Gods, j'avais ouïe dire que l'Acte 3 donnait un sentiment de submersion totale au niveau des quêtes et de l'exploration mais je n'avais pas pensé à ce point O_o'

J'ai clean pratiquement toutes les quêtes secondaires pour garder les grosses quêtes persos/principale pour la fin, j'espère que la quête d'Orin n'est pas sujette à un timer de long-repos. Ou alors, devrais-je aller directement la voir pour en finir et APRES faire les quêtes de perso ? Aaaaaah ! Larian, mettez des infos sur les timings, c'est trop le bazar ! O_o

Journal des reviewers :

Seulie : Hé hé oui, la visiteuse nocturne a du style. Le sens de son image viendra biiiiiien plus tard mais ce n'est pas un détail important pour le moment, j'ai bien d'autres choses à révéler avant ça.
Je constate qu'on a les mêmes goûts de vidéos, ça fait plaisir XD La vidéo similaire avec la grenouille m'a bien fait rire aussi, même si la première fois je n'avais pas saisi le gag derrière par rapport au bug qu'elle avait. Pauvre Astarion qui en a perdu son rein...
Je prends énormément de plaisir à rechercher et écrire les petites joutes verbales entre nos deux loulous. Et comme Astarion permet de taper directement dans le coquin, c'est encore plus drôle.

RingoLemonadeCandy : Mdr, profite profite, tant que Silesta n'est pas complètement croque-love d'Astarion, elle va encore bien batailler. Après, ça sera plus difficile, même si j'essaie d'en placer encore quelques échanges-joutes de temps à autre.

Liline37 : C'est exactement mon intention, rendre l'histoire accessible même à la personne qui n'a pas du tout joué au jeu. Autant pour l'accessibilité que pour la logique de la continuité de l'histoire... et aussi pour satisfaire mon côté toqué. J'aime pas les trous scénaristiques, j'essaie toujours de n'en laisser aucun.
Le truc à la Indiana Jones, il paraît que c'est réellement faisable en jeu. Je ne sais pas trop comment, mais il m'a semblé lire quelque part que quelqu'un avait essayé ça parce qu'il avait raté tous ses jets d'escamotage (l'erreur fatale de ne pas prendre notre voleur préféré dans son groupe...)

Creusons un petit peu plus dans le passé...


CHAPITRE IX – PASSÉ QUI S'ECHAPPE, PASSÉ QUI RATTRAPE

Après avoir regagné la surface, l'après-midi entamait son déclin. Fallait-il prendre le risque de reprendre directement la route et devoir passer la nuit dans la nature ou sacrifier quelques heures d'avancée et s'assurer une nuit plus au calme et à l'abri ? Comme à son habitude, Lae'zel était pour continuer d'avancer le plus possible, soutenue par Astarion pour qui la nuit était une compagne qu'il connaissait bien et ne redoutait pas. Gayle et Ombrecoeur étaient eux pour rester et profiter d'une véritable nuit réparatrice. Personne n'aurait à monter la garde cette nuit grâce à la collaboration des gobelins, ce qui assurait – normalement - de dormir sur ses deux oreilles. Il fut alors demandé à Silesta de trancher. Les deux arguments se valaient autant l'un que l'autre ; toutefois elle préféra rejoindre le camp du repos car elle-même ne se sentait guère dans son assiette depuis qu'ils étaient sortis de cette cave.

Chacun alla donc vaquer dans son coin pour s'occuper jusqu'au soir. Gayle s'était plongé dans l'étude des différents livres de l'apothicaire dans l'espoir d'apprendre de nouvelles formules d'élixirs et autres potions, Lae'zel s'occupait de réparer son équipement, Ombrecoeur s'isola dans une pieuse méditation, murmurant les vers d'une prière pour sa déesse et Astarion était parti en annonçant qu'il allait plumer les gobelins aux jeux d'argent mais Gayle s'était dit que le vampire allait en réalité chercher de quoi chasser. Silesta n'était pas de cet avis cela ressemblerait bien au roublard d'aller se frotter à ce genre de magouilles.

La jeune femme avait besoin de se changer les idées. Elle se sentait physiquement bien mais c'était comme si un voile opaque s'était posé sur elle. Ses émotions et ce qui l'entourait se faisaient flous, grésillants. Depuis qu'elle avait touché au recueil de Thay, elle vibrait de confusion. Elle se mit alors à errer dans le silence du village en prenant soin d'éviter le point de rassemblement des gobelins situé au sud de celui-ci. Difficile de dire ce qu'ils étaient en train de faire cuire mais l'épaisse odeur de grillé qui s'en dégageait enfumait le moindre recoin du hameau. De temps à autre, Silesta se risquait à vider quelque caisses ou sacs de jute qui passaient à sa portée en prenant soin de ne pas se faire voir mais se heurtait souvent à un fond vide. Encore.

Ses pas la guidèrent au hasard des ruelles désertes et finirent par l'arrêter devant un bâtiment qu'elle n'avait pas encore vu et dont les murs étaient encore intacts. Elle s'approcha de la porte et tira le lourd anneau de fer. Fermée. Pas découragée pour autant, la jeune femme rousse fit le tour de la bâtisse en espérant trouver un autre point d'entrée. Les fenêtres étaient barricadées et il n'y avait pas d'autre porte.

« Zut. »

Elle leva le menton et un sourire de victoire éclaira son visage. Le deuxième étage était une grange complètement ouverte, il n'y avait qu'à l'atteindre. Un premier coup d'œil autour d'elle ne lui permit pas de trouver de quoi l'aider à se surélever ; aussi reprit-elle l'observation de la façade. Une longue tige de métal lisse était ancrée dans le sol et s'élevait jusqu'à une poutre au sommet de la toiture ; elle devait sans doute servir pour renforcer la structure. Silesta se saisit de la barre d'une poigne ferme et sa respiration se ralentit un instant. Le frais qui se diffusa dans sa main pulsa dans le reste de son corps. Elle secoua un peu pour tester la solidité de la barre qui ne bougea pas.

Elle inspira, prit appui et sauta. Ses jambes s'enroulèrent tout naturellement autour de la tige et suivirent sans contrainte ses bras qui s'accrochaient pour monter. Arrivée à la hauteur de la grange si convoitée, elle s'arrêta et regarda vers le sol. Cette hauteur, cette prise ferme dans sa paume... Ce n'était pas terminé. Son cœur battait fort, la même excitation de sa mémoire sensorielle.

La saltimbanque changea ses prises de main et laissa son corps et ses jambes s'enrouler autour de la barre. Sa silhouette se arqua, s'étendit et se replia de diverses façons, faisant d'elle un drapeau étrange flottant. Les mouvements qui lui réclamaient le plus de contorsionnisme faisaient gémir ses muscles rouillés mais elle s'en fichait. L'aisance était là.

Silesta sourit en dépit du mal. Son panel d'artiste s'étoffait et la rendait de plus en plus curieuse d'elle-même. Travaillait-elle en fait dans un cirque ? Elle espéra qu'un souvenir lui apparût mais rien ne vint.

« Toujours rien... »

Elle bascula son corps à la verticale, enlaçant la barre de ses cuisses et se laissa retomber en arrière contre elle. Vu à l'envers, le soleil couchant devenait un lever qui sortait des toitures et les volutes de fumée du campement gobelin étaient comme une fine pluie hiératique. Le sang affluant à sa tête renversée, Silesta ferma les yeux pour profiter de cet étrange état de tournis. Le bourdonnement dans sa tête s'amenuisait et son cœur s'apaisait.

« Si vous montez la garde, il y a des positions plus confortables. »

L'acrobate rouvrit les paupières et ne vit d'abord qu'une bouillie d'image confuse. Puis elle découvrit sous le rideau de ses cheveux cuivrés la silhouette d'Astarion en contrebas. Le vampire la regardait, à cheval entre l'étonnement et la moquerie, les bras croisés sur sa poitrine. Elle étendit les bras en croix.

« Je fais la chauve-souris. Vous auriez dû deviner.

_ Très amusant. »

Fière de sa plaisanterie, Silesta relâcha un peu l'étreinte autour de ses jambes et se mit à glisser le long de la barre à toute vitesse. La voyant faire, Astarion eut un mouvement vers l'avant et s'interrompit aussitôt qu'il vit la jeune femme arrêter d'elle-même sa chute avec maîtrise.

« Oh ? Vous avez eu peur que je m'écrase ? », s'amusa l'humaine dont le visage était à présent à sa hauteur.

Même dans le mauvais sens, il était facile de lire l'espièglerie qu'il affichait encore et toujours. Le vampire lui rendit un sourire empreint de gourmandise.

« Il a mille façons plus épiques de répandre son sang, vous savez ? Épiques ou utiles. » Une main à l'arrière de la tête de Silesta il se pencha sur elle et effleura sa gorge de ses lèvres. « Ces rustres de gobelins m'ont retenu trop longtemps et j'ai besoin de quelque chose de raffiné pour m'en remettre. »

La saltimbanque manqua de relâcher la vigilance de son appui. Un frisson hérissa son cou pour tomber directement à sa tête, ce qui doublé au sang qui continuait de s'y accumuler n'aidait en rien pour garder les idées claires. Silesta ne pouvait bouger, prisonnière de la main dans ses cheveux et du parfum d'Astarion.

« Et la chasse ? articula-t-elle au prix d'un immense effort.

_ J'espérais plutôt votre sang de vermeil. »

La lucidité vacillante, la jeune femme dut compter sur la force de sa détermination pour basculer son corps de côté et se remettre debout au sol, non sans chanceler violemment sur ses appuis ; une chance qu'elle avait la barre pour se maintenir.

« P-Parce que vous comptiez remettre ça avec moi ?

_ Allons, ne faites pas la timorée, s'offusqua doucement le vampire avec une grande satisfaction. J'ai senti vos petits tressaillements d'excitation quand je vous ai taquiné la carotide. Vous avez aimé cela, avouez-le. »

Silesta se pinça les lèvres. Elle voulait protester mais la vérité était là. Cette faculté qu'avait Astarion à régulièrement lui glisser la petite phrase qui faisait mouche était des plus horripilantes. Ce dernier se montra cependant conciliant : à présent qu'il avait goûté à Silesta, il était curieux de la fragrance des autres. Avec cette prestance mûre et élégante, le sang de Gayle devait s'apparenter à une sorte de brandy délicieusement raffiné. Quant à Lae'zel...

« Hors de question que vous touchiez les autres, l'arrêta aussitôt l'humaine en écarquillant les yeux à cette évocation.

_ Alors vous vous portez volontaire ? »

Tous deux se jaugèrent de sage prudence pour l'une et de solennité impatiente pour le second. Bien qu'elle fût la même que l'autre nuit, la requête d'Astarion n'avait rien à voir dans sa façon d'être demandée. Il n'implorait plus, il voulait.

Silesta finit par hocher la tête. Le sang lui avait-il trop monté à la tête ou était-ce encore l'œuvre habile de ces yeux rubis pénétrants ?

Astarion jeta un coup d'œil rapide autour de lui pour s'assurer qu'il ne serait pas dérangé et s'approcha. Sans la quitter du regard, il enlaça la taille de la jeune femme d'une main et l'attira à lui, sa main valide délicatement glissée dans sa nuque. Elle sentit la course de son sang s'accélérer et la même appréhension la gagner et pourtant, son corps se faisait plume, prêt à s'offrir. Ses paupières se scellèrent et sa tête pencha pour lui faciliter la chose ; le même côté que la première fois, autant ne garder qu'une seule marque. Elle se raidit quand les crocs percèrent sa peau et se laissa partir dans la douce somnolence qui l'enveloppa. Son étreinte n'avait rien de pressante ou de prédatrice, elle en était presque suave.

Une fois rassasié, le vampire la libéra après un dernier petit suçon pour récupérer les dernières gouttes qui roulaient de son cou – ne gâchons rien. Silesta s'étonna de presque moins souffrir par rapport à la première fois. S'était-elle déjà habituée ? Cela en était perturbant. Elle le dévisagea, égarée parmi ses nombreuses pensées et émotions paradoxales. Cet homme l'empêchait de raisonner. Il endormait son discernement par ses mots veloutés et ses yeux enjôleurs pour l'attirer à lui tout en cultivant le mystère de sa personne. Une dangereuse attraction dans laquelle Silesta n'était qu'un corps pris dans son orbite. Avait-elle conscience du risque ? Oh oui.

« Nous sommes liés, n'est-ce pas ? »

D'abord un peu surpris par cette question, Astarion lui rendit un sourire éloquent. Plus qu'elle n'en avait idée.

Allait-elle faire preuve de prudence ? C'était sans doute déjà trop tard.

Ce fut à la nuit tombée que tous deux regagnèrent le campement. Il fut d'ailleurs étrange pour Silesta de les voir se séparer à leur arrivée comme si de rien n'était. Astarion fanfaronnait de ses talents de tricheur contre les gobelins tandis que elle allait se poser dans un coin pour s'isoler un peu, histoire de ne pas trop attirer l'attention à elle et sa morsure fraîche. Elle ignorait à quel point il était crucial de garder leur « échange » secret mais la pensée de devoir le laisser dans le silence de ses autres compagnons ne lui déplaisait pas.

Après le repas du soir, Silesta s'appliqua à réaliser des d'étirements. Elle savait que le mal la guettait dès le lendemain matin si elle ne s'y préparait pas. Elle poussa sa souplesse au maximum en prenant le temps de respirer. En plus de lui épargner de futures souffrances, l'exercice avait la vertu de l'apaiser.

« Même de nuit, vous ne vous arrêtez jamais ? s'amusa Gayle en la voyant faire.

_ Ha ha, jamais. Vivons la nuit car nous mourrons un jour.

_ C'est un joli mantra, c'est de vous ? »

La saltimbanque allait lui répondre mais s'interrompit, l'air étrange. Elle arrêta son exercice visant à pencher au maximum son buste contre ses jambes et se redressa.

« Je ne sais pas... Les mots sont venus tout seuls.

_ Peut-être un écho de votre passé qui a su s'échapper vers la surface ? » Il fronça les sourcils d'un air ennuyé. « Il est quand même étrange qu'aucun réel souvenir ne vous revienne. Même pas un visage ? Un lieu ? Ne serait-ce que peut-être le cirque ou la compagnie où vous officiez ? Vu votre talent, vous n'étiez pas une novice, loin de là. Cela devrait prendre une place importante dans votre mémoire. »

Silesta ne répondit rien tant elle se sentait dépitée. Puis la vision toute proche d'Ombrecoeur qui frottait sa main visiblement endolorie lui fit l'effet d'une lumière.

« Vous croyez qu'il est possible que l'on m'ait effacé la mémoire ? Si ce n'est pas un choc physique comme le pensait Nettie, je ne vois que cela.

_ Je n'en verrais pas le but mais cela reste une éventualité. »

Cette perspective avait quelque chose d'effrayant. Si tel était le cas, de quoi ne devait-elle pas se souvenir ? Elle se mordit la lèvre et appela Ombrecoeur qui alla les rejoindre en demandant ce qu'il y avait. Silesta sollicita ses talents de guérisseuse : avait-elle la capacité d'agir sur une mémoire effacée ? La prêtresse fit la moue.

« Pas exactement, mais je puis essayer un sort utilisé en temps normal contre la confusion mentale. Cela pourrait peut-être réveiller quelque chose et créer une brèche.

_ Oui, essayons toujours. »

La prêtresse s'assit sur les genoux puis apposa son index et son majeur sur la glabelle de la jeune femme et rassembla sa concentration.

« Voco amissum spiritum. »

Une lumière nacrée se rassembla au bout de ses doigts tandis qu'une sensation de frais auréolait la tête de Silesta. L'effet fut bref mais il arracha un frisson marqué à la jeune femme rousse. Elle demeura immobile quelques instants avant de rouvrir les yeux.

« L'effet doit-il être immédiat ? Je ne me sens pas différente.

_ Je l'ignore. Je dois reconnaître que vous mettez à mal mes savoirs en matière de guérison. »

Silesta ne répliqua pas mais au fond d'elle, une bouffée d'angoisse commençait à la gagner. Pourquoi rien ne fonctionnait sur elle ? Si les potions et les sorts ne faisaient rien, qu'est-ce qui lui rendrait sa mémoire ? Allait-elle devoir se contenter de fragments brisés sans consistance sans savoir à quoi ils se rattachaient ?

« Merci d'avoir essayé. Je vais aller me coucher. »

Elle se leva vite du tapis qu'elle occupait et retourna à l'intérieur de la bâtisse près de laquelle le groupe s'était installé ; autant profiter d'avoir un toit au-dessus de la tête. Elle jeta sa couverture sur le lit et s'y laissa tomber de tout son long. Pour la première fois depuis le début de cette étrange aventure, Silesta se sentait vraiment désemparée. Elle essaya de forcer de toute sa volonté sur son esprit, priant pour que le sort d'Ombrecoeur eût créé une ouverture, en vain. Dans un élan de frustration, l'oreiller alla valser de l'autre côté de la pièce puis elle se coucha en essayant d'oublier sa déception.

Le réveil fut tout aussi maussade pour l'artiste en exil. Les limbes bleutées étaient encore et toujours là, impénétrables et muettes. Ou peut-être un peu moins. Il sembla à Silesta avoir perçu loin, très loin dans l'écho, une rumeur, le faible bruissement d'une voix au débit très rapide mais hélas inintelligible. Elle mit cela sur le compte de son imagination : elle avait tellement envie de se souvenir de quelque chose que sa tête était prête à produire n'importe quoi.

Comme anticipé, les courbatures furent au rendez-vous. Une chance que l'aube en était encore à sa naissance, cela lui permit de faire quelques élongations ; elle devrait s'astreindre à le faire régulièrement pour trouver la forme. Hors de question d'être un poids pour ses compagnons.

Lorsqu'elle sortit de la maison tout en réprimant un bâillement sonore, Silesta rencontra Lae'zel qui semblait revenir de quelque part.

« Bonjour. Vous êtes matinale.

_ Je reste en constante vigilance. J'ai aussi été réveillée par les gobelins qui ont refoulé un homme à l'entrée du village.

_ Qui était-ce ?

_ Je ne sais pas, je suis arrivée trop tard. Mais il semblait bien armé pour un simple pèlerin. » La githyanki fit silence et fronça un peu les sourcils. « J'ai appris pour votre mémoire récalcitrante. Bien que je conçoive que cela puisse être pénible, vous semblez oublier que votre propre vie est en jeu dans cette histoire. À quoi vous servirait votre mémoire si c'est pour finir en ghaik ? »

L'humaine garda le silence mais elle savait très bien quel genre de figure elle arborait : une mine terne et fermée. Le ressentiment de la guerrière s'accentua :

« Nous ne pouvons pas nous permettre de nous détourner de notre objectif premier : trouver un remède. Nous n'en avons pas le temps. Alors ressaisissez-vous. Ne me faites pas regretter de vous avoir accordé une chance. »

Silesta finit par hocher lentement la tête en signe d'assentiment. Lae'zel était dans le vrai et elle le savait. C'était juste qu'elle avait besoin de temps pour se résigner.

Le petit-déjeuner fut vite avalé et le groupe plia bagage pour se remettre en route, non sans un dernier au revoir triomphant d'Astarion à l'attention des gobelins en les remerciant pour leur « aide très généreuse ». Et vu les œillades meurtrières que ces derniers lui renvoyaient, il valait mieux vite, très vite quitter le village tout en surveillant ses arrières. Ça sentait la flèche perdue à plein nez.

« Vous n'avez aucune morale, résuma Ombrecoeur qui s'amusait presque du culot du roublard.

_ Qui a besoin de morale quand on a des cheveux aussi beaux ? rétorqua le vampire avec toute sa superbe. Je me sens en pleine forme ce matin, j'avais envie de les taquiner. »

Après avoir remarqué ce petit clin d'œil discret de connivence, la jongleuse à ses côtés remonta le col de sa chemise par réflexe en retenant un léger sourire. Si les frasques d'Astarion la faisaient réagir, c'était que son humeur n'était pas si morose après tout.

Un coup d'œil à la carte indiqua aux aventuriers que le camp gobelin n'était plus très loin.

« Comment va-t-on faire pour trouver Halsin sans se faire repérer ? interrogea Ombrecoeur.

_ J'imagine que l'ennemi sera en nombre, il faudra user de discrétion et jouer le jeu de leur culte de l'Absolue. Si c'est ce qui les réunit, nous devons utiliser cette carte, répondit Gayle. Nous avons peu de choix.

_ Couper les têtes pensantes est aussi une bonne stratégie, intervint Lae'zel avec conviction. Ces créatures ne sont pas de nature organisées. Sans chef, nous leur... » Elle se tut et toussa. « Que... Vous sentez ça? »

Ses acolytes n'eurent pas besoin de répondre alors qu'ils toussaient aussi. Une immonde et tenace odeur à la fois douceâtre et métallique les prenait à la gorge et saturait leur odorat. Un simple coup d'œil vers la direction de la fumée dans le vent leur en indiqua la provenance : quelques dizaines de mètres plus loin, ils devinèrent la silhouette d'un homme qui s'affairait près du feu de son campement. Lae'zel le reconnut aussitôt à sa stature et ses cheveux mi-longs : le voyageur à qui les gobelins avaient interdit l'accès au village.

Le groupuscule s'approcha et l'inconnu se tourna vers eux. D'âge mûr et à la carrure forte, c'était un humain châtain à l'épaisse moustache élégamment recourbée et à la barbe ducktail. Avec ses vêtements de cuir, la cicatrice qui barrait sa joue gauche et l'attirail d'armes posées près d'un arbre ne laissaient en rien penser qu'il n'était qu'un simple voyageur. L'homme remarqua l'inconfort sur les visages des arrivants et leur sourit d'un air désolé.

« Salutations, voyageurs. Veuillez pardonner l'odeur. Un vieux truc de chasseur pour tenir les monstres à l'écart. »

Les yeux du vampire se mirent à pétiller étrangement alors qu'il le dévisageait avec une grande attention.

« Vous êtes un chasseur de monstres ? comprit Astarion après un coup d'œil à la lourde arbalète posée contre un tronc. Moi qui pensais que les Gurs n'étaient que des coupe-jarrets errant ici et là.

_ Les Gurs... répéta Silesta, interpellée par ce nom.

_ Un peuple nomade dangereux et mystique parcourant le monde, répondit l'homme en accompagnant sa parole de gestes lents. Nous volons votre bétail, ravissons vos filles ; telles sont les choses que l'on dit de nous. Hélas, je ne suis que Gandrel, un simple vagabond. Vagabond et chasseur de monstres, mais je n'ai rien d'un brigand. »

Silesta déglutit, pas rassurée. Quel type de monstre pouvait-il chasser dans cette région ? Elle remarqua que le roublard lui, loin d'être effrayé, avait l'air captivé et s'enquit de poser la question qu'elle n'osait formuler :

« Et sur quelle traque vous attelez-vous donc ? Du gros gibier, j'imagine. Un dragon ? Des cyclopes ? Un kobold ?

_ Oh, rien d'aussi redoutable. Je suis après un rejeton de vampire. »

Un rideau de plomb s'abattit tout à coup dans la clairière où ils se trouvaient. L'assurance d'Astarion s'évanouit tout aussi vite tandis que ses quatre accompagnateurs avaient cessé de respirer un instant.

« Il s'appelle Astarion, poursuivit Gandrel. J'ai ouïe dire qu'une guenaude vivait dans la région et je m'en allais la chercher pour qu'elle puisse m'aider. »

Silesta échangea un regard tendu avec vampire qui le lui rendit. Le sang battait à ses oreilles. Elle devait vite détourner le regard du chasseur de la pâleur de l'elfe.

« Un rejeton de vampire ? Ce n'est même pas un vrai vampire. Pourquoi vous encombrer à le tuer ? » minauda-t-elle avec un ricanement hautain qu'elle espéra convaincant.

Gandrel secoua la tête. Il n'était pas question de le tuer ; au contraire, il devait ramener cet Astarion vivant à la Porte de Baldur. Néanmoins, il fallait rester vigilant : bien qu'un rejeton n'avait pas la puissance de son maître, il était tout aussi meurtrier la nuit durant lorsqu'il partait en chasse.

Le malaise ambiant grandissait à mesure que le temps passait. Ils devaient partir. Vite. Chaque seconde qui passait était un risque croissant de se faire découvrir.

« Eh bien, nous vous remercions pour cet avertissement. Nous redoublerons de prudence sur la route », promit la jeune femme avec un signe de tête. « Bonne chance à vous. »

Sans le voir, elle sentit Astarion remuer et darder ses yeux grenat sur elle.

« À vous aussi, mes amis. J'espère que nos routes se croiseront à nouveau », répondit le chasseur avec un signe de la main.

Tandis que Silesta reprenait sa route, Gandrel s'en était retourné vers son feu. La seconde suivante, quelque chose fendit l'air et un bruit mat perfora le silence. Un râle étouffé plus tard, le Gur s'effondra dans l'herbe, une dague plantée à l'arrière de la nuque.

« Certainement pas, grinça le vampire, le bras encore tendu.

_ M-Mais pourquoi avez-vous fait ça ? s'écria Silesta avec effroi. Il n'avait rien remarqué !

_ Êtes-vous donc si stupide ? C'est un chasseur ! Il n'aurait rien lâché jusqu'à m'avoir retrouvé ! Il aurait fini par me traquer jusque dans notre campement et là, c'est nous tous qui allions y passer ! C'est tuer ou être tué ! »

Sa voix claquait de fureur comme le tonnerre autant qu'elle résonnait de peur. Le vampire prit un instant pour respirer profondément et reprendre ses esprits. Le sang bouillonnait du cou de Gandrel et commençait à remonter par capillarité dans les libres de coton de sa chemise. Cette horrible vision retournait le ventre de Silesta et une féroce colère la tenaillait. La tuerie n'était pas une solution à tout.

« Plutôt mourir que d'être ramené à Cazador, souffla Astarion entre ses dents. Je suis sûr que c'est lui qui a engagé ce Gur. Jamais je ne redeviendrai sa chose.

_ Qui est ce Cazador ? Que vous a-t-il fait ? s'enquit Gayle en fronçant les sourcils, lui aussi échaudé par le caractère expéditif de la « solution » de son comparse.

_ Cela ne vous concerne en rien.

_ Non ! rugit Silesta avec véhémence en se plantant devant l'elfe. Si je suis amenée à subir encore ce genre de spectacle, je veux savoir pourquoi ! »

Elle tira son col de chemise et le mit face aux stigmates de sa morsure, les yeux braqués dans les siens. Ils étaient liés, n'est-ce pas ? Astarion la considéra d'abord avec rancune. Cette femme n'abandonnait donc jamais ?

Silesta se rasséréna petit à petit. Elle voyait sa réticence et la comprenait mais elle ne voulait que mieux le comprendre lui.

« Plus on se cache, plus il est désagréable d'être surpris », lui dit-elle plus doucement.

L'elfe pâle renâcla mais finit par rendre les armes. De toute manière, il ne résulterait rien de bon à garder tout cela pour lui, même s'il n'avait pas envie d'en parler.

Il y avait deux siècles de cela, alors qu'il officiait encore en tant que magistrat à la Porte de Baldur, Astarion fut pris en embuscade et passé à tabac par une bande de Gurs qui n'avaient pas apprécié l'un de ses derniers jugements. Alors qu'il se tenait au seuil de la mort, il fut approché par Cazador Szarr après qu'il eût chassé les malfrats.

« La famille Szarr est puissante et influente à la Porte de Baldur et Cazador en est le chef de clan, avide du pouvoir qu'il peut exercer sur les autres de façon absolue, expliqua Astarion en vomissant presque ses paroles.

_ C'est ce jour-là qu'il vous a transformé ? » subodora Lae'zel.

Le vampire hocha la tête.

« Il faut dire que le choix était restreint : me vider de mon sang sur le pavé ou accepter la vie éternelle qu'il me proposait. Je suis donc devenu son engeance... et lui mon bourreau. Hélas, je n'ai réalisé que plus tard à quel point « l'éternité » pouvait être longue. »

Jamais Silesta ne l'avait entendu aussi las et abattu, bien qu'il gardait la tête haute de la plus digne façon. Il n'exprimait qu'une fraction de ce qu'il ressentait réellement. La jeune femme revit dans son esprit le souvenir qu'Astarion avait partagé avec elle involontairement le soir de la première morsure. Cette oppressante et inflexible aura qui lui faisait tant courber l'échine, c'était donc ce Cazador ?

Ombrecoeur devança ses pensées :

« On dirait bien que ce n'était pas un gentil maître.

_ Il me faisait arpenter les rues de la ville pour lui ramener les meilleures âmes que je pouvais lui débusquer. »

Le vampire expliqua ensuite dans une fausse légèreté presque indolente que son maître avait son petit rituel bien à lui : quand il amenait une victime à Cazador, ce dernier lui demandait s'il souhaitait dîner avec lui. Si la réponse était oui, Astarion recevait pour seule nourriture un rat mort et s'il déclinait, il était fouetté. Difficile de dire ce qui était le pire.

En écho aux grises mines de ses autres compagnons, Silesta était figée d'horreur à ce discours ; une bile âcre lui incendiait l'estomac. Combien de fois en deux cent ans Astarion avait-il subi cette ignominie pour qu'il en fût aussi détaché ? Et encore, il était quasi certain que ce n'était pas la seule forme d'avilissement qu'il avait vécue. Ce ne fut que maintenant qu'elle réalisa l'état de famine extrême dans lequel il était quand il lui avait demandé son sang la première fois.

Leurs yeux se rencontrèrent par hasard. Lui semblait si neutre par rapport à elle qui peinait à voiler son mal-être. Astarion était bien moins indolent que son personnage versatile laissait croire, bien au contraire. Il était taillé dans un roc de force que Silesta n'aurait jamais soupçonné. Elle ravala sa faiblesse et se consolida.

« C'est abject ce qu'il vous a fait. Je suis sincèrement désolée.

_ Merci, mais je ne vous confie pas cela pour m'attirer votre sympathie, répondit-il doucement mais avec sérieux. Ce Gur vient de nous prouver que nous n'aurons sans doute pas que des flagelleurs mentaux à nos trousses. Gardez l'œil ouvert et surveillez les ombres. »

La jeune femme rousse mesurait l'effort et l'humilité nécessaires au vampire pour leur raconter tout cela même sous couvert de mise en garde et rien que pour cela, elle ne voulait pas galvauder cette confiance. D'aucun penserait qu'elle était trop naïve de s'emballer ainsi mais elle était ainsi, c'était dans son âme. Elle opina vivement du chef avec détermination.

« Comptez sur moi, je surveille vos arrières. »

Astarion eut un sourire amusé en son for intérieur. Avait-elle donc si peu pour elle-même qu'elle tenait tant à faire pour les autres ? C'était sans doute cela. Elle « empruntait » leur vie pour combler le vide factice de la sienne ; un peu comme lui qui avait ravi celle de tant de personnes à la différence que son vide à lui s'était au contraire creusé encore et encore, cible après cible, jusqu'à ne laisser que des miettes de son être. Quelle drôle de fille.

« Que demander de plus ? J'aimerais maintenant passer à autre chose, si cela ne vous ennuie pas. »

La prière du vampire allait vite être exaucée : au loin apparaissaient de grossières barricades hérissées de piques au pied d'une muraille.


Oh et puis fuck. Je m'en vais te venger dans l'instant, Astarion. Relire ce chapitre m'a donné envie d'aller botter le cul de Cazador tout de suite. Ombrecoeur, fais péter le Sang de Lathandre, on va aller présenter nos hommages au master.

Prochain chap, on commence l'infiltration !