Chapitre 6
-C'est pas juste ! C'est pas juste !
Joffrey sentait la migraine lui battre les temps et la colère lui ronger le sang. Depuis qu'il avait appris ses fiançailles à Shireen, Tommen avait été tout simplement insupportable. En temps normal, il l'aurait frappé depuis longtemps. Sauf que désormais, il y avait Sansa et, en sa présence, il se sentait incapable de cela.
-Mon prince. Tenta la jeune fille. Vous savez, notre roi n'a pas choisi ses fiançailles non plus. Il a suivi la volonté de votre père, son roi.
-Oui mais il est roi maintenant et il a choisi de te garder auprès de lui ! Il peut épouser qui il veut !
C'était vrai.
Il avait gardé Sansa à ses côtés par pur désir alors qu'en vérité, il aurait pu briser l'alliance en raison de l'acte insensé de sa mère, du fait que sa fiancée n'était pas encore nubile. Il aurait trouvé une jeune femme prête à être fécondée. Mais il avait choisi sa dame du Nord. Par amour, autant qu'un être comme lui était capable d'aimer.
-Ma mère m'a dit un jour qu'un mariage de raison pouvait être aussi heureux qu'un mariage de passion. Elle a épousé mon père par devoir. Mais l'amour est né entre eux. Ils ont trouvé des choses à aimer en l'autre et ils ont construit cet amour ensemble. Pourquoi cela ne pourrait-il pas vous arriver ? Lady Shireen est une jeune fille douce, gentille et intelligente.
-Ce qui compense sa laideur. Ne put s'empêcher d'ajouter le roi
Le regard réprobateur de sa compagne le fit se sentir un peu honteux. Cependant, elle lui souriait.
-Lady Shireen a le visage marqué, il est vrai. Mais elle est jolie. A sa manière. Et elle a des qualités bien plus importantes que la beauté du corps qui fane vite.
Les Sept bénissaient sa future femme !
-Monseigneur Main.
-Votre Grâce.
Le regard de Tywin se posa sur Sansa avant de se reporter sur la forme assise de son petit-fils.
-Parlez devant ma fiancée sans crainte. Ordonna-t-il. Elle est ma future épouse et je souhaite qu'elle puisse savoir ce qu'il se passe dans son futur royaume.
En quelques mots seulement, Lord Lannister comprit. Pour une fois, Robert avait fait un choix judicieux : sous ses airs de demoiselle de noble famille, aux excellentes manières et à l'air innocent et timide, Sansa Stark avait réussi à s'immiscer dans le coeur compliqué de Joffrey. Nul doute que Cersei devait être en rage, elle qui devait s'imaginer déjà régente. Joffrey l'invita à s'asseoir.
-Que pensez-vous de mes premiers choix ?
-Nommer Lord Stannis régent et proposer un mariage entre sa fille et votre héritier était judicieux. Cela renforce les liens entre nos maisons. De plus, si Lord Renly venait à mourir sans enfant, Accalmie deviendrait alors une terre appartenant à la famille royale.
L'adolescent échangea un sourire avec sa fiancée.
-Ser Jaime est-il bien rentré auprès de vos bannerets ?
-Oui, Votre Grâce. Il m'est revenu sain et sauf.
Sansa murmura un « Les Sept en soient remerciés » avant d'oser adresser la parole au seigneur du Roc.
-Lord Tywin, au nom de ma famille, je vous présente toutes mes excuses les plus sincères. J'ignore ce qui a poussé ma mère à agir ainsi. C'est inqualifiable et j'espère que nos maisons pourront forger une amitié sincère malgré cet horrible événement.
Tywin remarqua que si elle disait réprouver les actions maternelles, Sansa n'avait pourtant pas insulté l'autrice de ses jours. Un discours aimable, une position neutre.
-Je l'espère aussi, Lady Sansa. Nul doute que votre père et moi trouverons un terrain d'entente.
-Mon règne est fragile, Lord Main. Reprit Joffrey. Je suis jeune mais avide d'apprendre. La situation financière de mon royaume est catastrophique : je vous dois une somme rondelette, sans parler des nombreux prêts que mon père a souscrits auprès de la Banque de Fer. Nous avons toujours les tensions avec Dorne et nous avons aussi la dernière princesse Targaryen par-delà la mer.
C'était vrai.
-Si Dorne apprend qu'elle respire encore, ils risquent de s'allier à elle. Elle aurait des dragons, dit-on. Que peut faire mon armée face à ses bêtes qui grandiront ? Il me faut faire la paix, Lord Main.
La logique de Joffrey était impeccable. Un roi jeune était une proie facile, d'autant plus qu'il n'était que la deuxième génération de la famille royale actuelle. A ses yeux, la menace d'une alliance Martell-Targaryen était faible : étaient-ils seulement au courant de l'existence de la jeune Daenerys ? Cependant, c'était un point qui méritait d'être soulevé.
-Avoir Dorne en alliée serait un avantage, c'est certain. Auriez-vous une idée, Votre Grâce ?
-Leur donner ce qu'ils veulent.
Tywin se figea, sentit son sang se glacer.
-La princesse Elia a été violée et assassinée par Ser Gregor Clegane. Ses enfants aussi. Dorne veut la Justice pour sa princesse.
-Si je leur donne la tête de Clegane, je perds la face, Votre Grâce. J'ai ordonné l'assassinat des enfants de Rhaegar : il était nécessaire de le faire pour prouver la loyauté de ma maison après sa neutralité durant la guerre.
Si les mains de Sansa se serrèrent sous l'effet du choc, elle garda sa contenance.
-Mais pas celui d'Elia.
-Non. La princesse Elia n'était pas visée. D'ailleurs, sa fille Rhaenys n'aurait pas représenté de réelles menaces non plus : après l'exemple de Rhaenyra, les gens ne sont pas prêts à avoir une reine régnante sur le trône.
-Les Martell savent-ils que vous avez donné l'ordre ?
-Non. Le seul à savoir est mon fils Tyrion.
-Alors, voilà mon idée : vous allez donner à Dorne les têtes de Gregor Clegane et d'Amory Lorch, les assassins d'Elia et des enfants. Vous allez ordonner leurs exécutions et envoyer leurs restes à Dorne. Nous présenterons cela comme un geste de votre part alors que mon père, l'homme à l'origine de leurs malheurs selon eux, est mort. Si on vous demande, vous direz que vous vouliez le faire depuis le départ mais mon père, que les Sept l'aient en leur gloire, vous l'avait interdit. De mon côté, en signe de bonne volonté et de fraternité, je proposerai une alliance en fiançant Myrcella à leur prince héritier.
Cersei allait détester cela… Mais c'était audacieux.
Il allait aimer travailler pour son petit-fils.
Assis sur l'un des bancs des jardins privés, Sansa et Joffrey discutaient en grignotant des gâteaux au citron.
-Votre calme m'a impressionné lors de notre entrevue avec mon grand-père.
-J'étais horrifiée… mais la guerre est ainsi faite. Les enfants ne devraient pas payer les erreurs de leurs parents et pourtant, nous le faisons.
-Les erreurs…
Ses yeux se perdirent dans le lointain. Elle s'en rendit compte. Elle lui prit la main.
-Je ne pensais pas à notre reine-mère.
-Comment géreriez-vous Daenerys Targaryen ?
Il évitait le sujet.
-Daenerys ?
-Oui. Votre conseil à propos des Baratheon m'a été utile. Aidez-moi pour Daenerys.
Elle prit quelques instants pour réfléchir.
-Daenerys est une princesse. Déchue certes, mais une princesse et elle aura repris l'ambition de son frère. Ses dragons la rendent dangereuse. Mais elle peut être une alliée. Après tout, les Targaryen et les Baratheon sont cousins et Lord Jason Lannister a jadis courtisé Rhaenyra.
-Votre connaissance de l'Histoire m'impressionne.
La jeune fille lui sourit.
-Il faut la traiter avec respect. Montrons-lui que nous ne sommes pas nos parents. D'une manière ou d'une autre, votre geste envers Dorne lui parviendra. Il nous faut trouver un moyen d'entrer en contact avec elle.
-Dans quel but ?
-Lui rendre sa dignité.
L'idée de Sansa était la suivante : Daenerys ne pouvait pas régner, bien entendu. Mais elle pouvait retrouver une place de choix à la cour : être l'une des plus hautes dames de la cour. Elle garderait son titre de princesse par courtoisie. Elle pourrait siéger au conseil pour ainsi être proche du trône sans s'y asseoir. La future reine envisageait qu'on lui cède Peyredragon, château ancestral des Targaryen mais cela signifierait devoir compenser Stannis, lequel avait souffert lors de son siège et qui avait déjà eu à souffrir de ne pas avoir Accalmie. Enfin, un pacte de sang. Un mariage. Si Joffrey et elle venait à avoir un fils et Daenerys une fille, ils se marieraient et ainsi, la troisième génération serait aussi en partie targaryenne. A l'inverse, s'ils avaient une fille et elle un fils, leur fille fonderait la nouvelle lignée du dragon.
-Vous êtes merveilleuse, Sansa. Si merveilleuse !
L'adolescent captura ses lèvres.
Oh oui, avec Sansa à ses côtés, il ne risquait décidément rien !
A suivre
