Ce long chapitre, qui marque le début officiel du tome 2, est un hommage au poème de Jaques Prévert, "Cet amour".

"…que vos coeurs, soient la clé qui vous guide…"

A peine eut-il prononcé ces mots, que Riku regretta immédiatement ses paroles. Au lieu d'être suivi de ses compagnons, dans ce qui aurait dû être un vestibule, il se retrouva soudain en chute libre, le vent et des branches d'arbres lui fouettant le visage. Virevoltant dans les airs afin de contrôler sa position et limiter les dégâts d'un éventuel atterrissage d'urgence, Riku ralentit sa descente en s'accrochant aux arbres qui lui tendaient leurs frondaisons, parvenant finalement à atteindre le sol à une vitesse adéquate. Doucement, le jeune Maître de la Keyblade posa un pied à terre, sentant l'odeur humide de l'humus qui l'entourait de toute part alors qu'une lumière diaphane traversait les feuillages verdoyants d'une forêt enveloppée d'une couverture de brume fantomatique. Alors que seul un silence profond émanait des espaces vides entre les arbres centenaires, si incompatible avec le bruit accompagnant d'ordinaire ce type de paysages, Riku avait l'impression d'être une source de vacarme insoutenable, sa respiration vibrant dans sa poitrine et ses vêtements se froissant au contact de sa main à la recherche de son commlink.

"VRRR- Ici Riku, murmura-t-il en chuchotant dans l'objet électronique. Est-ce que vous m'entendez?- VRRR."

Face au silence, un léger sentiment d'angoisse s'empara brièvement du jeune homme qui, une fois de plus et malgré leurs innombrables avertissements à ce sujet, se trouvait isolé, séparé de ses compagnons.

"Evidemment, lâcha finalement le Maître de la Keyblade en s'agenouillant de lassitude, se passant une main irritée dans sa chevelure d'argent. C'était forcément un piège…"

Posant un poing à terre, Riku poussa un long et bruyant soupir et, contrarié par l'horrible mutisme l'entourant, frappa le sol d'un unique coup de poing indigné avant de se redresser et de fermer les yeux. Calmant son esprit, le jeune homme se libéra de ses émotions turbulentes et agrippa d'instinct la Clé de la Terre, cachée dans la poche de son pantalon, étendant ses sens jusqu'à sentir les racines qui s'enfonçaient profondément dans le sol humide sous ses pieds, à la recherche de… n'importe quoi qui pourrait expliquer sa présente situation.

"Tes amis ne sont pas ici, murmura soudain une voix féminine dans le vent. Tu es seul…avec moi."

"Et à qui ai-je l'honneur de parler?" demanda Riku, levant un sourcil alors que ses iris turquoises et jaunes s'agitaient à la recherche de la mystérieuse entité qui le soumettait à cette nouvelle épreuve d'infortune.

"Pour toi? répondit la voix d'un ton navré. Je suis la Mort…"

"Rassurant…, marmonna le jeune homme sarcastique en gesticulant pour faire apparaître sa Keyblade, en vain. Pas de pouvoirs, bien évidemment. Et je suis supposé faire quoi pour sortir de là? Mourir?"

"Cette option n'est pas exclue, admit-elle. Mais ce n'est pas mon objectif. Je ne veux pas mettre à l'épreuve tes prouesses physiques, c'est ton âme que je souhaite tester… pour savoir si tu es digne de la Clé que tu portes et d'atteindre le sommet de cette tour."

"Et comment suis-je censé vous apporter cette preuve?"

"Dans cette tour, le temps tel que tu te le représentes n'existe pas… expliqua calmement l'entité. Les destins, les réalités, le passé, le présent et le futur s'entrelacent, s'entrecroisent, co-existent… En choisissant la Terre cependant, tu as choisi l'élément de la persévérance, de l'ancrage et de la patience. Celui du Foyer. Traverse la forêt de la mémoire et retrouve-moi."

Sans un mot de plus et tandis que le silence morbide envahissait à nouveau les sentiers sinueux l'entourant de toutes parts, Riku s'aventura parmis les imposants chênes, les hêtres et les fougères sombres recouvrant abondamment le sol, réalisant en avançant qu'il s'enfonçait dans les méandres des temps anciens, les arbres l'entourant devenant de plus en plus vieux, de plus en plus impressionnants, leurs troncs noueux si larges qu'ils semblaient atteindre un diamètre de 6 mètres. Alors que l'épais feuillage au-dessus de sa tête se densifiait jusqu'à ne laisser passer qu'une infime trace de lumière lunaire, le jeune homme se retrouva rapidement écrasé par l'insonorité et l'oppression des géants végétaux qui semblaient le juger depuis leurs cimes illuminées par un soleil éclipsé. Soudain, un frisson parcourut la nuque de Riku alors qu'un sanglot étouffé retentit dans le néant. Tendant l'oreille, le Maître de la Keyblade fut tout d'abord accueilli par un nouveau silence étouffant, avant de discerner, au loin et venant d'une alcôve ténébreuse, les indéniables pleurs d'un jeune enfant. Inquiet, le Maître de la Keyblade s'avança jusqu'à un arbre centenaire, baissant la tête afin de discerner la source des lamentations:

"Qu'est-ce qui ne va pas?" demanda-t-il, hésitant et sur ses gardes, se préparant à une attaque.

C'est alors que devant les yeux de Riku, en l'espace d'un souffle coupé, apparut le visage pâle et ensanglanté d'un petit garçon, ses cheveux argentés souillés par un liquide cramoisi sentant le fer.

"J'ai mal…" se plaignit la petite voix, alors que la main tremblante de l'enfant recouvrait son œil mutilé, des traces de larmes nettoyant sur leur passage ses joues rondes recouvertes de son sang.

Sans attendre et le coeur battant la chamade, Riku fouilla vigoureusement dans ses poches, à la recherche d'une potion de soin, de bandages… n'importe quoi qui puisse soigner l'affreuse blessure et soulager la douleur du garçon.

"Je suis désolé, Riku…, lâcha, tremblant, l'enfant dans le noir. Ça ne se soignera pas."

Sur ces mots, les petites mains du garçonnet agrippèrent le col de Riku et celui-ci, dans un geste réflexif qu'il ne pouvait s'expliquer, enlaça la frêle silhouette de l'enfant blême dans un geste protecteur, alors que celui-ci basculait en arrière et attirait le Maître de la Keyblade avec lui, avalé par les entrailles d'une tombe s'ouvrant dans le sol marécageux telle une cicatrice.

"Accroche-toi encore un peu, lâcha Riku comme dans une transe. Il doit bien y avoir un moyen, je trouverai un moyen…"

Heurté par une vague glaciale, le jeune homme réalisa rapidement qu'il était à nouveau seul, ses mains s'enfonçant dans une matière friable et crissante, alors qu'il se débattait vigoureusement, s'exhumant d'une dune de sable surplombée d'un ciel étoilé. Inhalant le précieux souffle de vie, l'oxygène remplissant ses poumons meurtris, Riku demeura quelques instants figé, à moitié enseveli au milieu d'un désert sans fin. D'un air ébahi, il observa ses alentours, cherchant l'étoile du nord dans le ciel nocturne mais échouant à trouver la voie de son destin. Acceptant sa situation, aussi désastreuse soit-elle, Riku s'extirpa de son tombeau de sable et se releva, époussetant en vain ses vêtements et ses cheveux recouverts de terre. Il se mit en marche avant d'être heurté de plein fouet, sans ménagement ou avertissement quelconque, par un objet contondant métallique.

"Accroche-toi gamin! s'exclama une voix grondante depuis la coque d'un gigantesque voilier, sorti de nul part et avec lequel Riku venait de faire intimement connaissance. Monte!"

Le cerveau étrangement embrumé et sentant ses jambes flageoler, Riku décida d'abandonner toute notion d'esprit critique et empoigna la main robuste de l'étrange capitaine au tricorne doré, dont l'iris non dissimulé par un cache-oeil noir orné d'une tête de mort scintillait d'une lueur turquoise ressplendissante. Il le hissa sur son navire et lui tendit une corde, avant de s'attacher lui-même au mât.

"Il va y avoir une tempête et faudra persévérer moussaillon, expliqua derechef l'homme tranquille, si sûr de lui au milieu de la nuit. Le monde est cruel, il essaiera de tout t'enlever et parfois, il y arrivera. Mais quand tu traversera les sables du temps, tu devras te battre, ne rien lâcher, t'ancrer dans le savoir de qui tu es; de ce que tu es, indépendamment des autres, indépendamment de ce que le monde t'as pris, te prend …ou te prendra."

"Qu'est-ce que ça signifie?!" hurla Riku alors qu'une soudaine tempête de sable s'engouffrait dans les voiles blanches du navire, le faisant basculer et heurter le gouvernail, désormais dénué de tout capitaine. Où êtes-vous?!"

Constatant avec consternation qu'il était seul à nouveau, le Maître de la Keyblade s'empara en catastrophe du gouvernail abandonné et dut lutter de toutes ses forces pour le faire garder le cap et empêcher que le bâteau ne chavire. Riku abaissa son centre de gravité, s'entourant le bassin d'une corde fermement attachée alors qu'il peinait à garder les yeux ouverts sous l'attaque incessante des minuscules granulés de sable. Alors qu'il ne savait pas où il allait, il comprit qu'il devait simplement maintenir le cap, ne rien lâcher, tenir bon jusqu'à ce que la tempête soit passée… et lorsqu'il rouvrit les yeux, il était entouré d'un champ de fleurs au sommet d'un îlot de terre cerné d'une mer infinie. Devant lui se tenait Iwako, les mains jointes alors que sa longue robe blanche virevoltait dans une douce brise, dansant avec les mèches de ses cheveux océan, son regard améthyste embrumé par une intense émotion, qui fit flancher les genoux de Riku. D'un pas incertain, le Maître de la Keyblade voulut s'avancer vers la jeune femme quand une ombre lui passa à côté, rejoignant l'élue de son coeur qui sombra dans ses bras indistincts. La créature à peine humanoïde était méconnaissable, brûlée, calcinée jusqu'à l'os, mais la jeune femme leva un regard plein d'amour vers son visage en lambeau, sa robe blanche se couvrant de cendres dont elle ne semblait se soucier. Soudain, la voix mélodieuse de la magicienne s'échappa d'entre ses lèvres corail, murmurant d'un ton mélodieux ce qui ressemblait à un voeu, une promesse:

"Nous pouvons tous les deux

Aller et revenir

Nous pouvons oublier

Et puis nous rendormir

Nous réveiller, souffrir, vieillir

Nous endormir encore

Rêver à la mort

Nous éveiller, sourire et rire

Et rajeunir"

C'est alors que le squelette carbonisé se brisait, ses cendres s'envolant avec une myriade de pétales de fleurs ressuscitées, rejoignant le ciel dans un souffle de sérénité. Tandis que la sorcière vêtue de blanc souillé tournait alors ses éclatantes iris vers Riku, celui-ci s'avança à elle d'un pas vacillant avant de l'étreindre avec tendresse, passant ses mains dans sa chevelure soyeuse et déposant un baiser sur sa tempe. La magicienne reprit, en fermant les yeux avec une expression de profonde tristesse:

"Notre amour reste là

Cruel comme la mémoire

Tendre comme le souvenir

Et il nous parle sans rien dire."

"Je ne sais pas ce qui se passe, avoua Riku, après l'avoir écoutée, en tremblant, refusant de lâcher la jeune femme enfouie dans ses bras, qu'il savait pourtant fictive. Mais je ne veux pas que notre amour devienne un souvenir. Quoiqu'il arrive… et bien que je n'arrive pas à te le dire en vrai - c'est trop gênant - j'aimerais rester avec toi jusqu'à ce que tu ne le veuilles plus, je prie pour que ce jour n'arrive jamais, car tu es mon refuge…"

"Bonne réponse!" s'exclama soudain la magicienne, un éclatant sourire étirant ses lèvres pulpeuses alors qu'elle poussait son amant dans le vide, un petit rire accompagnant ce geste alors que le maître de la Keyblade entreprenait une nouvelle chute dans le vide, atterrissant brutalement sur un sol en terre battue.

"Aargh… grogna le jeune homme tandis qu'une racine lui rentrait désagréablement dans les côtes. Quand est-ce que ça va s'arrêter…?"

"Maintenant, répondit alors la voix mystérieuse qui l'avait accueilli dans cet étrange monde sans queue ni tête. Tourne-toi, jeune Maître de la Keyblade."

S'exécutant derechef, Riku posa son regard bi-colore sur un visage familier, recouvert de mousse verte et entouré d'une longue chevelure émeraude feuillue, une couronne de fleurs ornant son imposante tête.

"Tefiti?" s'étonna Riku en reconnaissant les doux traits de la déesse qui leur avait jadis confié la Clé de la Terre.

"Bonjour Riku, acquiesça la Gardienne en hochant la tête d'un mouvement empli de dignité, un sourire tendre illuminant ses traits boisés. Je te prie de me pardonner, cet endroit ne me permet pas de te laisser passer sans une épreuve… quand bien même j'aurais voulu t'épargner ces visions. J'ai tenté de te guider au mieux et je suis heureuse de t'informer que tu as réussi le défi!"

"Réussi? s'étonna Riku en écarquillant les yeux. Mais je n'ai rien fait, je me suis seulement fait jeter d'un endroit à un autre… sans réellement comprendre pourquoi…?"

Face à la confusion évidente du jeune homme habituellement si maussade, la Dame verte ne put s'empêcher de laisser échapper un rire cristallin, qu'elle s'empressa toutefois d'étouffer.

"Durant ta traversée, continua la Gardienne en avançant son visage vers le jeune homme. Qu'as-tu vu?"

"Un enfant blessé, un homme se battant seul contre le monde et un mort aimé" répondit Riku après un petit temps de réflexion, levant un sourcil interrogateur vers son examinatrice divine.

"Intéressant, reconnut Tefiti d'un air amusé. Et que vois-tu maintenant?"

Observant la clairière dans laquelle il se trouvait, le jeune homme remarqua pour la première fois que la Gardienne était assise sur un arbre d'une taille si colossale, que Riku ne l'avait pas perçu comme tel. La Dame, elle-même gargantuesque, ressemblait à une enfant assise sur une racine, alors qu'une douce lumière caressait avec tendresse chaque plante résidant dans cette forêt paisible.

"Je vois… hésita-t-il en tentant de se détacher de la réponse matérielle évidente et de trouver la réponse métaphysique que recherchait sans doute cette créature divine; il finit par lâcher, d'un ton ferme: La Vie."

"C'est exact, approuva la Gardienne. La Terre est source de Vie. Je suis la Mère, Je suis Gaïa, je suis le Commencement. Mais je suis aussi la Mémoire, celle qui se souvient des temps immémoriaux. C'est auprès de moi que tout commence et auprès de moi que se réfugient vos corps lorsque l'âme s'en va. Votre chair, votre sang, votre histoire est mienne… Je conserve vos os et les préserve, je ne vous oublie pas…mes enfants."

"Pardonnez ma confusion, hésita le jeune homme, perplexe. Au début de cette épreuve -que je ne comprends toujours pas- vous vous êtes présentée comme… La Mort?"

"Quelle franchise, s'amusa Tefiti en secouant la tête. Mon brave héros, ton épreuve testait tes réactions face à un potentiel passé, présent et futur. Cependant… tu as déjà affronté la mort, par ma faute. Cette épreuve, je l'ai créée pour me faire pardonner, pour te guider dans les périples qui vont semer ton chemin d'embûches… Je ne pourrai pas te venir en aide, mais je peux te faire un don, aujourd'hui, dans ce lieu sacré. Donne-moi tes mains, jeune Maître."

Encouragé par le ton inhabituellement formel et sérieux de la Divinité, Riku s'avança d'un pas décidé vers l'énorme silhouette, qui se mit alors à rétrécir jusqu'à atteindre la taille de son interlocuteur. Celui-ci leva les mains à hauteur de son torse, quelque peu incertain de son geste tandis qu'il pointait ses paumes vers le ciel, et la Gardienne plaça ses longs doigts froids et vivants comme la sève sur ceux, chauds et marqués par des années d'entraînement, du jeune guerrier. Riku dut se retenir de reculer la tête, étonné par la sensation inhumaine au contact de sa peau, alors que Tefiti plaçait un baiser chaste sur la paupière gauche du Maître de la Keyblade.

"Je t'offre le don de voir ce qui est révolu, lui promit-elle en reculant son visage, sans pour autant briser le contact entre leurs paumes. Tu trouveras les réponses que tu cherches dans les souvenirs d'objets anciens et vénérés, chéris par des générations d'individus. Que ton coeur…soit la clé qui te guide, jeune héros."

Le corps de la Gardienne se désagrègea soudain, explosant en une foison de pétales virevoltants qui se ruèrent sur Riku tel un essaim d'abeilles, avant de le recouvrir entièrement. Aveuglé, le jeune homme leva un bras pour bloquer la lumière grêle qui illumina soudainement son visage, constatant en ouvrant un oeil souffrant qu'il était dans un grand espace vide aux reflets miroitants, deux escaliers en colimaçon s'élevant vers le firmament telle une séquence ADN. Il ne voyait pas ses compagnons mais entendit, à son arrivée, une exclamation horrifiée clairement réalisée par les cordes vocales de Sora, qui semblait provenir de son contre-bas.
"JE SUIS EN VIE! J'AI PAS BRÛLÉ!"

"Bravo, le félicita derechef Riku, soulagé d'entendre la voix familière de son meilleur ami mais à la recherche d'une trace de ses alliées. Je suis ravi de te savoir vivant mais… t'es où? Est-ce que tu vois les filles Sora?"

"Nan… répondit finalement l'Élu après un long moment de silence pensif. Juste deux longs escalier de cristal… t'es plus bas que moi Riku? Plus haut? J'arrive pas à savoir d'où vient ta voix…"

Un tonitruant bruit de chute d'eau suivi de crachats étouffés répondit au jeune homme, signalant, au plus grand soulagement de Riku, qu'Iwako venait de terminer son épreuve.

"Iwako? appela-t-il, en observant ses alentours, apercevant finalement un filament d'eau qui semblait monter depuis les marches en face de lui, défiant la gravité. Tu vas bien? Tu n'as rien?"

"Riku…? vint finalement une réponse étrangement faible et lointaine, semblant provenir depuis le haut. Je viens de terminer, je crois que je dois monter cet escalier mais il est si long…. et je n'ai pas ma magie... Sora? Haya?"

"Je suis là, Iwa! répliqua immédiatement l'Elu, qui semblait avoir également perçu l'inquiétante intonation employée par la magicienne. Tu vas bien?"

"Je… commença-t-elle hésitante, avant de se raviser dans un soupir fatigué qui se propagea en échos dans la tour de cristal vide. Je préfère ne pas en parler maintenant. Je suis… confuse, c'est compliqué… je crois qu'il manque encore des…éléments. Pour que je puisse comprendre ce que j'ai vu."

"Alors on est deux…", tenta de la rassurer le jeune Maître de la Keyblade.

"Moi ça va, intervint la voix de Sora. Le piaf m'a bien expliqué… avant d'exploser."

"Moi j'ai revu Calypso, expliqua le timbre fluet d'Iwako. Enfin, Léviathan… Elle m'a reparlé de la Boîte, que j'ai perdue…"

Sentant l'angoisse dans la voix de la jeune magicienne, Riku ne put s'empêcher de se pencher en direction du vide qui enveloppait l'escalier sur lequel il se trouvait et, bien qu'il ne trouva pas la silhouette svelte qu'il tentait si désespérément d'apercevoir, il repéra finalement Sora, debout en-dessous de lui, à l'envers sur le revers exact de l'escalier qu'il occupait.

"RIKU!? sursauta aussitôt l'Elu, faisant un pas fébrile vers l'arrière, le bras levé devant son visage en signe de défense. Pourquoi tu es à l'envers?!"

"C'est toi qui est à l'envers pour moi, répondit le Maître de la Keyblade, comprenant alors qu'aucun des sentiers abritant les guerriers n'allaient se croiser. Je pense que nous n'avons d'autre choix que de monter individuellement jusqu'au sommet."

"Vous pensez qu'Hayate est déjà montée? s'enquit Sora en s'accroupissant vers le bord des marches de cristal afin de mieux voir son ami, en dessous de lui. Elle répond pas, tu la vois Riku?"

"Non…, répondit le Maître de la Keyblade, alarmé par le silence de la défenseuse. Iwako, elle est peut-être vers chez toi?"

"Je suis seule, affirma la magicienne. En revanche, je vois des plumes de l'autre côté des marches… Je pense qu'Haya est déjà montée. Si elle a fini avant nous et qu'elle était seule dans cet espace, elle a dû suivre le plan de se retrouver au sommet. Je… on doit se dépêcher."

Au son des intonations soucieuses de ces paroles, le Maître de la Keyblade et son meilleur ami ne se firent pas prier et commencèrent à monter leurs marches respectives en courant, s'éloignant l'un de l'autre à chaque bond, enjambant une multitude de marches à l'aide d'un seul pas de course effréné. Après une longue ascension, Riku distingua enfin le début d'une surface plane, cristalline et circulaire, à laquelle semblaient mener quatres escaliers en spirale. En effet, les deux escaliers entrelacés avaient commencé à se scinder, l'envers se séparant de l'endroit, et Riku aperçut finalement les contours lointains de ses deux alliés, qui montaient en direction de la même plateforme, Iwako légèrement plus lentement, semblant fatiguée par l'effort physique. Les quatre escaliers paraissaient tous déboucher à un endroit différent de la salle qu'ils tentaient d'atteindre, rejoigant dans une symétrie parfaite les points cardinaux sur les bords du disque de cristal flottant entouré d'arabesques scintillantes, composées de métal blanc, véritable prouesse d'orfèvrerie. Arrivé au paroxysme de la structure limpide, le Maître de la Keyblade se figea soudainement avant de franchir les dernières marches, la salle circulaire lui coupant brièvement le souffle alors qu'il reconnut Hayate, la peau horriblement craquelée, chacune de ses cicatrices béantes irradiant d'une lumière terrible. La jeune femme se tenait debout sous un gargantuesque cristal clair, lequel était suspendu à un plafond fait de vitraux agencés tel un lotus aux diverses nuances bleutées. Une lumière irréelle filtrait à travers le verre, plongeant tout le sommet de la tour dans une atmosphère tant froide et aveuglante, que belle et incisive.

"STOP! s'écria la défenseuse d'un ton autoritaire et intransigeant, faisant volte-face en direction de Sora et Riku. Si vous mettez le pied sur le dernier pallier, la Tour va considérer que vous êtes au sommet. Je l'ai appris à mes dépends…"

C'est alors qu'Iwako apparut à l'opposé de l'endroit où se tenait Riku, indubitablement essoufflée par la course à pied entreprise. La magicienne s'inquiéta immédiatement de l'état de sa meilleure amie.

"Haya! souffla-t-elle entre deux respirations haletantes, tentant de faire un pas vers la jeune femme. Qu'est-ce qui t'arrive? Qu'est-ce que tu as vu?!"

"IWA! rugit alors sauvagement la jeune femme aux cheveux crépusculaires, avant de calmer son ton. Ne fais pas un pas de plus!"

Hayate fit une pause, cherchant ses mots avant de poser un regard rempli de détresse sur sa meilleure amie en déclarant:

"C'est déjà trop tard pour moi…mais toi tu peux encore te sauver."

"Hayate, chuchota la magicienne, effrayée, mais tendant une main tremblante vers son amie. Je suis sûre que nous pouvons trouver une solution, reviens vers moi je t'en prie…"

"Tu dois avoir récupéré ce souvenir n'est-ce pas? demanda paradoxalement Hayate, en ne bougeant pas d'un pouce. Tu dois savoir ce qui va t'arriver si tu franchis la dernière marche… ce qui va m'arriver. Une vie pour une vie, souviens-toi…"

"Qu'est-ce qui se passe à la fin!? intervient Sora d'une voix angoissée et colérique, comprenant que les deux jeunes femmes abordaient un sujet que seules elles pouvaient comprendre, avant de s'adresser directement à la magicienne. On avait un plan pour arrêter la quête et sauver Haya non? On fait quoi maintenant?! Iwa, c'était ton idée de venir, fais quelque chose!"

"Ne lui parle pas comme ça! s'écria à son tour Riku à l'encontre de l'Élu, sentant jusque dans son ventre qu'un danger imminent les menaçait actuellement, sans qu'il ne puisse l'identifier. Ce n'est pas le moment de chercher des coupables et de s'accuser les uns les autres; on a tous décidé ensemble de venir ici."

"Il y aurait eu une solution, admit alors Hayate avec un petit rire dérisoire. Pour nous cependant… elle était si contre-intuitive… Nous aurions dû échouer à toutes les épreuves mais… nous avons tellement l'habitude de devoir gagner… gagner et gagner encore… et cet endroit… c'était l'objectif, la fin du parcours. Pour Iwako et moi. Nous l'avions simplement oublié."

"Maintenant ça suffit les énigmes, Hayate, intervint Riku, en serrant les poings, encore fatigué par son propre défi. Sois plus claire, qu'est-ce qui se passe, pourquoi ne devons-nous pas avancer pour venir t'aider? Qu'est-ce que tu sais que nous ignorons?"

"Je sais tout, Riku, affirma la jeune femme d'une voix royale et réverbérante, qui fit frissonner le jeune Maître de la Keyblade. Mais les souvenirs qui me parcourent tels un raz-de-marré sont sur le point de détruire cette enveloppe factice. Je ne peux en dire plus, au risque de lui faire également recouvrer la mémoire..."

Se tournant vers Iwako alors que de nouvelles fentes apparaissaient le long de ses pommettes parsemées de taches de rousseurs, la défenseuse posa son regard humide sur sa meilleure amie, figée de terreur.

"Iwako, va-t-en et laisse-moi. Nous ne sommes pas contraintes de partager notre triste sort; va et vis ta vie, ressens la joie de ta libre existence, auprès de ceux que tu aimes."

Après quelques secondes de sidération, la colère déforma tous les jolis traits de la magicienne alors qu'elle avançait son visage blanc en direction d'Hayate pour tempêter:

"POURQUOI TU FAIS TOUJOURS LES CHOSES SEULE?!"

"Parce que ton destin sera pire que le mien! hurla à son tour Hayate, un sanglot s'étranglant dans sa gorge. Je refuse de te voir disparaître, je refuse de te perdre! Même si je ne suis plus avec toi, je veux que tu VIVES!"

"HAYATE NON! finit alors par rugir Sora d'une voix au summum du désespoir, ignorant ostensiblement l'avertissement de la prénommée en franchissant le pallier de cristal d'un pas précipité en direction de l'élue de son cœur.

Riku, dont le sang semblait s'être glacé dans ses veines, s'avança à son tour et, à l'instar de l'Elu à sa gauche, il s'empara aussitôt de sa tête, parcourue d'une soudaine douleur cinglante qu'il n'avait encore jamais ressentie. Le Maître de la Keyblade se figea malgré lui et vit apparaître derrière ses paupières fermées une succession rapide d'images, accompagnés de sons discordants, se réverbérant en échos dans son crâne: l'intérieur sombre d'une armoire fermée à clé, le claquement d'une ceinture, une longue main verte aux ongles de rubis caressant affectueusement le haut de son crâne, le visage d'une jeune fille aux yeux bleu océan, ses cheveux noirs coupés au carré volant dans une brise maritime alors qu'elle tenait désespérément un coquillage thalassa contre son coeur meurtri, et finalement, la voix, lointaine, déformée, de sa mère, murmurant d'un timbre insondable:

"Il est né mort, je vous jure qu'il ne respirait pas…c'est tout bonnement un miracle…"

Soudain, un bruit de détonation sourd extirpa Riku de sa transe de souvenirs enfouis et il rouvrit les yeux dans un sursaut.

Ses iris se posèrent alors sur la source du coup de feu: émergeant des ombres de l'escalier jadis emprunté par Hayate, un homme au visage familier affichait un long sourire alors qu'un scintillement de satisfaction illuminait son regard gris acier. Entre ses doigts, le baril d'une arme à feu en métal noir fumait encore, enveloppant sa silhouette d'une brume de mort.

Oui, l'épreuve de Riku était très métaphysique, mais elle est bourrée d'informations symboliques.

Quant à la fin, qui a tiré selon vous? Et sur qui?

Réponse, dans le prochain épisode...