Chapitre publié le 8 juillet 2017.

Chapitre 16 : Double évaluation

« Hé, Saïx, attends ! »

L'autre poursuivit sa route, imperturbable aux interpellations incessantes de son collègue qui tentait de le rattraper.

« Attends, je te dis ! »

Avec un soupir résigné, Saïx s'arrêta finalement au beau milieu de la rampe, mais ne se tourna vers Axel qui stoppa quelques pas derrière lui, feignant de reprendre difficilement son souffle. Il l'avait suivi dès la fin de la réunion, ce à qui ne l'avait pas surpris. C'était si prévisible.

Axel jeta un rapide coup d'œil dans les alentours pour s'assurer qu'ils étaient seuls. Autour d'eux, les rampes s'élevaient vers les hauteurs de la citadelle, tout droit vers les étages où seul résidait Xemnas, si bien qu'elles étaient désertes et silencieuses, comme d'ordinaire, mais on n'était jamais trop prudent.

Il se rapprocha et força un sourire détendu et faussement amical qui n'eut aucun effet sur Saïx.

« Allez, ce n'est pas la peine d'aller prévenir Xemnas ? On peut encore lui donner une autre...

-Une autre chance ? »

Saïx ne se retourna pas vers lui et se contenta d'incliner légèrement la tête par-dessus son épaule droite sans rencontrer son regard. Comme habituellement, ses traits glacials revêtaient une expression neutre bien que légèrement méprisante et Axel laissa son sourire fléchir et s'éteindre sur ses lèvres, perdant toute façade cordiale.

« On ne lui a donné que trop de chances. Ce n'est qu'un échec. Cette chose n'aurait jamais dû exister.

-Ne parle pas d'elle comme ça.

-Ce n'est pas une « elle », Axel. »

Comme celui-ci ne répondait pas, Saïx, sans changer d'expression, poursuivit :

« Est-ce que c'est déjà arrivé ?

-... De quoi parles-tu ?

-Ne fais pas mine de ne pas comprendre, tu sais très bien de quoi je parle. Est-ce que Xion a déjà perdu la maîtrise de la Keyblade par le passé ? »

A nouveau, Axel ne répondit rien et détourna les yeux, silence qui fut plus que suffisant. Saïx grogna avec mépris, seule indication du ressentiment envers sa trahison.

« C'était ça, n'est-ce pas, quand tu as fait tout un cirque pour obtenir que Xion et Roxas restent en mission ensemble, il y a quelques mois. Tu espérais que je ne remarquerai rien ? Tu me prends pour un idiot ?

-Ok, mais ça a marché non ? tenta de se rattraper rapidement Axel, cherchant à détourner la conversation de ce terrain dangereux. Xion a retrouvé sa Keyblade au bout de quelques semaines ! Alors pourquoi ne pas lui laisser une autre chance...

-Tu sais bien qu'on ne peut laisser passer ça. L'imposteur – tu vois de qui je parle, non ? – nous a causé beaucoup d'ennuis ces derniers temps, nous ne pouvons nous permettre de laisser un autre obstacle risquer de nous faire échouer à atteindre notre objectif. »

Devant le silence de son coéquipier, Saïx dut conclure que la discussion était close car il détourna à nouveau la tête, regardant droit devant lui comme prêt à reprendre sa route vers le sommet, et marmonna plus pour lui-même que pour Axel :

« Ce projet n'aurait jamais dû se faire. C'était certain que les risques étaient trop grands. Xemnas devra entendre raison, désormais. »

Il reprit sa route sans un regard pour Axel qui le suivit des yeux pendant quelques secondes avant d'élever à nouveau la voix :

« Je sais tout à propos de Xion, tu sais ? »

Saïx s'arrêta à nouveau mais ne fit pas mine de se retourner. Il n'avait pas besoin de le regarder pour comprendre, au ton de sa voix, contrôlé mais porteur d'une note tendue indiquant des intentions cachées, qu'Axel devait l'observer de son visage impassible, où quelqu'un qui le connaissait bien pouvait cependant déceler une lueur au fond de ses yeux et une très légère inclinaison de la bouche indiquant la naissance d'un sourire condescendant. Cela signifiait qu'il pesait ses paroles, innocemment lancées, avec soin, cherchant à tirer une certaine réaction à son interlocuteur. Axel se prenait peut-être pour un manipulateur-né, et possédait certes un talent certain dans ce domaine, mais Saïx avait appris à ne pas se laisser tomber dans ses pièges aussi facilement.

« … Ça ne m'étonne pas de toi. Dis-moi, combien de temps as-tu passé dans les archives à lire les vieux registres de Vexen ?

-Ce que je veux dire, c'est que tu n'as pas besoin de prendre toutes ces précautions en parlant avec moi. Alors dis-moi plutôt : il doit bien y avoir une solution à ce problème, non ? »

Saïx réprima un soupir. Cette conversation n'avait aucun intérêt et la persévérance d'Axel, qui ne faisait que repousser l'évidence et chercher l'impossible, l'ennuyait de plus en plus.

« Si tu as lu ces registres, tu dois le savoir autant que moi. Xion et Roxas... quand notre but sera atteint, l'un d'eux ne sera plus là. L'un est destiné à laisser place à l'autre. Axel, si tu veux sauver Xion, es-tu prêt à assumer la perte de Roxas ?

-... Et bien, tu ne tournes pas autour du pot... »

Saïx ne fut pas dupe et comprit parfaitement que son collègue n'osait pas répondre. Comme il l'avait prévu. Axel était devenu si prévisible ces derniers temps. Il avait changé, et pas dans un bon sens.

« Tu comprends donc que nous n'avons pas le choix et où sont tes intérêts. Même si tu parviens, d'une quelconque manière, à sauver Xion, tu ne feras que repousser le problème sur Roxas. Tu devras choisir alors.

-Cesse avec ces sottises et réponds-moi franchement, le coupa Axel. Pourquoi Xion est-elle dans cet état ? Elle allait bien il y a quelques jours !

-Tu refuses de regarder la vérité en face, n'est-ce pas ? le reprit Saïx, sur le ton de la réprimande. Peu importe, il arrivera un jour où tu ne pourras plus repousser la raison. Quant au problème de Xion... C'est ce que nous allons essayer de découvrir, si tu voudrais bien me laisser aller m'entretenir avec Xemnas...

-Y a-t-il un rapport avec le Porteur de la Keyblade ? insista l'autre sans faire mine de l'avoir entendu.

-Ce n'est pas impossible. Tu l'as laissé avec la sorcière, tu te souviens ? Qui sait ce qu'elle mijote encore ?

-En gros, tu n'en sais rien, répondit Axel d'un ton mordant. Tu essaies juste de me pousser à plus de zèle pour retrouver Naminé. »

Saïx n'eut aucune réaction et Axel leva les mains en l'air d'un geste exaspéré avant d'adopter à nouveau un ton plus cordial, espérant obtenir la coopération de son ancien ami.

« ... Tu n'es peut-être pas Vexen, tenta à nouveau Axel, mais tu as travaillé sur ce projet, non ? N'y a-t-il pas un autre moyen ?

-Et pourquoi devrais-je me donner la peine de le chercher ? répliqua Saïx en croisant les bras.

-Et bien, on est amis, non ? Ou du moins, on l'était il y a quelques années. Tu pourrais me donner un coup de main en souvenir du bon vieux temps...

-Foutaises. »

Cette fois-ci, Saïx se retourna vers lui et le regarda dans les yeux, le dévisageant du haut de sa position supérieure sur la rampe.

« Toi-même tu ne crois pas à ces mensonges, alors n'essaie pas de m'apitoyer de cette manière. Tu penses vraiment que notre ancienne amitié a toujours un tel poids après tout ce qu'il s'est passé ? Je sais que ces deux gamins comptent plus pour toi à présent. C'est l'unique raison de ta présence ici, à tenter de me dissuader de faire mon travail. »

Axel, pris de court, ouvrit la bouche comme prêt à répliquer, mais aucun mot n'en sortit. Il soutint avec défi le regard de Saïx, qui se détourna à nouveau.

« Il n'y a donc plus à discuter, asséna-t-il avant de reprendre sa route. La discussion est close. »

Il s'engagea dans la montée de la citadelle sans un regard en arrière, sachant parfaitement qu'Axel ne le suivrait pas.


Assise à la table de sa chambre, Kairi contemplait la page blanche posée devant elle. Seul le tic-tac du réveil sur son lit rompait le silence profond dans lequel étaient figés les lieux.

La jeune fille avait pris soin de se réveiller plus tôt ce matin spécialement pour cette tâche. Elle avait pu s'éclipser quelques minutes lors de la mission de la veille pour acheter un réveil dans la boutique de la ville à laquelle ils avaient été assignés – encore une fois la cité portant le nom de Cité du Crépuscule, dont Kairi appréciait beaucoup l'ambiance tranquille et endormie – et, après avoir demandé à Roxas combien d'heures ils disposaient pour dormir avant la mission suivante, avait calculé que les membres étaient censés se réunir dans le salon pour les missions de la journée à huit heures du matin. Désireuse de s'accorder un peu de temps ce matin, elle avait ainsi programmé l'alarme pour sept heures, malgré son épuisement après la mission et l'entraînement avec Roxas pour apprendre à maîtriser les Couloirs des Ténèbres – elle n'avait guère produit qu'une bouffée de volutes noires, ce qui lui avait valu néanmoins les félicitations de son camarade. D'un autre côté, elle avait douté pouvoir y parvenir avec son cœur lumineux de Princesse de cœur, mais il semblait apparemment que ce pouvoir était associé au corps de Xion et non à son cœur, lui donnant une chance d'apprendre à l'utiliser.

Mais maintenant qu'elle était là, assise à son bureau, un stylo et quelques feuilles habituellement destinées à la rédaction des rapports quotidiens devant elle, dans le silence de sa chambre, elle n'était pas sûre par où commencer. Elle avait décidé de noter sur papier tout ce qu'elle avait appris jusqu'ici, comme un calendrier des jours qui s'étaient écoulés, pour ne pas perdre conscience du temps qui passait, dans cette citadelle où le jour et la nuit n'existaient pas, et pour avoir sous les yeux tous les indices qu'elle avait rassemblés, dans l'espoir d'aider les pièces du puzzle à se réassembler.

Elle avait surtout eu peur que l'amnésie, qui avait commencé à se manifester à nouveau le jour de son départ, ne la reprenne. Il serait embêtant qu'elle se retrouve coincée dans cette étrange organisation sans la moindre idée de ce qu'elle faisait là, non ?

La jeune fille n'avait seulement pas la moindre idée de comment débuter ce premier bilan de sa quête et elle s'inquiétait quant à la sûreté de cette décision. Et si un autre membre découvrait ses écrits ? Elle serait immédiatement démasquée. Elle pouvait toujours les garder avec elle en toutes circonstances, dans les larges poches de son manteau, mais une petite voix lui soufflait qu'elle manquait de prudence.

Kairi jeta un coup d'œil au réveil. Sept heures vingt. Génial, elle avait perdu le tiers de son temps à se tordre l'esprit. Elle s'empara du stylo et le posa sur la feuille, s'efforçant de réfléchir.

Elle décida finalement de commencer par le commencement, c'est-à-dire les événements de l'année précédente comme elle s'en souvenait avant le début de sa quête : l'Île qui avait sombré dans les Ténèbres, son statut de Princesse de cœur, son cœur perdu, le plan d'Ansem pour trouver Kingdom Hearts, le sort de Riku, qui avait disparu et dont elle n'avait d'ailleurs toujours pas trouvé la moindre trace...

Elle nota ensuite après avoir tiré un trait ses découvertes de la semaine précédente : le nom et l'existence de Sora, ami d'enfance oublié de tous depuis quelques mois, fils d'Ifalna, la guérisseuse du village venue d'un autre monde (et donc probablement frère ou demi-frère d'Aeris). Elle hésita une fraction de seconde et nota en quelques mots les souvenirs qui lui étaient revenus concernant ce garçon : ils n'étaient pas nombreux, et elle risquait de les perdre de nouveau, aussi prit-elle soin de les consigner. Elle indiqua également qu'il était le Porteur de la Keyblade, et qu'il avait sauvé les mondes des griffes d'Ansem avant de disparaître. Ils s'étaient jurés que rien ne pourrait les séparer, elle lui avait confié le porte-bonheur qu'elle avait confectionné, mais quelque chose de terrible lui était arrivé et tous les habitants de l'île, même elle, même Ifalna, avaient oublié jusqu'à son existence. Elle avait ainsi fait la promesse de le retrouver, ce qui expliquait sa présence en ces lieux.

Kairi prit une seconde feuille et nota la date de « vendredi 20 mars » : c'était ce jour-là qu'elle avait fait la rencontre de Yeul, la mystérieuse magicienne qui sentait les énergies des mondes. A côté du nom de Yeul, elle nota « nouvelle menace pèse sur les mondes et sur Kingdom Hearts » et « pouvoir de Sora convoité, tombé sous l'emprise des Ténèbres, sauvé, en sécurité, mais toujours menacé ». Elle rajouta le nom de Xion avec quelques caractéristiques : « veille sur Sora, est liée à moi, a le même visage que moi, a une Keyblade, fait partie d'une organisation qui chasse les Sans-cœur.. ». Elle tapota le stylo sur la feuille, cherchant que rajouter. Elle se rendit compte alors qu'elle ne connaissait presque rien de la jeune fille dont elle habitait le corps.

Repoussant un sentiment montant de culpabilité, Kairi tourna la page et entreprit de réaliser un petit calendrier de ses jours passés dans cette organisation, résumant en quelques mots les missions effectuées et ses découvertes. Elle laissa un espace après la date de « dimanche 29 mars », celle d'aujourd'hui, puis en quelques lignes rajouta les informations glanées sur chacun des membres : Demyx, sympathique mais incroyablement paresseux – il n'avait pas l'air très dangereux –, Axel, un ami de Xion, lui aussi sympathique, mais avec lequel elle se tenait sur ses gardes, Saïx, celui qui supervisait l'activité de l'organisation, froid et apparemment craint par les autres membres, Xigbar, sarcastique, familier, mais dangereux, Luxord, dont elle n'avait presque rien à dire à part qu'il aimait les jeux de cartes, et elle laissa un espace vide après les mots « chef ? » et « objectif ? », qu'elle contempla avec un léger malaise. Après réflexion, elle indiqua derrière ce dernier mot la phrase suivante : « chassent les Sans-cœur, récupèrent les cœurs ? Pas sauver les mondes ? Quelque chose à voir avec Kingdom Hearts ». C'était vague, mais c'était tout ce qu'elle pouvait dire.

Il ne restait que Roxas, et de nouveau, elle ne savait par où commencer : il ressemblait à Sora, il maniait la Keyblade comme lui, mais était-ce lui ? Il utilisait les Ténèbres et combattait pour cette Organisation. Il disait ne pas connaître le nom de « Sora », mais ce nom résonnait en lui, et il avait mentionné une seconde vie, des Similis... Elle ajouta un point d'interrogation derrière « Simili », consciente que c'était un sujet sur lequel elle devrait également enquêter. L'amas de notes chaotique sous le nom de Roxas ne faisait que confirmer, une fois encore, qu'elle n'avait toujours pas la moindre certitude sur son identité.

La jeune fille se renfonça dans sa chaise et contempla ses notes, insatisfaite. Elle avait l'impression d'avoir mis de l'ordre dans son esprit mais ne se retrouvait pas plus avancée, comme si les pièces du puzzle étaient éparpillées devant elle mais qu'elle était incapable de le reconstituer. Elle hésita puis rajouta dans la catégorie objectif « Sora a tué les autres membres ? Ce sont peut-être des ennemis. ». Ces derniers mots l'agitèrent et elle ne put songer à autre chose jusqu'à ce que trois coups sonore furent portés contre sa porte.

Kairi sursauta. Son regard se tourna aussitôt vers le réveil : huit heures moins le quart. Elle était loin d'être en retard... Peut-être s'était-elle trompée d'horaire ?

Un coup fut de nouveau frappé, plus impatient.

« J-J'arrive ! » cria Kairi, craignant que l'autre ne perde patience et entre sans attendre l'invitation.

Elle plia en quatre les deux feuilles couvertes de son écriture et porta la main à son manteau, comme pour les glisser dans sa poche, avant de se raviser. Peut-être était-il préférable de les laisser ici après tout. Elle s'agenouilla, tira le tiroir sous la penderie où étaient entreposés potions, éthers, et pantalons, et les enfouit sous le tas de vêtements, cachette qu'elle utilisait déjà pour les matérias qu'elle n'emportait pas en mission. Ceci fait, elle se précipita vers la porte.

Son cœur se glaça momentanément dans sa poitrine quand la porte s'ouvrit sur le visage de Saïx. Était-elle finalement si en retard qu'il était venu personnellement la chercher ? Impossible de savoir s'il avait quelque chose à lui reprocher avec son habituel masque glacial.

« Je suis désolée, dit-elle en tentant un sourire contrit. J'ai oublié l'heure. J'arrive tout de suite. »

Il se contenta de lui jeter un regard méprisant avant de se détourner.

« Suis-moi. »

Kairi préféra éviter de le contrarier davantage et s'élança à sa suite, trottant derrière lui tandis qu'il s'enfonçait dans les couloirs. Au moins n'avait-il rien d'autre à lui reprocher, même si elle était un peu surprise de s'en être tirée aussi facilement.

Elle remarqua cependant bien vite que quelque chose n'allait pas quand elle se rendit compte qu'ils ne se rendaient pas au salon. Saïx passa devant le couloir bifurquant vers leur destination habituelle sans s'arrêter, et elle le suivit, décontenancée. Peut-être s'était-il attendu à ce qu'elle bifurque d'elle-même en le laissant partir dans sa propre direction ? Cependant, il ne fit pas mine de la réprimander quand elle continua sa route derrière lui, pas plus qu'il ne faisait mine de lui adresser la parole ou de reconnaître sa présence.

La jeune fille commença à sentir la nervosité et l'inquiétude monter quand il la conduisit dans des couloirs qui lui étaient inconnus. Ils ressemblaient aux autres couloirs, toujours conçus avec le même matériau dont elle ne parvenait pas à décider de la nature et la même architecture, mais elle pouvait sentir qu'ils s'enfonçaient dans la citadelle. Elle n'osa pas questionner Saïx, qui n'aurait probablement même pas pris la peine de lui répondre, mais elle commençait à s'agiter. Était-ce censé être normal ? Ou... Avaient-ils compris qu'elle ne possédait pas la Keyblade ?

A cette pensée, la jeune fille sentit son cœur rater un battement. Et s'ils l'avaient démasquée ? Non, se dit-elle, Saïx avait l'air trop calme, mais d'un autre côté, il avait toujours l'air mortellement calme, bien que ce ne soit en rien rassurant, comme un ciel d'été sans nuage mais où on pouvait ressentir dans la lourdeur de l'air l'annonce d'un orage imminent.

Ou alors peut-être se trompait-elle complètement. Peut-être Saïx était-il un allié malgré les apparences, peut-être même la conduisait-il en ce moment-même tout droit vers Sora !

Ces fantaisies ne purent cependant empêcher la méfiance et l'inquiétude de croître en elle et la sueur de recouvrir ses paumes. Elle était parfaitement consciente que ses pouvoirs étaient limités ; si les choses tournaient mal, elle ne serait même pas capable de quitter la citadelle, pas sans les Couloirs des Ténèbres qu'elle ne maîtrisait pas encore. Elle s'était longtemps demandé s'il existait une entrée matérielle à cette citadelle, permettant de sortir dans la cité en contrebas, mais n'en avait jamais trouvé de trace durant ses quelques explorations nocturnes.

Elle décida néanmoins de se montrer docile et d'attendre de voir ce qu'on lui voulait. Peut-être était-ce enfin sa chance de récolter des indices supplémentaires, et elle ne pouvait la manquer.

Elle ne sut dire pendant combien de temps ils marchèrent jusqu'à atteindre le sommet d'un large escalier qui s'enfonçait vers une double porte sans fenêtre, et Saïx s'y engagea, suivi par une Kairi hésitante. Elle n'avait pas la moindre idée de l'endroit où ils se trouvaient et doutait de pouvoir retrouver le chemin de sa chambre. Peut-être aurait-elle dû se montrer utile et mémoriser le plan de leur trajet au lieu de laisser ses peurs l'emporter.

Saïx se retourna pour lui décocher un regard impatient. Elle réalisa alors qu'il avait déjà atteint le bas des marches et elle se hâta de le rejoindre. Elle l'observa taper un code sur un écran tactile à droite de la porte, si vite qu'elle n'eut pas le temps de le lire, avant que les portes ne coulissent, leur livrant passage. Sur un geste de la main de son collègue, elle pénétra lentement à l'intérieur, tentant de dissimuler sa peur.

Les portes se refermèrent en coulissant silencieusement derrière elle. Elle regarda autour d'elle, sur le qui-vive, avec une curiosité méfiante. Elle venait d'entrer dans une large pièce circulaire, qui semblait être un laboratoire : sur quelques tables reposaient toutes sortes d'instruments dont, pour la moitié d'entre eux, elle ignorait les noms mais qu'elle reconnaissait vaguement pour les avoir vus dans des films quelconques, des blouses de scientifiques pendaient accrochées le long du mur, et du matériel divers, allant de coupelles en verre à des spatules de toutes tailles en passant par des seringues, était entreposé sur les étagères. Curieusement, le laboratoire ne semblait pas être en activité : tous les instruments étaient parfaitement rangés, les tubes à essai et les fioles étaient vides et il ne manquait aucune blouse aux cintres alignés contre le mur.

Mais ce qui attira le plus son œil fut bien entendu l'énorme installation au beau milieu de la pièce : un immense tube en verre, assez large pour accueillir une personne, s'élevait du sol et on pouvait pénétrer à l'intérieur en ouvrant une petite porte découpée dans le verre. Le tube devait mesurer environ entre deux et trois mètres de haut, et son sommet était relié par des gros câbles et tuyaux à une machine étrange comme elle n'en avait jamais vue, qui se dressait derrière le tube. Elle était elle aussi éteinte mais la jeune fille pouvait discerner un panneau de contrôle couvert de boutons aux couleurs différentes. Elle se demanda à quoi pareil engin pouvait bien servir et songea qu'elle préférait peut-être ne pas le savoir.

Kairi entendit Saïx soupirer dans son dos.

« Par ici. »

De plus en plus confuse, elle fut néanmoins soulagée quand il ne la conduisit pas vers la machine menaçante, mais vers l'une des portes qui s'ouvraient sur la salle. Celle-ci était entrouverte et il s'engagea à l'intérieur, Kairi à sa suite. Elle ne donnait que sur une petite salle semblable à une salle de réunion, avec un large tableau blanc cloué au mur, une grande table rectangulaire qui constituait le principal mobilier, et au bout de cette table...

Kairi se figea. Elle ne connaissait pas cet homme, assis de l'autre côté de la salle, mais elle sut immédiatement de qui il s'agissait.

L'homme était grand et imposant. Ses cheveux argentés tombaient sur son manteau noir, et il les fixait avec calme de son regard jaune, les observant sans ciller entrer dans la salle, les bras croisés. Kairi s'agita, son malaise redoublant : du seuil même de la salle, elle pouvait ressentir l'aura malsaine qui s'échappait de l'homme et emplissait la pièce et elle crut même sentir la puanteur des Ténèbres. Elle sut alors qu'elle avait devant elle le chef de l'organisation, et la certitude que ce groupe n'était certainement pas des alliés s'imposa en elle avec violence, comme marquée au fer rouge dans son esprit.

L'homme lui adressa un sourire carnassier.

« Ah, Xion. Désolé de te convoquer si tôt, mais nous avons une affaire urgente à régler. »

Elle entrouvrit la bouche mais aucun mot n'en sortit. Devant son silence, il désigna une chaise vers le centre de la table d'un ample geste.

« Prends place. »

Elle obéit avec lenteur, sur ses gardes, parfaitement consciente de la présence de Saïx dans son dos. Quand elle se fut assise, ce-dernier contourna la table pour tirer une chaise en face d'elle.

Son cœur douloureux à force de lui marteler la cage thoracique, Kairi se tourna à demi vers le chef de l'Organisation – comment s'appelait-il déjà ? Elle n'était pas sûre que son nom lui avait été mentionné –, qui la dévisageait avec calme comme s'il tentait de lire ses pensées. Elle fut tentée d'essayer de soutenir son regard, mais ne put en trouver le courage et laissa ses yeux s'abaisser vers les mains gantées de l'homme, qui reposaient désormais sur la table.

« Xion, commença-t-il de sa voix grave et solennelle, qui imposait de se faire naturellement obéir, tu sais pourquoi tu es ici ? »

Elle secoua la tête, bien que plus le temps passait, plus son hypothèse la moins réjouissante devenait une certitude.

« Non », dit-elle, pour ne pas paraître trop impolie.

Devait-elle rajouter un « monsieur » ? Le chef ne parut pas contrarié cependant, car il poursuivit, imperturbable, mais elle vit du coin de l'œil Saïx lui envoyer un regard cinglant.

« Tu es ici parce que, vois-tu, nous avons un léger problème qui entrave le fonctionnement de notre Organisation. C'est pourquoi, pour le bien de notre groupe, nous voulons que tu nous aides en répondant à quelques questions. Ne t'inquiète pas : ce n'est qu'un petit interrogatoire, ce ne sera pas long. »

La jeune fille serra les lèvres, tentant de conserver un visage impassible.

« D'accord, dit-elle.

-Parfait. »

Elle jeta un nouveau regard vers son visage tranquille, attendant sa première question, mais ce fut Saïx qui parla.

« Xion. As-tu eu des problèmes pour récolter des cœurs récemment ? »

Kairi sentit son souffle se couper momentanément. Sa peur venait d'être confirmée. Elle se força à assurer un sourire vacillant.

« Euh, oui. Comme d'habitude... »

Saïx ne réagit pas mais ne détourna pas son regard glacial de ses yeux. Elle déglutit avec difficulté.

« Pas la peine de mentir. J'ai ici les résultats des dernières missions – il étendit la main vers un dossier reposant devant lui, seul objet posé sur la table – et les chiffres ne mentent pas : voilà une semaine que tu ne récoltes plus rien.

-Je vous assure que je tue des Sans-cœur, répliqua aussitôt Kairi, grimaçant intérieurement devant sa réponse maladroite. J'ai rempli les quotas demandés, vous pouvez aller voir mes partenaires de mission pour confirmer. »

Saïx et le chef silencieux échangèrent un regard et elle attendit avec nervosité leur prochaine question. Peut-être pouvait-elle les pousser à chercher ailleurs qu'auprès d'elle la cause de leur problème.

« Comment abats-tu les Sans-cœur ? demanda sèchement Saïx. Est-ce que tu utilises ta Keyblade ? »

Ils avaient compris. Et elle ne pouvait espérer les tromper maintenant qu'ils avaient compris : même si elle mentait, ils exigeraient de voir sa Keyblade, et quand elle ne pourrait pas répondre à leur demande... Elle décida tout de même de tenter sa chance, refusant d'avouer aussi facilement.

« Oui, comme d'habitude. Pourquoi ?

-Les cœurs ne sont pas récupérés par l'Organisation, rétorqua Saïx d'un ton accusateur. Cela signifie que tu n'utilises pas la Keyblade. Cesse de mentir et dis-nous la vérité. »

Elle ne répondit pas. Attendant que la sentence tombe, elle serra ses doigts sur le rebord de sa chaise, comme pour tenter d'en maîtriser les tremblements. Saïx la toisa d'un regard dur et, après quelques secondes de silence, détourna la tête avec un « tchhh » méprisant.

« Xion, intervint le chef de sa voix grave et elle se tourna vers lui car, en comparaison avec la voix glaciale et méprisante de Saïx, la sienne lui paraissait chaude, presque rassurante sans son aura noire, est-ce que tu as perdu l'usage de la Keyblade ?

-Non, je... ! »

Kairi s'interrompit. Que pouvait-elle dire ? Peut-être, soufflait une voix séduisante dans son esprit, serait-ce mieux de tout avouer maintenant ?

« Prouve-le, répliqua aussitôt Saïx, comme s'il s'était attendu à ses protestations. Fais apparaître ta Keyblade. » Comme elle ne fit pas mine d'esquisser un geste, il reprit, une note de satisfaction dans la voix : « Tu ne peux pas, n'est-ce pas ? »

Kairi le regarda, livide. Elle ne pouvait accéder à sa requête. Elle aperçut le sourire en coin qui naquit furtivement sur les lèvres de Saïx, avant qu'il ne recompose une façade neutre, et Kairi comprit qu'elle avait perdu.

Elle baissa les yeux.

« Est-ce déjà arrivé ? » demanda le chef sans perdre son calme.

La tranquillité de son ton lui fit redresser la tête. Il ne semblait pas en colère. S'était-il attendu à ce genre d'incident ? Peut-être n'était-elle pas autant dans l'embarras qu'elle le craignait, finalement. Peut-être avait-elle encore une chance de les duper.

« Je... »

Elle se souvint de la réaction de Roxas et Axel quand elle leur avait annoncé la perte de ses pouvoirs. Ils avaient été horrifiés, mais ils avaient aussi laisser entendre que ce n'était pas la première fois que Xion devait faire face à cela.

Elle décida qu'il était plus prudent de simplement hocher la tête sans donner plus de détails.

« J'en m'en étais douté, marmonna Saïx d'un air écœuré. Axel m'avait vraiment pris pour un idiot cette fois-là. »

Le supérieur, cependant, paraissait vaguement plus intéressé. Quelque chose brilla dans son regard et il se pencha vers elle, menton posé sur ses mains croisées, coudes sur la table.

« Et cette autre fois, comment as-tu retrouvé la Keyblade ? »

Elle l'observa sans tenter de cacher sa nervosité, occupée à fouiller désespérément dans les tréfonds de sa mémoire. Elle n'en avait pas la moindre idée ! Roxas n'avait-il pas dit quelque chose à ce sujet ? Leurs conversations défilèrent dans son esprit, et elle écarquilla les yeux quand un souvenir s'imposa.

« Roxas m'avait prêté sa Keyblade, répondit-elle, retrouvant une légère assurance. C'est comme ça que je l'ai récupérée la dernière fois. »

Un sourire entendu étira les lèvres de l'homme aux cheveux argentés, et, avant qu'elle ait pu décider si cela signifiait quelque chose de bon ou de mauvais, la voix de Saïx s'éleva à nouveau sur sa droite.

« J'imagine que cette fois-ci, ça n'a pas marché, n'est-ce pas ? »

La maigre assurance de Kairi s'effilocha à nouveau et elle ne put que hocher négativement la tête. Le chef reprit la parole, sans sembler désappointé :

« Xion. Merci de ta coopération. J'aurais une dernière question : est-ce que tu as quelque chose d'autre à nous signaler ? Quelque chose d'étrange ?

-Que voulez-vous dire ? » demanda-t-elle en tentant de dissimuler sa hâte. Les dernières phrases de cet homme avaient fait bondir son cœur de soulagement : elle allait finalement être libérée ? Elle serait libre de partir, malgré l'un de ses secrets découvert ? Vu comment Roxas avait paniqué à la pensée que les supérieurs découvrent sa faiblesse, elle s'était attendue à quelque chose de terrible...

« Quelque chose te serait-il arrivé quand tu as perdu tes pouvoirs ? Comment t'en es-tu rendue compte, par exemple. »

Kairi hésita. Elle pouvait toujours annoncer qu'elle s'était évanouie, ce qui était le cas quand elle avait atterri dans ce corps, mais elle rechignait à leur donner trop d'informations qui risqueraient de la trahir s'ils disposaient de plus de connaissances qu'elle ne le soupçonnait.

« Non, je ne crois pas, dit-elle alors. Je me suis réveillée comme d'habitude le matin, et je suis partie en mission avec Roxas. C'est là que je me suis rendue compte que je ne pouvais plus utiliser la Keyblade. »

Ils échangèrent un regard et elle se tendit, attendant leur réaction et leur sentence. L'impatience montait en elle, se teintant de nervosité, menaçant d'exploser, et son cœur battait avec tant de force qu'elle craignait que les autres l'entendent.

« Ça ne nous avance pas beaucoup, dit finalement Saïx, sans un regard vers elle, tourné vers son supérieur. Sans Vexen, nous allons perdre du temps.

-C'est vrai qu'il serait préférable que Vexen soit présent, répliqua le chef, croisant à nouveau les bras. Quel dommage. C'était un atout majeur pour ce projet.

-Que comptez-vous faire ? Ce n'est qu'une poupée après tout, inutile de prendre des gants... »

Le supérieur se plongea dans ses réflexions, laissant les deux autres occupants de la pièce le dévisager en attente de sa réponse, Saïx avec un calme légèrement impatient, et Kairi avec anxiété. Elle réalisa qu'elle n'était pas sortie d'affaire.

« Nous allons faire une analyse, déclara finalement l'homme aux cheveux argentés. Avec de la chance, nous pourrons comprendre la cause de cet incident et y remédier.

-... Vous comptez tout de même poursuivre ce projet ? demanda Saïx en fronçant les sourcils.

-Bien entendu, répliqua calmement le chef de l'Organisation en se levant. Ce serait dommage de jeter tout ce dur travail dès le moindre inconvénient. »

Saïx parut brièvement mécontent, mais il se recomposa une face neutre et se tourna vers Kairi en quittant à son tour son siège.

« Xion. Suis-nous. »

La jeune fille se leva avec lenteur, l'anxiété clairement lisible sur son visage. Une... analyse ? Qu'est-ce que cela signifiait ? Elle espérait que ce ne soit pas douloureux.

Ils retournèrent dans le laboratoire et elle sentit la peur nouer ses entrailles quand ils se dirigèrent droit vers l'étrange installation au cœur de la salle. Elle était parfaitement consciente que sa peur était visible de tous, mais c'était le moindre de ses soucis quand Saïx appuya sur un bouton enclenchant l'ouverture de la porte de verre qui coulissa sur le côté, ouvrant le tube transparent. Il se tourna vers elle avec impatience, et elle eut un mouvement de recul. Est-ce qu'il attendait qu'elle entre là-dedans ?

« Que...

-Xion, la coupa le supérieur de l'Organisation, qui se tenait juste derrière elle, nous allons devoir te demander de te soumettre à une analyse afin de comprendre ce qu'il t'arrive, tu comprends ?

-Une... une analyse ? répéta-t-elle d'une voix tremblante.

-Ne t'inquiète pas, tu n'as rien d'autre à faire que d'entrer dans ce tube. Cela risque de prendre plusieurs jours, surtout avec l'absence de Vexen, mais tu passeras tout ce temps endormie pendant que l'analyse se déroulera. Quand tu te réveilleras, tu auras l'impression que seulement cinq minutes se seront écoulées. »

Livide, Kairi contempla le tube. Elle n'avait pas la moindre envie d'entrer là-dedans, malgré les paroles « rassurantes » de son supérieur. Elle croisa le regard impatient de Saïx, qui attendait devant le panneau de contrôle. Devait-elle fuir ? Si jamais elle obéissait et que l'analyse avait lieu, n'allaient-ils pas découvrir son secret ? Mais si elle fuyait... elle n'aurait que très peu de chance de s'en sortir, perdue dans ces couloirs, sans Keyblade et avec le peu de pouvoirs qu'elle possédait...

« Xion, entre dans le tube », exigea Saïx d'une voix où planait une nuance menaçante.

Se mordant la lèvre, elle estima plus sage d'obtempérer et se dirigea lentement vers l'installation. Elle hésita un bref instant sur le seuil du tube de verre, puis après trois mots de prière mentale, elle pénétra à l'intérieur.

Un chuintement à peine perceptible s'éleva dans son dos. Kairi se retourna juste à temps pour voir la porte de verre se refermer. Elle était enfermée, songea-t-elle en combattant la panique montante. Elle se demanda si un sort de feu ou de foudre pourrait briser le verre, avant de se rappeler qu'elle avait laissé ses matérias dans sa chambre. Son cœur se glaça d'effroi.

Au-delà du verre, elle apercevait le chef de l'Organisation qui se tenait droit, regardant la scène les bras croisés, un sourire tranquille sur son visage solennel. En tournant la tête, elle pouvait voir Saïx, occupé à rentrer des commandes sur le panneau de contrôle sans un regard vers elle.

Avait-elle perdu finalement ? Son aventure était-elle destinée à s'arrêter là ? Si c'était le cas, elle n'aurait tenu qu'une semaine avant de se faire démasquer. Qu'allait-il se passer ensuite ?

Elle commença à se sentir engourdie, comme sur le point de sombrer dans le sommeil. Ses paupières étaient lourdes, un brouillard s'insinuait dans son esprit. Elle eut envie de demander pardon à Xion, pour l'avoir empêtrée dans de tels ennuis durant son absence.

Ses dernières pensées conscientes allèrent vers Roxas, et Kairi se demanda distraitement quelle serait sa réaction quand il constaterait son absence au rendez-vous matinal.