Chapitre ou l'on découvre un nouveau sens au titre de la fic ~
Cela faisait donc trois jours qu'il n'avait pour ainsi dire pas adressé la parole à Potter, et qu'il évitait même de le regarder. Malheureusement, il sentait bien que ce problème-là, on ne lui permettrait pas de l'ignorer éternellement.
Quand il sortit de son logement, ce matin-là, la Selkie avait quelques minutes de retard sur son horaire habituel, mais un sourire éclatant étirait ses lèvres et révélait les dents tranchantes. Elle lui ordonna de le suivre hors du château, et après hésitation – il continuait, par égard pour Potter, de laisser des petites notes indiquant ses déplacements – il accepta finalement de lui emboiter le pas près avoir menotté Carrow à la lourde table de la patinoire.
Le soleil n'était pas encore tout à fait levé, et pour une fois, quelques couleurs amortissaient le camaïeu de gris et de noirs de l'île : A l'Est, des nuances de jaune doré et de rose sale se battaient pour exister sur une bande étroite, entre la mer calme et les nuages sombres et menaçants.
Lucile le prit par la main, l'emmena entre deux gros rochers, et il reconnut l'endroit où s'était trouvé le morse, la seule et unique fois où il l'avait vu. Il ne restait qu'un tas d'os blanchis, désarticulés, et encore une fois, les milles petits charognards de la mer grouillaient autour en cherchant un morceau de viande rescapé.
Drago parcourut la plage des yeux.
« Est-ce qu'il y a beaucoup d'endroits comme celui-ci, invisibles aux humains ? »
Plusieurs fois lors de sa promenade quotidienne, il avait cherché à nouveau cet endroit sans parvenir à le retrouver, comme si un charme le dissimulait.
« Non. D'habitude, je n'ai pas besoin de me cacher. Là, je l'ai fait parce que j'avais besoin de temps. Pour toi. Attention, tu es prêt ? ABRACADABRA ! »
Drago sourit en entendant la fausse formule magique, puis son visage se figea en voyant ce que la Selkie brandissait sous ses yeux : Le morse avait été dépecé, et sa peau découpée soigneusement pour la transformer en une espèce de cape hideuse, grise et fripée, au sommet de laquelle se trouvait encore le crâne de l'animal, avec ses yeux morts, ses vibrisses ridicules et ses défenses effrayantes et immenses.
Drago resta silencieux quelques secondes avant de se forcer à commenter :
« Elle est superbe. Est-ce que tu vas te transformer en morse si tu l'enfiles ?
– Bien sûr que non ! répondit-elle en éclatant de rire. Ce n'est qu'une vieille peau toute rabougrie ! Elle est pour toi ! »
Drago grimaça franchement devant l'offrande. Il entendit à peine le discours de la Selkie sur le mal qu'elle s'était donné à tanner le cuir pour qu'il reste parfaitement souple. Il s'imagina revêtu de cette guenille, aussi méconnaissable et puant que la princesse Peau-d'Âne elle-même, et il ricana malgré lui.
Ses genoux ployèrent sous le poids quand Lucile lui drapa les épaules de la chose avant de placer correctement les pans de cuir sur sa poitrine, puis d'installer les défenses de chaque côté. La tête de morse reposait contre ses omoplates, lourde, le forçant à se redresser, presque à se cambrer, et s'il n'y avait pas eu ses cheveux pour le protéger, il aurait probablement senti les moustaches lui chatouiller la nuque. L'odeur de cuir neuf et d'huile était étrange, pas franchement mauvaise, mais bizarrement organique.
La Selkie recula de quelques pas pour admirer sa création, puis lui adressa un nouveau sourire éclatant :
« Ça te va bien ! La couleur est parfaite pour toi, et tu auras moins froid avec ça sur le dos ! Tu as l'air plus grand et plus gros ! »
Drago ricana de nouveau, en anticipant les remarques qu'il recevrait s'il se montrait attifé de la sorte devant des Sorciers.
« Je ne peux pas accepter. C'est… » Il hésita, puis reprit les termes qu'elle avait utilisés : « Pour toi, ce n'est qu'une vieille peau rabougrie, mais pour nous, c'est un cadeau bien trop… extravagant.
– Ne t'inquiète pas ! Pour moi, elle n'a vraiment aucune valeur ! Je vais devoir bientôt repartir, alors il faut bien que tu aies quelque chose pour te protéger ! Les défenses feront peur aux petits animaux !
– Tu vas repartir ? »
Drago fut surpris de se découvrir attristé par la nouvelle. Il baissa les yeux vers le ventre de la Selkie, qui était effectivement plus creux que plat. Autour de ses seins ronds, les cotes se devinaient.
« Oui, répondit-elle. Il faudra que tu continues à manger du gras et à t'enduire d'huile !
– Je pourrais partager mon gras avec toi, proposa-t-il.
– Je ne vais pas me contenter de gras ! répondit-elle en riant à nouveau. Moi, je mange de la viande !
– On a de la viande au château, négocia-t-il. Je pourrais te ramener… »
Il s'interrompit en voyant son sourire compatissant.
« Votre nourriture n'est pas suffisamment riche pour moi, expliqua-t-elle. Vous n'en auriez très vite plus assez pour vous. Et puis, je suis une chasseuse.
– Est-ce que tu pars longtemps ? » Drago entendit les notes geignardes dans sa voix et en eut immédiatement honte.
« Moins longtemps. La dernière fois, je voulais absolument un morse et ça m'a pris du temps de trouver leur colonie, de choisir celui qui m'intéressait, de l'isoler… Mais quand je chasse uniquement pour moi, je suis moins sélective. N'importe quelle orque ou requin fera l'affaire. D'habitude, je peux même me satisfaire des poissons, si j'en mange chaque jour. C'est à cause de lui que je suis obligée d'aller plus loin et de ramener des proies plus grosses.
– Tu parles du Détraqueur ? »
·
Drago courrait à perdre haleine dans les couloirs du château.
Il déboula dans la patinoire alors que tout le monde était attablé devant le petit déjeuner, et une dizaine de visages interloqués se levèrent à son arrivée. Un seul comptait.
« Potter… »
L'interpelé se leva aussitôt pour venir le rejoindre et lui saisir le visage, lui demandant ce qui lui arrivait. Drago ne lui laissa pas le temps de finir sa question :
« Le Détraqueur. Je sais où il est. Il faut y aller tout de suite. Il essaye d'ouvrir une nouvelle brèche dans le dôme extérieur et… »
Il avait été tellement stupide ! Cela faisait des jours et des jours que la Selkie savait, que la Selkie l'avait vu faire. Il aurait suffi qu'il pense simplement à lui poser la question, qu'il l'interroge, mais non : Il avait perdu son temps à se faire hydrater la peau comme une satanée greluche frivole.
La voix hachée, il désigna du bras la zone que lui avait indiquée la créature, et se maudit encore une fois d'avoir paniqué : Ses explications étaient confuses, désordonnées.
« Elle a dit : à peu près entre le squelette de baleine et l'épave, mais je… Viens, tu vas… Je vais lui dire de te parler, elle acceptera. Elle ne t'aime pas, mais si je lui demande, elle… Elle… »
Harry ne l'avait pas interrompu. Il avait posé ses mains de part et d'autre de ses joues et le fixait avec concentration. Ses yeux verts étaient légèrement gonflés, rougis. Le Survivant était épuisé et abattu, et c'était sa faute à lui. Mais ils étaient aussi attentifs, décidés, et… Et oui, toujours habités par cet éclat qui n'appartenait qu'à lui.
« Harry… »
L'interpelé souffla du nez et un sourire illumina soudain ses traits.
Drago s'en voulut aussitôt : Potter était en train de s'imaginer des choses.
·
La petite clochette indiquait la direction dans laquelle l'armée de Potter s'était envolée.
Cette fois, il n'avait pas laissé la discussion s'enliser : Il avait donné ses ordres, et tous lui avaient immédiatement obéi dans une discipline exemplaire.
Même la vieille Madame Johnson était partie : Elle et Granger étaient montées en croupe derrière des gardes de Kenaran sur leurs Tatzelwurm respectifs.
Potter avait exigé de Kenaran de pouvoir disposer de l'ensemble et de l'obéissance de ses troupes. Celui-ci avait refusé, mais Potter avait cité un article de loi martiale, avait sous-entendu quelque-chose sur une invasion de territoire que Drago n'avait pas compris, et une quinzaine de soldats avaient finalement été mis à sa disposition.
Une quinzaine alors qu'ils n'avaient été que cinq en débarquant sur l'île.
Drago s'était posté sur un rocher plat qui s'enfonçait dans l'océan, avait sorti la petite clochette d'or, avait prononcé le nom de Harry, puis l'avait répété encore et encore, à chaque fois que le charme de localisation s'estompait. Si la magie continuait de fonctionner, c'est que le Sorcier n'était ni mort, ni inconscient.
Les albatros étaient rapidement venus se poster à ses côtés, ou carrément sur son épaule dans le cas de Vif-Eclair. Drago avait à peine sursauté sous son poids, obnubilé par le petit battant doré. L'oiseau glissait régulièrement, ses pattes palmées étant trop larges pour la silhouette étroite de Drago, mais il battait alors de l'aile et se redressait tant bien que mal, son ventre doux, solide, musclé, venant caresser la joue du prisonnier.
« Monsieur Malfoy. »
Drago leva brièvement la tête.
Kenaran se tenait à ses côtés, le surplombait. Un sourire aimable ornait ses lèvres fines. Derrière ses lunettes en forme de demi-lunes, ses yeux attentifs l'étudiaient.
Devant le carrosse, une dizaine de Dottori observaient leur échange. Là aussi, il y avait des visages nouveaux, que Drago n'avait jamais vus.
Drago baissa de nouveau le regard sur sa clochette, sans lui répondre.
« Vêtu de la sorte, et avec votre armée d'oiseaux, vous ressemblez de moins en moins à un humain, commenta doucement le Maléfistinien. On pourrait croire que l'île elle-même a accouché de vous. Une créature grise et solitaire, aussi fragile que dangereuse… Provoquant des naufrages pour pouvoir se repaître de la chair des malheureux qui auront été attirés par sa lumière… Une part d'homme, une part de monstre, et une part de mystère et de magie… »
Drago fronça les sourcils au fur et à mesure du discours, mais ses yeux ne quittèrent pas la clochette.
Il n'avait pas pensé à se dévêtir de la peau de morse. Quand la Selkie lui avait dit où se trouvait le Détraqueur et ce qu'il était en train de faire, avec son sang qui rongeait le bouclier magique, le sujet lui était immédiatement sorti de la tête, et il avait couru jusque Potter. Quand celui-ci avait rassemblé ses troupes et exposé son plan d'attaque, Drago n'y avait pas songé davantage : Il avait amené Carrow à l'infirmerie, avait prévenu Nguyen, Runcorn et Mullan, avait été chercher sa clochette, et s'il avait bien subi quelques regards surpris, il ne s'y été pas attardé, trop tourmenté par ses angoisses. Ensuite, il avait parcouru la plage de long en large, appelant Lucile pour s'excuser de son départ précipité et lui demander son aide. Soit la Selkie était déjà repartie, soit elle avait décidé de l'ignorer. Quoi qu'il en soit, elle ne lui avait pas répondu.
« Monsieur Malfoy, j'imagine que vous êtes le responsable de cette nouvelle expédition ? Vous avez de nouveau ressenti la présence du Détraqueur ? J'ai appris que votre relation avec Monsieur Potter n'était pas au beau fixe. Dites-moi ce qui…
– Professore Kenaran, l'interrompit Drago, vous vous méprenez sur moi. Sur nous. Ma relation avec Monsieur Potter n'a rien à voir avec le respect et l'allégeance que je lui dois. Il m'a défendu de communiquer avec vous, et à part celle-ci, vous n'obtiendrez plus aucune réponse de ma part. » Puis à voix basse, il ajouta « Harry », pour voir le petit battant d'or cogner à nouveau vers l'avant.
Le silence dura quelques minutes avant que le Maléfistinien ne reprenne :
« Votre loyauté est admirable, même si je doute de plus en plus qu'elle soit méritée. Ces derniers jours, je me suis beaucoup intéressé à vous et à l'histoire de votre famille. On m'a parlé de votre père et de la façon dont il vous a traité ici… Et de la soumission maladive que vous éprouvez pour sa personne… » Une pause, puis il reprit : « Je devine à votre expression que j'ai touché un point sensible. Les Moldus appellent cette attitude le syndrome du chien battu. Il paraitrait que ces animaux soient si serviles qu'ils remuent la queue quand leur maître sort le ceinturon pour les battre. »
Drago ne répondit toujours pas.
« En ce qui concerne Monsieur Potter, je devine que celui-ci a admirablement alterné les caresses et les coups de ceinturon. Oh, je ne prétends pas qu'il l'ait fait tout à fait exprès. Il n'est pas quelqu'un de mauvais – au contraire, même – mais vos positions respectives ne vous ont donné d'autre choix que de vous soumettre tout à fait à lui. Vous avez décidé de lui être loyal, mais s'il faut être honnête, vous n'auriez jamais rien pu décider d'autre.
– Harry. » Le battant teinta, et Drago focalisa toute son attention sur lui : Sur le son, sur l'éclat doré.
« Enfin. Vous auriez pu tomber son un Maître pire que lui. Il fait au moins de son mieux. Et sa puissance et sa volonté sont telles que le mieux qu'il puisse faire est bien au-delà de ce que serait le champ des possibles pour n'importe qui d'autre que lui… Le voici qui plonge pour venir en aide à ma Capitaine Alacasia. Il se sacrifierait ainsi pour n'importe qui, évidemment. Son ami Weasley plonge à son tour, et les voilà qui remontent. Le Détraqueur a été ralenti par le Patronus de Madame Delacour, mais… »
Drago releva les yeux.
Les pupilles de Kenaran avaient la couleur d'argent de son Patronus.
Vous aussi, quand vous offrez quelque chose, vous ne pouvez pas vous empêcher de souligner à quel point c'est pas grand-chose par politesse ? Ben la Selkie le fait pas par politesse, elle.
