Vais-je mourir ? Peut-être, un jour, comme tous en ce monde. Bref, je m'excuse encore une fois pour mon absence prolongée... Promis, je ne fais pas exprès.
[Avertissement : ce chapitre contient des combats. Deux pour être précise. D'un, je ne sais pas écrire de combat, et je pense que ça va se voir. De deux, le premier combat n'est pas si sérieux que ça, mais le second l'est beaucoup plus.]
Chapitre 7 - Le dragon des vents
Pour le dire poliment, Hylia était étrange.
Link y réfléchit. Oui, étrange était le mot adéquat. La prêtresse leur expliquait des choses étranges : une ville dans les airs, la volonté des étoiles, le soleil-roi... Rien que les Jujus, même avec la meilleure volonté du monde, ne pouvait comprendre sans perdre la tête. Les mercenaires n'y croyaient tout simplement pas. En réalité, personne, ici bas, n'y croyait. Il y avait déjà suffisamment à vénérer : les trois déesses d'or, leurs enfants, les dieux secondaires. La Triforce en elle-seule occupait déjà une position si importante dans leurs croyances qu'y ajouter les étoiles et le soleil relevait de l'absurde.
Link décida donc de la laisser parler.
Sauro s'était depuis longtemps écrasé à côté d'elle et attendait les prochaines directives d'Amèko. Là où l'Hylienne était encore raisonnable, le Sheikah, quant à lui, s'impatientait. Marion avait abandonné l'idée de comprendre ce qu'il fallait à leur chef pour bouger.
- Voilà le problème avec vous, fit un jour Etaël. Vous ne savez pas vous reposer.
- C'est censé dire quoi ?
L'Hylien s'était contenté de hausser un sourcil vers Sauro.
- Ce que je veux dire.
Depuis, leur ami était irascible. Au début, Link avait trouvé la situation amusante plus le temps passait et plus elle changeait d'avis. Sauro en colère n'était pas drôle, même du point de vue de Marion qui pourtant s'amusait toujours de l'une de leurs crises. La Takeih en était même arrivée au point où elle le défia simplement dans un combat d'entraînement, ce que le garçon, à leur soulagement, accepta sans rechigner. Il avait vraiment besoin de se soulager.
C'était ce pourquoi les trois amis se faisaient face dans un champ verdoyant, aux abords de la ville. Link se tenait suffisamment sur le côté pour leur faire comprendre qu'elle ne participerait pas, bien qu'elle sache pertinemment que tôt ou tard, ils trouveraient le moyen de l'intégrer à la lutte. A ce stade, ce n'était que pour la forme.
Elle frissonna en sentant un courant d'air particulièrement froid traverser ses vêtements. Une moue déforma son visage.
- Vous trouvez pas que le vent est bizarre ces temps-ci ?
Marion arrêta de s'étirer pour relever la tête, à la recherche de ce qu'elle voulait dire.
- Pas plus que d'habitude, non...
Sauro fronça le nez.
- Encore l'instinct super aiguisé de Link ? Je comprends vraiment pas comment tu fais pour sentir les variations de l'air, mais moi, j'y arrive pas.
L'adolescente souffla, mais n'approfondit pas. Elle savait qu'elle était légèrement différente. Pour une raison quelconque, elle était toujours parvenue à se repérer grâce au vent. Cela n'avait fait que s'intensifier au fur et à mesure que le temps passait. Un jour elle pouvait dire quel temps il allait faire, le suivant où se trouvait l'Est sans soleil. Pratique, d'après Amèko.
Ce faisant, leur chef avait pris l'habitude de se tourner vers elle quand ils étaient perdus en pleine nature. De quoi lui donner involontairement la grosse tête.
Cette fois, par contre, n'était pas comme les autres fois. Le vent n'était pas rassurant, il était froid, piquant. Il traversait les vêtements faits pour être imperméables aux rafales, et devenait quelques fois plus violents que nécessaire. Comme si le dieu des vents était en crise.
Elle frissonna à nouveau. La pensée d'une divinité folle était terrifiante.
- Bon, Marion, t'as fini de t'échauffer ?
Sauro s'impatientait à nouveau, ce n'était pas bon. L'Hylienne ricana en voyant la Takeih se redresser de toute sa taille, dominant quiconque se rapprochait de trop près. Le problème, quand Sauro perdait patience, était qu'il avait tendance à trouver exactement quel bouton appuyer pour énerver leur amie habituellement paisible. La blonde trouvait le spectacle particulièrement divertissant. Cette fois-ci non plus, elle ne fut pas déçue.
- Oui j'ai fini ! T'arrête de crier, compris ?
Elle criait, elle aussi. Link savait que rire ouvertement ne lui accorderait que des ennuis, aussi elle tenta de retenir ses gloussements. Les deux autres étaient heureusement trop pris dans leur dispute pour la remarquer.
Plus pour très longtemps, si elle devait supposer.
Marion siffla avant de sauter en arrière d'un coup d'ailes. Une brise glaciale l'accompagna, aveuglant temporairement Sauro. Le Sheikah sourit - ce n'était jamais bon - avant de dégainer ses couteaux. L'un d'entre eux partit rapidement. Quiconque le connaissait savait que ce n'était pas destiné à faire mouche.
Effectivement, la Takeih balaya la petite lame comme si ce n'était rien de plus qu'une feuille. Rapidement, elle prit de l'altitude. Link se recula, sachant très bien que la femme-oiseau préférait prendre son temps pour attaquer. Sauro aussi, le savait. Néanmoins, avec un ricanement qui lui était propre, l'adolescent sortit de son dos son grappin et le jeta sur leur amie. La volatile l'esquiva d'un mouvement gracile et répliqua avec une série de plumes.
Les Takeihs possédaient l'équivalent d'un arsenal de projectiles directement intégré dans leurs ailes.
De quoi rendre jaloux.
Sauro ne se laissa pas abattre. Là où il se montrait généralement impatient, il pouvait faire preuve d'un certain sang-froid durant ses combats, ce qui avait toujours eu le don de fasciner l'Hylienne. Marion, elle, restait calme quoi qu'il arrive, y compris lorsque le grappin attrapa l'un de ses pieds.
La femme-oiseau tomba dans un bruit mat. Toutefois, quand le Sheikah s'approcha pour vérifier son état, elle se redressa d'un coup de pied. Un craquement résonna, Link grimaça ouvertement. Elle avait dû lui casser le nez.
La Takeih se releva de l'endroit où elle avait atterri, semblant relativement indemne.
- Bah alors, déjà fatigué ?
Sauro testa sa blessure. Il souriait toujours.
- C'est à moi de te demander ça.
Sur ce, il tira sur une corde. Link ouvrit de grands yeux. Elle avait été tellement occupée à observer les mouvements de Marion qu'elle ne l'avait pas vu préparer ce piège.
Le filet se referma sur quelques plumes. La Takeih reprit de l'altitude, un air supérieur fièrement affiché. Évidemment que, de sa position élevée, elle avait pu voir la préparation ratée.
Encore une fois, Sauro resta calme. A la place, comme s'il s'attendait à cet échec, il recula jusqu'à la corniche la plus proche. Placé là, il ricana.
- Ne me sous-estime pas !
Sur ce, il sauta sur le promontoire avant tirer une nouvelle fois avec son grappin. La Takeih esquiva, mais dut se défendre face aux trois couteaux lui tombant dessus. Grognant, elle ne remarqua que trop tard que l'adolescent aux cheveux blancs avait sauté sur elle.
Un craquement résonna dès que son poing s'abattit sur la fille bleue. Revenus au sol, ils se firent face durant de longues secondes sans bouger.
- Ça fait quoi, de se prendre un coup ? La taquina Sauro.
Les coups de poing de Sauro faisaient mal.
- Et toi, ça fait quoi de s'être pris un pied dans la figure ? Rétorqua Marion.
Et les coups de pieds de Marion étaient particulièrement efficaces.
Link sentit avant de le vivre le moment exact où les deux consentirent silencieusement à l'intégrer dans leur bagarre. Main sur l'épée, elle eut juste le temps d'esquiver l'assaut conjoint de plumes et de couteaux. Elle se redressa rapidement, un feulement dans la gorge.
- Vous aviez dit que c'était entre vous !
- Bah finalement non !
L'Hylienne retint l'insulte qui lui vint pour faire trébucher le Sheikah qui courait dans sa direction. Marion ne tarda pas à s'approcher à son tour. Fay chantant hors de son fourreau, Link tourna loin des serres tendues pour peindre une ligne rouge sur le bras de la Takeih. A cela, elle reçut une trille furieuse qui fut ignorée au profit de s'intéresser à l'adolescent aux yeux jaunes qui plongeait une seconde fois sur elle.
Link détestait combattre Sauro pour la simple et bonne raison qu'il maîtrisait presque les mêmes mouvements qu'elle. D'ailleurs, elle pouvait sentir son ami d'enfance avoir les mêmes problèmes. Quelques coups cinglants les espacèrent de quelques mètres, Marion s'interposa une nouvelle fois d'un coup tranchant de ses ailes.
La vagabonde intercepta l'attaque avec l'épée. Sauro se glissa sous les bras trop hauts de la Takeih pour l'attaquer par dessous. Malheureusement, l'adolescente immense avait prévu le coup et le dégagea d'un coup de pied dans le plexus solaire. Profitant de ce second combat, Link envoya un coup droit dans son dos. Sauf qu'elle avait momentanément oublié l'intelligence de la femme-oiseau, qui la stoppa d'une pirouette bien placée.
Avec le Sheikah hors de combat, les deux filles se firent face. Un sourire sauvage colorait les joues de l'Hylienne.
- Je pense que ça se joue entre nous, pas toi ?
La Takeih fit mine de réfléchir.
- Qui sait ? Sauro est assez têtu pour revenir !
Sur ce, elle balança une nuée de plumes sur elle. Link roula sur le côté, mais dut bondir en arrière quand elle vit l'adolescente plonger sur elle. Balayant Fay dans un mouvement large, parvenant à faire fuir l'autre dans ses retranchements, elle tomba en avant.
Avec Sauro, il fallait se méfier des coups de poing. Avec Marion, des coups de pieds. Et des plumes. Et de tout ce que la Takeih était susceptible de considérer comme une arme.
Marion était énervante à combattre. Malheureusement pour son amie, elle était également une horreur à affronter.
Contrairement au Sheikah, l'Hylienne décida de ne pas laisser le temps à la femme-oiseau de reculer, assénant coup sur coup pour la garder au sol. La Takeih s'était déjà plainte de sa vitesse, ce qui avait eu le don de faire plaisir à la plus petite de leur trio. La rapidité était un avantage énorme durant un combat. Et sa petite taille avait toujours eu tendance à passer sous les coups les plus hauts.
Marion lança l'une de ses jambes en l'air, comme pour la frapper, mais Link parvint à se glisser sur le côté avant de revenir. Lançant son propre coup de pied, elle parvint à la faire tomber.
Marion cracha mais se releva rapidement.
- On arrête !
Les deux filles cessèrent de bouger à l'entente de la voix d'Amèko. Leur chef se rapprochait vite, vraiment vite, ce qui eu pour mérite de les faire frissonner. Le regard sur son visage n'était jamais bon signe. La dernière fois, il avait passé près de deux heures réelles à les disputer sur une cascade particulièrement dangereuse.
- Comment ça, on arrête ? S'exclama Sauro, quelque part dans leur dos. J'étais sur le point de revenir !
- On sait tous que tu serais reparti en quelques secondes, le tança Signaré de derrière le mercenaire plus âgé. C'est toujours comme ça.
Link cligna des yeux. Signaré ne se déplaçait que pour les voyages, au contraire de quelques autres voyageurs qu'elle apercevait en y faisant un peu attention. Marion sembla l'avoir compris avant elle car elle renifla.
- Quoi, on repart ?
Sauro se précipita à leurs côtés, les yeux pétillants.
- Et vous allez nous ruiner en potions, gronda Amèko.
Les trois eurent la décence de paraître coupables. Link jeta un coup d'œil à leurs blessures. Pour sa part, elle allait bien, à l'exception d'une minuscule coupe sur la joue, sans doute obtenue durant l'une des attaques de Marion. La Takeih, elle, déplorait un bras tranché, une joue meurtrie et une dizaine de coupures, sûrement une gracieuseté des couteaux de Sauro. Le garçon était par contre en plus mauvais état : un nez cassé qui saignait abondamment et des côtes qui devraient être réparées de toute urgence, à en croire sa façon de se tenir debout.
Et dire qu'il avait voulu revenir au combat...
Signaré contourna le plus gros du groupe pour les rejoindre. En tant que soigneuse officielle de leur compagnie, c'était elle qui possédait toutes les potions, ainsi que tous les ingrédients nécessaires pour en composer une.
- Faites gaffe, souffla-t-elle en jetant un coup d'œil vers Amèko qui s'était détourné, il est vraiment en colère là.
- Pas à cause de nous, devina la plus intelligente des trois.
La Sheikah plus âgée secoua la tête.
- Hylia a demandé à nous accompagner.
Link sentit son sang se glacer. En jetant un coup d'œil par dessus l'épaule de leur médecin, elle pouvait effectivement apercevoir la prêtresse en train de discuter avec Etaël.
- Qu'est-ce qu'elle fait là ?
- Aucune idée, lui répondit Signaré, elle a juste voulu venir. Maintenant, on attend ses explications, mais personne ne sait quand ça arrivera.
Sur ce, elle retourna à son occupation première. Après avoir haussé un sourcil non-impressionné à la minuscule blessure de Link, elle grogna une première fois en admirant les plaies de Marion.
- Je croyais que tu étais la plus intelligente des trois, la gronda-t-elle.
La Takeih parut gênée. Mais ce n'était rien en comparaison à sa réaction face à Sauro.
- C'est pour quand, que vous allez arrêter de vous tuer ?! Et tu voulais continuer de te battre ? Ta cage thoracique est foutue, gamin !
- Je peux bouger ! Objecta l'adolescent.
- Un jour, il va mourir à cause d'un os dans les poumons... Déplora Marion en roulant les yeux.
Link gloussa. Leur ami avait tendance à oublier l'existence des ses propres blessures quand il était pris dans le flot du combat. Que ce soit à cause de l'adrénaline ou d'une force improbable perdue dans son subconscient, elle ne savait pas, mais le garçon était plus que prompt à continuer la lutte malgré tout. Même quand ce « malgré tout » signifiait des os cassés et autres blessures improbables.
Même Link savait quand s'arrêter.
- Allez Sauro, le taquina-t-elle, laisse Signaré te soigner.
- Ouais Sauro, continua Marion, profitant du rougissement qui se répandait bien vite sur la peau du Sheikah, laisse Signaré prendre soin de toi.
Le garçon crachota, gagnant une réprimande à peine voilée de la part de la soigneuse. Les deux filles gloussèrent en s'éloignant rapidement. C'était la Takeih qui avait fait remarquer à la seconde le béguin que développait l'adolescent tapageur pour la médecin en formation. Depuis, elles avaient décidé de tout faire pour rendre sa vie insupportable. Ce qui était beaucoup plus ludique que ce qu'elles espéraient, surtout avec les réactions juste formidables qu'étalait Sauro à chacune de leurs taquineries.
Signaré, elle, semblait soit ignorer gracieusement les blagues, soit les ignorer elles. Dans tous les cas, elle ne montrait rien.
Alors que les deux amies riaient face au spectacle qu'était leur ami face à celle qu'il aimait, Link remarqua un peu tard le regard de la prêtresse directement sur elle.
- Puis-je te parler ?
Link se retourna pour faire face à Hylia. La prêtresse arborait toujours le même sourire calme et énervant - non Link, il n'y a que toi que ça énerve, lui avait reproché Marion, ce à quoi Sauro avait répliqué. L'Hylienne aux yeux verts fronça les sourcils, cherchant ce qui pourrait bien motiver l'autre à lui parler. Qu'elle retienne l'attention d'Etaël n'était pas surprenant, l'adolescent était d'une curiosité et d'une intelligence naturelles qui feraient de l'ombre à certains « sages » des villes... volantes.
Néanmoins, Link ne s'intéressait à elle que pour son célestrier, l'oiseau géant lui rappelant sa Petra disparue. Et la prêtresse avait littéralement répondu à toutes ses questions quelques jours auparavant, leurs sujets de conversation étaient épuisés.
De ce fait, elle ne comprenait pas que l'autre veuille lui parler.
Jetant un regard à ses deux amis, Sauro levant un sourcil et Marion se permettant allègrement de les dévisager, elle finit par retrouver ses mots.
- De quoi ?
La femme la plus âgée lui fit un petit signe de main vers l'extérieur du camp, gagnant définitivement sa suspicion.
- Plus loin.
La vagabonde sentit ses sourcils s'abaisser encore plus. C'était étrange, bien trop pour que ce ne soit pas louche. Toutefois, elle hocha la tête sagement, Amèko lui donnant la permission silencieusement sous l'attention curieuse de leurs camarades. Cela faisait des années que l'on essayait de la tuer. Oui, les Jujus avaient rencontrés nombre d'ennemis en dehors des frontières du pays des Sheikahs, mais pas à l'intérieur même, au contraire des rescapés Hyliens comme elle. De ce fait, c'était le corps prêt à attaquer, l'épée à son côté et le regard assuré que l'adolescente suivit la femme aux yeux bleus.
Cette-dernière s'avançait au travers du champ en trébuchant légèrement sur le sol inégal, avant de se redresser rapidement près des rochers de l'une des nombreuses butes qui surplombaient les plaines de l'ancien Hyrule. Elle eut tellement de difficultés à passer un recoin que la vagabonde put deviner aisément qu'elle n'était pas habituée à la marche en milieu naturel.
Elles avancèrent quelques minutes en silence. La montée était douce, du moins pour l'une d'entre elles. La plaine s'étendait à leur droite, comme une mer verte ruisselant entre de petites collines. La ville au phare, elle, se dressait de l'autre côté, en bordure de la mer, comme un point étrange et complexe au loin.
Dans l'herbe verte assaillie par les roches des reliefs, elle pouvait apercevoir ses amis. La compagnie mercenaire attendait, tentes montées, feu allumé.
Hylia se tenait devant elle, en équilibre sur le petit chemin de cailloux aux allures brisées de la corniche. Son célestrier, l'oiseau immense qui la fascinait toujours, s'était perché sur le bord le plus extrême. Un piaillement annonçait une tempête.
- Peu de temps avant de descendre ici, j'ai fait un rêve.
Link haussa un sourcil avant de secouer les épaules.
- Comme tout le monde, quoi.
La prêtresse secoua la tête. La mercenaire fronça le nez, incapable de voir son expression. Elle qui pensait l'avoir énervée devrait sans doute y mettre plus de venin.
- Pas dans mon cas. Les étoiles me parlent, quand je rêve.
C'était peut-être pour cela qu'elle la prenait pour une folle.
- J'y ai vu un homme en train de se battre contre une femme, dans une arche volante...
Alors qu'elle réfléchissait à comment continuer son blocage, Link se redressa à cette déclaration. Une arche volante. Cela faisait longtemps qu'elle n'y avait plus pensé. L'arche qui transcendait les airs, sous les crissements des épées et les coups de l'orage. Sous une lune sanglante, des hurlements de désespoir et de détermination. Deux combattants excédés mais rageurs.
Un rêve, avait-elle pensé naïvement à l'époque.
Un rêve qui n'en sera bientôt plus un, à son grand malheur.
- Ce rêve était étrange et terrible, continua la prêtresse, et cela m'a rappelé une prophétie que j'avais moi-même réalisée des années auparavant... C'était presque comme observer l'apocalypse.
La femme se tourna vers la vagabonde perdue dans ses pensées. Pour la première fois depuis son arrivée, elle ne souriait pas.
- C'est ce rêve qui m'a fait réaliser que les choses s'intensifiaient rapidement. Les monstres gagnent du terrain. Ce n'est que le début. Le pire est...
Elle n'eut pas le temps de finir.
Ce son n'avait aucun équivalent. Une détonation sourde, un vent froid, un bruit de destruction totale. Un sifflement constant et aigu occupa ses oreilles, comme ce jour-là, quand le village avait explosé dans un éclat laiteux. Sa peau brûla, ses yeux filèrent regarder l'horizon éclaboussé.
Sur la droite.
Sur la plaine.
Sur les mercenaires.
La terre était en cendres.
Une sensation de vertige la saisit. Plus de bruit, plus de son, les lèvres d'Hylia bougeaient mais elle n'entendait rien, comme tant de fois auparavant, comme elle continuerait d'en souffrir longtemps. Tout ce qu'elle pouvait faire, là, sur la corniche, au dessus d'un carnage, c'était regarder la plaine retournée à l'agonie, noircie et fumante d'un rouge profond. L'herbe avait laissé place aux ténèbres, les roches au brûlé. Pas de champ, de cailloux, les montagnes n'étaient plus que cratères.
Pas de mercenaires.
Il lui fallut plusieurs longues et insoutenables secondes pour lever les yeux vers le coupable. Un monstre, un énorme, un jamais vu, à la gueule béante, à la crinière gonflée, aux pattes proéminentes, aux cornes sanguinolentes... Aux yeux perçants.
Un dragon.
Une divinité.
- Li...
Une divinité devenue folle.
Le monstre à la forme d'un serpent pourvu de pattes et à la gueule cauchemardesque s'abaissa dans un bruit tremblant, crachotant, ses yeux chasseurs cherchèrent de nouvelles cibles. Au dessus d'un champ de cendres, d'une plaine au paysage devenu cimetière, le grondement de la bête fit trembler tout ce qu'il restait.
- Link...
Il rouvrit la gueule, son souffle créa de la buée. Le monstre du vent lui-même prépara une nouvelle attaque.
- Link !
La vagabonde dégaina son épée.
- Link, tu ne comptes quand même pas... !
Mais elle ne l'écoutait pas. La plaine était rouge de sang et noire de cendres, puante de feux et de souffre, les nuages avaient été soufflés.
Le ciel était d'un bleu magnifique.
La corniche ne sembla pas si haute quand elle la dévala. Ses tympans saignaient, elle pouvait sentir les coulés sanguines sortir de ses oreilles blessées, sa salive avait le goût désagréable du métal. Sa prise sur Fay était forte, sûrement trop, elle sentait sa peau se détacher peu à peu sous la brûlure de l'explosion.
Mais elle ne descendit pas toute la colline. S'arrêtant à mi-chemin, elle leva la tête vers sa cible. La bête gargantuesque était assez basse pour qu'elle puisse la toucher.
Rapidement, elle reprit de l'altitude et sauta.
Le dragon ne réagit même pas à l'Hylienne montée sur sa queue. Dans un pur instant de chance, ou de pure adrénaline, elle courut sur le dos de la bête, juste au dessus de son ventre.
L'espèce de serpent argenté passa sa tête sous elle, la gueule béante, prêt à raser un nouveau paysage d'un souffle. Link sauta, épée vers le bas, et la planta ferment dans le crâne de la divinité combative.
Un beuglement lui arracha les tympans. Le dragon secoua la tête dans tous les sens, la délogeant comme un vulgaire insecte. La jeune fille vit le ciel tourner, s'éloigner, se rapprocher, l'impression de la chute libre étouffant ses membres. Un cri, le monstre la voyait désormais. Elle serra les dents, sentit le sol rencontrer ses pieds. Tombant dans un premier temps sur l'une des corniches survivantes, elle se redressa, lame au clair.
Tout faisait mal. Ses pieds, ses genoux, son bassin, son crâne. Mais elle courut, prenant à nouveau assez de vitesse pour bondir sur la créature.
Se réceptionnant maladroitement sur la nuque découverte, elle accrocha son bras libre dans la crinière bleutée. Ses pieds pendirent dans le vide, bien trop hauts pour survivre à une prochaine chute. Le dragon se tordit, elle pouvait sentir son halène toute proche.
Alors que l'idée de la bête était sans doute de lui mordre les jambes, elle se servit de son cou tendu pour grimper dessus d'une pirouette agile. Placée là, sur une divinité chaotique, elle asséna une pluie de coups. Des gerbes de sang giclèrent sur elle, des cris étouffés, une nouvelle tentative de la déloger, elle sentit son épaule se déboîter. La douleur sourde la traversa de partout, mais elle resta.
Parce que sous eux se trouvait une plaine autrefois verte, devenue cendres sous un simple souffle.
Parce que sous eux riaient auparavant un groupe de mercenaires ignorants de leur sort terrible.
Parce que tomber signifiait laisser tomber ceux qu'elle aimait.
Parce que tomber signifiait perdre.
La créature hurla, un son sourd, profond, guttural, et rejeta la tête en arrière. Un simple geste mais qui, à leur échelle, la propulsa dans les airs.
Elle baissa les yeux, croisant pour la première fois ceux de la bête. Un regard furibond, détestable. Un regard perdu et solitaire, comme si lui non-plus ne comprenait pas ce qu'il se passait, pourquoi il avait commencé ce carnage. Une situation absurde, un acte qu'elle ne pardonnerait pas.
Ses bras se dressèrent au dessus de sa tête, elle oublia la douleur. Un tintement de clochette, le son doux d'un grelot. Son propre cri. Une chute droit sur la gueule ouverte.
L'épée se planta directement dans le cou découvert. Un craquement fou secoua son corps et, bien vite, dans une dernière bourrasque, la tête du dragon se détacha.
Et la chute fut longue, sous une pluie de sang, aux côtés du corps décapité d'une créature née des dieux. La plaine rougie se rapprochait, le ciel était bleu, magnifique, le vent sifflait. Link sentit plus qu'elle ne vit son corps tomber de si haut. Ce ne fut qu'alors, loin du flot de l'action et des souvenirs d'une autre explosion terrible, qu'elle prit l'ampleur de la situation en compte.
Tout le monde était mort.
En quelques secondes.
En un seul souffle.
Et elle aussi, elle allait mourir.
Ses yeux sur le ciel, elle se laissa tomber. Parce que cela ne servait à rien d'essayer de survivre, elle n'avait rien de plus que son épée pour s'aider. Un souffle tremblant lui échappa, c'était la fin.
- Link !
Sa tête entière se redressa vers l'origine de la voix. Une femme, plus âgée qu'elle de quelques années, montée sur un oiseau bleu. Hylia tendit la main dans sa direction, l'expression paniquée, la peau pâle. Elle n'y réfléchit pas beaucoup avant de l'attraper.
Il fallut un moment interminable - ou était-elle devenue habituée à tomber, cela restait encore à voir - pour enfin atteindre le sol. Le célestrier eut le bon goût d'éviter la boue et les cendres. Link sauta à terre, trébuchant légèrement avant de se reprendre rapidement. Ses oreilles sifflaient bien moins qu'avant, elle pouvait à nouveau entendre plus ou moins clairement.
- Je suis désolée.
Elle entendit au moins assez pour comprendre ces quelques mots.
La vagabonde se tourna vers la prêtresse, les sourcils froncés. Du moins, le droit, l'autre ayant brûlé ce jour-là, à Juju, sous le souffle de l'explosion qui avait arraché le bras d'une de ses amies et défiguré le second. Un souffle, Hylia resta silencieuse un long moment.
- Pourquoi « désolé » ?
La prêtresse fixait le champ sanguinolent avec une sorte d'expression fascinée et traumatisée. Dans un coin, la vagabonde remarqua une tente rougie.
L'envie de vomir remonta dans sa gorge.
- Je savais que ce genre de chose pouvait arriver...
- Quoi ?!
- … mais j'ignorais que ce serait aussi vite et... aussi grave. Il semblerait que notre monde s'approche rapidement de sa fin.
Link ne voulait pas écouter avant, pas à moins de se rappeler de ce rêve étrange entre deux combattants sous le regard sinistre d'une lune sanguinolente, mais elle savait qu'elle avait besoin de réponses maintenant. Parce que des gens étaient morts, parce que ses amis étaient morts, parce que le dieu des vents avait tué des innocents.
- Que veux-tu dire ?
Hylia prit encore quelques instants pour méditer sur sa réponse. Elle s'humecta les lèvres, la gorge visiblement nouée, avant de parler à nouveau.
- Il y a dix ans, la nuit du Crépuscule, les astres m'ont communiqué un message. Tu le connais sans doute... « Lune bleue, lune rouge, lune blanche et lune de sang. Ces quatre lunes passées, la nuit succédera à la nuit...
- … et le Néant deviendra maître à son tour », acheva Link dans un chuchotement.
La prêtresse hocha la tête.
- Ce jour-là, des personnes qui n'auraient jamais dû se trouver là ont commis l'irréparable. Leurs crimes ne sont par contre que le début...
- Jusque là, tu ne m'apprends rien.
Hylia cligna des yeux. Clairement, elle ne s'attendait pas à cette réaction. Mais Link était fatiguée. La journée avait viré au drame, elle avait combattu un dragon, manqué de mourir des dizaines de fois, et maintenant elle devait en plus de cela avoir la patience d'écouter les paroles d'une femme qu'elle croyait folle.
Non, elle ne pouvait décemment pas laisser passer cela.
- Juju a été détruite il y a dix ans, tu étais où pendant ce temps ? Hyrule devait être bien paisible, non, sans les monstres pour la déranger ? Bah, ça ne me concerne pas. Tu parles d'un problème, évidemment qu'il y en a un, tout le monde le voit ! Et maintenant, tu veux que je t'écoute alors qu'un dragon vient de... de... tuer tous mes amis ?! En plus de ça, je suis à moitié sûre que si la ville n'est pas encore venue jusqu'ici, c'est qu'ils ont été attaqués !
Elle fit la moue, mais se sentit justifiée.
- Si tu veux faire quelque chose, vas-y avec tes amis de la capitale, ça ne me concerne pas. Moi, je dois aider mon peuple. Ma mère s'est battue pour eux, pas pour d'autres, surtout pas pour un peuple qui l'a abandonnée !
Cette dernière pique sembla particulièrement toucher Hylia. Link poussa un soupir, jetant un dernier regard vers le champ calciné. Elle ne voyait plus quoi dire. La fatigue l'assaillit, le silence de la ville était inquiétant.
Alors elle se détourna, prête à rejoindre ceux qui devaient normalement avoir survécu.
- Kohana.
Elle s'arrêta.
- Kohana, répéta Hylia. C'est son nom.
- … A qui ?
Elle savait déjà.
A en croire le regard de la prêtresse, elle l'avait compris.
- A celui qui a détruit Juju.
Link se tourna complètement vers elle, l'incitant silencieusement à continuer.
- Il est venu il y a dix ans, en Juju, à la tête de l'armée des monstres. C'est à cause de lui que le monde va mal aujourd'hui, que les dieux... deviennent fous.
Elle se souvenait de cet homme, grand, armé, celui qui marchait dans le sang éclaboussé d'un village ravagé, l'homme qui avait pris la tête de sa mère.
- Il n'est pas le seul d'ailleurs. Deux personnes l'ont suivi. Eux aussi sont responsables du déclin de notre monde.
Kohana. L'homme qui avait tué Hinné. L'assassin de Demise, le tueur de Juju.
- Je te demande de m'aider à vaincre le destructeur de monde.
Ce jour-là, sur un champ de cendres et de sang, au dessus du cadavre décapité d'un dieu devenu démon, cet instant qui aurait dû rentrer dans l'histoire ne resta qu'entre deux femmes et un oiseau.
Voici l'histoire, telle que la racontent les humains...
L'histoire de la plus terrible des batailles...
Un jour, des êtres malfaisants surgirent des entrailles de la terre,
Et effacèrent tout sourire des visages des habitants de ce monde.
Ils brûlèrent les forêts, asséchèrent les rivières et massacrèrent les innocents.
L'objet de leurs convoitises : Le pouvoir suprême, protégé par la Déesse.
Le pouvoir suprême, Héritage laissé à la Déesse par ses ancêtres divins
Il pouvait exaucer tous les souhaits et toutes les prières.
Afin de les protéger des êtres malfaisants,
La Déesse envoya le pouvoir suprême et les derniers humains dans le ciel en y élevant une partie de la terre,
Jusqu'aux confins célestes, au-delà de la mer de nuages...
Là où le mal ne pourrait les atteindre.
Puis, la Déesse et ses suivants combattirent de leur vie pour enfermer le mal,
Et le monde connu à nouveau des jours de paix.
Voilà l'histoire, telle que la racontent les humains.
Cependant, certaines légendes liées à ce récit ont été oubliées...
Et ces légendes, enfin, il est temps de les raconter.
Moi, ne pas assumer ce chapitre ? Voyons... bien sûr que j'assume les morts. Il va y en avoir encore, plus tard... pas tout de suite par contre. Pas avant un moment, en fait.
Bon, pour faire les choses dans l'ordre : Link n'aime pas Hylia. Je pense que ça se voit assez. La prêtresse l'énerve sans raison. C'est plus une histoire d'atomes crochus, en fait, elles sont si différentes que notre chère vagabonde ne peut pas s'empêcher de la détester. Ensuite, elle semble un peu éloignée de la mort de tous ses amis mais... c'est le choc. Il faut attendre un peu avant de se rendre compte que des gens sont morts. Un déni plus ou moins inconscient. C'est d'ailleurs la première étape du deuil.
La ville ? Elle va bien. Quelques bobos, vu qu'ils se sont faits attaquer, mais rien de bien méchant.
Quelque chose à dire sur les combats en eux-mêmes ?
A part ça... à la revoyure !
