Chapitre posté le 22 février 2015

Disclaimer : Kingdom Hearts ne m'appartient pas, mais appartient à Square Enix et Disney.

L'image de couverture, provenant de la fin de Kingdom Hearts 2, appartient donc également à Square Enix et Disney.

Merci à Suzuka-san et Ima Nonyme pour leurs reviews ! Oui, l'ombre aux yeux verts n'est ni un chat, ni Axel, ni un Sans-Coeur.

Et merci à Frilisse et Suzuka-san pour leur mise en alerte (je ne sais même pas si ça se dit).

Bon, encore désolée, mais il s'agit encore d'un chapitre « bla-bla ». Je vais essayer de me dépêcher pour poster la suite, mais je ne peux rien affirmer.

Bonne lecture !


Chapitre 5 : Ton retour dans nos cœurs ne sera peut-être pas si périlleux...

Sans doute es-tu déjà parmi nous.

La jeune fille prit le chemin du retour sous une pluie torrentielle. Maintenant que la nuit était tombée, il faisait noir comme dans un four et la pluie qui lui cinglait le visage, les épaules et ses bras nus n'améliorait en rien sa visibilité. Se morigénant pour ne pas avoir emporté une veste avec elle, elle hâta le pas, sans se soucier de marcher par inadvertance dans une flaque d'eau boueuse - de toute manière, elle ne pouvait pas les voir -, Kairi commença à courir vers ce qu'elle espérait être le chemin de sa maison. Pas de problème néanmoins. Elle connaissait cette ville par cœur, même dans le noir le plus total, elle ne se perdrait pas. Et la discussion précédente lui avait octroyé un regain d'optimisme.

Durant son trajet, les pensées de Kairi revenaient sans cesse aux révélations d'Ifalna. Elle avait le sentiment agréable que les pièces du puzzle commençaient à se mettre en place. Sora avait vécu ici, c'était le fils d'Ifalna, cette femme étrange venue d'un autre monde. Lui, elle et Riku avaient été amis, très amis. Puis il avait disparu suite aux événements de l'été précédent et tous, y compris elle, l'avaient oublié.

Kairi ignorait ce qu'il s'était passé mais était bien décidée à le découvrir. C'était sa promesse, faite à elle-même pour ce garçon : récupérer les souvenirs qu'elle avait perdus, recouvrir la mémoire, comprendre ces événements sur lesquels elle n'avait pas de prise.

Quitte à repartir en voyage, s'il le fallait. Et peut-être... sauver Sora. Car sa disparition ne s'était pas faite toute seule. Quelqu'un était derrière tout cela, les paroles d'Ifalna venaient de le lui confirmer. Quelqu'un l'avait fait disparaître sciemment.

A vrai dire, elle avait l'impression de n'avoir attendu que ça, une excuse pour repartir, loin de cette île qui ne la satisfaisait plus.

Elle jura à mi-voix quand ses pieds entrèrent brusquement dans une énorme flaque, l'eau glacée et boueuse envahissant ses chaussures. Elle pataugea à l'aveuglette pour se mettre au sec, du moins autant qu'elle le puisse sous cette pluie diluvienne. Bien qu'elle soit loin d'être peureuse, l'obscurité commençait à creuser une faille dans sa bravoure et elle fut soulagée en apercevant les lueurs du village, puis dix minutes plus tard, celles de sa maison.

Quand elle poussa la porte d'entrée, se réfugiant hors d'atteinte du déluge glacial, elle constata avec une pointe de gêne et d'agacement que son père l'attendait dans le vestibule. Il ne répondit pas à son sourire gêné.

« Je peux savoir où tu étais passée ? »

Kairi se rendit compte alors qu'elle n'avait pas prévenu ses parents de sa visite chez la guérisseuse. L'horloge murale lui indiqua qu'il était presque vingt heures. Pas étonnant que ses parents se soient inquiétés.

« Oh, euh... je suis allée voir Ifalna. La guérisseuse, précisa-t-elle en voyant son père hausser les sourcils. A cause de mon insomnie.

-Et bien sûr, tu n'as pas jugé utile de nous prévenir...

-J'ai oublié, dit-elle d'une petite voix contrite. Désolée. »

Elle n'était pas vraiment d'humeur à subir un sermon ce soir.

« Tu n'avais même pas emporté de veste ! Il pleut à torrents dehors tu sais ? Et il te faut quand même pas deux heures pour aller chercher un médicament ?!

-C'est bon, j'ai compris ! » rétorqua-t-elle avant d'avoir pu se retenir.

Elle monta quatre à quatre les escaliers et se réfugia dans sa chambre, claquant la porte derrière elle, parfaitement consciente que dans cinq minutes elle regretterait de s'être ainsi emportée, mais sur le moment, cela la soulageait plus que de se taire. Elle troqua rapidement ses vêtements trempés et ses chaussures boueuses pour une simple robe marron, puis s'assit sur son lit, plongée dans ses pensées. Et voilà, elle se sentait déjà coupable de son comportement. Soupirant, elle jeta un coup d'œil à ses chaussures qui traînaient sur le sol et grimaça. Elle avait dû laisser des traces partout, ses parents allaient avoir une raison de plus de s'emporter contre elle...

Laissant échapper un nouveau soupir, Kairi se releva, s'empara d'un paquet de mouchoirs pour nettoyer les dégâts. Elle hésita néanmoins une fois arrivée devant la porte de sa chambre, peu envieuse d'affronter ses parents une nouvelle fois, puis prit sur elle pour pousser la porte. En fait, son père avait quitté le vestibule et elle ne croisa personne. Ce ne fut que lorsqu'elle pénétra dans la cuisine pour aller chercher de quoi manger -ses parents ayant déjà dîné depuis longtemps- qu'elle entendit ses parents discuter dans le salon.

« C'est bon, elle est rentrée ?

-Oui.

-Où est-ce que...

-Chez la guérisseuse, Ifalna. Pour soigner ses … insomnies.

-Au moins, elle a conscience de ses problèmes. » soupira sa mère.

Kairi se hâta de remonter dans sa chambre, une assiette de haricots rouges à la main.

Une fois à l'abri entre les quatre murs chaleureux de sa chambre, elle s'assit à son bureau, l'esprit vague. Son sac gisait contre le pied de sa chaise. Elle avait des devoirs pour le lendemain, un contrôle à réviser...

… mais elle descendait vers la plage d'un pas léger, le visage tourné vers le ciel, qui avait revêtu de belles teintes orangées. C'était le crépuscule d'un autre jour, un autre jour baignant dans la sérénité et la plénitude. Elle sourit quand elle aperçut sa silhouette familière et se dirigea tranquillement vers lui. Le jeune garçon lui tournait le dos, assis sur la plage, plongé dans la contemplation des eaux qui s'étendaient à perte de vue. Il ne tourna pas la tête vers elle quand elle parvint à sa hauteur et s'assit à ses côtés.

« Ça va ? demanda-t-elle.

-Ça va. »

Elle observa son visage paisible, ses yeux où se reflétaient les eaux dorées sous le crépuscule, et suivit son regard vers l'horizon, là où le disque solaire semblait s'enfoncer sous les eaux calmes.

-Riku et Selphie sont déjà rentrés. » tenta-t-elle.

Il l'ignora. Comme toujours, le spectacle de l'immensité liquide qui s'étendait sous ses yeux accaparait toute son attention.

« Tu ne veux pas qu'on rentre aussi ? demanda-t-elle à nouveau d'une voix incertaine.

-Tu en as envie ? »

Elle tourna la tête vers lui. Il lui avait répondu, même s'il ne la regardait toujours pas.

« Non. » avoua-t-elle.

Elle se sentait bien ici, sous la lueur déclinante du jour. La plage semblait figée dans le temps. Il n'y avait pas un son, à part celui des vaguelettes qui venaient s'échouer à leurs pieds dans une fine écume semblable à de la dentelle.

« C'est vrai, ajouta-t-elle. C'est si paisible ici.

-Tu voudrais que cela soit ainsi pour toujours. »

Ce n'était pas une question. Son ton était un brin amusé. Elle fit la moue, l'air faussement vexé, comme s'il venait de se moquer d'elle. Oui, elle était souvent un peu fleur bleue, et alors ? Son regard tomba sur ce qui reposait sur les genoux de son ami : un fruit jaunâtre en forme d'étoile, à la texture en apparence semblable à celle de tubercules.

« C'est... un fruit Paopou ? La marée t'apporte de drôles de cadeaux, plaisanta-t-elle.

-Tu sais ce qu'on dit sur ces fruits ?

-Bien sûr. Je ne suis pas née de la dernière pluie. » répondit-elle avec un regard ironique.

Qui ne connaissait pas la légende des fruits Paopou ? D'autant que...

« C'est toi qui m'en a parlé quand on avait cinq ans... quand nous nous sommes rencontrés. »

Aucune réponse, aucune réaction. Elle qui espérait qu'il apprécierait cette marque de reconnaissance, elle fut déçue. Il n'ôta pas ses yeux de la ligne d'horizon. Elle essaya à nouveau. Peut-être serait-il fier, heureux qu'elle lui montre qu'elle se souvenait.

« Tu sais... je me souviens à présent. »

Toujours aucune réaction.

« Sora. »

Toujours aucune réaction. Elle insista.

« C'est ainsi que tu t'appelles. »

Un soupir, presque imperceptible, s'échappa de sa bouche.

« Oui. C'est ainsi qu'on m'appelait. »

Il semblait... amer à présent. Pourquoi parlait-il au passé ? Un peu inquiète, elle n'eut néanmoins pas le temps de lui poser la question.

« Mais tu ne te souviens toujours pas, n'est-ce pas ? De ce qu'il s'est passé ce jour-là ? »

De quoi parlait-il ? De l'attaque des Ténèbres ? Ce jour qu'elle suspectait être celui de sa disparition ?

« ... non. Je suis désolée. »

Bien sûr. Il n'y avait aucune raison qu'il lui soit reconnaissant. Tout ce qu'elle savait, c'était son nom. Le reste, elle l'avait oublié ou presque. Alors qu'ils étaient censés être meilleurs amis. Comment avait-elle pu en arriver là ? Elle détourna les yeux, les abaissa vers le sable mouillé, refoulant la frustration au plus profond de son cœur. Tout cela était inutile. Insensé. Sans espoir.

La voix de Sora perça à nouveau le silence.

« Dis...

-Oui ? »

Pleine d'espoir, Kairi le regardait.

« Je pense qu'il est temps de partir. » annonça-t-il.

Confuse, Kairi fronça les sourcils.

« De partir ? »

Voulait-il encore partir ? Bien sûr, elle savait déjà que ce jour arriverait, mais cela ne rendait pas cette perspective plus attrayante.

« C'est pour cette raison que je t'attendais. Je souhaitais... partager ce fruit avec toi. Pour que, quoi qu'il se passe, nous nous retrouvions. »

Oui. Il voulait s'en aller. Loin d'ici. Comme toujours.

« Sora...

-Prends-le. » l'interrompit-il en lui tendant le fruit.

Comme elle ne faisait pas mine d'obtempérer, il le déposa sur ses genoux. Elle contempla un instant le fruit en forme d'étoile, les sourcils toujours froncés. Un doute s'insinua en elle.

« Es-tu vraiment Sora ? »

Il émit un léger rire.

« En douterais-tu ? »

Ce n'était pas vraiment une réponse. En fait, le son de sa voix en faisait presque une menace. Avant qu'elle ait pu répondre, il s'était levé.

« C'est l'heure, Kairi. »

Saisie de stupeur, elle l'observa faire quelques pas, non vers l'océan comme à son habitude, mais pour remonter la plage, droit vers le petit coin ombragé où se dissimulait l'entrée de leur cachette secrète. Elle le suivit du regard, se levant lentement. A mi-distance, néanmoins, il se retourna vers elle.

« J'étais... venu te dire au revoir, Kairi. Je ne viendrais plus t'embêter. J'ai trouvé... ceux qui m'acceptent. »

Elle ne répondit rien. Il faisait froid maintenant que le soleil était couché.

« Te souviens-tu ? » reprit-il.

Il brandit quelque chose dans les airs, une sorte de petit objet jaune en forme d'étoile qui se balançait au bout d'une cordelette.

-Quoi qu'il se passe, je serai toujours à tes côtés.

Kairi le regarda. Il lui retourna son regard. Ces mots... lui étaient si familiers. Pourquoi ne s'en souvenait-elle pas ? L'atmosphère s'assombrissait au fur et à mesure que la nuit recouvrait l'île, pourtant aucun des deux adolescents ne bougeait. Ils demeuraient figés, les yeux dans les yeux, se faisant face, Sora brandissant toujours l'étrange objet.

Et alors, elle l'aperçut. Par-dessus l'épaule de Sora, dissimulée dans les ombres, devant l'entrée de la cachette secrète, ses yeux plantés dans les siens, une silhouette toute de blanc vêtue. Elle croisa son regard, un regard identique au sien, et les Ténèbres jaillirent avec violence de la petite grotte, balayant tout sur leur passage, fondant sur elle, la submergeant en un éclair.


Kairi ouvrit les yeux, pour les refermer aussitôt face à la lumière artificielle trop vive qui inondait sa chambre. Elle se redressa lentement, désorientée : il semblait qu'elle s'était endormie au cours de ses révisions pour le contrôle du lendemain, à en juger par le cahier d'histoire qui lui avait servi d'oreiller. Elle le contempla d'un air absent ses pensées s'envolaient vers d'autres contrées. Toujours aussi absente, elle se leva et quitta la pièce.

Elle se demandera souvent par la suite par quelle miracle elle s'était retrouvée sur la petite île, en pleine nuit, recroquevillée au fond de la cachette secrète, dans sa seule robe marron qui ne lui allait plus, ses pieds glacés par l'eau de mer. Elle n'avait même pas prévenu ses parents, n'avait rien emporté, rien. Heureusement pour elle que l'orage s'était calmé. Il lui fallut une bonne demi-heure pour réussir à triompher de sa crise de panique mêlée à un chagrin violent, pour faire face à un nouveau problème, la honte, l'embarras, qui la maintint dans cette même position de cocon, réfugiée dans le recoin le plus sombre de la grotte. Bon sang, tentait-elle de se raisonner, elle faisait des cauchemars toutes les nuits ! Cette réaction était excessive ! Qu'est-ce qui lui avait pris de s'enfuir de chez elle pour se réfugier dans ce boyau obscur, qui n'avait rien de rassurant dans les ténèbres de la nuit ? Heureusement que personne n'était là pour la voir. Elle devait avoir fière allure, recroquevillée dans la poussière avec cette robe gorgée d'eau de mer, les pieds nus et rougis par le froid et les cheveux en bataille. Elle avait quinze ans, pas quatre !

Pourtant, pensait-elle encore alors que le rythme de sa respiration s'apaisait, ce rêve l'avait terrifiée. Plus que les autres. Elle voyait encore les Ténèbres jaillir de la grotte, dévorant tout sur leur passage. Kairi ne put retenir un sanglot. Maintenant, elle avait la certitude que Sora était perdu dans les Ténèbres, et il semblait lui en vouloir pour cela... Était-ce sa faute, ce qu'il lui était arrivé ? Elle avait peur, peur de se sentir coupable, de ne pouvoir jamais se pardonner si ses soupçons s'avéraient fondés, ou pire de ne rien ressentir, de continuer sa vie sans se retourner.

Mais étrangement, ce qui lui donnait la chair de poule, c'était la silhouette de cette fille en blanc, brièvement aperçue au fond des Ténèbres, semblable à un fantôme. Et les mots de Sora... Je suis venu te dire au revoir, je ne t'embêterai plus. Qu'avait-il voulu dire ?

Kairi frissonna, la réalité la rattrapant peu à peu alors que le froid s'insinuait en elle. Elle devait rentrer chez elle, songeait-elle avec lassitude, qu'elle se calme, qu'elle essaye de dormir. Avec un peu de chance, elle serait en forme le lendemain pour des révisions de dernière minute. Mais malgré toute sa bonne volonté, la jeune fille ne parvint pas à se relever, prostrée contre la paroi glacée de la grotte, encore sous le choc. Ses yeux, son regard, erraient dans les Ténèbres. Sora... Riku... eux aussi erraient dans les Ténèbres.

« Je deviens folle. » grommela-t-elle, en se redressant légèrement.

Elle écarta d'un geste mécanique les cheveux de son visage. Son regard tomba alors sur les dessins qui ornaient les rochers, sur un en particulier. Elle l'observa d'un air absent, avant de trouver la force de se relever et de se diriger d'un pas chancelant vers l'esquisse. Deux têtes représentées d'une manière enfantine, certes, mais qui ne lui étaient pas inconnues : l'une était incontestablement la sienne, l'autre...

« Sora... ? »

Elle passa la main sur le dessin beaucoup trop familier pour s'être si facilement évaporé de sa mémoire. Entre les deux enfants, deux étoiles, sans aucun doute une esquisse de fruit Paopou.

Oh, elle s'en souvenait à présent. Le jour suivant la restauration des mondes et son retour sur l'île n'était-elle pas venue ici, achever ce dessin ? Comment avait-elle pu l'oublier ?

Brusquement, elle crut saisir un mouvement du coin de l'oeil : une tache de rouge, une chevelure châtain hérissée... Elle se retourna en sursautant. Rien. Kairi scruta les ténèbres en vain, la grotte était vide. Son imagination lui jouait-elle des tours ? Elle frissonna, ce qui n'était en rien dû au froid. Ce lieu était trop rempli de souvenirs. Mieux valait ne pas s'y attarder. La jeune fille jeta un dernier regard au dessin, puis quitta la grotte d'un pas nerveux, tous ses sens en alerte.


Quand elle se réveilla le lendemain dans son lit, sans avoir subi aucun cauchemar, Kairi aurait pu penser que cette petite aventure n'avait été qu'un rêve. Cependant, elle n'eut plus le loisir de le croire quand une forte odeur de mer lui monta aux narines, émanant de sa robe qui avait subi les éclaboussures de la mer houleuse. Sans parler de sa fatigue inhabituelle.

Kairi se hâta de se laver, de s'habiller et de ranger ses affaires pêle-mêle dans son sac avant de descendre en bâillant dans la cuisine sous l'œil désapprobateur de ses parents.

« Tu es en retard » signala sa mère après qu'ils se soient souhaités le bonjour.

Elle répondit par un léger marmonnement, occupée à se beurrer une tartine tout en relisant en diagonale son cours d'histoire.

« Tu as contrôle ? s'enquit son père.

-Mmh, répondit Kairi, ce qui signifiait oui.

Ses parents semblèrent prendre conscience qu'elle n'avait pas envie de parler car ils n'insistèrent pas, et Kairi leur sut gré de ne pas remettre le sujet de son retard de la veille sur le tapis. Néanmoins, tandis qu'elle se dirigeait vers le vestibule, prête à partir, sa mère l'interpella.

« Au fait Kairi... tu comptes aller à la fête ?

-La fête ? Quelle fête ? » s'étonna-t-elle en haussant les sourcils.

Ce fut au tour de sa mère de hausser les sourcils. Elle lui tendit un prospectus.

« La fête du Printemps de samedi. » fit-elle sur le ton de l'évidence.

Ah oui ! Selphie avait dû lui en parler une bonne douzaine de fois et elle avait trouvé le moyen de ne pas s'en souvenir, preuve de tout l'intérêt qu'elle portait à cette fête.

« Non, fit-elle en grimaçant. J'ai autre chose à faire. »

Ses parents devraient se réjouir qu'elle ne perde pas son temps en futilités. Aussi fut-elle surprise de la réplique de sa mère.

« Tu devrais. Ça te ferais du bien de sortir un peu. »

Kairi la regarda d'un air déconcerté, songeant à lui rappeler qu'ils n'avaient pas apprécié la dernière fois qu'elle était restée à l'extérieur trop longtemps. Comme si elle avait deviné ses pensées, sa mère leva les yeux au ciel.

« Je veux dire, avec tes amis, précisa-t-elle.

-Oui... Hé bien je verrai. » marmonna Kairi avant de quitter la maison.

Réponse signifiant ni plus ni moins « non ».

Le prospectus représentait une foule de costumes hétéroclites, sur laquelle se détachaient en lettres multicolores les mots « Venez chasser les fantômes de l'hiver ! ». Ridicule, songea Kairi en enfouissant le papier dans sa poche. Elle avait bien autre chose à faire, et cela n'incluait nullement une quelconque fête, bien qu'habituellement, elle n'aurait manqué ces réjouissances pour rien au monde. Les choses avaient bien changé...


Elle retrouva Selphie qui l'attendait patiemment devant la porte de sa maison.

« Tu es en retard.

-Je sais, je sais, soupira Kairi. Panne d'oreiller.

-Tu as révisé pour le contrôle ?

-Euh... Le livre m'a servi d'oreiller. Tu crois que les connaissances ont été transmises à mon cerveau pendant la nuit ? »

Selphie fit une petite moue amusée.

« Tidus prétend que c'est comme ça qu'il apprend ses cours.

-Ah... Mais attends, Tidus, il a cinq de moyenne, non ? »

Les deux filles pressèrent le pas en éclatant de rire. Une fois au bout de la rue, Selphie demanda des nouvelles de sa rencontre avec Ifalna.

« Oh... Elle était occupée. » éluda Kairi.

Elle était trop fatiguée pour se lancer dans la grande explication des événements pour le moment. Elle n'était même pas sûre de le souhaiter, taraudée par l'impression que cette affaire ne concernait qu'elle et Ifalna. Elle aurait eu l'impression de trahir cette dernière en racontant tout à Selphie sans son autorisation.

« Et donc... On est bien d'accord, tu viens à la fête samedi ? »

Kairi soupira, et choisit la même réponse que précédemment, en pressentant néanmoins l'échec immédiat.

« Je verrai.

-Ça veut dire non, ça ! Tu m'avais dit que tu venais ! Ce que je veux, c'est une réponse sincère.

-Non, ce que tu veux, c'est un oui, corrigea Kairi.

-Évidemment ! »

Elle s'arrêta et intima à Kairi d'en faire autant, la mine grave.

« Kai... Crois-moi, ça te ferait du bien, de sortir un peu...

-Tu parles comme ma mère.

-Hé bien, elle a raison ! Quel mal ça te ferais de sortir un peu, d'être avec tes amis ? Si tu te fermes comme ça, tu te retrouveras seule...

-Ça a le mérite d'être clair, soupira Kairi. Mais j'ai du mal à voir ce que cette fête a d'important.

-Tu rigoles, n'est-ce pas ? Et ça te sortiras de tes ruminations sur... Enfin bref, et puis c'est symbolique ! C'est le renouveau de la vie, le triomphe de la lumière du printemps sur la noirceur de l'hiver !

-Tu dis n'importe quoi. »

Selphie se tut vexée, et Kairi éclata de rire.

« D'accord, j'irai à cette fête. »

Cela eut le mérite de dérider instantanément son amie.

« C'est vrai cette fois ?

-Oui... je sens que je vais le regretter, mais tu m'as convaincue. Mais n'exige plus rien de moi après ça...

-Pas de problème ! »

Elles reprirent leur route dans une ambiance plus sereine. Kairi ne pouvait s'empêcher de se sentir envieuse : parfois, elle aurait envie d'être comme Selphie, libérée de son mal d'aventure et des fantômes de son passé, juste une adolescente comme les autres qui profitait de la vie... Ce qu'elle était avant cette nuit fatidique. Mais elle savait qu'elle ne regrettait en rien tout ce qu'il lui était arrivé, bien au contraire.

« Dis...

-Oui ?

-Je peux te demander un service ?

-Ah tu en profites maintenant que tu as accepté. C'est pas honnête, la taquina Selphie.

-Mais non ! »


« Je peux savoir ce que tu fais ? siffla Selphie depuis la porte.

-Rien, je cherche un truc...

-Et pourquoi t'as besoin de moi pour faire le guet ?

-Parce qu'avec mon vacarme j'entendrai pas quelqu'un arriver !

-Si quelqu'un arrive, ce sera justement à cause de ton... vacarme. T'es au courant que c'est la salle des objets perdus, non ? Tout le monde a le droit de s'y rendre. »

Kairi se redressa pour lui jeter un coup d'œil.

« Ah bon ? Excuse-moi. J'ai dû oublier. »

Elle replongea la tête dans la caisse, usant des deux mains pour soulever le bric-à-brac dans un fracas épouvantable.

« Bah, je te le dois bien, j'imagine. Qu'est-ce que t'as perdu ?

-Un truc. »

Selphie soupira et tapota le carrelage du pied, signe d'impatience.

« T'es au courant que les cours commencent dans deux minutes ?

-Oui.

-T'es au courant qu'on a contrôle ? insista Selphie.

-Ça y est ! »

Échevelée, les joues rouges mais l'air triomphant, Kairi se redressa brusquement, brandissant un petit sac bleu d'enfant. Selphie lui jeta un coup d'œil circonspect.

« Et c'est quoi ça ?

-Je crois qu'il appartenait au garçon dont je t'ai parlé.

-Encore lui ? Et c'est pour ça que tu vas nous faire arriver en retard ? En plus il est vide. » ajouta-t-elle quand Kairi ouvrit le sac.

Elle n'avait qu'à moitié raison. Bien qu'à première vue, il semblait effectivement vide, Kairi y discerna quelques bricoles abandonnées au fond : des bouts de papier, une sorte de petite feuille de papier pliée en quatre, avec deux crayons et un bout de gomme. Elle s'empara de la feuille et la déplia.

« C'est une photo ! » s'écria Selphie.

La photographie représentait trois enfants de sept à neuf ans assis sur le sable de la plage, dans l'ombre de l'arbre Paopou, fixant docilement l'appareil avec de grands sourires.

« Hé, mais c'est toi ! » s'écria encore son amie en désignant la fille du milieu, une fillette aux cheveux rouges vêtue de blanc. Kairi eut un sourire ému, qui se figea en reconnaissant les deux garçons qui l'entouraient.

« C'est Riku, indiqua Selphie en pointant du doigt un garçon au visage maussade encadré par des cheveux argentés. Euh, je veux dire... -elle bafouilla, pensant sincèrement que la vision de cet ami considéré comme mort faisait souffrir Kairi, aussi changea-t-elle aussitôt de sujet-. Mais lui, je me demande qui c'est... » fit-elle en désignant le second garçon, un enfant aux cheveux bruns ébouriffés qui brandissait une épée de bois en souriant d'un air bravache à l'objectif.

Intriguée, Selphie s'empara de la photographie pour le rapprocher de son visage. Kairi ne réagit pas quand il quitta ses doigts. Selphie observa longuement le garçon, qui lui disait vaguement quelque chose sans qu'elle put mettre le doigt dessus.

« Non, je vois pas, dit-elle enfin. On pourra toujours demander à Wakka. Il a une mémoire d'éléphant. Bref, on ferait mieux d'aller en cours... Kairi ? »

Kairi avait cinq ans. Peu après leur rencontre, Sora l'avait invitée chez lui. Elle avait rencontré Riku. Ils avaient pris l'habitude de se rendre sur la petite île tous les dimanches sous la supervision du père de Sora. Un jour, lors de leurs excursions, la fillette avait remarqué que ses deux amis avaient disparu. Elle les avait cherchés partout, en vain, et elle avait été trop timide pour aller interroger la dénommée Selphie et ses deux amis, qu'elle avait remarqués dans sa classe. Cependant, alors qu'elle se reposait, découragée, au bord de la cascade ombragée près de la plage, elle avait vu Sora surgir de l'ombre des buissons.

« Sora ! »

Il avait paru surpris de la voir, puis lui avait souri d'un air enjoué.

« Kairi ! Qu'est-ce que tu fais ici ?

-Je te cherchais, où étais-tu ? »

Elle s'était penchée sur le côté pour apercevoir d'où le jeune garçon avait surgi, mais ne discerna dans la pénombre que les branches feuillues des buissons.

« Hé, Kai, tu veux que je te montre un secret ? »

A cet instant, Riku était apparu aux côtés de Sora, l'air mécontent. Stupéfiée, Kairi s'était approchée d'un pas, cherchant à découvrir le passage secret.

« Pourquoi tu veux lui montrer ? avait protesté Riku. Ce passage c'est notre secret à tous les deux, non ?

-Oh allez Riku... Kai est notre amie...

-Il y a un passage secret ? avait demandé la fillette avec enthousiasme. C'est quoi ?

-Je vais te le dire, avait annoncé Sora avec un grand sourire. Mais d'abord tu dois promettre d'en parler à personne. C'est notre secret ! »

Elle avait promis et Sora lui avait dévoilé l'entrée de la grotte secrète, malgré les protestations maussades de Riku.

Elle avait sept ans, et les trois amis se retrouvaient souvent dans la cachette secrète pour bavarder des heures durant. Ce jour-ci, Riku était absent. Ses parents l'avaient « réquisitionné » pour s'occuper des courses hebdomadaires. Ce fut ce jour-ci qu'ils se dessinèrent mutuellement sur les murs de la caverne, suite à une plaisanterie du jeune garçon.

Le temps avait passé, elle avait grandi. Bientôt, elle eut quatorze ans. Riku était rentré au lycée, et comme il avait changé d'école, il changea d'intérêt. Les jeux sur l'île ne l'intéressaient plus. Il demeurait des heures durant près de l'arbre Paopou, à « s'entraîner » avec son épée comme il le disait tout en rêvant d'ailleurs. Devant cette distance, Kairi s'était rapprochée de Sora. Lui n'avait pas changé, c'était toujours le même, bien que parfois, elle craignait que lui aussi ne soit saisi des mêmes ambitions que Riku.

Un jour, Riku avait eu une idée folle.

Pourquoi ne pas partir ? Fuir la prison de l'île ? Découvrir de nouveaux horizons ?

Sora l'avait suivi avec enthousiasme. Kairi avec réticence et inquiétude : ses amis avaient pensé qu'elle accepterait avec ardeur dans le but de retrouver sa mystérieuse ville natale, malgré qu'elle n'eût cessé de répéter qu'elle n'en avait gardé aucun souvenir. Elle avait néanmoins peur de les perdre, de les voir disparaître au loin tout en restant cantonnée à ces paysages immuables. Durant les vacances d'été, ils avaient même commencé à ériger un radeau pour entreprendre ce voyage fantaisiste. Kairi s'était prise au jeu, d'abord seulement par amusement, puis par intérêt, se demandant sincèrement ce qui se trouvait au-delà des eaux. Riku le disait lui-même : s'il existait d'autres mondes, pourquoi avaient-ils atterri dans celui-ci ? S'il y avait vraiment d'autres mondes, alors le leur n'était qu'une petite partie d'un tout gigantesque. C'était ce qu'ils voulaient découvrir.

Leur radeau s'était paré d'une dimension symbolique : c'était leur projet, leur décision, la perte de leur enfance, l'entrée dans le monde mystérieux des adultes, comme elle se plaisait à le répéter. Ils se croyaient braves, adultes et indépendants : même leurs parents n'avaient jamais eu vent de leur projet farfelu. Et ils n'avaient jamais songé aux conséquences de leurs actes.

Mais la nuit était tombée. Le vent s'était levé. Mue par une impulsion soudaine et inconnue, Kairi en avait fait de même. Délaissant son lit et la chaleur de sa maison, elle s'était rendue seule au fond de la cachette secrète. Elle s'était sentie bizarre, presque malade. Son esprit s'était vidé tandis qu'elle observait la mystérieuse porte encastrée dans le mur.

« Kairi ! »

Sora avait surgi dans la caverne, l'air très inquiet. Ses bras et son visage portaient des traces d'égratignures.

« Sora... »

C'était tout ce qu'elle avait réussi à lui dire. Elle ne sentait plus son corps. Elle s'était tournée vers lui, avait croisé son regard, et tout avait explosé dans son dos. Un souffle d'air l'avait violemment projetée en avant et tous deux furent emportés par les Ténèbres. Tout était devenu noir.

Même dans les Ténèbres les plus sombres, il lui restait une certitude. Ils étaient soudés, n'est-ce pas ? Rien, aucune distance, aucun malentendu, ne pourrait les séparer. Ils s'en sortiraient.