Chapitre publié le 17 mai 2017
Chapitre 12 : L'Organisation
Ils étaient rentrés bien vite à la citadelle suite à leur décision. Axel et Roxas ne parlèrent guère ; Kairi se doutait qu'elle était la cause de leur trouble et en ressentait une pointe de culpabilité amère, sachant qu'elle ne pouvait rien pour eux. Sa culpabilité se changea bien vite en nervosité quand ils retrouvèrent les austères couloirs métalliques de la citadelle et plus encore quand ils pénétrèrent dans une grande salle rectangulaire où tous les autres membres de cette mystérieuse association s'étaient assemblés.
La salle partageait la même architecture que le reste du château, avec ses murs métalliques sans fenêtre, mais Kairi comprit immédiatement qu'il s'agissait d'une salle à manger à la vue de la longue table rectangulaire qui en occupait le centre et autour de laquelle les autres membres s'étaient installés. Elle remarqua cependant de nombreuses chaises vides, dénotant l'absence de certains d'entre eux, en particulier le fauteuil de plus belle allure qui trônait, inoccupé, en tête de table. Il semblait que leur chef n'avait pas daigné se joindre à eux.
Kairi s'installa prudemment près de Roxas et regarda autour d'elle. Les couverts n'avaient été mis que pour les huit membres présents, elle comprise. Où que soient les autres, ils n'étaient pas attendus. Elle laissa son regard dériver sur la petite assemblée : elle reconnut Saïx et l'homme à la queue-de-cheval de ce matin, installés l'un en face de l'autre aux places les plus proches du trône vide, le garçon qui était venue la réveiller et qui tapotait sur la table d'un air ennuyé, et deux autres hommes qu'elle ne connaissait pas, l'un robuste à l'air renfrogné et l'autre au regard rusé qui jouait avec un paquet de cartes en sifflotant.
« Vous êtes en retard, lâcha Saïx d'un ton glacial.
-Désolé ! Il y a eu quelques complications », répliqua Axel avec un sourire décontracté.
Saïx le fixa d'un regard inexpressif.
« Et qu'en est-il de vos missions ? » demanda-t-il finalement.
Kairi réprima une grimace et jeta un regard inquiet à Roxas, mais Axel se hâta de répondre à leur place :
« Je te donnerai le rapport tout à l'heure, mais j'ai peur qu'on ait pas pu avoir beaucoup de Sans-cœur aujourd'hui », dit-il en prenant un air gêné.
Il ne trompa pas Saïx qui parut mécontent et fronça les sourcils mais à peine eut-il ouvert la bouche que l'homme à la queue-de-cheval l'interrompit avec un geste désinvolte de la main.
« C'est pas grave, Saïx. On aura tout le temps pour en parler après le repas.
-Oui, mangeons », renchérit un de ses collègues en faisant disparaître son paquet de cartes comme par magie.
Saïx leur jeta un regard courroucé mais se rassit sans un mot.
Sans attendre davantage, les autres commencèrent à manger en silence le contenu de leur assiette. Kairi regarda ses couverts posés à même la table métallique. Elle se rendait compte qu'elle mourait de faim. Elle n'avait pas mangé de la journée après tout, bien qu'il lui soit impossible de déterminer l'heure qu'il était dans ce monde perpétuellement nocturne.
Roxas lui passa l'unique plat de la table, un grand saladier de métal, et elle se servit prudemment d'une espèce de bouillie jaunâtre qui ne dégageait aucune odeur. Elle en attrapa du bout de sa cuillère sans grand enthousiasme : cette nourriture avait l'air plutôt fade. C'était aussi le seul plat du dîner, outre une carafe d'eau. Tous leurs repas étaient-ils aussi frugaux ? Cela semblait surprenant, de la part d'un groupe aussi actif.
Alors qu'elle hésitait à goûter au contenu de sa cuillère, l'homme à la queue-de-cheval, qui l'observait à son insu depuis quelques secondes, l'interpella.
« Alors, poulette, t'as pas faim ce soir ? » la railla-t-il.
Il lui offrait un sourire narquois mais son regard était calculateur. Kairi comprit qu'elle ne pouvait se dérober sans paraître suspecte et avala sagement sa cuillère. La bouillie n'avait presque aucun goût, ni aucune consistance, mais au bout de quelques bouchées, la jeune fille se sentit curieusement plus énergique. Peut-être ne prenait-on aucun plaisir à manger cette nourriture, mais au moins, elle était conçue pour répondre aux besoins d'un groupe de combattants, ce qui lui rappela qu'elle ignorait toujours leur but. Chassaient-ils les Sans-cœur pour rétablir l'ordre dans les mondes ? Était-ce pour cette raison que Sora, s'il était bel et bien Roxas, avait rejoint ce groupe ? Dans le but d'affronter la nouvelle menace qui avait remplacé Ansem ?
Un silence lourd planait dans la salle. Personne ne parlait et elle avait l'impression que tous prenaient soin de rester concentrés sur leur assiette, évitant machinalement le regard des autres, comme une sorte d'entente tacite. Elle se risqua néanmoins à dévisager ses nouveaux camarades.
Ils mangeaient avec des gestes mécaniques, comme si la nourriture n'avait aucun intérêt. Chacun évitait le regard des autres, certes, mais elle ne ressentait aucune gêne ambiante : c'était comme s'ils le faisaient sans y penser, comme par habitude. Les visages baissés vers la table étaient dénués d'émotion, figés pareils à des masques, sauf peut-être, remarqua-t-elle, celui d'Axel, qui fronçait subrepticement les sourcils, et Roxas, qui mâchonnait sa nourriture avec lenteur, comme importuné par des pensées sombres. Il croisa son regard et lui adressa un sourire encourageant qu'elle lui retourna. Oui, ils devaient être encore perturbés par ce qui lui était arrivé.
Le dîner fut court. Bien vite, les hommes au manteau noir se levèrent un à un et quittèrent les lieux. Kairi, déterminée à ne pas rester seule avec l'homme à la queue-de-cheval qui avait terminé son assiette et s'était reculé contre le dossier de sa chaise, un rictus satisfait aux lèvres, se hâta de suivre Roxas et Axel hors de la salle. Dès qu'ils furent suffisamment loin dans le couloir désert, hors de portée d'éventuelles oreilles attentives, Axel prit la parole :
« Je ne veux pas casser votre... enthousiasme, mais vous êtes conscients qu'on ne pourra pas continuer ce petit jeu éternellement sans se faire repérer, non ?
-T'es en train de dire qu'on perd notre temps ? s'indigna Roxas en haussant la voix.
-Je suis en train de dire, reprit patiemment son camarade, que si on veut avoir une chance de s'en sortir et que Saïx n'y voie que du feu, il faut s'y mettre tout de suite. Xion, ajouta-t-il et Kairi se tourna immédiatement vers lui, tu sais que je ferais tout mon possible pour qu'il ne te fasse pas de mal. Mais il y a des choses que moi-même je ne peux pas éviter.
-C'est pas la faute de Xion ! s'écria Roxas, soudainement agité. Elle fait ce qu'elle peut ! N'est-ce pas, Xion ?
-Chut, Roxas, baisse d'un ton ! le coupa sèchement Axel. Je sais qu'elle n'y peut rien. Mais c'est pas le problème, là. Tu crois qu'ils s'en soucient, que ce ne soit pas sa faute ?
-Mais qu'est-ce qu'on peut faire alors ?! » murmura Roxas du plus fort qu'il put.
Axel soupira et Kairi le vit jeter un rapide coup d'œil nerveux dans les environs.
« Ne vous en faites pas pour moi, intervint-elle, lasse. Je peux m'en sortir. On va faire comme on a dit. Est-ce que vous pouvez m'emmener à la Forteresse Oubliée ? »
Il était vrai qu'elle ignorait comment ouvrir un de ces passages pour voyager entre les mondes. Était-ce quelque chose que Xion savait faire ? Elle aurait parié que oui. Voilà qui l'incommodait assez.
« Je ne sais pas où se trouve ce monde, avoua piteusement Roxas en baissant les yeux. Je n'y suis jamais allé.
-Je peux t'y emmener, répondit Axel, mais pas ce soir. Si on sort tout de suite, on se fera repérer.
-Mais si on ne fait rien, ils vont se rendre compte que Xion ne va pas bien ! cria Roxas, qui avait du mal à contrôler son agitation.
-Je sais ! le calma Axel. Écoutez. On peut toujours y aller un soir après les missions, mais... si on est en retard, ils auront des soupçons. Je pourrai trouver une excuse, mais si ça se répète...
-C'est bon, répondit Kairi, plus pour rassurer Roxas qui lui faisait pitié. Je peux m'en sortir. »
Elle pouvait toujours tuer des Sans-cœur à coup de bâton, non ? Et peut-être avait-elle même quelques talents cachés de Princesse de Cœur pour la protéger, bien qu'elle n'en soit pas vraiment sûre. On ne lui avait jamais parlé de ce que son statut de Princesse de Cœur, dont elle ignorait tout avant son enlèvement, impliquait.
Axel la dévisageait à nouveau d'un regard calculateur.
« Tu as raison, dit-il enfin. Mais... sois prudente, d'accord ? »
Kairi parvint tant bien que mal à retrouver le chemin de sa chambre, après avoir pris un moment pour dissiper les inquiétudes de Roxas. Celui-ci lui avait assuré qu'il se chargerait du rapport pour Saïx ce qui, elle devait l'avouer, la soulagea. A peine la porte refermée derrière elle qu'elle s'effondra sur son lit en relâchant un long soupir. Elle était enfin seule et en sécurité, à l'abri d'être démasquée en commettant un impair.
Tout ce à quoi elle avait assisté durant la journée, tout ce qu'elle avait appris, défila sous ses paupières closes. Ce mystérieux groupe... par moments il la mettait un peu mal à l'aise, mais ils tuaient des Sans-cœur, non ? Cela semblait être leur tâche principale et ils y mettaient beaucoup d'ardeur, vu le quota élevé qu'elle et Roxas s'étaient vus demandé pour cette journée. Dans quel but ? Veillaient-ils sur les mondes, tout comme Sora ? Pourtant, il y avait quelque chose qui la taraudait... Roxas avait parlé de Simili et de Kingdom Hearts... Et pourquoi y avait-il à nouveau des Sans-cœur de toute manière ? Quelle était la nouvelle menace qui avait remplacé Ansem ?
« Quelque chose ne va pas ici », murmura-t-elle.
Ses pensées dérivaient vers Roxas. Tout lui criait qu'il s'agissait de Sora, de celui qu'elle cherchait. Elle n'en était pas certaine, mais elle avait le sentiment que quelque chose de grave lui était arrivé. Yeul lui avait dit qu'elle le trouverait ici, et il avait la Keyblade... Mais c'était aussi le cas de cette Xion, qui lui ressemblait trait pour trait. Alors, était-il Sora ? Ou pas ? Elle ne parvenait pas à se décider. Elle était tentée de dire oui, mais...
Elle pouvait toujours rester avec ce groupe pour l'instant, songea-t-elle tandis qu'elle s'endormait. Elle était sûre que cette mystérieuse citadelle renfermait encore de nombreux secrets.
Le lendemain, la jeune fille put constater à quel point ses collègues étaient consciencieux. Ils travaillaient même le dimanche. Quand elle en fit la remarque à haute voix tandis que Roxas, qui l'avait curieusement attendue devant la porte de sa chambre en dissimulant mal son inquiétude, et elle remontaient un long couloir en direction du salon, son camarade haussa les sourcils, l'air perplexe :
« Ben oui, comme d'habitude. Pourquoi on ne travaillerait pas aujourd'hui ? »
Son sommeil avait été lourd de rêves agités, mais elle s'était réveillée à l'heure cette fois-ci, ou du moins personne n'était venu frapper à sa porte comme la veille. Elle se sentait plus en confiance aussi. Elle avait passé la première journée sans se faire démasquer et avait plus de hâte que d'anxiété d'affronter celle-ci.
Alors qu'ils approchaient du salon, Roxas s'arrêta brusquement.
« Tout va bien ? » demanda Kairi en se tournant vers lui.
Il la regarda longuement.
« Xion, t'es sûre que ça va aller aujourd'hui ? » dit-il nerveusement.
Elle lui offrit un grand sourire et il cligna des yeux, pris de court.
« Ouaip, ne t'inquiète pas ! Je me sens beaucoup mieux aujourd'hui ! Allons-y !
-X... Xion ? T'es vraiment sûre que ça va ? insista-t-il. Tu es un peu... bizarre. »
Oups, peut-être que Xion n'était pas censée se montrer aussi enthousiaste. Elle doutait que Roxas ait des soupçons, mais mieux valait rester prudente.
« Je vais bien, dit-elle d'une voix plus calme. Vraiment. Mais... merci de euh, t'inquiéter pour moi.
-Ce n'est rien, lui assura-t-il, le sourire revenu sur son visage. On est amis après tout ! »
Certes... elle ressentit à nouveau une pointe de culpabilité.
Saïx, toujours aussi froid, se dirigea vers eux dès qu'ils mirent le pied dans le salon. Sans même les saluer, il leur donna immédiatement leurs ordres :
« Roxas, tu es en mission avec Demyx aujourd'hui.
-Quoi ? Vraiment ? répliqua son camarade en tentant, et échouant, de cacher sa déception.
-Au Pays des Merveilles. 300 Sans-cœur », continua Saïx, imperturbable.
Roxas grogna puis s'exécuta avec réticence après un dernier regard inquiet vers elle. En le suivant du regard rejoindre le garçon blond aux cheveux ébouriffés qui était assis avec un sitar sur les genoux pour une raison quelconque, Kairi se rendit compte que Axel les observait, elle et Saïx, adossé contre le mur de l'autre côté de la pièce. Saïx se tourna vers elle.
« Xion. A l'heure aujourd'hui, dit-il sans dissimuler son mépris. Tu as une mission avec Xigbar dans le monde du Palais des Rêves. 300 Sans-cœur également. »
Sur ces paroles, il tourna les talons sans lui adresser un regard supplémentaire et elle demeura figée sur place, regardant timidement autour d'elle. Elle n'avait pas la moindre idée de qui était Xigbar. Ce fut alors qu'elle vit l'homme à la queue-de-cheval et au sourire narquois se lever et se diriger vers elle.
« Ben alors poulette, je te fais peur ou quoi ? »
Elle ne sut quoi répondre et réprima une grimace quand il lui tapota le sommet du crâne d'un geste paternel.
« T'es avec moi aujourd'hui ! Allez, direction le Palais des Rêves ! » lança-t-il d'un ton jovial en ouvrant un Couloir.
Il faisait partie de ses nouveaux collègues à qui elle faisait le moins confiance pour le moment – elle n'aimait pas du tout ses yeux jaunes qui la dévisageaient sans la moindre gêne et ce sourire de requin – mais elle dut tout de même se résigner à le suivre dans le Couloir. Une fois entre les murs intangibles et tourbillonnants qui les isolaient des mondes, Kairi le laissa prendre la tête, restant prudemment quelques pas derrière lui, mais il ne lui accordait plus aucune attention à son grand soulagement.
Ils émergèrent entre les arbres, au milieu de ce qui semblait être un bois. A peine mit-elle un pas dehors qu'elle dut détourner la tête, éblouie par la clarté du ciel entre les arbres. La jeune fille esquissa quelques pas en s'étirant : elle ne savait pas où ils étaient mais le ciel bleu, les odeurs de la nature, et le bruissement familier du vent dans les cimes la revigoraient.
« Hé, Xion ! la rappela Xigbar. Je te rappelle qu'on est pas en vacances ! On a du pain sur la planche aujourd'hui ! »
Son camarade examinait les environs avec attention, non pas pour profiter de la beauté de la nature, mais pour déterminer la meilleure des stratégies à adopter.
« Très bien ! T'as compris ce qu'on a à faire, hein ? Je pars de ce côté, on se rejoint ici comme d'hab. Va où tu veux, mais ne te perds pas, ok poulette ?
-Ce n'est pas la peine de m'appeler ainsi », se défendit-elle.
Il éclata de rire mais n'insista pas. D'un geste de la main, il matérialisa deux armes étranges, semblables à des fusils, sous l'œil attentif de Kairi. Elle avait au moins la réponse à une de ses questions : pas tous les membres de cette organisation possédaient une Keyblade.
Elle attendit qu'il se soit éloigné, soudainement agile et silencieux, l'œil aux aguets, pour se mettre en route à son tour, choisissant une direction au hasard.
Elle était donc supposée tuer des Sans-cœur... Sans doute devrait-elle s'y mettre si elle souhaitait protéger son identité. Résolue, la jeune fille inspecta les environs du regard jusqu'à dénicher un bâton assez petit et léger pour qu'elle puisse le manier, et assez robuste pour pouvoir servir d'arme. Ainsi armée, elle s'enfonça entre les arbres.
La forêt n'était pas très dense, mais au contraire très lumineuse et résonnait de chants d'oiseau. Elle entendit dans le lointain sonner la cloche d'une église. Cet endroit paraissait beaucoup trop attrayant pour être un repaire de Sans-cœur, et elle faillit baisser sa garde quand quelque chose s'agita dans un buisson voisin.
Kairi déglutit et leva son arme. Elle s'attendait à ce que la créature ne se montre pas, ou jaillisse du buisson toutes griffes dehors, mais l'Ombre sortit du feuillage d'un pas nonchalant et s'arrêta net à sa vue, inclinant la tête comme si elle était surprise de la voir. Kairi la trouvait presque mignonne, jusqu'au moment où l'Ombre se précipita vers elle d'une démarche pataude en agitant ses petites griffes. La jeune fille se tendit, tentant de rester sourde à sa peur, et abattit son arme avec une exclamation étouffée quand le Sans-cœur fut à portée de bâton.
« Ah ! »
Le monstre s'effondra au sol en couinant, mais le coup n'avait pas été assez fort pour le tuer, et elle dut rassembler son courage pour s'approcher et abattre son arme une seconde fois. Cette fois-ci, il se volatilisa dans un nuage de fumée.
Et de un.
Kairi se retint de crier victoire à voix haute. C'était son premier Sans-cœur ! Mais elle devait avouer que le petit monstre lui avait fait un peu de peine. Peut-être un peu trop confiante après cette victoire, elle repartit d'un bon pas.
Le reste de la mission se déroula ainsi. Elle eut la chance de ne pas croiser d'ennemis plus puissants que des Ombres engourdies par la lumière du soleil, mais elle accumula néanmoins les égratignures et les piqûres d'insectes, et son bras devenait de plus en plus endolori à force de manier le bâton. Elle n'avait pas la moindre idée du temps qui était passé ou du nombre de Sans-cœur qu'elle avait tués. Alors qu'elle s'octroyait une pause, adossée contre un arbre, elle entendit soudainement un craquement derrière elle.
Kairi passa prudemment la tête derrière le tronc de l'arbre, ses doigts glissant de sueur se nouant autour de son arme de fortune. Par-dessus un buisson de ronces, elle aperçut quelques dizaines de mètres plus loin, entre les arbres, un Sans-cœur qui vagabondait. Cela n'était pas une Ombre, mais un monstre énorme au ventre impressionnant surmonté d'une petite tête, qui se promenait en se dandinant. Ça lui donnait presque envie de rire, mais elle jugea bon de ne pas s'y frotter et de rebrousser chemin.
Hélas, ce faisant, le bruit de ses pas sur les brindilles sèches qui recouvraient le sol fut perçu par l'ouïe sensible de la créature qui se tourna vers elle. Avant qu'elle ait pu décider de prendre ses jambes à son cou, il se précipita vers elle à une vitesse impressionnante pour une créature de sa corpulence, et elle eut tout juste le temps de se jeter sur le côté avant que le monstre ne s'écrase contre un arbre, là où elle se trouvait une seconde auparavant.
Kairi se releva, des feuilles mortes s'accrochant à son manteau. Elle ne réfléchit pas quand le monstre se retourna vers elle : elle se précipita et asséna son bâton sur le ventre rebondi du Sans-cœur.
Aïe. Son arme rebondit contre le ventre rond du monstre sans lui faire le moindre mal et lui échappa des mains, et le choc se propagea dans son bras. Elle tituba en arrière avec la sensation que son bras allait se détacher de son épaule. A peine eut-elle le temps de reprendre son équilibre que le monstre se dirigeait de nouveau vers elle d'un pas menaçant, la contemplant d'un regard brûlant de toute sa hauteur.
« Oh non ! » eut-elle seulement le temps de laisser échapper avant que le Sans-cœur ne se précipite sur elle, prêt à l'écraser sous son poids.
Avec un cri, elle se protégea le visage de ses mains et ferma les yeux. Il y eut des sons qu'elle ne parvint pas à identifier et un bruit sourd, mais elle était tellement occupée à reculer à pas désordonnés qu'elle ne prêtait plus attention à ce qui se passait autour d'elle.
« Hé ! Xion ! Arrête de hurler ! »
Kairi risqua un coup d'œil entre ses bras tremblants. Le Sans-cœur gisait au sol, achevant de se volatiliser, un trou fumant au milieu du corps. Et Xigbar se laissa tomber avec agilité à quelques pas de là, ses fusils à la main.
« Une chance que j'ai décidé de venir voir ce que la poulette faisait, hein ? Un peu plus, et tu finissais en bouillie ! T'es pas très en forme ces derniers temps, dis donc, commenta-t-il avec un rictus mystérieux, comme s'il faisait référence à quelque chose que lui seul connaissait.
-Merci beaucoup », répondit Kairi avec sincérité, car il avait raison après tout.
Il agita un fusil d'un geste désinvolte et elle s'écarta prudemment.
« Ah, c'est rien. Mais tu sais, je ne serai pas tout le temps là pour jouer les preux chevaliers ! Axel aime peut-être ça mais moi... »
Il s'interrompit brusquement et tourna la tête vers un bosquet proche. Son attitude décontractée avait laissé place en une fraction de seconde à celle d'un prédateur guettant son gibier.
« Qui est là ? » ordonna-t-il, toute trace de plaisanterie disparue de sa voix.
Les fourrés s'agitèrent, mais ce ne fut pas un Sans-cœur qui en sortit, mais une petite fille aux tresses blondes, qui ne semblait même pas s'être aperçue qu'elle n'était pas seule. Elle se figea sous la surprise à leur vue. Elle ne devait pas avoir plus de huit ans et portait un panier rempli de fleurs.
« C'est... c'est vrai, j'ai entendu un village pas très loin », s'écria Kairi.
Elle s'avançait déjà en direction de l'enfant avec un sourire avenant quand Xigbar grogna avec mépris.
« Qu'est-ce que tu fous là, toi ? Tu vois pas que tu nous déranges ? Disparais ! »
Sous les yeux choqués de Kairi, et avant qu'elle ait pu s'interposer, il pointa un fusil dans la direction de l'enfant et tira. La balle magique carbonisa un buisson à la gauche de la petite fille qui poussa un hurlement et s'enfuit, laissant tomber son panier dans sa hâte.
« C'est ça le problème, avec ces missions, on tombe toujours sur des...
-Qu'est-ce qui vous prend ? s'indigna Kairi. Vous auriez pu la tuer !
-Yeah, et alors ? »
Kairi en perdit ses mots.
« M-Mais, dit-elle enfin, comment ça « et alors » ? Je ne devrais pas avoir à vous expliquer pourquoi il ne faut pas faire ça ! »
Xigbar eut un rictus sarcastique.
« J'en ai rien à faire, de cette enfant. Elle n'avait qu'à pas venir gêner les grandes personnes...
-Mais ce n'est pas... ! s'écria Kairi, incrédule, sans faire attention à ce qu'elle disait. Nous sommes censés protéger les mondes, pas...
-Protéger les mondes ? »
Xigbar éclata d'un long rire sinistre qui lui fit dresser les poils sur les bras.
« C'est la meilleure ! T'es vraiment incroyable, poulette ! Tu vas bientôt rattraper le niveau de Roxas si tu continues ! »
Sous ses yeux interdits, il fit disparaître ses fusils et ouvrit un Couloir.
« Allez, on rentre. La plaisanterie a assez duré et je n'ai pas que ça à faire. »
Ne pouvant se résoudre à rester coincée dans ce monde, la jeune fille se hâta de le suivre mais ne s'approcha plus de lui de tout le trajet.
Elle se sentait un peu trahie en fait. C'était étrange : s'était-elle mise dans la tête que ces individus, parce qu'ils chassaient les Sans-cœur, étaient de bonnes personnes ? Roxas était gentil, certes...
Habitée par de sombres pensées, elle vagabonda dans les couloirs déserts de la citadelle vers ce qu'elle espérait être la direction de sa chambre et releva la tête avec surprise quand elle croisa Roxas, qui se dirigeait vers elle, l'inquiétude lisible sur son visage.
« Xion ! Ça va ? »
Elle eut une grimace et il murmura :
« Tu n'es pas venue à la tour de la gare ce soir... J'avais peur qu'il soit arrivé quelque chose.
-Tout s'est bien passé. C'est juste... »
Elle fut sur le point de raconter l'incident avec Xigbar et la fillette mais jugea préférable de se taire. Après tout, peut-être le comportement de Xigbar était-il considéré normal ici, et cela ne servirait qu'à lui attirer des soupçons.
« Tu as réussi à te débrouiller pour tuer des Sans-cœur, sans ta Keyblade et sans la magie ?
-J'ai utilisé un bâton, répondit-elle simplement. Ce n'était pas très facile.
-Ah, comme quand je t'ai prêté ma Keyblade au Château de la Bête ! Mais ils vont se rendre compte que tu ne récoltes pas de cœur...
-Hein ?
-Ah, tu n'es pas au courant ? s'étonna Roxas. C'est bizarre, j'étais sûr que tu le savais. On ne peut récupérer les cœurs des Sans-cœur qu'en les tuant avec une Keyblade ! Sinon, ils réapparaissent, et ce n'est pas très utile. C'est pour cela que toi et moi nous sommes spéciaux », ajouta-t-il doucement.
Cette organisation... tuait les Sans-cœur pour récupérer des cœurs ? Que voulait-il dire ? Était-ce pour les empêcher de sombrer à nouveau dans les Ténèbres ?
Roxas invoqua soudain sa Keyblade.
« On peut peut-être réessayer ! dit-il d'un ton joyeux. Ça a marché la dernière fois. »
Il lui tendit l'arme et la jeune fille lui renvoya un regard incertain.
« Vas-y ! insista-t-il. Prends-la ! »
Elle obéit avec timidité. La poignée de l'arme, plus légère que ce qu'elle avait escompté, était chaude sous ses doigts. Elle se sentit alors puissante et pleine d'assurance, du moins durant une seconde avant que l'arme ne disparaisse dans une gerbe d'étincelles.
« Que-Quoi ? s'écria Roxas, l'air horrifié. Pourtant, la dernière fois, tu pouvais l'utiliser ! Tu ne peux même plus la prendre maintenant ? »
Kairi lui retourna un sourire d'excuse. Il était vraiment gentil, et si attentionné, et elle ne cessait de lui causer du trouble depuis son arrivée. Mais...
Protéger les mondes ? Le rire glauque de Xigbar résonnait encore dans ses oreilles.
...il était dommage qu'elle ne puisse pas lui faire confiance.
