Quelques rues pavées plus loin, toujours accompagné de Garrick Ollivander, ils arrivèrent devant la discrète porte en bois massif de la buvette. Les quatre fenêtres de cette ancienne maison aux deux façades étaient saturées de condensation, ils ne pouvaient voir ce qui se passait à l'intérieur. Les vieux châssis en chêne dataient du moyen Âge, laissant passer toute l'humidité. Dans un regard d'approbation, Monsieur Ollivanders l'invita d'un geste de la main à ouvrir la porte en première.

Une fois qu'ils eurent pénétré dans l'habituel et modeste pub de son ami Dorkus, elle fut surprise de voir l'intérieur qui avait changé du tout au tout. Les chaises instables et dépareillées avaient été remplacées par des banquettes et des fauteuils en cuir parfaitement ciré. Les murs défraîchis avaient été repeint en marron et doré, mettant en valeur des œuvres d'art et des lanternes murales, bien qu'elles étaient normalement faites pour éclairer les jardins extérieurs des moldus.

L'ambiance était rock n'roll, il y avait tellement de monde que certains sorciers s'asseyaient sur les rebords des fenêtres ou sur les poutres apparentes du plafond. La chaleur était douce et agréable, bien que la porte laissait parfois échapper des courants d'airs. Les gens avaient une bière au beurre à la main en regardant des gens danser sur le dernier album des Bizarr' Sisters.

- Par la barbe de Merlin, on dirait que la guerre n'est jamais passée par ici, affirma Garrick en posant sa veste sur uns des portemanteaux, balayant avec regard ébahi tous les clients avec stupéfaction.

- Et pourtant notre chère rue Ravenclaw avait subi le même triste sort que le chemin de traverse, les choses se reconstruisent lentement, répondit Jade en accrochant sa cape d'hiver par-dessus la veste du fabricant de baguette.

Dorkus était derrière son bar, débordé de travail. Deux de ses jeunes employés vêtu d'un tablier de cuir et d'un béret se faufilaient péniblement entre les tables pour prendre les commandes. Pendant ce temps Dorkus envoyait ses boissons à coups de sortilèges sans fins.

Par manque de place, les deux sorciers s'assirent à la même table de plusieurs parfaits inconnus, sirotant un cocktail qui changeait de goût à chaque gorgée.

La soirée se passa merveilleusement bien, le vieil homme à l'allure si faible et déséquilibrée se sentait nettement mieux. Il avait retrouvé plusieurs de ses clients qui étaient tous encore aujourd'hui très satisfaits de leurs baguette magique, tandis que Jade dansait, buvait et rigolait. La fréquentation de l'Highlander Scottish était d'une belle mixité, il y avait des sorciers de tout âge venant des quatre coins du monde.

Cho Chang, une ancienne élève de Poudlard qui devait avoir une dizaine d'années de moins qu'elle animait l'espace d'un spectacle de feu, habillée d'une tenue traditionnelle japonaise. Plus rien n'avait d'importance, elle ne voulait même pas savoir quelle heure il était. C'etais le noël le moins conventionnel de sa vie mais ce serait celui qu'elle allait garder en mémoire pendant longtemps. À l'évidence, elle n'était pas la seule à ne pas fêter ce jour en famille.

Dans une heure sans nul doute bien avancé de la nuit, l'établissement commença à se vider. Les couples avec des enfants partirent en premier, ce fut ensuite les tours des personnes les plus âgés. Monsieur Ollivanders enlaça tout le monde, terminant par Jade qui l'avait accompagnée à l'extérieur pour un dernier au revoir.

- C'est la plus belle soirée que j'ai passée depuis la fin de la guerre, je me suis vraiment amusé, merci pour tout et vive la jeunesse, lui dit-il avec une joie débridée par la bière avant de transplaner.

Lorsqu'elle revint à l'intérieur, Jade vit que Dorkus s'était installé seul à une table, avec une bouteille d'hydromel qui n'attendait qu'à être ouverte, posée à côté de deux cornes à boires. Il était certain que c'était elle qu'il attendait...Elle était heureuse que la soirée touche à sa fin pour partager un verre en sa compagnie.

C'était fou quel point il avait les cheveux aussi désordonnés et indomptables que les siens. Et que dire de ses yeux gris, qui étaient presque identiquement les mêmes. Mais bien heureusement, la jeune femme n'avait pas une barbe aussi longue et imposante.

- Dorkus! S'exclama Jade en se plaçant juste en face de lui, déblayant de la table quelques cadavres de bouteilles et d'allumettes. Le service a dû te paraître long, mais je présume que cela fait le plus grand bien aux finances.

- Tu connais le dicton, plus le service est long, et plus pleuvent les Gallions, dit-il avec sagesse. J'ai dû en jeter quelques-uns dehors, simple routine tu me diras, mais bon, faire des boissons et en même temps gérer les vieux pruneaux, ça demande de la concentration.

Il nettoya ses lunettes avec une serviette de table. Si Dorkus était un homme qui ne voulait de mal à personne, il était néanmoins attentif à la sécurité de ses clients qu'il considérait comme des membres de sa famille. Il tenait son établissement par la peau du dragon, n'hésitant pas à mettre dehors les trafiquants de poudre de champignons et ceux ne savent pas se tenir en public.

- Ravie de savoir que je ne fais pas partie des personnes que tu as jetées dehors, monsieur le sorteur de boîte de nuit, dit Jade en pouffant de rire.

- Oh toi, j'ai grandement hésité, mais comme tu étais accompagnée de la star de la soirée...

- La star de la soirée? À ce point-là?

- Ollivenders ne se laisse pas facilement embarquer dans des fêtes pareilles, dit-il pensif. Tu n'as jamais changé, juste beaucoup grandi. Tu as toujours eu un don pour aborder les sorciers les plus renfermés sur eux-mêmes...

- Tu exagères, Dorkus. J'ai simplement fait preuve de sympathie... dit Jade un ton rationnel. Cette valeur se perd dans ce monde où l'humain se méfie tant de son prochain. Tu me parles comme si on se connaissait depuis ma naissance des fois.

Elle ne comprenait pas pourquoi il disait cela, la jeune femme et lui ne se voyaient que de façon occasionnelle. Bien que leur relation était fusionnelle, elle ne voyait pas comment il pouvait affirmer cela.

- Je m'égare, et sois certaine que la fatigue n'y est pas pour rien. Oublie ça Jade... Et dis-moi plutôt ce que tu penses de ma nouvelle décoration, demanda le tenancier avec une voix caverneuse.

- Ton projet semble prendre forme, et...

Jade s'arrêta. Par-dessus les épaules larges de son ami, son regard fut naturellement dirigé vers un grand tableau accroché sur le mur du fond. Il était tellement bien réalisé qu'on aurait pu croire qu'il s'agissait d'une photo. Elle crû rêver, il représentait un homme élégant aux cheveux noirs bouclé et à la moustache bien taillée. Sirius Black. C'était bien lui, identique aux nombreuses photos qu'elle avait déjà vues de lui dans la presse.

Dorkus savait ce qui retenait autant son attention...

- Sirius, il est passé de l'autre côté maintenant, dit-il avec fatalité. Ce n'est pas un véritable tableau capable de parole et de mouvements, il ne voulait pas que la moindre trace de son passage en ce bas monde existe. J'ai en quelque sorte... Contourné sa demande.

Parfois, on réalise qu'on ne connaît rien des peines des autres.

- Je...Dorkus, je suis désolée pour Sirius, je ne savais pas que vous étiez amis,

commença Jade, déconcertée.

- Je suppose que je n'ai pas besoin de te raconter comment il est mort...

- En effet... Dit Jade, le coeur aussi lourd qu'une brique de béton. Pourquoi n'as-tu jamais parlé de lui auparavant, je n'imagine même pas comment cela doit être difficile d'avoir perdu un proche dans ses circonstances.

- Proche...Ouais, nous allons dire ça de cette façon, répondit Dorkus en avalant sa corne d'hydromel d'un seul coup, les yeux larmoyants. Sirius avait ses secrets et j'avais les miens, c'était parfait ainsi.

Elle n'était tout à fait certaine de comprendre ce qu'il venait de lui faire sous-entendre, mais après tout ce sujet devait peut-être rester dans son jardin secret.

Jade posa sa main sur le poing fermé de son ami, ils étaient toujours assis tandis que les derniers clients partaient, trop saouls pour comprendre quoi que ce soit.

- Il détestait sa famille, et je détestais la mienne, murmura-t-il avec haine pour lui tout seul, finissant de boire l'entièreté de la bouteille déjà bien entamée par son interlocutrice.

- Quand l'as-tu rencontré? Lui demanda-t-elle, après s'être levée pour regarder la fresque de plus près.

- En troisième année à Poudlard, en défense contre les forces du mal. Un adversaire redoutable... Fit-il remarquer

d'une voix plus calme en la rejoignant devant le tableau. Quand je l'ai retrouvé après Azk... Enfin, tu vois ce que je veux dire, il était comme devenu fou par moments. Mais qui ne le serait pas, après douze années en enfer.

La jeune femme n'était pas douée pour les consolations. Elle l'écoutait attentivement, dans un silence de recueil, détruite de s'apercevoir que cet ami d'apparence fort, qui l'avait autant aidé et écouté était lui-même en grande souffrance. Il connaissait toute sa vie, mais elle ne savait rien de lui.

- Je viens de comprendre, tu as rénové cet endroit en sa mémoire... C'est... Une très belle façon de penser à lui.

- Oh ne sois pas triste pour moi, je ne veux pas te transmettre ma douleur, dit simplement Dorkus. La mort là apaisé... Il ne restait plus rien de lui avant son départ vers l'au-delà. En réalité, je veux te faire comprendre qu'il ne faut jamais passer à côté de l'amour, car tu ne peux jamais savoir à côté de quoi tu passes. Si ma rencontre avec Patmol était à refaire, je la referais. Je souffrirais encore une fois, sans me poser la moindre question, même si ça me fait souffrir, même si les gens jugent, même si les gens se trompent à son sujet...

- ...Même si les gens l'accusent, même si les gens ne le comprennent pas... Finit Jade, en pensant elle aussi à sorcier en particulier.

Cela faisait quelque temps que Jade essayait de chasser Rogue de ses pensées les plus intimes... Elle avait honte de ses propres ressentis. Ses yeux, ses mots... Son caractère protecteur. Ce sorcier avait quelque chose de féminin et de profondément masculin à la fois.

Dorkus laissa glisser son dos contre le mur jusqu'à s'assoir à même le sol en pierres bleues.

- Je vois que tu as tout compris...Jade, reprit-il d'un ton plus sérieux, je suis le fils d'Abraxas Malefoy.

Il eût un silence. Malefoy... Encore et encore. Pourquoi entendait-elle ce nom partout aujourd'hui?

- Ou veux-tu en venir, Dorkus? Murmura Jade en s'agenouillant à la hauteur de son ami.

- Que si mes cherches sont exactes, nous avons même mère. Je me souviens de tes premiers pas dans le manoir, j'ignorai que nous partagions le même sang. Je suis le lien entre la famille des Malefoy et celle des Greengrass.

Le tenancier avait comme l'air... Délirant.

- Maman ne m'a jamais parlé d'un demi-frère, Dorkus... Il doit y avoir erreur, comment aurait-elle caché cela à mon père?

- Les enfants illégitimes n'existent pas seulement que dans les légendes.

Les arbres généalogiques ne mentent jamais, jura l'homme. Ils se complètent au fil des naissances. Il est toujours là, dans le manoir abandonné de mon père. Il indique bien que je suis le fils d'Abraxas Malefoy, demi-frère de Lucius Malefoy, et fils de Ritanius Greengrass.

- Ritanius... Serait-ce donc possible qu'il s'agisse... Du vrai prénom de ma mère?

Je connais la réputation de la famille Greengrass... Elle est similaire à celle des Black.

- Ce nom de famille aurait été trop lourd à porter pour toi, surtout par les temps qui courent. Ce n'est pas une mauvaise chose, cette fausse identité.

- Est-ce que tu as vu mon nom, sur cet arbre?

Il hocha la tête en signe de négation.

- Tu n'as aucun lien de sang avec les Malefoy, c'est pour cela.

Jade se raidit, se coucha sur le sol froid et alluma une cigarette qu'elle venait de trouver par terre. Elle avait juste envie de crier et de tout casser autour d'elle, mais à quoi bon, au point où elle en était.

- De toute façon, dès que je suis arrivée ici, j'ai su que quelque chose ne tournait pas rond. Comme une sorte de disque rayé.

- Nous sommes une génération d'après-guerre, beaucoup de jeunes adultes comme nous sont dans la même situation.

Elle ne comprenait pas comment il pouvait prendre cela à la légère...

- Mais t'imagine un peu?! Dorkus, alors nos parents étaient et sont encore certainement des criminelles de guerre activement recherchés...

- Mon père est mort d'un cas de Dragoncelle, dit-il sans le moindre regret. Et dans notre monde, la liberté d'expression est poussée à son paroxysme, on ne condamne pas des sorciers pour leurs idéologies, aussi sanglantes soient-elles. Dans le cas contraire, toute ma famille serait déjà à Azkaban, mais ils n'ont tué personne, alors ils sont intouchables.

- C'est... Juste complément fou. Mes parents tremblaient rien qu'à m'entendre oser prononcer le nom du seigneur des ténèbres, alors tout cela n'était qu'une comédie.

Dorkus se releva d'un coup, il avait une hypothèse.

- Non Jade, ça n'en était pas une! Dit-il tournant en rond. Mon demi-frère, Lucius Malefoy, et son fils craignaient par-dessus tout la colère de leur maître, et c'était aussi le cas de mon père. Et s'ils étaient partis après l'avoir déçu par peur de se faire tuer?

- Et est-ce une raison pour t'abandonner dans ce foutu manoir avec ces fichus extrémistes? On aurait pu vivre ensemble, Dorkus... Ils... Ils auraient dû te prendre avec eux!

- Penses-tu vraiment que ton père aurait voulu de l'enfant d'un autre? Soit raisonnable, elle m'a eu très jeune. Nous vivons en communauté dans ce manoir, une sorte de secte... Tu ne connais pas mon père. Il a toujours été infidèle, a l'affût de la moindre jeune sorcière. Mais mon sang lui convenait, il s'est occupé de moi à sa manière et jamais il ne m'aurait laissé partir. Il avait essayé de faire de moi le parfait petit Serpentard que je n'ai jamais été!

Après avoir calmé son demi-frère, Jade lui raconta tout ce qu'elle savait de leur mère, y compris les bons moments, car oui, elle avait toujours été une bonne mère jusqu'à ce qu'elle parte à Glasgow. Ils passèrent ensuite plusieurs heures à nettoyer le café sans rien dire...