Chapitre publié le 27 juillet 2018
Chapitre 24 : Apprécier les cœurs
« Oh, j'aime bien ta chambre. Tu as bon goût pour les couleurs », dit Serah d'un ton léger en regardant le papier peint aux teintes chaudes qui recouvrait les murs d'un air appréciateur.
Naminé sourit et la remercia, un peu gênée de se faire complimenter pour quelque chose qui n'était pas son œuvre. Serah se tenait au centre de la pièce, se tenant les mains derrière le dos en une posture décontractée mais qui indiquait un manque d'assurance et une timidité passagère. Selphie, elle, n'avait pas de telles réserves : elle se jeta sur le lit avec un sans-gêne démontrant sa familiarité avec le lieu. Naminé s'assit lentement à côté d'elle, lissant d'une main nerveuse les plis de sa jupe, ne sachant pas très bien où se mettre depuis le début de l'après-midi.
Depuis le matin de ce samedi, ses parents, animés d'une singulière énergie, s'étaient lancés dans la préparation de la petite fête prévue pour les quinze ans de Kairi. Elle ne s'était pas attendue à une telle ardeur pour cette occasion, et ses parents avaient refusé son aide avec véhémence que ce soit pour le nettoyage de fond en comble des lieux les plus fréquentés de la maison – salle de séjour, chambre, salle de bain, vestibule et couloir –, pour les courses ou la préparation du repas. Elle n'avait compris la raison de leur enthousiasme que lorsque, en début d'après-midi, Selphie et Serah étaient arrivées ensemble et avaient été accueillies par les parents de Kairi.
Serah s'était présentée devant l'air surpris des deux adultes qui ne l'avaient jamais vue parmi les fréquentations de leur fille, puis Selphie avait échangé quelques nouvelles et banalités avec eux, sur lesquelles Serah plaçait quelques commentaires. Naminé était restée silencieuse comme ils faisaient allusion à des événements qu'elle ne connaissait pas. Selphie avait dû prendre son silence pour de l'ennui car elle avait rapidement conclu la conversation. Sa mère lui avait alors souri, et avait dit :
« Enfin, je suis heureuse de te revoir, Selphie. Ça faisait longtemps que tu n'étais plus passée nous voir. »
Selphie avait eu un rire gêné, et un regard en coin vers Naminé.
« Je suis contente que Kairi passe de nouveau du temps avec ses amis, avait continué sa mère, l'approbation perceptible dans sa voix. Ça me rassure. »
Ils avaient rapidement changé de sujet, résolus à ne pas aborder la période de mal-être de leur fille, mais Naminé n'était pas dupe. Ils étaient soulagés, terriblement soulagés, de voir leur fille redevenir plus sociable, de la voir oublier peu à peu ce qu'ils croyaient toujours être la perte de Riku.
Alors que les trois filles montaient dans sa chambre sur l'invitation des parents en attendant que le repas soit prêt, elle avait songé que Kairi avait dû se sentir bien seule durant ces longs mois.
Les mains croisées dans le dos, Serah inspectait sa chambre avec curiosité, longeant les étagères et examinant les bibelots et livres de Kairi qui y étaient empilés. Naminé en avait consulté quelques-uns : ces livres, visant un public adolescent en quête de distraction et d'évasion dans des mondes imaginaires, étaient autrement différents des épais ouvrages poussiéreux regorgeant de savoir qu'elle avait trouvés dans la bibliothèque du manoir abandonné, et qu'elle aimait consulter lors de ses heures d'ennui. Tous avaient leur propre intérêt à ses yeux.
Selphie se chargea de mener l'essentiel de la conversation, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Elle n'était pas aussi sociable que pouvait l'être son humaine : avoir passé la majeure partie de son temps en isolation depuis sa « naissance » y avait sans aucun doute contribué. Les deux filles étaient compréhensives, en particulier Serah, et ne la pressèrent pas.
L'ambiance de cet après-midi était relaxante et Naminé se laissa aller à en profiter. La conversation se lança bien vite sur des sujets scolaires, plus particulièrement les examens de fin d'année qui approchaient et les choix d'orientation pour l'année suivante qui consistaient simplement en une demi-douzaine d'options parmi lesquelles choisir.
« Qu'est-ce que tu as choisi, Kairi ? s'enquit Serah qui s'était assise avec elles sur le lit.
-Euh... »
La confusion dut se lire sur son visage car Serah fronça les sourcils.
« Tu sais qu'on a plus que deux semaines pour se décider, n'est-ce pas ? N'oublie surtout pas. Il doit bien y avoir quelque chose qui te tente, non ? Qu'est-ce que tu veux faire après le lycée ? »
Perplexe, Naminé se réfugia momentanément dans ses pensées. Il était vrai que dans un monde aussi petit, on ne trouvait pas d'université. Elle avait compris que les habitants des îles se trouvaient un métier une fois le lycée terminé : c'était auprès d'un formateur qu'ils apprenaient les bases de leur travail. Ces options, dont elle se doutait que Kairi n'avait pas dut s'occuper avant son départ, étaient donc importantes pour la vie future de la jeune fille. L'ennui était qu'elle n'avait pas la moindre idée de ce que Kairi avait prévu de faire.
Pour couper court à son embarras, elle se tourna vers Serah et lui renvoya sa question.
« Et toi Serah, qu'est-ce que tu feras ? »
Serah sourit et ses yeux brillèrent.
« Moi ? J'ai l'intention de devenir institutrice !
-Oh... ça te va bien, dit-elle après une seconde de réflexion.
-Tu trouves ? s'exclama Serah, l'air ravi. Selphie passe son temps à me dire que je devrais avoir plus d'ambition. »
Selphie lui donna un coup joueur par-dessus l'épaule de Naminé.
« Bah c'est vrai, non ? Avec les notes que tu as, tu pourrais viser plus haut sans problème.
-Mais instituteur est un métier respecté, s'indigna faussement Serah, se redressant de toute sa hauteur en une posture digne.
-Enfin, assez parlé de ça, fit Selphie en battant l'air de la main avec une moue d'ennui. On peut changer de sujet ? C'est le week-end – et l'anniversaire de Kairi en plus ! – pas la peine de parler des cours ! Vous n'avez pas quelque chose de plus passionnant à raconter ? s'enquit-elle en se penchant en avant, tapotant son genou du bout des doigts.
-Hmm...
-Oh, allez, tu dois bien avoir quelque chose à nous raconter, Kairi », reprit Selphie d'une voix forte et surexcitée.
Naminé se demanda si elle tentait de chasser de son esprit ce qu'elle croyait que la référence de sa mère à la disparition de Riku avait fait naître.
« Oh... ! »
Naminé jeta un coup d'œil à sa gauche. Serah avait trouvé son carnet à dessin – l'ancien, celui sur lequel elle ne travaillait plus – qui gisait ouvert sur son lit et le feuilletait, ses longs cheveux formant une cascade dont elle contempla les reflets, son instinct d'artiste la reprenant.
« Désolée, dit soudain Serah en relevant la tête avec un regard d'excuse. Je n'ai pas pensé à te demander la permission avant de regarder.
-Non, c'est bon. Ça ne me dérange pas, lui sourit Naminé alors que l'autre fille avait déjà poussé le carnet de ses genoux.
-Tu dessines beaucoup ces derniers temps, intervint Selphie d'une voix curieuse. J'avais remarqué, tu n'as jamais été du genre à passer beaucoup de temps devant une feuille de papier. »
Il était vrai que Kairi, bien que studieuse, relevait plus de la fille sportive et active que du rat de bibliothèque ou de l'artiste. Un curieux contraste avec elle-même, alors qu'elles étaient pourtant la même personne, songea Naminé. Elle se plongea dans ses pensées pour creuser davantage le sujet, en cherchant les causes théoriques et les implications potentielles, mais une inflexion dans la voix de Serah, comme si elle avait trouvé soudainement quelque chose particulièrement digne d'intérêt, la ramena à la réalité.
« Je remarque que tu dessines beaucoup le même garçon, dit-elle avec un sourire en coin. Qui est-ce ?
-Quoi ? Fais-voir ! » s'écria Selphie, son attention ravivée, en se jetant en avant.
Naminé se tordit le cou pour voir quel dessin retenait l'attention des deux filles, bien qu'elle en ait une petite idée. Ses doutes furent confirmés quand elle remarqua que le carnet était ouvert à la page d'un dessin de Sora au paysage inachevé. Elle avait tenté de le représenter sur la plage de la petite île, les traits détendus sous le soleil de fin d'après-midi, mais n'avait pas trouvé la motivation de l'achever, consciente que tout son talent ne pouvait désormais plus l'atteindre.
« Hmm... » La main sur le menton et la tête inclinée de côté, Selphie semblait plongée elle aussi dans ses propres réflexions, tandis que Serah tournait lentement les pages du carnet, remontant vers des dessins plus anciens, tous de Sora, tous dans un état d'achèvement plus ou moins avancé.
« Il me dit quelque chose, dit soudain Selphie, les yeux dans le vague. Mais je suis sûre que je ne l'ai jamais vu au lycée... »
Naminé la dévisagea sans un mot. Se pourrait-il... Non, il était impossible que la jeune fille se souvienne de lui, n'est-ce pas ? Elle faillit sursauter quand Selphie se redressa brusquement, les traits illuminés.
« Mais oui ! C'est le garçon de la photo ! Tu sais, la photo qu'on a trouvée dans la salle des objets perdus, dans le petit sac bleu », ajouta-t-elle en se tournant vers Naminé, cherchant confirmation. Sentant l'hésitation de la jeune fille qui ne pouvait que formuler des hypothèses quant à ce que l'autre fille évoquait, elle insista sur le ton de l'évidence : « Tu te souviens pas ? Pourtant ça avait vraiment l'air de te travailler. » Sa voix prit une nuance boudeuse. « Tu ne m'as même jamais dit qui était ce garçon.
-Désolée, dit-elle automatiquement, pressentant que c'était la réponse la plus appropriée. J'avais beaucoup de choses en tête à cette époque.
-C'est un ami d'enfance ? s'enquit Serah en refermant le carnet. Je ne l'ai jamais vu au lycée. Est-ce qu'il est parti ?
-C'est ton amoureux ? » renchérit Selphie, une lueur taquine au fond des yeux.
Comme Naminé demeurait interdite, elle se balança d'avant en arrière avec impatience, son sourire s'élargissant.
« Alleeez ! Vous pouvez bien jouer le jeu, non ? Ne me dites pas que vous n'avez pas un garçon en tête, non ? Dites-moi tout de vos aventures romantiques, insista-t-elle en se penchant en avant, la tête dans les mains, avide d'entendre leurs secrets. Je veux tout savoir !
-Hé bien, je t'en avais parlé, mais il y a bien un garçon que je connais depuis longtemps, répondit Serah d'une voix douce, mais ma sœur ne l'aime pas...
-Ahhh, mais qu'importe ce qu'en pense Lightning ! Ça la regarde pas, non ? »
Selphie se retourna vers Naminé avec un regard malicieux.
« Et Kairi, alors ? Je ne sais même pas s'il y a quelqu'un qui t'intéresse, je suis pourtant ta meilleure amie, non ? Je devrais pas être la première informée ?
-Hmm », fit Naminé, sans trop savoir que répondre à cela. Serah intervint alors, comme pour prendre sa défense devant l'insistance de sa camarade.
« Laisse-la donc, si elle ne veut pas en parler, c'est son choix. Moi aussi je suis curieuse cela dit, ajouta-t-elle avec un regard complice vers Selphie qui affichait à présent une moue boudeuse, mais peut-être que Kairi a d'autres préoccupations en ce moment.
-... Tu as sans doute raison. »
Naminé garda le silence. Son regard dériva vers le paysage qu'elle entrapercevait par la fenêtre, toits de maisons environnés de verdure sous le soleil de cette belle journée de printemps.
Quelqu'un qui l'intéressait. Elle avait immédiatement pensé à Sora, cela était vrai. Comment aurait-elle pu ne pas y penser ? C'était autour de lui que s'était construite sa propre existence depuis sa naissance. Il était le premier et le seul à lui avoir témoigné de la gentillesse. Quand elle pensait à lui, quand elle se remémorait leur brève rencontre, alors elle sentait naître une chaleur réconfortante à l'endroit où aurait dû se trouver son cœur. Et elle savait que Kairi ressentait la même chose.
« Kairi ? » Naminé reporta son regard vers Selphie qui l'observait d'un air légèrement inquiet. « Est-ce que ça va ?
-Oui, bien sûr ! Pourquoi ?
-Tu avais l'air... Non, rien », répondit Selphie, l'air incertaine.
Elle changea immédiatement de sujet.
« Il fait bon ces derniers jours vous ne trouvez pas ? Au fait Kai, ça te dirait de venir sur la petite île, histoire de te défouler un peu ? Tidus, Wakka, moi et quelques autres, nous avons prévu d'y aller. On n'a pas fixé de date mais...
-Oh, oui bien sûr ! répondit Naminé, contente elle aussi de la distraction. J'ai... j'ai hâte d'y retourner.
-Attendez, vous parlez de l'île à l'arbre Paopou ? » s'enquit soudainement Serah, le front plissé. Quand Naminé acquiesça, elle leur jeta un regard grave. « Dites, vous ne sentez pas quelque chose d'étrange sur cette île ?
-Quelque chose d'étrange ? répéta Naminé tandis que Selphie haussait les sourcils, l'air perplexe.
-... Tu connais la petite grotte près de la plage ? »
Naminé hocha la tête. Elle l'avait vue dans les souvenirs de Sora. C'était là que se trouvait la porte qui protégeait le cœur de ce monde, là où tout avait commencé.
« Hein ? La grotte ? » Le regard de Selphie, dont la confusion était évidente, passait de l'une à l'autre. « Je ne savais pas qu'il y avait une grotte, moi !
-Elle est bien cachée, précisa Serah. Je suis tombée dessus par hasard l'autre jour. Il n'y a rien là-dedans, à part des dessins d'enfants et une vieille porte condamnée. Je me demande bien à quoi elle mène d'ailleurs, mais je n'ai pas réussi à l'ouvrir. Mais... j'ai senti quelque chose là-dedans. Ça a l'air superstitieux dit comme ça, mais j'étais vraiment mal à l'aise. »
Naminé masqua son propre malaise sous un visage calme et impassible. La porte était le seul barrage entre eux et les Ténèbres, et elle pressentait que Serah était une fille sensible aux énergies de ce monde, aussi n'était-il pas étonnant qu'elle ait pu les ressentir. Tout de même, elle tenait à aller y jeter un œil, ne serait-ce que par curiosité. Elle n'avait jamais vue de Serrure de ses yeux.
« On pourra y aller ensemble si tu veux, dit-elle à Selphie. Je te montrerai l'endroit.
-J'y compte bien, oui ! »
Ses pas solitaires résonnaient entre les hauts murs froids du long couloir qui s'étirait jusqu'à l'infini. Épuisée, Kairi regardait à peine où elle mettait les pieds, comptant sur ses jambes pour la ramener en sûreté jusqu'à sa chambre. La mission de ce jour avait été particulièrement difficile : cela n'avait été qu'une mission de visite dans un nouveau monde, avec Xaldin comme partenaire, mais elle s'était vite révélée plus compliquée que prévu quand ils étaient tombés sur un nid de Sans-cœur particulièrement vicieux. Elle avait écopé d'une large estafilade sur l'avant-bras qui la lançait encore malgré les sorts curatifs appliqués. De plus, elle était assaillie depuis le matin d'un mal de tête tenace accompagné d'une nausée sourde qui ne l'avaient pas relâchée de la journée et l'avaient déstabilisée en plein combat, résultant en sa blessure. La jeune fille se demanda brièvement quelle pouvait bien être la cause de son mal-être : avait-elle été empoisonnée à son insu par la griffe d'un Sans-cœur ? Bah, quoi que ce soit, ce n'était sans doute pas très grave.
Kairi s'étira longuement. Ah, qu'elle avait hâte de prendre une bonne douche et de se jeter dans son lit ! Avait-elle finalement pris goût à cette nouvelle vie ? Elle fronça le nez : avoir Xaldin comme compagnon avait été déplaisant, elle aurait de beaucoup préféré faire équipe avec Roxas. D'ailleurs...
Il n'avait plus mentionné leur rencontre inattendue avec Jasmine.. L'avait-il chassée de son esprit ?
Elle l'espérait. Elle ne tenait pas à répondre à des questions sur une certaine Kairi.
Kairi reprit en silence le chemin de sa chambre – elle se repérait de mieux en mieux dans la forteresse. Elle se demanda quelle heure il était : sitôt sa mission achevée, elle avait mis à profit son temps libre pour enquêter sur le manoir Oblivion dans la bibliothèque de l'Organisation, une grande salle aux rayonnages déserts et silencieux dont les étagères croulaient sous de lourds volumes aux titres étranges voire inquiétants. Elle n'était pas certaine d'en avoir le droit d'accès, mais personne ne l'avait arrêtée. Elle avait cependant voulu faire vite, mais n'avait pas compté sur la taille de l'endroit : chercher cette salle immense qui ne disposait apparemment d'aucun classement évident allait être pire que de chercher une aiguille dans une botte de foin...
Elle tourna à l'angle du couloir et tomba sur Roxas, une serviette sur l'épaule et les cheveux encore alourdis d'eau, dont le regard s'illumina à sa vue.
« Xion ! s'écria-t-il, manifestement ravi, en se précipitant vers elle. Tout s'est bien passé aujourd'hui ? Je ne t'ai pas vue au dîner !
-Ah euh... La mission s'est terminée un peu en retard », répondit-elle avec un rire gêné en réalisant que dans sa hâte de chercher le manoir Oblivion, elle avait oublié d'aller dîner. Son absence n'avait pas dû passer inaperçue...
« Il n'y avait presque personne en fait, la rassura-t-il comme s'il avait lu dans ses pensées.
-Oh ! Tant mieux ! Je ne vais pas avoir Saïx sur le dos alors ! »
Ils rirent. Puis Roxas, qui paraissait soudain timide et nerveux, reprit la parole d'un ton hésitant :
« Je retournais dans ma chambre, dit-il en indiquant la porte ouverte à côté de laquelle il se tenait, mais si tu veux parler un peu... Tu peux entrer si tu veux ? »
Kairi jeta un regard curieux vers l'ouverture. Elle n'avait jamais eu l'occasion de voir la chambre de Roxas, aussi accepta-t-elle de bon cœur, ravie d'avoir la possibilité d'en apprendre plus sur le jeune garçon.
Sa chambre était semblable à la sienne, un grand espace d'un blanc grisâtre doté d'une unique fenêtre vers les ténèbres, d'un large lit à l'aspect inconfortable, un lavabo, un bureau et une armoire, mais contrairement à elle, il y avait entreposé tout un amoncellement d'objets les plus divers qu'elle devina qu'il avait récupérés dans les mondes au fil des missions. Il possédait en particulier une collection impressionnante de coquillages aux couleurs chatoyantes... dont les formes et les couleurs lui semblaient curieusement familières...
« Oui, j'ai gardé les coquillages que tu m'avais donnés, quand j'étais... endormi », dit-il d'un ton embarrassé en la voyant se pencher vers les coquillages qui constellaient le rebord du lavabo.
Elle ne l'avait pas remarqué jusqu'à présent, mais, quand elle reconnut un coquillage qui se trouvait uniquement dans une certaine crique des Îles, elle ne put s'empêcher de se demander... Xion avait-elle trouvé ces coquillages dans les Îles du Destin ?
La pensée que l'Organisation rôde dans ses îles lui glaça momentanément le cœur, mais elle força un sourire convainquant en se retournant vers Roxas qui l'observait d'un air un peu anxieux depuis la porte, comme guettant sa réaction.
« Ça me fait plaisir, dit-elle en rejetant l'impression d'être en train de le manipuler. Désolée, je n'ai pas eu l'occasion de t'en ramener d'autres... »
Il secoua furieusement la tête.
« Ne t'en fais pas pour ça ! La prochaine fois, c'est moi qui t'en ramènerai ! »
Touchée, Kairi se détourna pour continuer sa visite. Faute de mobilier, des objets en tous genres s'entassaient le long des murs, sur le bureau et même sous le bureau, certains qui y avaient leur place, comme des stylos de mille couleurs, des feuilles de papier vierge et des livres (dont elle pouvait jurer qu'ils ne provenaient pas de la bibliothèque de la citadelle) et d'autres beaucoup plus insolites, comme une brosse au manche brisé, ce qui semblait être une console de jeu portable à côté d'un panier à salade dont il manquait le couvercle, un nain de jardin, une horloge brisée dont seule l'aiguille des secondes poursuivait sa course, une lampe torche en plastique et de vieux journaux au papier jauni. Ces derniers, remarqua-t-elle, se retrouvaient en abondance : sans doute prenait-il plaisir à lire les nouvelles des différents mondes qu'il visitait... à moins que ce ne soient que les jeux des dernières pages qui l'intéressaient.
Roxas l'avait rejoint pour contempler sa collection.
« Axel ne comprend pas pourquoi je garde tout ça, commenta-t-il avec un sourire. Mais je suppose que c'est dû au fait que je n'ai pas de souvenir de mon ancienne vie : c'est comme ça que je construis ma vie et des choses auxquelles me rattacher... Enfin, c'est ce que je me suis dit, rit-il en se passant la main dans les cheveux.
-C'est du travail très consciencieux en tout cas, je suis impressionnée, dit-elle sincèrement. Où as-tu trouvé tout ça ? »
Flatté et ravi de pouvoir lui conter toutes ses aventures, Roxas se lança aussitôt dans le commentaire enthousiaste de son petit trésor.
« Ça je l'ai trouvée au Pays Imaginaire, dit-il en pointant vers ce qui ressemblait à une vieille carte au trésor sortie d'un film de pirates. Un homme étrange l'a laissée tomber après s'être fait attaquer par des Sans-cœur... Il n'avait pas l'air très sympathique, ajouta-t-il comme voulant expliquer qu'il ne lui ait pas rendu sa possession. Ça, continua-t-il en montrant la brosse cassée, je l'ai ramassée dans le monde d'Atlantica... C'est vrai, tu n'y es jamais allée ! Tu sais que l'Organisation nous transforme en sirènes pour qu'on puisse explorer les océans ?
-Quoi, vraiment ? » s'écria Kairi. Pourquoi n'était-elle pas au courant ? Et quand est-ce que Saïx allait-il enfin l'y envoyer ?
« Oui, parce qu'il paraît que c'est là qu'il y a le plus de Sans-cœur dans leur monde... Je l'ai ramassée dans une épave de bateau. D'ailleurs, si tu y vas, sois prudente, il y a des requins qui rôdent... J'ai bien failli me faire avoir ce jour-là. Et ça, c'est une lanterne de la Ville d'Halloween, dit-il en montrant une citrouille évidée au sourire menaçant. J'ai trouvé qu'elle était bien faite. »
Ils continuèrent ainsi, Roxas présentant sa petite collection avec fierté et Kairi plaçant un commentaire de temps en temps, se prenant au jeu.
Ce faisant, son regard tomba alors sur un calendrier coincé entre un globe terrestre représentant une planète inconnue et un petit coffre de bois. En voyant la date du jour, son cœur fit un bond quand elle se rendit compte que son anniversaire avait été la veille et qu'elle ne s'en était même pas rendue compte. A la pensée que cela faisait si longtemps qu'elle était partie, son souffle se coupa et elle ne put écouter Roxas pendant quelques instants. Elle en ressentit presque de l'effroi, et puis...
Roxas, emporté dans ses récits, n'avait rien remarqué. Elle lui jeta un coup d'œil ; elle ne pouvait pas interrompre sa joie comme cela, elle ne le voulait pas. Elle ne le souhaitait même pas pour elle : pour ce soir, pour une dernière fois, elle voulait seulement continuer à écouter les histoires de son ami et partager les siennes.
Comme au bon vieux temps.
Axel s'arrêta devant la porte, l'oreille tendue. Plusieurs secondes s'écoulèrent sans qu'il ne bouge, puis, quand il fut certain que personne ne se trouvait dans la pièce, il ouvrit la porte sans un bruit et se glissa à l'intérieur, silencieux comme une ombre. Il prit bien soin de refermer la porte de la chambre de Xion derrière lui. Sans perdre de temps, avec une aisance témoignant d'une grande maîtrise, il commença à fouiller la pièce de fond en comble, sans laisser derrière lui la moindre trace de son activité, ses yeux inquisiteurs examinant le moindre détail.
Il avait commencé à s'inquiéter dès que Xion avait avoué avoir reperdu l'usage de sa Keyblade. Non, peu de temps avant ça, elle lui avait déjà semblé étrange. Mais depuis ce jour, il y avait quelque chose de bizarre en elle comme... il ne saurait dire comment. Elle dégageait une impression qui ne semblait pas être la sienne, comme si quelque chose avait changé en elle, sans qu'il ne puisse mettre le doigt dessus. Et il n'aimait pas ça, surtout depuis qu'il avait appris la vérité sur son origine. Et il y avait l'imposteur... Qu'est-ce que ce gamin avait bien pu lui raconter ? Il n'y avait aucun doute qu'il en avait trop dit – il n'avait pas manqué qu'elle connaissait son nom... et il avait vu le regard horrifié de Xion quand elle avait cru que Riku était perdu l'autre fois... Cela n'indiquait rien de bon, mais elle ne voudrait jamais rien révéler s'il l'interrogeait directement, alors il était contraint de se tourner vers les vieilles méthodes.
Et puis Roxas lui avait raconté de drôles de choses : de prétendus pouvoirs secrets liés à la lumière (qu'est-ce qu'il avait bien pu voir ? Serait-il possible que Xion fasse seulement semblant d'avoir perdu l'usage de la Keyblade ? Mais dans quel but ?), la rencontre avec une habitante d'un monde qui l'aurait reconnue comme une certaine Kairi... Cela, il pouvait l'expliquer d'après ses lectures. Mais il était certain qu'elle leur cachait d'autres choses.
Il avait donc décidé d'aller faire un tour dans sa chambre quand il l'avait entendue discuter avec Roxas en passant dans les couloirs. Avec un peu de chance, ça allait la retenir assez longtemps... Ce n'était pas comme s'il y avait beaucoup à chercher dans sa chambre de toute manière. Il ouvrit son armoire, écarta rapidement les habits pendus à l'intérieur puis se pencha en avant. Rien d'intéressant. Il souleva quelques liasses de papiers et potions empilées au fond de l'armoire, pour ne découvrir rien de plus que de la poussière. Il remit tout en place exactement comme il l'avait trouvé et referma les portes avant de s'agenouiller pour regarder sous le lit. Rien de plus. Ce fut quand il se redressa que son regard tomba sur le carnet vierge innocemment posé sur le lit.
« Voyons voir... »
Il le feuilleta rapidement : rien. Les pages utilisées avaient été ôtées et n'étaient nulle part en vue. Sans doute Xion les gardait-elle sur elle... Il observa la première page en fronçant les sourcils. Peut-être que s'il...
Un rapide coup d'œil vers le bureau lui permit de dénicher un crayon. En quelques gestes, il avait repassé au crayon l'intégralité de la page, laissant apparaître en blanc les creux infimes laissés dans le papier par le crayon appuyé sur la page précédente quand elle était encore là, incrustant des mots dans le papier. Des mots qu'il pouvait à présent lire.
Imposteur : Riku, en vie. Ennemi de l'Organisation. Il sait où est Sora. Dois le retrouver : chercher le Manoir Oblivion ?
Prochain chapitre : Kairi découvre l'emplacement du manoir Oblivion.
