Dean est bourré dans la cuisine.

Mais si vous lui demandez, Dean n'est pas bourré. Il est bien. Il ne pense pas. Est ce que c'est ce que John se disait aussi ? Et ce qu'il devient comme son putain de père ? Est ce que c'est bien, mal ou juste dans l'ordre des choses ? Et ce que tous les pères sont aussi nuls à chier que le sien et sinon, qu'est ce qu'il a fait pour mériter les coups et les insultes ? Il s'en fout. Il n'y pense pas, et ne veut encore moins penser à ça.

Bref. Il est tout seul dans la cuisine, et il cherche un peu de calme, un peu de vide, parce que le vide, il y est habitué, le vide, c'est bien, c'est mieux que la tempête dans sa tête quand il croise les autres dans le bunker et les insultes qui lui brûlent la bouche comme du mauvais whiskey.

"Bonjour Dean."

Il sursaute pour la forme.

"Chuck."

Il tourne autour de lui et ça lui donne mal à la tête. Dean ne sait même pas s'il est encore éveillé, ou s'il est maintenant dans un rêve, parce que le whiskey ça endort pas mal, c'est même pour ça qu'il a commencé.

Rêve ou pas, il lui tire dessus. Simple, efficace, dans tous les cas ça ne sert à rien.

Chuck retire la balle de son corps à main nu en souriant. "J'aurais préféré que tu répondes par bonjour. Ton père ne t'as jamais appris les bonnes manières ?"

Non. John lui a enseigné un tas de trucs, mais certainement pas ça. Comment être une mère pour soi même et son frère à douze ans, comment recoudre une plaie sur un corps d'enfant de quatorze ans, comment noyer la peine d'un ado de seize ans dans l'alcool, comment s'ignorer soi même au profit de la figure parfaite que son père voulait qu'il soit. Certainement pas à dire bonjour.

"Qu'est ce que tu fous la ?", en essayant de croire à son excuse.

Peut être que les mots sonnent de façon stupides quand ils sortent de sa bouche. Peut-être qu'il est bourré. Il n'en sait rien. Oups.

"C'est chez moi. Je vais où je veux. J'ai tout créé, Dean. Je me balade. Je m'amuse."

"Amuse toi tout seul. Appelle ta sœur. Trouve toi des amis."

Et il se croit drôle, en plus.

"Ils ne sont pas aussi amusant que vous. Les Winchesters..."

Dean ne répond pas. Fait comme s'il n'était pas là. Boit sans le regarder.

"Allez Dean. Tu peux tout ignorer mais pas moi."

Silence. Dean se dit qu'il joue au roi du silence. Comme avec Sammy quand il ne fallait pas faire de bruit pour ne pas énerver John ivre, ou le réveiller quand c'était le moment de s'enfuir chez Bobby.

"Le roi ? Tu n'es le roi de rien du tout Dean."

Rien du tout. Du tout du tout du tout.

Bien sûr que Chuck peut lire dans sa tête. C'est de famille. Ça lui rappelle Michael. Ça lui donne envie de vomir.

"Tu es un soldat. Un brave petit soldat incapable de gagner des batailles. Un soldat inutile. Qu'est ce que ça fait de se sentir impuissant ? Avec ton père, avec tes amis, avec moi. Tout."

Tout. Tout. Tout. Ça tape dans son crâne. Michael, encore une fois, juste derrière ses rétines, et se frotter le bras jusqu'à ce que la peau soit rougie, presque saignante, n'aide pas à l'oublier cette fois. Ça lui donne juste l'air stupide.

"J'aimerai qu'on en parle, parce que je ne connais pas du tout ça, et j'en ai besoin pour continuer d'écrire mon histoire. Pour le personnage. Tu veux bien me raconter ?"

Il se rapproche et Dean ne peut rien faire. Il ne peut rien dire, il ne peux pas repliquer, parce que Chuck peut le tuer par la pensée. Il n'a pas d'arme, il n'a rien.

Il est à sa merci. Et Chuck le sait.

Si Dean n'était pas celui qu'il est, avec des émotions scellées dans des bouteilles et des coffres dans sa tête et son coeur, il sangloterait de peur. Mais si Dean n'était pas celui qu'il est, il ne serait pas là.

Toujours le silence. Chuck continue.

"Ca fait peur ? Tu sais que ton idiotie que tu fais passer pour du courage ne te sauvera pas, ni toi, ni ceux que tu aimes ? Tu sais que tu ne peux protéger personne et que tu n'as aucune valeur ? Que tu es défectueux ?"

Pas là, et qu'est ce qu'il donnerait pour ça. Son sang, son corps, son âme; peut être même son père. Pas Sam, jamais Sam. Et Castiel ?

" Tu n'as pas besoin de parler pour me répondre.", il le coupe, "Je lis en toi comme dans un livre ouvert. On parle, là.", avec un sourire, "Alors dis moi. Penses y. Ca fait quoi, de savoir qu'il n'y a rien après, pas de paradis, pas d'histoire joyeuse et d'enfants qui crient dans le jardin pendant que tu cuisines une tarte à la con, Sam qui vient te voir le week-end, Castiel qui -"

"Cas peut bien aller se faire foutre."

Dean a répondu, et putain il deteste ça. Lui donner ce qu'il veut. Alors il détourne les yeux pour aller jeter une de ses bouteilles à la poubelle.

Cas ne sera certainement pas dans son paradis. Aucun d'entre eux ne veut ça.

"Tu es vraiment stupide. Et aveugle. La prochaine fois, je te ramenerai un vase pour que tu fasse un bouquet plutot qu'une couronne avec les fleurs que vomit ton ange. Elle te tombe devant les yeux."

Dean se retourne pour lui faire face mais Chuck a déjà disparu. Comme ses interrogations.

Bien sûr qu'il donnerait Castiel en échange d'une autre vie.