Chapitre publié le 12 juillet 2017.
Chapitre 17 : Contact avec le monde
Naminé jeta un dernier regard autour d'elle, une main rejetant nerveusement ses mèches en arrière, puis un autre dans les profondeurs du sac d'école de Kairi, ouvert sur le sol devant elle. Elle était certaine d'y avoir mis tout ce dont elle avait besoin pour cette journée, mais comment pouvait-elle en être sûre ? Elle n'avait jamais mis les pieds dans un établissement scolaire...
Elle esquissa un geste pour fermer la fermeture éclair du sac puis avisa un éclat de couleur sur le lit.
« Oh non, j'allais oublier... »
La jeune fille étendit le bras et attrapa la boîte de crayons de couleur et le carnet qui gisaient sur le drap et les enfourna dans le sac, entre deux cahiers. Ceci fait, elle se retourna une dernière fois vers le bureau, qui croulait toujours sous les cahiers et manuels scolaires, désormais rangés en piles distinctes. La veille, elle avait passé en revue les affaires de Kairi, malgré ses réticences à s'infiltrer dans la vie de celle-ci sans sa permission, et, après y avoir mis de l'ordre et déniché son emploi du temps scolaire, avait tâché de déterminer ce qu'il lui faudrait emmener pour ce qui était pour elle son premier jour d'école. Rien qu'à cette pensée, elle pouvait sentir l'angoisse lui nouer le ventre.
Naminé scanna à nouveau les profondeurs du sac : cahiers, manuels scolaires, carnet de correspondance de l'établissement, trousse... C'était tout ce qu'elle devait emporter, non ? Elle avait déjà glissé le téléphone de Kairi dans la poche avant, où elle avait d'ailleurs découvert quelques vieux paquets de mouchoirs, les clés de la maison, quelques bonbons enveloppés dans des sachets en plastique. Elle espérait ne pas avoir à s'en servir.
La jeune fille prit finalement la décision de fermer le sac, espérant ne pas avoir commis d'erreur. Elle s'empara de la brosse à cheveux abandonnée sur le lit et se plaça devant le miroir fixée au revers de la porte de l'armoire, examinant nerveusement son reflet en arrangeant ses cheveux roux pour la cinquième fois. Avait-elle l'air de Kairi ? Avait-elle l'air normale ? Elle avait enfilé l'uniforme fraîchement lavé de Kairi et avait même pris une douche. Elle lissa la chemise blanche, toucha la cravate maladroitement nouée et tira nerveusement sur la jupe, trop courte à son goût. Il n'y avait plus qu'à espérer que les humains avec lesquels elle devrait interagir ce jour-là n'y verraient que du feu et n'auraient pas de doute sur sa vraie nature.
Naminé inspira profondément puis s'arracha à son reflet, attrapa son sac et se dirigea vers la porte de sa chambre. Une fois celle-ci passée, elle ne pourrait revenir en arrière et cette journée dont elle ne maîtriserait rien débuterait. Elle n'avait que trop peu d'informations sur ce qui l'attendrait et ce qu'elle devrait faire et elle priait pour comprendre comment se comporter en fonction des circonstances. Personne ne le lui avait dit. Elle serait seule face à tous ces inconnus.
Attrapant une mèche rousse d'un geste machinal, Naminé tourna la poignée et ouvrit la porte.
C'était une nouvelle semaine, un lundi matin, et, comme il avait été décidé, elle était censée retourner au lycée. Elle n'était pas prête à quitter les murs de cette maison, où personne ne l'avait menacée, pour le monde extérieur, ce qui impliquait devoir assurer le rôle de Kairi sans relâche et sans faute, mais elle n'avait pas le choix : elle ne pouvait pas revenir sur sa décision, surtout sans excuse valable. Elle leur avait affirmé qu'elle se sentait mieux, ce qui n'était pas seulement un mensonge. Et elle ne voulait pas les inquiéter davantage.
Et puis, se dit-elle en descendant lentement l'escalier, serrant son sac contre elle, elle ne pouvait pas rester enfermée dans sa chambre sans rien faire. Elle s'était acharnée, n'avait cessé d'utiliser le cahier de Kairi dont elle avait fait son carnet à dessin, sans davantage de résultats. Sora... était hors d'atteinte. Elle ne pouvait pour le moment compter que sur Kairi, alors mieux valait protéger le secret de celle-ci en menant sa vie à sa place, du mieux qu'elle le pouvait, en attendant son retour. Elle ignorait comment elle allait se débrouiller avec les humains, mais elle ne pouvait pas la laisser tomber.
En bas des escaliers, ses « parents » l'attendaient, comme elle s'en était doutée.
« Tu es sûre que ça ira, Kairi ? demanda l'homme après avoir échangé un regard inquiet avec sa femme. Tu sais que tu peux toujours rester à la maison un peu plus longtemps si tu ne te sens pas bien... »
Elle secoua légèrement la tête.
« Je me sens mieux, dit-elle en forçant un sourire calme. Et... je ne peux pas rester ainsi indéfiniment, non ? »
Elle regarda les parents échanger un nouveau regard, comme pris au dépourvu.
« … D'accord, hésita la femme. Est-ce que tu veux qu'on fasse venir Ifalna ce soir ? »
Ifalna... Ce ne serait pas la mère de Sora ?
Naminé secoua de nouveau la tête.
« Ce ne sera pas nécessaire, dit-elle rapidement. Mais merci. Je vous assure que je vais mieux maintenant !
-Tu n'as pas fait des cauchemars ces derniers jours, non ? » s'enquit brusquement le père alors qu'elle se dirigeait déjà vers la porte.
Des cauchemars ? Naminé inclina la tête, se plongeant dans une réflexion. Quand elle se trouvait au manoir, à restaurer la mémoire de Sora, elle pouvait vaguement sentir ceux qui lui étaient liés et elle avait senti la souffrance de Kairi qui luttait pour dépasser le traumatisme des événements passés et de la disparition de ses amis, qui se matérialisait dans ses rêves et la tourmentait. Elle était peut-être Kairi, mais elle ne possédait pas ses rêves, aussi ses nuits avaient été sans image.
« Je ne t'ai pas entendue te relever, comme d'habitude...
-C'est le cas, déclara tranquillement Naminé. Je n'ai pas fait de cauchemar ces derniers temps. J'en suis heureuse. »
Le couple lui lança un regard bizarre. Sans doute s'était-elle étrangement exprimée.
« Tu euh... est-ce que c'était la raison pour laquelle tu es allée voir Yeul ? demanda doucement la mère. Pour te débarrasser de tes cauchemars ?
-Oui », répondit-elle après un instant de réflexion. Si cela pouvait permettre de lever les soupçons qui pesaient sur la magicienne...
« Kairi, tu n'aurais pas dû avoir recours à de tels moyens sans nous avertir...
-Je suis désolée... maman, fit-elle avec un sourire d'ange. Mais ça a marché, même si j'ai été très fatiguée. Yeul ne m'a pas fait de mal, je vous l'ai dit. »
Ils n'avaient pas l'air convaincus et la mère ouvrait la bouche, prête à répliquer, quand l'horloge de la cuisine sonna sept heures.
« Oh, tu devrais y aller, Kairi ! s'écria la femme.
-Oui, ce serait bête que tu soies en retard dès le premier jour », renchérit l'homme et Naminé hocha la tête.
Ses parents lui souhaitèrent bonne chance et la jeune fille tira la porte, sortant dans l'air frais du matin. Elle referma soigneusement derrière elle et fit quelques pas vers la sortie de la propriété, laissant son regard parcourir la rue endormie et les maisons disposées de part et d'autre. Ses mains tripotèrent un coin de son sa chemise. Elle réalisa qu'elle n'avait pas la moindre idée de l'endroit où elle devait aller, qu'elle était perdue dans ce monde qu'elle ne connaissait qu'à travers les souvenirs de Sora, et elle frissonna sans avoir pu s'en empêcher. Cette immensité sans mur pour la restreindre qui s'étendait jusqu'à l'horizon l'intimidait fortement. Elle avait toujours été retenue entre quatre murs, cantonnée à regarder le monde à travers le rectangle de verre d'une fenêtre. Être éjectée à l'extérieur ainsi... qu'était-elle supposée faire ?
« Kairi ? »
Naminé tressaillit et se retourna brusquement. Elle n'avait pas remarqué qu'elle n'était pas seule. Une jeune fille aux cheveux châtains, revêtue du même uniforme, se tenait assise sur un muret sur sa gauche, un sac sur ses genoux, et se leva aussitôt à sa vue.
Ah oui, songea-t-elle, je la connais. C'était Selphie, l'amie de Kairi. Celle qui était venue la chercher chez Yeul.
Elle lui adressa un sourire et leva une main timide.
« Bonjour. »
Selphie fronça les sourcils et la dévisagea avec attention.
« Bonjour ? Kairi, est-ce que tu vas bien ? Tes parents m'ont dit que tu allais au lycée aujourd'hui, mais tu n'as pas répondu à mes messages depuis une semaine ! »
Naminé, prise au dépourvu, ne sut comment réagir. Est-ce que Selphie était en colère ? Elle recula d'un pas. Une grimace d'excuse traversa le visage de Selphie qui se hâta de se reprendre :
« Désolée. Je suis juste inquiète, je ne sais pas ce qu'il s'est passé... Tu ne répondais pas et...
-Non, non, ne t'en fais pas, répliqua rapidement Naminé. J'étais très fatiguée, donc j'avais éteint le téléphone ! Mais je vais beaucoup mieux aujourd'hui, ne t'en fais pas, tout va bien ! »
Selphie lui lança un regard inquiet.
« Tu es sûre que tu vas bien ? Tu as l'air un peu...
-Un-Un peu quoi ? » fit Naminé sans dissimuler son anxiété. Selphie ne l'avait tout de même pas déjà démasquée, non ? Elle avait vécu une semaine avec les parents de Kairi sans trouble !
« Un peu... » Selphie détourna les yeux. « Laisse tomber. »
Naminé la considéra. Peut-être devrait-elle dire quelque chose ?
« Je suis heureuse de te revoir », lança-t-elle en souriant, mains croisées devant elle.
Cela fonctionna et un sourire fit aussitôt son apparition sur le visage de son interlocutrice qui la serra soudainement dans ses bras.
« Bien sûr ! Moi aussi je suis contente de te revoir ! Le lycée était triste sans toi. J'ai plein de choses à te raconter ! »
Naminé demeura pétrifiée, sourire figé en une grimace et n'osant bouger, mais l'autre fille s'écarta rapidement sans remarquer son trouble, et lui tapota amicalement le dos.
« Allez, on y va ? Si on se met pas en route tout de suite, on va être en retard ! »
Naminé acquiesça d'un hochement de tête et les deux filles se mirent en route côte à côte, bien que la jeune fille, qui ne connaissait pas le chemin, restait très légèrement en retrait pour suivre Selphie. Elle regarda autour d'elle avec curiosité : il était tôt et la rue était silencieuse. A part un homme occupé à ouvrir le portail de sa propriété et une femme qui promenait son chien, elles ne croisèrent personne. Il faisait bon et frais, et elle prit une longue goulée d'air. C'était agréable, beaucoup plus que l'air entre les quatre murs des manoirs et maison où elle avait vécu. Et au loin, elle pouvait apercevoir une large étendue bleue qui scintillait sous le soleil matinal. Était-ce la mer ? C'était si fascinant.
Toute à sa contemplation, Naminé s'aperçut avec quelques secondes de retard que Selphie avait recommencé à lui parler.
« … je te passerai les devoirs tout à l'heure, mais je n'ai pas tout. Désolée, on a beaucoup travaillé cette semaine. T'inquiète, je vais t'aider ! Par contre t'as révisé pour le contrôle de demain ? »
Naminé la regarda. Le contrôle de demain ? Bien entendu, elle n'avait pas la moindre idée de quoi elle parlait... Son expression devait être éloquente car Selphie haussa les sourcils.
« Tu sais, le contrôle de maths dont le prof nous rebat les oreilles depuis trois semaines ! Ne me dis pas que tu avais oublié ? »
Elle paraissait horrifiée et Naminé songea qu'elle devait tenter de la rasséréner.
« … Désolée, je crois que ça m'était sorti de la tête avec ce qu'il s'est passé, avoua-t-elle.
-Ahh... »
Selphie lui lança un sourire de sympathie ou d'excuse, elle ne sut le dire.
« Désolée.
-Hein ? » fit Naminé en inclinant la tête tandis qu'elles descendaient une rue en pente légèrement plus animée. Pourquoi s'excusait-elle ?
« Avec ce qui s'est passé... tu as peut-être pas envie d'entendre parler du travail, non ? »
Selphie se tut, plongée dans ses pensées, et elles poursuivirent leur route en silence. Naminé laissait ses yeux danser dans les alentours, examinant tout ce qu'elle voyait avec avidité, comme si sa vue était assoiffée. C'était si étrange ! Elle avait vu des rues dans les souvenirs de Sora, bien sûr, mais se promener dans l'une d'elle, la brise caressant ses cheveux, des individus de tous âges, sexes et tailles allant et venant, les croisant parfois, s'affairant devant leur maison, les sons se réveillant à leur tour en même temps que la ville... Et au-dessus de sa tête, un ciel bleu sans nuage, immense, dans lequel son regard se perdait, sans plafond pour le retenir... Elle en avait presque le vertige.
« Hé, attention ! »
Elle se sentit brusquement tirée sur le côté et faillit perdre l'équilibre. Elle tituba contre Selphie qui venait de l'attraper par un pan de sa chemise.
« Pourquoi tu regardais en l'air ? s'écria celle-ci. Est-ce que ça va ? »
Naminé reprit ses esprits, constatant qu'elle avait été si absorbée par la contemplation des cieux qu'elle avait manqué percuter un lampadaire. Une femme les croisa en leur envoyant un regard intrigué.
« Je vais bien ! dit-elle en laissant échapper un petit rire. Merci de m'avoir sauvée.
-Sauvée ? Je t'ai juste tirée d'un lampadaire. Mais tu as raison : qu'est-ce que tu ferais sans moi ? » s'exclama son amie en bombant le torse, feignant l'arrogance.
Elle se mit à rire et Naminé l'imita. Elles se remirent en marche et le silence régna de nouveau pendant quelques minutes avant que Selphie reprenne la parole :
« Dis Kairi...
-Oui ? »
Naminé tourna la tête, remarquant que Selphie l'observait avec un regard curieux.
« Euh... Désolée de te demander ça, ne me réponds pas si tu n'as pas envie de m'en parler, mais... Comment ça s'est passé avec Yeul ? »
Elle avait l'air d'hésiter et Naminé prit son temps pour répondre. Que savait Selphie ? Que lui avait dit Kairi ? Était-elle au courant de l'existence de Sora ? Ou, comme ses parents, songeait-elle à son insomnie ?
Elle préféra demeurer prudente. Après tout, Selphie ignorait qu'elle était Naminé, ce qui signifiait sans doute qu'elle n'était pas dans la confidence. Elle jugea préférable de fournir une réponse semblable à celle donnée aux parents de la jeune fille.
« Tout s'est bien passé. J'étais fatiguée, mais je me sens beaucoup mieux, et je n'ai plus fait de cauchemar !
-Oui, mais... »
Selphie ne paraissait en rien convaincue par sa réponse et se mordillait la lèvre inférieure, comme cherchant ses mots. Ce fut au tour de Naminé de la considérer d'un air curieux jusqu'à ce qu'elle se détourne.
« Laisse tomber, répéta-t-elle en marmonnant. On en parlera plus tard. »
Naminé s'arrêta net, ses orteils se refusant à franchir la ligne mince entre le trottoir et la cour de l'école. Selphie ne s'en rendit pas compte et continua sa route, consultant rapidement ses messages sur son téléphone, mais la jeune fille sentait l'hésitation la reprendre.
Comparée aux quelques chambres où elle avait été isolée, désertes et silencieuses, la vaste cour de l'établissement scolaire nageait dans le chaos. Des enfants et des adolescents de tous âges avaient envahi l'espace, courant en tous sens avec de grands cris pour les plus jeunes, discutant par petits groupes pour les plus âgés, tout cela dans un tumulte qui lui vrillait les oreilles. Elle ne pouvait se résoudre à les rejoindre dans cette fosse aux lions : c'était comme si elle était repoussée par une force insurmontable. Elle pressa ses mains contre sa poitrine tandis que montait en elle une sensation désagréable, lui retournant l'estomac et serrant sa gorge. Elle ne pouvait pas entrer là-dedans.
Quelques élèves près du portail l'avaient remarquée et, intrigués par son immobilité, la dévisageaient sans gêne. Quelques-uns se murmuraient des mots inaudibles tout en la regardant, et elle sentit ses instincts lui souffler de tourner les talons. Elle fut tentée de leur obéir... mais...
« Kairi ? »
Selphie s'était retournée, constatant qu'elle n'était pas suivie.
« Qu'est-ce que tu fais ? Ça ne va pas ? »
Naminé la regarda la rejoindre et bégaya quelques mots :
« Selphie... je crois que...
-Tu ne te sens pas bien ?
-Non, c'est juste... tous ces gens...
-Kairi, je ne comprends pas ce que tu dis. Tu te sens mal ? »
Comme Naminé secouait la tête, Selphie continua, l'air un peu agacé :
« Il faut que tu passes à l'administration pour faire valider ton absence. On n'a plus qu'un quart d'heure, viens ! »
Sur ce, Selphie lui attrapa le poignet, et la jeune fille se raidit en sentant le contact de la main étrangère, mais elle se laissa entraîner à travers la cour. Rentrant la tête dans les épaules, elle se contenta de regarder droit devant elle, évitant tout contact avec la foule bruyante qui s'agitait en tous sens aux périmètres de sa vision. La traversée lui parut interminable et elle ne réagit d'abord pas quand la porte du bâtiment administratif se referma derrière elle, les enfermant dans le silence, et que Selphie la lâcha.
« Kairi, est-ce que ça va ? Tu es toute pâle... »
Des mains furent soudain sur ses épaules et elle releva les yeux, croisant le regard de l'autre fille qui avait l'air presque effrayée. Elle réalisa alors qu'elle s'était presque complètement repliée sur elle-même, comme un animal apeuré, bras serrés contre son corps et épaules raides.
« Je... Il y avait trop de monde, dit-elle, tentant une explication. Ça m'a perturbée.
-Je ne savais pas que tu étais aussi timide ? s'étonna Selphie en reculant d'un pas. C'est la même cour que d'habitude.
-Je crois que j'ai perdu l'habitude après cette semaine enfermée chez Ka... chez moi, rit Naminé en se redressant.
-... Kairi, si tu te sens mal, tu peux retourner chez toi ! Ça me pose pas de problème de te prendre les devoirs pour un jour supplémentaire...
-Non, non, c'est bon, répliqua-t-elle rapidement avec un sourire rassurant. Je me sens mieux, tu vois ? »
Selphie sembla sur le point de dire quelque chose mais se détourna.
« Allons-y, soupira-t-elle. C'est bientôt l'heure. J'espère qu'il n'y aura personne devant nous. »
Naminé suivit la jeune fille le long d'un couloir sombre et heureusement silencieux. Elles ne croisèrent personne jusqu'au bureau où une femme était occupée à tapoter sur le clavier d'un ordinateur, et qui demanda à Naminé son livret de correspondance. Celle-ci fouilla maladroitement dans son sac, sentant le regard des deux autres femmes observer ses faits et gestes, et tendit le livret de Kairi avec un sourire d'excuse. Le matin même, son « père » en avait rempli une page, pour justifier sa longue absence. La femme se contenta d'y apposer un tampon, valider quelque chose sur son ordinateur, puis lui rendit le livret avec un sourire machinal.
« Voilà, c'est fait ! déclara Selphie qui s'étirait, en observant son amie se débattre avec son sac. On peut monter en cours maintenant. C'était plus rapide que je pensais. »
Naminé laissa à nouveau Selphie prendre la tête, la conduire à travers des couloirs, puis une cage d'escalier sans fenêtre, puis d'autres couloirs où s'alignaient des portes. Elles croisèrent quelques étudiants sur le chemin, la plupart attendant devant une salle en jouant avec leur téléphone ou discutant par petits groupes. Même si ce n'était en rien comparable avec le chaos de la cour, elle ne pouvait s'empêcher de sentir l'appréhension monter. Elle ne connaissait aucune de ces personnes et n'aimait pas se retrouver au milieu d'inconnus. Elle se sentait comme une intruse, elle, une Simili, au sein de cette foule humaine, dans ce monde de lumière qui appartenait aux humains.
Elle remarqua bien vite que, sur leur passage, beaucoup d'élèves relevaient la tête pour la dévisager. Des murmures s'élevaient autour d'elles, sans qu'elle puisse deviner s'ils parlaient d'elle ou pas, mais elle se sentait terriblement exposée. Une fille adossée contre un mur la héla sans crier gare, lui demandant si elle se sentait mieux. En y repensant, elle avait un air avenant, mais Naminé ne put que se contenter de la regarder avec de grands yeux sans ralentir l'allure, passant devant elle en demeurant muette.
C'était trop étrange pour elle. Il lui faudrait du temps pour s'y habituer.
Comme elle se tordait le cou pour tenter de distinguer la fille dans la foule et s'assurer qu'elle ne l'avait pas froissée, elle faillit percuter Selphie, qui s'était arrêtée devant le seuil d'une salle.
« Hé, tu es tête en l'air ce matin ! », rit-elle en pénétrant à l'intérieur.
Naminé la suivit avec timidité. C'était une simple salle de classe, pourtant, comme elle en avait vues dans les souvenirs de Sora. Seuls deux autres élèves étaient déjà présents, assis au fond de la salle, sans se préoccuper d'elles.
Selphie se dirigea vers un bureau à côté d'une fenêtre, vers le milieu de la salle, et y jeta son sac avant de se laisser tomber sur une chaise. Elle commençait à sortir cahier et trousse quand elle remarqua que Naminé n'avait pas bougé et leva la tête.
« … Qu'est-ce que tu fais ? Ça va ? » répéta-t-elle.
Naminé regarda autour d'elle, balayant des yeux la salle presque déserte avec timidité.
« Euh, je ne sais pas où je dois m'asseoir, souffla-t-elle.
-Comment ça ? Tu t'assieds où tu veux ? »
Selphie ne semblait pas comprendre son trouble et, au fond de la salle, les deux autres élèves avaient relevé la tête, yeux fixés sur elle et écoutant la conversation. Derrière elle, elle entendit un remue-ménage qui se rapprochait de la porte : il était presque huit heures, et les élèves commençaient à envahir la salle.
Mais Naminé remua sur place, indécise. Il y avait tant de bureaux vides, tellement de choix... Elle ignorait quel était le bureau de Kairi, celui où elle était supposée s'asseoir. Selphie inclina la tête, l'air légèrement ennuyé.
« C'est quoi le problème ? Tu peux t'asseoir où tu veux, voyons ! »
Vraiment ? Naminé désigna d'une main hésitante le bureau le plus proche.
« Je peux m'asseoir là alors ? »
Selphie la scruta, cessant de manipuler ses affaires.
« ...Oui ? Kairi, t'es sûre que ça va ? »
Hochant la tête, sentant des regards non désirés sur elle, elle laissa tomber son sac sur la surface du bureau et tira la chaise, raclant les pieds contre le sol. Alors qu'elle s'asseyait lentement, timidement, Selphie continuait de la fixer et elle songea que, sans le vouloir, elle avait commis une autre maladresse.
Des images vagues hantaient son esprit. Ses sens embrumés ne lui permettaient pas de les comprendre ou même de les discerner aisément, mais Xion sentait que ces images lui étaient familières. Il lui semblait aussi que des voix inaudibles résonnaient autour d'elle, que quelqu'un l'appelait, dans le lointain, mais était-ce elle ? Elle voulut tendre une main vers la source de la voix, mais ne put trouver la volonté de lever le bras. L'image familière d'une fille rousse s'imposa sur les autres, mais avant qu'elle ait pu tenter de l'identifier clairement, l'image commença à se dissoudre dans le brouillard blanc, disparaissant peu à peu sous ses yeux engourdis.
Le brouillard s'épaissit, étouffant ses pensées et ses sens, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien qu'une obscurité opaque. Ce fut alors qu'elle ouvrit réellement les yeux.
Absente, Xion demeura de longues secondes inerte, fixant quelque chose en face de ses yeux, loin devant elle, quelque chose qui ressemblait à des planches de bois à la peinture passée, à moitié dissimulées dans la pénombre. Elle finit par comprendre qu'elle était allongée sur le dos et qu'elle fixait le plafond.
Oh... c'était donc ça.
Elle venait seulement de se réveiller après un rêve épuisant comme elle en connaissait beaucoup. Rien qui ne sortait de l'ordinaire.
Cependant, cette dernière affirmation s'effondra aussitôt quand, après avoir contemplé distraitement le plafond pendant de longues minutes sans penser à rien, son esprit encore embourbé dans le monde des rêves, il lui vint à l'esprit qu'elle ne reconnaissait pas ce plafond. Ce n'était certainement pas celui de sa chambre, conçu dans l'étrange matériau métallique blanc et gris qui constituait toute la citadelle. Alors où était-elle... ?
Elle tourna la tête. Elle se trouvait allongée sur une banquette au fond d'une petite pièce, pièce qui ne semblait pas avoir connu un habitant depuis longtemps : à part la banquette et une petite commode couverte de poussière poussée contre un mur, la pièce était dénuée de mobilier, et rien n'ornait ses murs nus dont la peinture ternie s'écaillait par endroit. Une odeur de poussière lui monta aux narines. Elle était seule, et aucun bruit ne lui parvenait, ce qui ne la rendit que plus décontenancée. Où était-elle donc ?
Xion se redressa en position assise et son regard tomba sur ses genoux. A la vue de la légère robe blanche qui remplaçait son habituel manteau noir, elle écarquilla les yeux et tout lui revint brusquement.
Oh non, oh non, oh non. Ce n'était pas un rêve. Elle était toujours coincée dans cette étrange situation...
Son cœur s'emballa tandis qu'elle sautait à terre, tous ses sens éveillés. Un regard par la fenêtre près de la banquette acheva de lui confirmer ce qu'elle savait déjà : elle se trouvait bel et bien dans le manoir abandonné de la Cité du Crépuscule, pour une raison inconnue, sans savoir comment elle était arrivée là, ni pourquoi son apparence n'était plus la même... Une mèche de cheveux blonds tomba devant son visage et elle la repoussa prestement.
« Du calme, murmura-t-elle, se tenant au centre de la pièce et regardant nerveusement autour d'elle comme si elle s'attendait à voir surgir un ennemi à tout instant, du calme... Il n'y a personne. Je vais m'en sortir. »
Un nouveau coup d'œil par la fenêtre lui présenta le ciel crépusculaire habituel à la Cité du Crépuscule, et une pensée dérangeante s'insinua en elle : depuis combien de temps était-elle ici ? Elle avait apparemment perdu connaissance... et ensuite ?
« Je dois rentrer, murmura-t-elle encore. Ils vont être tellement en colère contre moi. J'espère que Saïx ne me punira pas... »
Xion se dirigea vers la porte, hésitant quand ses doigts effleurèrent la poignée. Le souvenir de l'homme vêtu de rouge revint brusquement dans son esprit. Était-il encore là ? Était-il responsable de sa présence ici ?
« Je ne le saurai jamais en restant ici », se morigéna-t-elle en inspirant profondément, comme pour se donner du courage.
Elle tourna la poignée.
La porte s'ouvrit et elle eut à peine fait un pas à l'extérieur qu'elle fut déjà sérieusement tentée de faire demi-tour.
L'imposteur se tenait quelques pas plus loin, visage tourné dans sa direction.
