Chapitre publié le 10 août 2017.

Un plus court chapitre aujourd'hui. Et... j'ai eu mon permis ! Je suis trop contente.


Chapitre 19 : Le Supérieur

« Passe-moi la calculatrice, s'il te plaît. »

Naminé souleva le manuel de mathématiques qui gisait ouvert sur ses genoux et lui tendit l'objet demandé que Selphie attrapa avec un murmure de remerciement. La jeune fille la regarda tapoter les touches de la machine, fixant en fronçant les sourcils les pages de son cahier couvertes de ratures.

Elle retourna son regard sur le manuel et suivit du doigt les lignes de consignes de l'exercice que leur professeur leur avait assigné. Peut-être qu'en les relisant, elle comprendrait mieux, mais elle ne se retrouvait en vérité pas beaucoup plus avancée. D'une certaine manière, c'était rassurant de constater que Selphie semblait tout comme elle avoir des difficultés.

Naminé jeta un coup d'œil à son propre cahier : sous le numéro de l'exercice s'étendait un espace blanc depuis tout à l'heure. Elle regrettait de ne pas posséder les connaissances de Kairi : ses propres dons ne lui étaient d'aucune utilité pour ce genre de chose. Délaissant finalement son cahier, elle se plongea dans la contemplation des environs.

C'était la fin d'après-midi, après les cours. La plupart des élèves avaient déjà quitté l'établissement, bien que quelques groupes demeurent dans la cour et le hall pour discuter entre eux. Elle observa les élèves de tous âges qui passaient devant elle, papotant gaiement comme si tout allait pour le mieux, insouciants des dangers qui chaque jour menaçaient les mondes, y compris le leur. A vrai dire, elle enviait leur insouciance et leur légèreté d'esprit. Que n'aurait-elle pas donné pour avoir droit à une vie normale, elle aussi ? Elle était consciente qu'un tel droit ne lui revenait pas, car elle n'était qu'une Simili sans place dans le Monde, mais...

L'air frais caressa son front, jouant avec ses mèches rousses devant ses yeux. Elle se sentait bien et elle se laissa aller contre le dossier du banc, fermant les yeux et inspirant profondément l'air de la soirée. Être humain signifiait pouvoir profiter pleinement de tous ces petits moments, n'est-ce pas ? Elle en était presque jalouse.

Peut-être devrait-elle remercier Selphie. C'était elle qui lui avait proposé de s'installer dans la cour désertée pour travailler un peu après les cours, et elle devait avouer que c'était une excellente idée. Curieusement, Selphie avait paru surprise de la voir aussitôt accepter sa proposition.

C'était dommage que depuis vingt minutes, elles n'avaient pas avancé d'un pouce devant la difficulté de cet exercice, mais au moins, le cadre de travail ne manquait pas de charme.

Peut-être que quand elle retournerait au manoir, elle irait s'installer à l'extérieur pour travailler à la restauration des souvenirs de Sora. Il lui semblait que le manoir possédait un jardin arrière. Ça lui ferait du bien.

Tapotant avec irritation les pages de son cahier du bout de son crayon, Selphie poussa un gros soupir.

« Non, ça ne peut pas être ça », marmonna-t-elle en gommant furieusement toute une série de calculs.

Elle croisa son regard et lui décocha un sourire las.

« Tu as trouvé quelque chose, Kairi ? Moi je crois que...

-Ah, les voilà ! Allez, viens ! »

Distraites par un remue-ménage soudain, les deux filles relevèrent la tête. Deux filles se dirigeaient vers elles à grandes enjambées, ou plutôt, la fille aux deux couettes rousses traînait avec elle, l'air décidé, une grande fille aux cheveux sombres qui lui paraissait familière. Naminé inclina la tête : n'était-ce pas la fille de sa classe, celle de ce midi...

La fille aux couettes rousses se planta devant elle, les mains sur les hanches, et un grand sourire aux lèvres. Était-ce une amie de Kairi ? Avant qu'elle ait pu trouver quelque chose à dire, la fille avait pris la parole.

« Salut, Kairi ! J'espère qu'on ne te dérange pas ? »

Elle parlait d'une voix débordante d'enjouement et Naminé ne put que secouer la tête, la dévisageant en écarquillant les yeux.

« Fang a quelque chose à te dire ! » déclara la rouquine en se tournant vers sa camarade qui était demeurée derrière elle, fixant le sol en fronçant les sourcils.

Sans tenir compte de la réticence évidente de son amie, la rouquine l'attrapa par les épaules et la tourna vers Naminé qui contemplait la scène sans savoir comment réagir. A côté d'elle, Selphie les observait, intriguée.

Comme la dénommée Fang ne disait rien, la petite rousse lui jeta un regard insistant en lui tapotant le bras, et elle finit par relever les yeux vers Naminé. Soupirant, les bras croisés, elle prit enfin la parole :

« … Oui, je voulais te dire... Enfin, Vanille m'a forcée... » Fang détourna le regard et fixa le sol un moment avant de lever la tête à nouveau en prenant une profonde inspiration. Il était évident qu'elle avait peine à regarder Naminé dans les yeux. « Désolée pour tout à l'heure... pour ce midi. J'ai... mal réagi. Je n'aurais pas dû te parler comme ça. Ce n'était pas ta faute après tout. ...Désolée. »

Sa perplexité redoublant, Naminé ne sut que répondre et Selphie émit un petit rire en se penchant en avant.

« Bah, c'est bien que tu le reconnaisses ! C'est pas tous les jours que tu t'excuses, c'est Vanille qui t'a obligée, non ? »

La dénommée Vanille – Naminé supposa qu'il s'agissait de la fille rousse – éclata d'un rire léger.

« Il faut pardonner à Fang, dit-elle d'une voix taquine. Elle est plutôt bougonne, mais elle a bon cœur ! »

Fang lui jeta un regard agacé et Vanille sourit s'en se laisser démonter. Les yeux des trois filles se tournèrent alors vers Naminé qui comprit qu'elles attendaient une réponse de sa part.

« Euh, d'accord », dit-elle simplement.

Elle n'était pas sûre de vraiment comprendre la situation : pourquoi cette fille avait-elle éprouvé le besoin de s'excuser auprès d'elle ? A vrai dire, de sa courte vie, il était rare que des gens, encore moins des inconnus, lui aient fait des excuses. C'était surtout elle qui en avait dues. Maintenant, elle ignorait comment réagir.

Vanille échangea encore quelques mots avec elles puis les deux filles s'éloignèrent. Naminé regarda la rouquine leur adresser un signe de la main en suivant son amie. Elle ne comprenait toujours pas.

« L'autre fille, c'est Vanille, la petite amie de Fang, indiqua Selphie. Je ne pense pas que tu la connaisses : elle a un an de moins, est encore en troisième. »

Oh, d'accord. Même si cela ne lui expliquait toujours pas ce qui venait de se dérouler sous ses yeux.

« Je suis contente qu'elle se soit excusée, poursuivit Selphie. D'habitude, Fang n'est pas très... Ça me rappelle que j'avais quelque chose à te dire. »

Elle ferma son cahier, renonçant visiblement à terminer son exercice, puis se tourna vers Naminé avec un regard décidé.

« Je... suis désolée pour ce qu'il s'est passé avec Yeul. C'est ma faute. Je n'aurais pas dû t'envoyer là-bas. »

Naminé inclina la tête. Pourquoi lui parlait-elle de Yeul, soudainement?

« D'accord, Selphie. Il n'y a pas de problème, tu sais. »

Elle pensait avoir dit ce qu'elle voulait entendre, pourtant, son amie se renfrogna et détourna le regard. Avait-elle dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?

« Tu dis ça, mais... »

Selphie soupira et s'agita sur place, le front plissé.

« Tu ne comprends pas, Kairi. Je doute que tu saches à quel point je me suis inquiétée, à quel point je me suis sentie coupable. Je ne voulais pas... je pensais t'avoir causé de nouveaux ennuis, et même plus que des ennuis... »

Naminé leva légèrement une main hésitante. Elle songea à la poser sur l'épaule de l'autre fille, en un geste de réconfort, mais n'était pas certaine qu'un tel geste soit bien accueilli, aussi y renonça-t-elle. Elle n'était probablement pas faite pour consoler des humains, des êtres doués d'un cœur, elle qui n'en possédait pas. Selphie avait probablement raison : elle ne pourrait jamais comprendre.

« Merci, dit-elle alors. C'est vrai que je ne comprends pas, mais merci de t'inquiéter de moi. »

Ses remerciements étaient sincères : elle sentait une chaleur étrange dans sa poitrine, une chaleur qui n'était pas sans similarité avec celle qu'elle avait ressentie quand Sora, qu'elle avait trompé et manipulé, lui avait pardonné sans hésiter. Elle n'avait jamais totalement oublié cette sensation, mais la retrouver de nouveau éveillait en elle une sorte de mélancolie nostalgique.


Elle ne voyait rien.

Elle n'entendait rien non plus. Et elle ne ressentait rien. Elle n'avait même pas l'impression d'exister, comme si elle flottait dans un espace vide, dénuée de corps et d'esprit.

Un brouillard dense enveloppait son esprit, constituant son seul monde. Puis, il lui sembla sentir quelque chose. Ou plutôt... étaient-ce des sons, ce qu'elle croyait entendre dans le lointain ? Comme c'était étrange.

Où suis-je ?

Elle se sentait faible, plus que faible, comme si son corps s'était désagrégé. Possédait-elle au moins un corps ? Elle voulut ouvrir ses yeux, mais le sommeil ne cessait de la tarauder, de l'appeler à rejoindre son sein, et c'était si difficile... Au prix d'un effort de volonté qu'elle ne se serait jamais crue capable de réussir, elle parvint à se forcer à garder les yeux ouverts. A travers le brouillard blanc, il lui semblait distinguer des formes sombres et floues aux limites de sa vision, des formes qui bougeaient. Impossible de les apercevoir distinctement, cependant. Et des sons incompréhensibles, comme écoutés à travers un mur d'eau, emplissaient ses oreilles. Est-ce que quelqu'un lui parlait ?

Où était-elle ? Et qui était-elle, déjà ?

Sans qu'elle s'en fut aperçue, ses yeux s'étaient refermés d'eux-mêmes, et elle se força à les rouvrir. Elle tenta de respirer. Étrange. Elle venait de se rendre compte, en essayant d'avaler une goulée d'air, qu'elle flottait dans un liquide inodore, semblable en consistance à de l'eau. Pourtant, elle n'avait aucun problème pour respirer, donc il ne devait pas s'agir d'eau... Mais que faisait-elle là ?

Elle pouvait maintenant voir les deux silhouettes plus clairement. Il lui semblait qu'elles se parlaient entre elles. Impossible de comprendre le moindre mot de leur conversation, mais elle n'aimait pas ça. Se retrouver dans un tel état de faiblesse et de semi-sommeil à quelques pas d'étrangers qu'elle ne pouvait reconnaître... Comme si elle avait lu ses pensées, l'une des deux silhouettes se mit en mouvement et s'éloigna, avalée par le brouillard blanc.

Elle avait tellement envie de retourner dormir... Elle ne voulait pas être là...

Mais soudain, un claquement étrange et sinistre, qui résonna bien trop près d'elle, brisa le silence. Elle n'eut pas à attendre longtemps pour en comprendre les effets : bien vite, le liquide translucide dans lequel elle était plongée commença à s'agiter autour d'elle et elle comprit que son niveau descendait, comme drainé hors de son monde. Une étincelle électrique la parcourut quand ses pieds touchèrent brusquement une surface dure, lui faisant brutalement reprendre conscience de son corps. Elle n'avait pas la force de demeurer debout et se laissa tomber à genoux au fur et à mesure que l'eau disparaissait autour d'elle.

Bientôt, le liquide délivra sa tête à l'air libre, et l'absence de la douceur tiède sur son visage lui fit cligner des yeux. Ses sens lui revenaient peu à peu : elle entendait comme une espèce de bourdonnement dans ses oreilles et des formes colorées s'imposaient à son regard.

Alors que les derniers litres de liquide disparaissaient entre ses pieds, la jeune fille fit un effort pour briser la torpeur qui emprisonnait son esprit. Il y avait quelque chose d'étrange juste sous son nez, et elle finit par comprendre qu'il s'agissait d'une... paroi de verre ? Sur laquelle elle voyait son reflet. De l'autre côté de la paroi lui apparaissaient les contours d'une salle et une silhouette en manteau noir et aux cheveux bleus.

Elle sentait les dernières gouttes de liquide couler sur ses joues et elle leva une main tremblante et inerte à hauteur de son visage pour les chasser, marquant un temps d'arrêt à la vue de sa manche noire.

Quelque chose chuinta tout près d'elle et un pan du mur de verre s'écarta. Elle le fixa sans comprendre et leva les yeux quand la silhouette vêtue de noire s'approcha. Un regard glacial l'accueillit.

« Qu'est-ce que tu fais encore par terre ? C'est terminé. Lève-toi, et sors d'ici. »

Ah, il voulait qu'elle sorte. Un effort de concentration lui fut nécessaire pour comprendre qu'elle se trouvait dans une sorte de grand tube de verre au centre de la pièce. Kairi posa une main tremblante sur le mur de verre, y prenant appui pour tenter de se relever sur ses jambes qui peinaient à supporter son poids. Une nausée soudaine lui serra la gorge et elle leva aussitôt une main vers sa bouche.

L'autre la regardait faire et émit un « tchh » de mépris devant ses efforts.

« Si Vexen avait été là, ça aurait déjà été terminé depuis plusieurs jours. Il va falloir faire avec, mais dépêche-toi. Tu nous as déjà fait perdre assez de temps. »

Sur ces mots, il se détourna sans un regard supplémentaire. Kairi, qui était parvenue avec peine à se relever, tenta un pas timide hors du tube de verre. Tout son corps tremblait, et elle se sentait incroyablement faible, mais elle ne comprenait pas pourquoi.

Que faisait-elle là ?

Saïx ne s'intéressait déjà plus à elle, occupé à consulter un panneau de contrôle près du tube. Quand elle comprit qu'il n'avait plus l'intention de lui adresser la parole, elle se dirigea à pas lents vers la sortie de la salle.

Ah, ça lui revenait à présent, songea-t-elle alors que la double porte se refermait derrière elle. Prenant appui d'une main sur le mur métallique, elle entreprit de gravir lentement les marches à l'extérieur. Ses supérieurs avaient exigé qu'elle se soumette à une sorte de test. Apparemment, il était déjà terminé. Rien d'horrible ne lui était arrivé, et pourtant, était-ce de la peur qu'elle ressentait... ?

Kairi se figea quand les souvenirs coulèrent dans son esprit, peu à peu ravivés en même temps que ses sens. Oui... Ils avaient découvert la vérité. Ils avaient découvert qu'elle ne possédait pas les pouvoirs de cette Xion... Qu'avaient-ils découvert d'autre durant ce test ? Avaient-ils compris qu'elle était un imposteur ?

A cette pensée, la terreur monta brièvement en elle, libérée par sa fatigue, et elle dut faire appel à toute sa volonté pour se calmer. Ils n'avaient pas pu le découvrir, raisonna-t-elle, ce test n'était probablement qu'un examen des capacités de son corps pour comprendre pourquoi ses pouvoirs l'avaient quittée. S'ils avaient appris la vérité, il n'y aurait eu aucune chance qu'ils la laissent partir comme ils venaient de le faire : elle aurait aussitôt été emprisonnée, il n'y avait aucun doute.

Kairi soupira de soulagement, convaincue par son argumentation. A vrai dire, ses doutes persistaient, mais Saïx n'avait pas l'air de s'être comporté différemment avec elle, alors... Et puis, il n'y avait aucun moyen qu'ils puissent analyser son cœur, non ?

Sur ces pensées rassurantes, elle se remit en route.

Malgré son état d'hébétement et de confusion, elle parvint bizarrement à retrouver le chemin de sa chambre. Elle ne sut dire comment elle s'y était pris : était-ce une sorte d'instinct enfoui qui venait de se réveiller ?

Les couloirs de la citadelle étaient silencieux et elle ne croisa personne. Elle se sentait toujours étrange, comme détachée de son propre corps, mais elle avait presque recouvré ses sens : le brouillard blanc avait disparu, sauf aux angles de sa vision, et elle sentait tous les membres de son corps. Elle était rassurée de constater que cet état était loin d'être permanent.

Elle n'avait pas la moindre idée de l'heure qu'il était. Combien de temps était supposé durer ce test, déjà ?

Avec un soupir de soulagement, elle réalisa soudain que ses pieds l'avaient guidée jusqu'à la porte de sa chambre. Elle venait peut-être de se réveiller, mais elle mourait d'envie de dormir. Lâchant un bâillement, elle ouvrit la porte et se figea.

Quelqu'un l'attendait dans la pièce.

Le supérieur de l'Organisation se tenait devant elle, assis sur le rebord de sa fenêtre, le dos droit et les bras croisés. Il lui souriait, mais ce sourire n'avait rien d'amical : c'était un rictus carnassier qui lui nouait la gorge et la mettait immédiatement sur ses gardes.

« Ah, Xion, dit-il de sa voix solennelle. Je t'attendais. »

Kairi ouvrit la bouche mais ne sut que répondre. L'aura noire qui s'échappait par vagues néfastes de la personne du supérieur lui donnait presque la nausée.

… Maintenant qu'elle y pensait, son aura n'était pas sans ressemblance avec celle d'Ansem. Cela voulait-il dire que... ?

Sans se départir de son sourire de requin, le supérieur esquissa un geste dans sa direction.

« Je t'en prie, entre. Fais comme chez toi, dit-il avec une pointe de rire dans la voix. Il est normal que tu te sentes nauséeuse. Le test a duré six jours : malheureusement maintenant que nous n'avons plus Vexen, nous sommes incommodés. Ça passera après une nuit de repos. »

Six jours ?! Elle était demeurée endormie dans ce laboratoire pendant autant de temps ? Le choc dut se lire sur son visage car le rictus de son interlocuteur s'élargit.

Songeant préférable de ne pas contrarier son supérieur, Kairi s'avança lentement dans la pièce sans le quitter des yeux et s'assit sur son lit, le plus loin possible.

Pourquoi était-il ici ? La réponse s'imposa à elle et elle serra ses mains tremblantes sur ses genoux. Il la dévisageait toujours avec ce rictus inquiétant qui lui étirait sinistrement les lèvres.

Kairi inspira profondément pour se calmer. Tant pis si sa peur était apparente. Elle avait peur, certes, mais elle refusait de se laisser emporter par son anxiété.

Aussi prit-elle sur elle pour parler la première et poser la question qui la taraudait.

« Est-ce que l'analyse... a été efficace ? » demanda-t-elle d'une voix tremblante.

Le supérieur prit un peu de temps avant de répondre, sans doute pour faire monter son malaise.

« Nous le saurons bien assez tôt », répliqua-t-il enfin.

Sans s'attarder sur sa réponse mystérieuse qui n'allégeait en rien les troubles de la jeune fille, il reprit :

« Dis-moi, Xion... Y a-t-il quelque chose qui te contrarie en ce moment ? Quelque chose... qui te retient dans ton dévouement pour l'Organisation ? »

Kairi secoua la tête.

« Non... monsieur », articula-t-elle.

Que pouvait-elle dire d'autre ? C'était la réponse la plus sûre. Elle ne connaissait pas Xion après tout, elle ne pouvait savoir ce qu'elle aurait répondu.

« Tu es sûre ? insista le supérieur. Selon les rapports de Saïx, tu as récemment commencé à montrer des signes de faiblesse suite à l'échec de l'une de tes missions. Tu vois de quoi je parle, n'est-ce pas ? »

Kairi retint une grimace en sentant son cœur faire un bond dans sa poitrine. Bien sûr que non, elle ne voyait pas : ces souvenirs n'appartenaient qu'à Xion seule. Elle n'eut comme seule consolation que la perspective que l'absence de ses pouvoirs avait dû passer, aux yeux de ses supérieurs, pour la conséquence logique de quelque chose qui avait dû lui arriver dans le passé. Avec un peu de chance, ils n'iraient pas chercher plus loin.

Comme elle demeurait silencieuse, le supérieur poursuivit, sans sembler incommodé :

« Tu as rencontré l'imposteur. T'a-t-il dit quelque chose ? »

L'imposteur ? Roxas n'avait-il pas mentionné une personne de ce nom, récemment ? Apparemment, il s'agissait d'un ennemi de l'Organisation. Il semblait redouté : Roxas l'avait aussitôt soupçonné comme étant le responsable de la perte de ses pouvoirs, bien qu'elle sache qu'il n'en était rien.

« Non, monsieur », répéta la jeune fille, qui souhaitait de plus en plus que cette conversation se termine.

Elle ne voulait plus avoir affaire à cet homme, décida-t-elle. Elle avait la désagréable sensation qu'il pouvait lire son âme sans le moindre effort.

« Il ne t'a pas parlé de Sora ? »

Avant qu'elle ait pu s'en empêcher, elle écarquilla les yeux et il s'en aperçut aussitôt. Ses yeux se plissèrent et un sourire entendu étira froidement ses lèvres.

« Je m'en doutais. »

Sora ? Pour la première fois enfin depuis son arrivée, elle entendait son nom. Cela lui fit un choc. Son cœur s'accéléra et un sentiment étrange serra sa poitrine. Elle aurait été heureuse de la confirmation qu'elle était sur la bonne piste si elle ne provenait pas de cet homme au cœur noir. Elle se sentait davantage inquiète que rassurée, sachant que les renseignements sur son ami étaient détenus par lui car, elle en était certaine à présent, le supérieur de cette organisation ne souhaitait pas le bien de son ami.

Elle choisit ses mots avec soin.

« Qui est... Sora ? » dit-elle lentement, comme si ce nom lui était pratiquement inconnu.

Peut-être pourrait-elle lui soutirer quelques informations. Elle devait essayer.

Le supérieur ne changea pas d'expression.

« Un élément important dans l'ordre des mondes, répliqua-t-il obscurément. On pourrait dire que Roxas et toi êtes liés à lui, car lui aussi possède la Keyblade. Ou plutôt, possédait. »

Possédait ?

Ignorant la main glacée qui serrait son cœur, Kairi insista :

« Que voulez-vous dire... monsieur ?

-Ça n'a plus d'importance à présent, coupa-t-il avec un geste de dénégation. Tu ne dois pas te soucier de cela et laisser ces pensées influer sur ton devoir envers l'Organisation. L'ancien porteur a disparu, à présent, et il ne reviendra pas. C'est à vous deux qu'il incombe de manier la Keyblade, pour notre bien à tous. »

Disparu... Mais, ce n'était pas possible ! Yeul ne lui avait-elle pas dit qu'il se trouvait ici ?! Et s'il disait la vérité, où pouvait-elle chercher désormais ? Que pouvait-elle faire ?

Et la façon sinistre dont il avait prononcé ces mots lui faisait froid dans le dos. Que voulait-il dire par « disparu » ?

Elle voulut insister, mais elle savait que le sujet était clos. Il ne lui révélerait pas aussi facilement ce qu'il savait.

« Xion. »

A l'annonce du nom de la fille dont elle avait emprunté le corps, Kairi releva aussitôt les yeux qu'elle avait baissés vers ses genoux pour tenter de dissimuler ses émotions. Il la fixait toujours de son regard doré qui transperçait son âme.

« Cela va sans dire, mais je préfère rappeler que l'imposteur est un trompeur. Ce n'est pas un ami, ni de nous, ni de toi, et ce n'est pas une personne digne de confiance. Il ne nous veut aucun bien. Aussi, quoi qu'il ait pu te dire sur Sora, cela ne doit pas avoir d'incidence. Ai-je été clair ? »

Atterrée, Kairi hocha la tête. Alors c'était la raison pour laquelle il était venu lui parler... Ce n'était pas qu'il avait percé à jour son secret, mais qu'il craignait que cet « imposteur » ne lui ait révélé quelque chose qu'il voulait garder secret. Quelque chose sur Sora, quelque chose qu'elle avait besoin de savoir.

Apparemment satisfait, le supérieur se leva. Elle le suivit des yeux alors qu'il passait devant elle, mais il s'arrêta sur le seuil de la pièce, pour délivrer des dernières paroles.

« Xion, tu dois comprendre ce que tu dois à cette Organisation, murmura-t-il sans tourner la tête. C'est nous qui t'avons récupérée, protégée et abritée durant tout ce temps. N'écoute pas les paroles trompeuses du premier ennemi venu. Accomplis ton devoir : sers-toi de la Keyblade, et ramène-nous les cœurs, pour compléter notre Kingdom Hearts. C'est l'unique raison de ton existence. »

Kairi ne sut que répondre, mais déjà il était parti. La porte se referma sans un bruit derrière lui, et elle remarqua alors qu'elle avait retenu sa respiration et s'était figée comme une statue devant son passage.

Elle relâcha l'air de ses poumons. Les pensées couraient dans sa tête.

Elle devait chercher cet imposteur. Coûte que coûte. Il était sa seule chance à présent.

Elle espérait seulement ne pas arriver trop tard.