ça ne lui ressemblait pas. De toute manière, cela faisait plusieurs jours qu'il agissait comme s'il se retrouvait dépourvu du moindre sentiment.

C'est alors qu'il vit les épaules de Moira s'abaisser.

- Il agit sous Dissonance. Je n'en suis pas certaine mais pour moi, ça y ressemble.

Alors qu'ils avançaient cette fois-ci en direction de la colonne de feu qui continuait de s'élever majestueusement dans le ciel, Derek l'interrogea du regard. Il lui semblait déjà avoir entendu ce mot, mais il n'en était pas certain. De toute manière, il savait que quelque chose clochait car, à bien y réfléchir, il avait déjà vu Stiles agir de cette manière si froide, si fade, si… Emotionnellement vide. Oui, voilà, il s'en souvenait : c'était lorsque l'hyperactif avait effectué cette espèce de test sur lui, pour prouver à la meute entière qu'il ne fallait pas prendre la menace que représentaient les Psis à la légère. Si ces derniers jours, il était comme ça également, Derek n'avait pas pris la mesure de ce fait jusqu'à maintenant.

En comparaison, Moira semblait perdre sa froideur de jour en jour… Voire d'heures en heures. En tout cas, elle avait réellement l'air de se préoccuper de lui. De son sort. Et elle savait des choses sur lui alors qu'elle le connaissait à peine.

- Je ne suis pas Psi, déclama Derek en voyant qu'elle ne disait rien de plus. Je ne sais pas ce que c'est, la…

- La Dissonance, l'aida la M.

Elle jeta un coup d'œil clairement inquiet à la colonne de feu avant de tourner la tête vers lui et le regarda d'un air sérieux.

- Il faut qu'on accélère.

Derek hocha la tête mais fit attention à un détail qui avait son importance.

- Tu es pieds nus, si on va plus vite, tu vas te faire mal.

Quoiqu'il était en train de se dire que c'était déjà fait – il commençait à capter dans son odeur et dans l'air ambiant une fragrance qu'il connaissait bien. Moira haussa les épaules et reprit sa marche, mais Derek lui proposa quelque chose. Une dizaine de secondes plus tard, la jeune femme avait fendu sa jupe sur le côté pour pouvoir passer ses jambes autour de la taille du loup sans que son vêtement ne pose problème. Un bras autour de ses épaules, elle tenait les vêtements destinés à Stiles de l'autre tandis que Derek accélérait sensiblement le pas.

- La Dissonance, finit par lâcher Moira, c'est une cage. Une cage spécifique aux émotions.

Derek l'encouragea à continuer alors qu'à son tour, il jetait un coup d'œil à la colonne de feu. Elle semblait devenir graduellement moins large, un peu plus faible. Sans doute sa vue était-elle fatiguée – la lumière que dégageaient les flammes était vive, très vive. D'une vivacité mortelle.

- Généralement, on utilise ça pour les Psis un peu résistants à Silence. Des Psis qui se font au conditionnement, mais qui ont encore un peu de mal à réfréner certaines émotions. C'est une cage que tu tisses ou que l'on tisse pour toi – si on accède à ton esprit –, dans laquelle on enferme tes émotions. Se met alors en place tout un système. Si tu t'autorises à ressentir quelque chose qui dépasse la tolérance laissée à ta Dissonance, tu en paies le prix. Pour dire les choses plus simplement, tu reçois une décharge électrique.

Derek se crispa. Les décharges électriques, il connaissait. Sauf que le but de la Dissonance n'était pas le même que ce que la raison pour laquelle des chasseurs l'avaient torturé, lui. Alors qu'il pensait à cela, le mot raisonna en lui.

Torture.

Derek eut la gorge sèche. Et il vit rouge.

- Qui lui aurait mis cette Dissonance ? Demanda-t-il.

Il ne supportait pas l'idée d'un Stiles à la personnalité en cage. L'idée que l'hyperactif se serait fait ça seul ne lui vint même pas à l'esprit. Le châtain était indissociable de ses émotions.

- A ton avis, Derek ? Je n'ai pas accès à son esprit, et ta meute encore moins. Mais si tel est réellement le cas, s'il a réellement mis en place sa propre Dissonance, il sait qu'elle peut le détruire. Un Empathe, répéta-t-elle, ne peut pas vivre sans émotions. Passée une certaine durée, ou il perd la raison, ou il meurt. Parfois, les deux se suivent. Et le double cardinal le sait. En tant qu'E-Psi qui a sciemment rejeté Silence, il ne peut pas ne pas être au courant de ce fait.

Ce qui signifiait qu'il était parfaitement conscient de ses agissements et des risques qu'il encourrait. Le mot « suicidaire » fit une nouvelle apparition dans son esprit. Ça collait, sans toutefois coïncider totalement. Alors qu'il s'était carrément mis à courir, Moira sur son dos, Derek jeta un nouveau coup d'œil à la tour ardente. A nouveau, l'impression qu'elle faiblissait en termes d'intensité le frappa. Aussitôt, il eut peur. Est-ce que Stiles allait bien ? Même s'il connaissait la forêt par cœur, le loup-garou ne pouvait pas aller plus vite que la musique. Si courir lui permettait de gagner du temps, il ne pouvait le faire sous sa forme de loup, au risque de laisser Moira sur le bas-côté. Et il savait qu'elle leur était utile – précieuse, même. D'autant plus qu'elle les aidait, au sens propre du terme. Derek ne connaissait pas ses motivations mais du peu qu'il réussissait à décrypter grâce à ses sens olfactifs, la M-Psi n'était pas mauvaise, au contraire. La preuve en était qu'elle était intervenue au moment où le Conseiller s'apprêtait à tous les tuer. Qu'au même moment, elle s'était alliée à Stiles pour le vaincre et qu'ensuite… Elle avait tout donné pour sauver l'hyperactif. Et même si elle était Psi, même si ses facultés psychiques devaient être surpuissantes pour le loup-garou, la jeune femme ne pourrait rien faire contre une meute quasi-entière. Derek sentait qu'elle n'était pas faite du même bois que Stiles. Leurs capacités étaient différentes et le peu qu'ils semblaient avoir en commun n'était guère utilisé de la même façon.

Alors voilà, Derek avait besoin qu'elle reste avec lui, au moins le temps qu'ils récupèrent Stiles et qu'ils rentrent au manoir. De manière générale, il n'était pas du genre à abandonner qui que ce soit – enfoirés de type Scott McCall mis à part. D'ailleurs, il n'avait aucune idée d'où il se trouvait et il n'en avait strictement rien à faire. Après ce que l'alpha avait osé faire à Stiles, puis à Isaac et après que Derek ait appris pour le passage à tabac de l'hyperactif, le noiraud n'avait aucune envie d'entendre parler de lui. Si les actes horribles qu'il avait effectués contre Stiles étaient horribles et d'ores et déjà impardonnables, le fait de jeter Isaac en pâture aux Psis avait tout, sauf arrangé les choses.

Derek ne lui pardonnerait jamais cette trahison et ne considérait plus le latino comme son alpha.

A force de mirer la tour enflammée qui, il en était désormais certain, était doucement en train de rétrécir, Derek s'interrogea. Et interrogea Moira.

- Il se purge, finit-elle par lâcher. Les X-Psis ont un pouvoir… Qui grandit en permanence, si j'ose dire. En d'autres termes, il fait sortir le trop plein de pouvoir de son corps, histoire de garder le contrôle. C'est quelque chose qu'il doit faire de temps à autres s'il ne veut pas se laisser submerger.

La gorge de Derek s'assécha. Cela faisait déjà plusieurs minutes que Stiles avait érigé cette tour de flammes, une tour qui semblait vivante et la source de ce feu semblait inépuisable.

- Sauf que dans ce cas précis, il ne fait pas que se purger, le prévint-elle. Il montre qu'il est là. Ça fait partie de sa mise en garde, à mon avis. Se purger si proche d'une ville où a lieu une expédition punitive Psi… Ce n'est pas du hasard. Il faut qu'on se dépêche.

Par là, elle ne donnait pas d'ordre à Derek. Pas vraiment. Il y avait une urgence réelle dans sa voix, une urgence qui fit frissonner le loup-garou.

- Après une purge, les X ont généralement… Besoin de temps. Faire ça, ça les épuise. Je ne suis pas certaine qu'il sera en état de se défendre si un Psi arrive jusqu'à lui.

Légère pause. Puis, elle reprit d'un ton agacé :

- C'est pour ça que je trouve son action stupide et… Dangereuse. Le double cardinal… A-t-il déjà fait montre d'un semblant d'instinct de survie dans sa vie ?

Dans d'autres circonstances, Derek aurait pu rire. Sincèrement. Rire parce qu'il ne comptait plus le nombre de fois où il s'était posé cette question.

- Rarement, répondit-il toutefois sérieusement sans ralentir.

Il passait entre les arbres, réfléchissait au chemin le plus court. Si Moira avait raison, si Stiles était aussi vulnérable qu'elle l'avait dit… Il allait avoir besoin qu'on le couvre en cas d'attaque soudaine. Derek ne pourrait peut-être pas faire grand-chose en tant que loup-garou mais avec la M-Psi à ses côtés pour assurer ses arrières, ça devrait le faire.

Néanmoins, un détail l'embêtait. Tout portait à croire que Stiles agissait sans réfléchir. Qu'il donnait tout pour protéger la meute et les E-Psis des assassinats en série des Psis. Qu'il se mettait en danger sans se soucier de sa propre sécurité. Qu'il était suicidaire, encore une fois. Honnêtement, avec tout ce que Derek savait, il pouvait considérer que Stiles pouvait potentiellement l'être.

Mais l'hyperactif n'était pas stupide. Il se mettait en danger seul, oui. Sauf qu'il avait sans doute pensé à quelque chose. Ou il avait un plan et un moyen de s'en sortir, ou il avait d'ores et déjà tendu un piège aux Psis qui voudraient lui nuire. Derek avait toujours trouvé Stiles inconscient, mais il n'avait jamais douté de son intelligence. Le châtain, humain ou Psi, n'était pas du genre à faire les choses sans avoir réfléchi au préalable. Il était comme Lydia : il calculait la plupart de ses actions ou du moins, se penchait sur leur impact avant de les réaliser. Alors non, pour lui, rien de tout cela n'était dû au hasard ou uniquement réalisé sous l'élan d'une pulsion suicidaire.

Derek n'était toutefois pas rassuré pour autant. Ce que faisait Stiles restait dangereux et effectivement inconscient, sur certains aspects du moins. Dans un sens, il avait bien fait de mettre un coup de pression à la population Psi, mais la manière dont il s'y était pris… Le message était clair. Stiles n'était plus tendre. Il avait sciemment faire fondre un doigt à chaque Psi que Moira et lui avaient trouvés – d'autant plus qu'il les avait suffisamment amochés mentalement pour les garder inconscients un moment, d'après la M. Et pour la première fois depuis le début de cette histoire, Derek réalisa quelque chose. Oui, Stiles était dangereux. Pour les autres, et pour lui-même. S'il s'était réellement imposé la Dissonance, c'était pour agir. Agir de sang-froid. Ne pas céder à ses émotions, parce qu'elles étaient trop fortes, trop puissantes pour lui.

La mort de son père devait sans doute jouer là-dedans. Derek frissonna en repensant à cela et fit tout pour ne pas laisser les images de ce jour funeste lui faire perdre son calme. A la place, il réfléchit.

Le Stiles émotif qu'il connaissait n'aurait jamais commis de telles horreurs, hormis si c'était pour se défendre. Là, ce n'était pas le cas. L'hyperactif avait été en position de force. Et il l'était encore. En fait, il rayonnait de pouvoir et sa tour de feu, même si elle lui paraissait réellement faiblir, en était une belle démonstration.

Sauf qu'en une seconde, les flammes disparurent. Derek sentit son cœur rater un battement. Il fallait qu'il se dépêche, il y était presque ! Plus qu'une petite centaine de mètres… Ses yeux de loup se mirent à luire dans l'obscurité ambiante. Les doigts de Moira se crispèrent sur son haut – Derek sentit sa peur. Peur de quoi ? Il n'eut pas envie d'y réfléchir.

Si le ciel était de nouveau d'un noir d'encre, il ne le resta pas plus de quelques secondes. Car là-haut, une boule enflammée naissait déjà et ne cessait de grandir. Derek observa le phénomène sans ralentir. Il fallait au moins qu'il arrive à l'endroit où s'était tenue la colonne de feu. Si Moira avait dit vrai, Stiles devait être épuisé et allait sans doute cesser d'émettre la moindre flamme bientôt.

En soi, elle avait raison.

Mais là où il était, si haut dans le ciel, là où s'était tenue l'extrémité de sa tour ardente, Stiles n'avait pas fini. Qu'importe son état de fatigue, il lui restait une dernière chose à faire. L'ultime partie de son idée, aussi importante que symbolique. Stiles avait toujours eu le sens du spectacle et il comptait bien le mettre à profit.

En quelques secondes, la boule de feu grandit, grandit, grandit. S'étira en largeur. L'on entrevit une forme qui, rapidement, devint plus précise. Une tête, un corps, deux pattes, des serres ardentes. Les ailes orangées marbrées de cyan se déployèrent. L'oiseau, titanesque, était fait de feu. Un feu orange et bleu qui mourait et naissait à partir du corps de Stiles.

Quoi de plus normal, pour un phénix ?

N'importe qui à Beacon Hills pouvait assister à ce phénomène tant il était énorme. Dans la ville, on collait son nez aux fenêtres, on sortait pour observer cette bizarrerie prodigieuse. Plusieurs personnes au regard vide se regardèrent, et firent état de ce qu'il se passait. Bien vite, le Psinet se retrouva submergé par l'image du phénix aux ailes battant dans un ciel noir et quasi-vide d'étoiles. Comme les yeux d'un Cardinal usant de ses pouvoirs.

Là, on comprit. Si le message n'était pas passé en tant que tel, il arriva néanmoins à destination.

Il y avait bien un X à Beacon Hills. Un X ordonnant de cesser le massacre des Empathes. Un double cardinal d'une puissance incommensurable qui n'hésitait pas à se montrer.

Il s'appelait Mieczyslaw Stilinski.