Chapitre publié le 28 juin 2018
Chapitre 23 : Surprises d'anniversaire
Quand Naminé se réveilla ce matin-là, elle eut l'impression distincte qu'elle devait se souvenir de quelque chose d'important. La jeune fille demeura de longues minutes allongée sur le dos sans bouger, fixant d'un regard songeur le plafond, plongée dans des pensées éteintes. Il y avait quelque chose d'important aujourd'hui, elle en avait la certitude, mais ne parvenait pas à mettre le doigt dessus. Une connaissance qui persistait avec insistance dans l'arrière de son esprit, telle une mouche agaçante.
Oh hé bien. Il y avait bien quelque chose dont elle se souvenait. C'était un vendredi, ce qui signifiait qu'elle n'avait pas l'opportunité de rester trop longtemps au lit si elle ne tenait pas à être en retard à l'école.
Étouffant un bâillement, la jeune fille se glissa hors de ses draps et se traîna vers le bureau en se frottant les yeux. Comme elle avait mis un peu d'ordre dans les affaires de Kairi, l'espace y était désormais propre et dégagé. Son uniforme d'école l'y attendait, soigneusement plié, à côté d'une trousse de crayons de couleur usés et de son carnet à dessin. Un autre carnet, qu'elle réservait pour des dessins sans importance. Elle était réticente à ouvrir son premier carnet pour autre chose qu'accomplir son devoir envers Sora et les mondes.
Son uniforme sous le bras, Naminé quitta la pièce et traversa le couloir jusqu'à la salle de bain. Du rez-de-chaussée montait la discussion dans laquelle étaient plongés ses parents, entrecoupée de bruits de vaisselle et de couverts. Elle fit sa toilette matinale, s'attardant plus que nécessaire sous la douche ; Kairi lui renvoya un regard dénué d'émotion dans le miroir embué alors qu'elle arrangeait ses cheveux roux.
Quand elle retourna dans sa chambre, elle remarqua que sur la table de chevet, son réveil indiquait sept heures cinq. Il était tard ! Attrapant d'une main son sac d'école patientant sur la chaise de son bureau, Naminé se hâta vers les escaliers.
« Bonjour, dit-elle avec un regard furtif vers l'horloge fixée au mur. J'espère que vous avez bien dormi...
-Bon anniversaire, ma chérie ! »
Naminé s'interrompit et fixa ses parents, les parents de Kairi, avec des yeux ronds, tandis qu'ils attendaient, tournés vers elle et guettant sa réaction.
Ah. Oui, voilà ce qu'elle avait oublié. On était le 15 mai, le jour de l'anniversaire de Kairi.
Naminé se demanda si cela signifiait qu'elle partageait le même anniversaire que son originale. Ou peut-être était-ce le jour, dont elle ignorait la date, où elle avait été créée ?
« On le fêtera demain, d'accord ? continua sa mère, tout sourire. Je vais préparer ton gâteau préféré, qu'en dis-tu ?
-Tu as l'intention d'inviter des amis ? renchérit son père. Invite qui tu souhaites, mais ce serait mieux qu'on le sache vite pour pouvoir prévoir la quantité.
-Oh. Euh, oui, je crois, se força-t-elle à réfléchir en s'installant à table. Selphie ? »
Ses parents hochèrent la tête.
« Et peut-être quelqu'un d'autre ? hasarda-t-elle encore.
-Tu m'enverras un message quand tu le sauras, d'accord ?
-Oui. »
Le reste du déjeuner s'écoula dans le silence de son côté tandis que ses parents discutaient doucement. Elle ne mangea pas beaucoup ; elle n'avait jamais très faim en général et elle n'était pas très en avance. Au bout de cinq minutes, elle s'excusa et quitta la pièce sous la voix enjouée de ses parents qui lui souhaitaient une bonne journée.
Naminé s'arrêta quelques secondes devant le seuil. Elle prenait de plus en plus l'habitude de penser à eux comme « ses parents » plutôt que « les parents de Kairi ». C'était certes plus simple, mais un peu dérangeant.
A peine eut-elle franchit la porte d'entrée que Selphie, qui manifestement l'attendait juste derrière, lui sauta dans les bras.
« Joyeux anniversaire ! » cria-t-elle dans ses oreilles, un rire dans la voix.
Prise par surprise autant par son apparition que par la force de l'assaut, Naminé faillit tomber en arrière et ne se rattrapa que de justesse à la poignée de la porte.
« Hum... Merci, Selphie. Tu es très matinale aujourd'hui.
-Non c'est toi qui est en retard ! riposta gaiement la jeune fille en se décollant d'elle pour lui donner un coup de coude joueur. T'as de la chance que ce soit ton anniv, mais contrairement à moi, les profs s'en fichent, eux ! Dépêche ou on va arriver en retard ! »
A peine se furent-elles mises en route que Selphie se tourna vers elle et lui fourra un objet sous le nez.
« Voilà ! C'est pour toi ! »
Naminé recula la tête pour voir ce que Selphie lui tendait. Il s'agissait d'une montre simple à la lanière bleue, encore enveloppée dans son emballage.
« Oh, c'est... souffla-t-elle en l'attrapant d'un geste précautionneux.
-Ouais, je pensais que tu en aurais besoin comme t'es souvent en retard ! »
Selphie lui avait offert un cadeau ? Naminé sentit une vague d'émotion et de gratitude lui serrer momentanément le cœur.
Mais Selphie éclata soudainement de rire.
« Je plaisante ! s'écria-t-elle sous ses yeux perplexes. Enfin, non, tu peux la garder, mais c'est pas ton vrai cadeau ! Ma tante me l'avait achetée mais je ne l'ai jamais utilisée... Attends un peu. »
Intriguée, Naminé la regarda farfouiller dans son sac tout en marchant.
« Ah, le voilà ! Tiens, et encore joyeux anniversaire ! »
Naminé s'empara du paquet rectangulaire, empaqueté dans un papier coloré et brillant.
« Oui hum... c'est un peu mal enveloppé, je ne suis pas très douée dans ce domaine...
-Non, c'est très bien ! » s'empressa de la rassurer Naminé avec un sourire qui sembla couper les mots à son amie.
Elle prit tout son temps pour déballer son présent, prenant soin de ne pas déchirer le papier plus que nécessaire, tandis que Selphie la regardait faire avec agitation en buvant le contenu d'une briquette de lait d'amande.
« Ah, mais c'est... »
Le papier avait révélé une boîte enveloppée dans du plastique transparent, dans laquelle s'alignait une collection de crayons et de feutres colorés, attendant sagement d'être utilisés, avec des petites bouteilles d'encre et des tubes de gouache. Selphie lui avait offert du matériel à dessin ?
« Je l'ai trouvé au centre-ville ce week-end. Vu que tu dessines beaucoup ces derniers temps, je me suis dit, pourquoi pas ? fit Selphie avec un haussement d'épaules nonchalant. Ça te plaît ?
-Bien sûr que ça me plaît ! Merci beaucoup, Selphie ! Vraiment. »
Kairi lui aurait probablement sauté au cou, mais Naminé était beaucoup plus réservée qu'elle. Parfois, elle regrettait néanmoins ce trait de caractère qui était le sien. Elle aurait vraiment voulu montrer à Selphie la force de sa gratitude, mais celle-ci dut le comprendre, car elle parut tout d'un coup beaucoup plus détendue.
« Alors c'est parfait ! »
Selphie accepta avec joie son invitation pour le lendemain puis les deux filles discutèrent de tout et de rien pendant le reste du trajet, Selphie ayant le don pour animer les conversations à elle seule et changer de sujet quand nécessaire, et Naminé serrait son matériel à dessin flambant neuf contre sa poitrine, le sourire aux lèvres. Aujourd'hui promettait d'être un très bon jour.
Quand elles arrivèrent devant le portail de l'école, elle aperçut Serah quelques mètres plus loin, patientant à côté des grilles. Naminé la fixa pendant quelques secondes, et ne revint à la réalité que quand Selphie la poussa doucement dans son dos.
« Tu veux aller lui dire quelque chose ?
-Euh... »
Naminé tourna la tête vers elle, surprise de constater que l'autre fille semblait avoir lu dans ses pensées, mais celle-ci lui décocha un sourire taquin.
« Tu étais en train de la fixer sans rien faire, il fallait bien que je t'aide ! Ne t'inquiète pas pour moi, on se retrouve en classe d'accord ?
-Oh, ok. A tout à l'heure. »
Naminé délaissa Selphie pour se diriger vers l'autre fille aux cheveux rose clair réunis ce jour-ci en une tresse, différence frappante avec son habituelle queue de cheval sur le côté. Les yeux bleus de Serah s'éclairèrent à sa vue.
« Kairi ! Joyeux anniversaire ! C'est bien ton anniversaire aujourd'hui ? »
Naminé hocha la tête.
« Oui hm... Je me demandais, mes parents ont l'intention de le fêter demain et m'ont dit que je pouvais inviter des amis si je voulais, alors...
-Oh, tu pensais à moi ? s'écria Serah, les yeux pétillants en étendant les mains vers elle. C'est gentil ! Hm, je n'ai rien de prévu demain alors je viendrai, si ça ne vous dérange pas. Merci ! »
Naminé sentit ses lèvres lui retourner son sourire. Il semblait bel et bien que cette journée allait être parfaite.
« Cela fera trente munnies, miss. Et vous avez de la chance : on fait une réduction sur l'eau pour cette fin de semaine, c'est deux fois moins cher. »
Kairi hocha la tête et tendit la somme demandée avec un sourire éclatant. Elle ne remercierait jamais assez le fait que la même monnaie semble être en vigueur dans tous les mondes. Alors que le marchand assis à l'ombre de son stand, sur le bas-côté de la route, comptait la monnaie, elle jeta un regard derrière son épaule, croisant le regard de Roxas qui attendait la fin de la transaction, dissimulé dans une ruelle de l'autre côté de la route. Seul un œil conscient de sa présence pourrait le repérer ; personne d'autre ne se serait donné la peine de fixer la pénombre de la ruelle tortueuse à moitié dissimulée par un pan tombant de la toile servant de toit à un stand de fruits et légumes, mais Kairi pouvait discerner sa moue mi-anxieuse mi-désapprobatrice.
« Tenez. » Kairi s'empara des deux outres pleines d'eau fraîche que lui tendait le marchand. « Et ne les gaspillez pas ! L'eau est précieuse par ces températures ! »
La jeune fille le remercia puis se hâta de trotter rejoindre Roxas à l'abri de la chaleur torride du soleil d'Agrabah, zigzaguant avec précaution entre les citadins de la grande cité qui vaquaient à leurs activités le long de l'artère principale, récoltant quelques haussements de sourcils devant son apparence et sa tenue étrangères à ce monde. Ayant véhémentement refusé de l'accompagner dans sa quête d'une boisson fraîche, Roxas l'attendait en rongeant manifestement son frein et ne se détendit légèrement que quand la jeune fille l'eût rejoint à l'abri des regards de la foule.
« Tu sais qu'on n'a pas le droit de communiquer avec les habitants des mondes ? lui rappela-t-il aussitôt avec inquiétude. Ce serait très mauvais s'ils commençaient à se poser des questions...
-Oh, allons, ne me dis pas que tu n'as pas envie d'un peu d'eau fraîche ? » le taquina Kairi avec un grand sourire, en lui tendant une des outres. Elle réprima l'envie de faire remarquer que lui non plus ne se privait pas de se faire des connaissances dans les mondes qu'il visitait – elle l'avait vu discuter avec ce satyre.
Avec un soupir, Roxas ne répliqua rien et accepta son offre. Elle tira elle aussi le bouchon de sa propre outre et soupira de bonheur quand une gorgée fraîche coula dans sa gorge. Après des heures à trimer sous le soleil pour remplir le quota exigé, ils le méritaient bien, et peu lui importait ce que leurs supérieurs pourraient y trouver à redire.
Elle n'en avait cure.
Depuis l'autre soir, la jeune fille entretenait un état de défiance conscient envers ses « collègues » qui ne passait pas inaperçu, mais Roxas avait fini par renoncer à tenter de la convaincre de faire preuve de plus de subordination. Elle comprenait qu'il était loin d'être le plus dévoué de l'organisation et qu'il s'inquiétait juste pour elle, mais elle avait du mal à se laisser émouvoir.
Elle y était presque. Et l'Organisation avait tout fait échouer. S'ils ne s'en étaient pas mêlés...
Le choc qu'elle avait ressenti à la vision inespérée et inattendue de son ami perdu, de celui dont elle avait toujours connu la survie mais dont seule la certitude était demeurée dans un monde qui le considérait comme mort, son ami blessé et cerné par ses ennemis, se battant pour sa vie sous ses yeux, l'avait profondément marquée et n'avait pas semblé disparaître au fil des jours suivants. Elle avait détesté cette impuissance qui l'avait condamnée à demeurer prostrée sur le sol, pâle et inerte, ne pouvant en croire ses yeux. Pendant des jours et des nuits le visage de Riku l'avait hantée, plus âgé et plus marqué par les tourments que ce dont elle se souvenait, ses traits à moitié dissimulés par un épais bandeau noir et ses longs cheveux argentés cascadant autour de son visage.
Cela faisait si longtemps qu'il était perdu dans l'océan du monde et il avait fallu qu'il réapparaisse devant elle pour qu'elle prenne pleinement conscience à quel point il lui avait manqué. Une vague de nostalgie, un désir pour un retour aux jours heureux et paisibles passés sous le soleil des îles l'avait alors submergée, et elle en avait même pleuré, sous les yeux confus de Roxas. Celui-ci n'avait pu que présumer qu'il s'agissait du contrecoup du choc de sa seconde défaite face à l'imposteur. Elle n'avait pas tenté de le détromper : il n'aurait pas compris et ces sentiments étaient à elle et à elle seule.
Mais au moment où elle l'avait enfin retrouvé, il disparaissait à nouveau. Elle n'avait pu l'apercevoir qu'une poignée de secondes, n'avait pu échanger avec lui la moindre réunion. Elle aurait tellement voulu partir avec lui et regrettait amèrement la perte de cette occasion. Elle se consolait du fait qu'il était sain et sauf : il avait réussi à s'enfuir de justesse, bien que blessé, profitant d'une ouverture laissée par ses ennemis qui avaient baissé leur garde quand ils étaient parvenus à lui porter un coup. Les autres s'étaient immédiatement rués à sa poursuite en jurant, ne laissant dans la cave sinistre que Axel, Roxas et elle dans un silence de mort, et elle avait été secrètement ravie et soulagée quand ils étaient rentrés quelques heures plus tard, la mine penaude et les épaules basses, avouant à un Saïx furieux qu'ils n'avaient pu rattraper l'imposteur. Le lendemain, ils portaient encore dans leur attitude envers le second de Xemnas les marques du savon qu'il leur avait passé.
Mais Kairi savait qu'elle ne pourrait jamais oublier la vision de son meilleur ami acculé au fond d'une salle obscure, le bras trempé de sang, les traits tendus et hantés par quelque tourment qu'elle ne pouvait même pas imaginer. C'était à la fois la meilleure et la pire des expériences depuis qu'elle était partie dans son aventure.
Elle avait réfléchi et réfléchi et réfléchi depuis leur rencontre inattendue. Elle ne savait pas très bien que penser de toute cette situation. Elle était submergée de joie de l'avoir retrouvé, d'avoir confirmé qu'il était sauf, mais la sensation d'avoir été utilisée et manipulée, que ce soit par un camp ou par l'autre, lui laissait un goût amer qui lui piquait le cœur. Elle détestait être manipulée par ceux qui étaient ses supposés collègues, mais elle détestait encore plus avoir servi, à son insu, à cibler son ami. L'Organisation n'avait pas eu le moindre scrupule à les utiliser, Roxas et elle, dans le seul but de capturer Riku ; ils savaient que Riku traînait dans le monde de la Bête, et ils avaient décidé de lui tendre un piège en lui envoyant Roxas et Xion sous prétexte d'abattre un Sans-cœur très puissant. Pour une raison qui lui échappait, Riku les avait pour cibles, et l'Organisation le savait, bien que ce ne soit manifestement pas le cas de Roxas. Riku avait mordu à l'hameçon comme prévu, et s'était montré. Il n'avait échappé au piège que grâce à une adresse remarquable. Si Kairi espérait le retrouver de sitôt, elle pouvait baisser les bras : il allait se montrer bien plus prudent désormais, et effectivement, elle n'avait pas vu ou entendu le moindre signe de lui depuis.
Et Kairi ne savait pas très bien ce qu'elle ressentait à la pensée d'être tombée dans un piège tendu par son meilleur ami. Même si ce n'était réellement pas elle qu'il avait visée, elle aurait préféré le retrouver sous de meilleurs auspices.
Elle ignorait pourquoi Riku s'intéressait à Xion et Roxas : une nouvelle question s'ajoutant à la pile d'interrogations qui ne cessaient de s'accumuler. Roxas lui-même l'ignorait.
La conversation qu'ils avaient eu dans la soirée, après leur retour de mission, lui revint en tête tandis qu'elle suivait distraitement Roxas dans le dédale de ruelles étroites et ombragées.
Curieusement, et et cela la mettait mal à l'aise, Roxas n'avait pas paru très secoué par toute leur mésaventure, ou du moins son choc initial s'était rapidement dissipé. Il n'avait pas davantage semblé si révolté d'avoir été utilisé à ses dépens par ses supérieurs quand Kairi lui avait expliqué la situation, à l'abri des oreilles indiscrètes dans la petite infirmerie désertée de la citadelle.
« Je croyais que tu avais besoin d'aide quand j'ai aperçu ce jet de feu dans le ciel, s'était-il contenté de dire après un instant de silence, les yeux baissés vers ses genoux qui pendaient du bord du lit où il avait repris ses esprits.
-Je pensais que toi, tu avais besoin d'aide, s'était-elle aussitôt exclamée. Je t'ai entendu crier.
-Oh ça... » Il avait paru gêné. « Un Sans-cœur plus fort que les autres m'a attaqué par derrière. J'étais très nerveux à cause de l'obscurité, et ça m'a surpris. Je crois d'ailleurs en y repensant que c'était le Sans-cœur de la mission, mais il était beaucoup moins fort que ce que je pensais. »
C'est normal, avait songé Kairi. L'Organisation n'allait pas nous faire chasser un ennemi trop puissant si on devait déjà avoir affaire à l'imposteur...
« Quoi qu'il en soit, je me suis précipité dans la direction de la boule de feu, et c'est là que j'ai vu cette personne en manteau noir qui courait loin devant moi. Je croyais que c'était toi, et comme j'avais peur que tu sois blessée, je l'ai suivi...
-Ce n'était pas moi, avait répliqué Kairi en fronçant les sourcils. Je t'ai aperçu de mon côté, et je t'ai suivi. C'est comme ça qu'on s'est tous retrouvés dans cette cave. »
Roxas avait hoché la tête sans la regarder. Il ne semblait pas blessé, bien que ses joues étaient un peu pâles, mais il ne semblait guère en forme. A ses paroles suivantes, la jeune fille avait compris qu'il avait entretenu une forme de culpabilité devant le fiasco de leur mission, malgré le fait qu'on s'était joué d'eux.
« Désolé, avait-il murmuré. Je t'ai entraînée là-dedans.
-Qu'est-ce que tu racontes, ce n'est pas de ta faute ! Ri... L'imposteur a profité de l'obscurité et qu'on gardait notre capuche sur la tête pour se faire passer pour nous. Et c'est Saïx qui a tout manigancé, tu sais », avait-elle ajouté gravement, en baissant d'un ton.
Roxas n'avait rien dit. Kairi s'était demandée s'il pensait à Axel. Avait-il pris part à la direction de cette opération, lui aussi ? Avait-il été au courant des dangers qu'on leur avait fait courir ? Il avait rapidement assuré à Roxas qu'il n'en savait rien, mais après tout, lui aussi était l'un de leurs supérieurs...
« Il voulait sans doute nous séparer, avait-elle dit lentement, repassant pour la centième fois toute leur aventure dans sa tête. Avant qu'il ne lance ce jet de feu dans le ciel, j'ai aperçu moi aussi une personne au manteau noir, et je l'ai suivie parce que je pensais qu'il s'agissait de toi, mais je suis tombée dans un petit fossé. Je suis sûre qu'il m'y a guidée en comptant sur le fait que j'y tomberai. C'est ce qui est arrivé, d'ailleurs. C'était un vrai nid à Sans-cœur ; j'ai eu un mal fou à m'en débarrasser.
-Il voulait sans doute nous attaquer un par un, avait grimacé Roxas, l'air misérable. Il comptait m'attirer dans cette cave pendant que tu étais retenue avec ces Sans-cœur. Heureusement que tu as pu t'échapper à temps ; sans toi, je n'aurais rien pu faire. Je suis complètement tombé dans son piège. »
Elle n'aurait pas pu s'en échapper, normalement, du moins pas sans une longue et douloureuse bataille. En fait, si ses étranges pouvoirs ne s'étaient pas manifestés, elle n'aurait sans doute pas survécu. Leur mort, pourtant, n'avait pas semblé être le but de l'imposteur... de Riku, mais il était vrai qu'il ne pouvait pas prévoir qu'elle était démunie de Keyblade. Xion avait affronté Riku par le passé d'après Roxas ; elle avait sans aucun doute constitué une adversaire bien plus redoutable que ce qu'elle était à présent.
« Est-ce que tu le connais ? » avait-elle soudain demandé.
De qui elle parlait était évident. Roxas lui avait jeté un regard surpris.
« L'imposteur ? Non, personne ne le connaît, je crois. Cela fait quelques mois qu'il est apparu, mais c'est la première fois que je le croise. Pourquoi ? »
Kairi avait jeté un rapide coup d'œil derrière elle, vers la porte close de l'infirmerie, pour s'assurer qu'ils étaient seuls.
« Je crois qu'il voulait nous rencontrer », avait-elle murmuré, choisissant ses mots avec soin.
Un sourire avait percé les traits de Roxas tandis qu'il frottait son front encore douloureux.
« Il s'y est pris d'une drôle de manière, si tu veux mon avis. »
Kairi avait souri en réponse, mais elle réfléchissait à toute vitesse. Comment retrouver Riku à présent ? Il allait se montrer beaucoup plus prudent à l'avenir, surtout si l'Organisation s'était décidée à ne plus les quitter des yeux, Roxas et elle. Pourquoi était-il l'ennemi de l'Organisation ? Elle lui faisait confiance. S'il agissait ainsi, libéré de l'influence d'Ansem – de cela elle en était certaine. Elle n'avait pas senti l'aura de leur ancien ennemi, et elle avait confiance en les capacités de son ami –, alors il devait avoir une bonne raison. Ce qui ne faisait que confirmer ses doutes : elle avait atterri dans le mauvais camp. Que leur voulait-il, à Roxas et à Xion ? Sora était-il avec lui ? Mais Xion était supposée veiller sur lui, et pourtant Riku l'avait attaquée, ce qui signifiait qu'ils n'étaient pas dans le même camp...
Qu'avait-il dit déjà ? Kairi se massa le front, fermant les yeux pour se concentrer. Il avait parlé d'un manoir... Le manoir Oblivion ? Ce nom ne lui était pas totalement étranger : à bien y réfléchir, elle se rappelait vaguement l'avoir entendu dans les conversations diverses de certains membres de l'Organisation, auxquelles elle n'avait prêté qu'une oreille distraite, parsemées de termes et de références qu'elle ne saisissait pas.
« Xion ! »
Kairi sursauta et ouvrit les yeux, désorientée et éblouie par la lumière qui envahissait la ruelle déserte, se réverbérant sur les murs couleur sable. Roxas la fixait avec inquiétude.
« Est-ce que ça va ? Tu avais l'air...
-Je me sens bien, coupa Kairi, regrettant immédiatement sa rudesse involontaire. Je... réfléchissais. »
Roxas accepta sa réponse comme il le faisait toujours et prit une gorgée d'eau en s'essuyant son front en sueur. Ses yeux passaient nerveusement de son visage à leurs environs, avant de revenir vers son visage, et Kairi attendit patiemment qu'il se décide à dire ce qui le préoccupait.
« Tu n'as pas l'air... de très bonne humeur ces derniers temps », risqua-t-il finalement, un peu timidement.
Oh, c'était donc cela. Même lui l'avait remarqué, ce qui la surprit : elle n'avait pas pensé que ce qu'elle ressentait était aussi évident.
« Si tu as peur à cause de l'imposteur, ne t'inquiète pas ! continua Roxas, qui semblait vouloir faire tout son possible pour la réjouir. L'Organisation nous surveille maintenant pendant les missions, il ne nous arrivera rien. »
Il dut réaliser aussitôt que cette perspective n'avait rien de réconfortant car il se hâta d'ajouter :
« Je veux dire, ils ont envoyé des Reflets pour veiller sur nous, c'est tout ! Ils sont chargés de les prévenir si quelque chose arrive... Même si c'est vrai que je ne sais pas trop si j'aime l'idée d'être surveillé par eux plus que toi », ajouta-t-il en tournant les yeux vers le ciel éclatant d'un air songeur, comme s'il s'attendait à y apercevoir les Reflets en question.
Kairi suivit son regard instinctivement avant de détourner rapidement les yeux, éblouie. Ce ciel lui rappelait celui qui accompagnait ses journées aux Îles, songea-t-elle distraitement avant de se forcer à retourner à la situation présente.
« Dis Roxas...
-Mmh ?
-Tu... as entendu parler du Manoir Oblivion ? »
Roxas, qui scrutait les profondeurs obscures d'une large fissure dans le mur voisin, lui jeta un regard interrogatif par-dessus son épaule.
« Bah oui, bien sûr. Tu as oublié ? Axel y est souvent envoyé. »
Il avait l'air si incrédule que Kairi comprit qu'elle avait commis une faute sans le vouloir.
« Ah excuse-moi ! s'écria-t-elle avec un rire forcé, tentant de se rattraper. Je suis un peu fatiguée. C'est vrai, tu as raison. Hmm... »
Comment faire maintenant pour l'interroger à ce sujet si Xion était censée déjà connaître ces informations ?
Heureusement, Roxas lui épargna cette peine.
« Pourquoi tu me demandes ça ? Tu as envie d'y aller ? C'est vrai que tous les autres y ont été envoyés, mais jamais nous. Axel dit que c'est un peu comme un laboratoire pour l'Organisation et qu'ils n'ont pas besoin de nous là-bas, mais je suis quand même un peu curieux, pas toi ? »
Un laboratoire de recherche ? Avait-il quelque chose à voir avec Sora ?
« Tu sais comment y aller ? » osa-t-elle, le cœur battant à l'attente d'une réponse positive.
Mais Roxas soupira, l'air déçu.
« Non, je n'y suis jamais allé, alors... Je ne sais pas du tout à quoi ça ressemble, mais ça a l'air assez dangereux : c'est là que les cinq autres membres sont morts. »
Il prit un air songeur, la tête inclinée sur le côté.
« Je me demande ce qui a bien pu se passer. Axel n'a rien voulu me dire. »
Les cinq autres... Mais... Mais n'avaient-ils pas éliminés par le Porteur de la Keyblade ? Ce qui signifiait... Sora se trouvait-il à ce Manoir Oblivion ?
« Je... il faut que j'aille là-bas, murmura-t-elle.
-Xion ? … Tu sais, il n'y a plus rien là-bas d'après Axel. Après la mort des autres, ils ont décidé d'abandonner ce monde. Pourquoi est-ce que tu veux y aller à ce point ? … ça a un rapport avec l'imposteur ? »
Kairi leva les yeux vers Roxas, qui semblait davantage intrigué que soupçonneux. Que pouvait-elle lui dire ? Elle pouvait peut-être lui répondre que oui, l'imposteur avait mentionné ce manoir (ce qui n'était pas un mensonge) et lui demander de l'aider...
Mais elle avait à peine ouvert la bouche qu'un craquement retentit derrière eux, dans la fissure même que Roxas inspectait quelques secondes plus tôt.
« Xion ! Les voilà ! s'écria Roxas, sa perplexité se dissolvant immédiatement en une attitude plus appropriée pour le combat, regard attentif et Keyblade en position défensive.
-Compris ! » répliqua-t-elle en invoquant aussitôt un sort de brasier entre ses mains.
Mais alors même que les Sans-cœur fondaient sur eux, se précipitant hors de l'obscurité avec une rapidité affolante, elle ne parvenait pas à s'immerger complètement dans le combat. Cela lui était impossible, maintenant que la perspective de revoir Riku, de revoir Sora, se profilait à l'horizon, non plus comme une lumière abstraite et immatérielle, mais comme une fondation solide à des projets futurs. Sa rencontre brève avec Riku avait ravivé quelque chose en elle, une sorte de courage et de détermination, de confiance en l'avenir, un véritable espoir.
Elle les retrouverait. Elle rentrerait avec eux aux Îles.
La force intense et délicieuse qui avait enflé en elle en même temps que ses espoirs sembla se manifester autour d'elle, trop puissante pour être contenue dans les limites de son corps. Elle se sentit transportée par un élan de confiance et de jubilation, comme si des ailes avaient jailli de son dos. Était-ce seulement une impression ? Il lui sembla que ses pieds quittèrent le sol, ses orteils effleurant les pavés, alors qu'une vague d'énergie pure et immaculée s'échappait d'elle telle une ombre, balayant les Sans-cœur qui se dressaient sur son chemin pour ne laisser que des cœurs s'élançant joyeusement vers les cieux.
Elle réalisa alors qu'elle n'était pas seule. Cela lui fit l'effet d'une douche froide et elle se raidit tandis que l'énergie surnaturelle qui l'habitait s'évanouissait aussitôt.
Roxas... n'avait rien vu, n'est-ce pas ? Il lui tournait le dos la dernière fois qu'elle se souvenait avoir jeté un coup d'œil dans sa direction.
Il se débarrassa des deux derniers Sans-cœur sans le moindre mal avant de se tourner vers elle en fronçant les sourcils.
« Qu'est-ce que c'était ?
-Qu'est-ce que c'était que quoi ? » répliqua-t-elle aussitôt, bien trop tendue pour espérer sembler naturelle.
Roxas cligna des yeux. Il avait l'air confus.
« Cette lumière...
-Tu as dû être ébloui par une réflexion de la lumière du soleil.
-Quoi ? Non, ce n'était pas ça ! C'était... On aurait dit... »
A cet instant, les dieux parurent répondre à sa prière en lui offrant une distraction bienvenue, même si celle-ci se révéla être la dernière chose dont elle avait besoin.
« Je suis sûre d'avoir entendu quelque chose... Aladdin ? C'est toi ? Tu es encore en train de te battre contre ces créatures ? »
Elle reconnut immédiatement cette voix mais avant qu'elle ait pu se souvenir d'où elle l'avait déjà entendue, sa propriétaire tourna au coin de la ruelle, se figeant à leur vue. Ils firent de même, pris au dépourvu. Roxas avait immédiatement congédié sa Keyblade mais sa main était tendue, prête à l'invoquer à nouveau, tandis que ses jambes fléchirent, comme résistant à l'envie de fuir.
Les yeux écarquillés, la princesse Jasmine, vêtue d'une élégante tenue bleue, les fixait sans mot dire. Puis un sourire large vint orner son visage et ses traits se détendirent.
« Kairi ! s'écria-t-elle d'une voix plaisante. Si je m'attendais à te voir... Comment vas-tu ? »
Toute surprise disparue, la jeune princesse se dirigea vers eux d'un pas gracieux, avec un sourire avenant. Roxas la regarda s'avancer en fronçant les sourcils, complètement perdu, tandis que Kairi avait l'impression que son cœur avait bondi avant de sombrer dans ses entrailles.
« Kairi ? répéta le jeune garçon. Qui c'est ? »
Jasmine tourna un regard surpris vers lui.
« Oh bonjour. Excusez-moi, votre visage m'est familier, mais je ne me souviens pas vous avoir déjà rencontré. Êtes-vous un ami de Kairi ? »
Les sourcils de Roxas se froncèrent davantage et il jeta un regard à Kairi, qui demeurait figée, le teint pâle.
« Vous devez faire erreur, marmonna-t-il. Ce n'est pas... Kairi. Xion, dis-le lui ?
-Oh, veuillez m'excusez ! s'écria Jasmine d'une voix désolée. Je vous ai prise pour quelqu'un d'autre. Toutes mes excuses. »
Un silence gêné s'installa. Kairi bougea sur ses talons, déglutit, et adressa un sourire nerveux à son amie à laquelle elle ne pouvait confirmer son identité devant Roxas.
« Ce-ce n'est rien. Nous sommes juste de passage. Nous allons partir », dit-elle avec un regard insistant vers Roxas qui saisit immédiatement le message et fit un pas en arrière, prêt à prendre congé de la princesse.
Jasmine la fixait à présent d'un air songeur.
« Pourtant, tu lui ressembles trait pour trait. Comme c'est étrange. Oh, hé bien, excusez-moi encore. Je vais vous laisser, mais je vous recommanderais de ne pas traîner dans ces ruelles. Elles ne sont pas sûres de nos jours », soupira-t-elle.
Kairi évita de croiser le regard de la princesse. Elle avait l'impression que si leurs yeux venaient à se rencontrer, celle-ci pourrait démasquer sa véritable identité dans le fond de ses prunelles.
Ils s'éloignèrent sans un regard en arrière, le dos raide, silencieux. Le cœur battant encore, Kairi jeta un regard en coin à son compagnon dont les traits impassibles ne lui permettaient pas de deviner ses pensées. Roxas était étrangement silencieux. Il était impossible qu'il n'ait pas le moindre soupçon à présent.
