Auteur : Nat, pour vous servir… sur un plateau des textes que personne n'avait envie de lire. Si vous n'avez besoin de rien, je suis là pour vous !

Disclaimer : Les elfes ne m'appartiennent pas. Oui, je sais, c'est un scoop. Prévenez les médias.

Warnings : A priori, y'aurait rien de choquant dans ce texte, c'est juste un truc bizarre sans être drôle, pour une fois. Et je crois pas que ça soit triste non plus. Au pire, vous me direz ce que vous en pensez. Donc voilà : Attention, euh… truc bizarre en approche.

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Anya

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Le vacarme de la salle commune était particulièrement assourdissant, ce soir-là, entre les conversations animées des clients, les raclements bruyants des cuillères contre les assiettes de grès, le vrombissement sourd du feu dans l'âtre et l'incessant déluge qui se déchaînait au dehors, martelant de ses lourdes gouttes les pavés de la cour. Les bourdonnements que cela causait aux oreilles de la jeune fille d'auberge l'avait presque empêchée d'entendre ce que lui demandait l'Elfe en bleu. Fort heureusement, il avait parlé assez fort pour se faire à peu près comprendre. C'était bien un « il », Anya s'en était assurée en lui consentant un regard peut-être un peu trop appuyé, mais dont elle avait passé des années à perfectionner la discrétion. Combien de fois par le passé avait-elle servi de référents « messieurs » aux dames Nains qui logeaient à l'auberge ! Elle s'enorgueillissait désormais de ne plus faire la confusion et constata avec satisfaction qu'elle maîtrisait tout aussi bien l'exercice avec les gens aux oreilles pointues qu'avec ceux à barbes fournies.

C'était bien la première fois qu'elle en voyait entrer à l'auberge, des oreilles pointues. Elle en avait déjà aperçu, à la foire quand ils venaient échanger leurs marchandises, et une autre fois dans les bois lorsque ce fanfaron de Mikal l'avait emmenée observer de loin leur campement. Mais c'était alors l'été, réfléchit Anya en s'emparant des prochains plats à porter en salle, et le ciel bouché ne pleurait pas autant que ce soir-là. Les Elfes, avec toutes leurs bizarreries, ne devaient pas aimer plus que les autres peuples de dormir les pieds dans l'eau et il était somme toute logique qu'ils viennent chercher refuge sous un toit solide.

« Anya ! l'interpella le Père comme elle passait la porte de la cuisine. Montre donc la chambre aux messieurs. Medin, va préparer la grange pour les Elfes ! Adel, le ragoût !

-Pour les baladins, à gauche d'la fenêtre, précisa Anya en se déchargeant de ses assiettes dans les mains de la gamine de ferme. 'Gaffe, c'est chaud. »

Anya indiqua aux arrivants de la suivre et les messieurs lui emboîtèrent le pas dans l'escalier grinçant qui menait aux étages, remorquant leurs bouts d'Elfes frissonnants derrière eux. Un de leurs valets suivit le mouvement, chargé d'un lourd paquetage. Il abandonna celui-ci dans la chambre où ses maîtres furent installés et, sur un mot elfique du géant roux, descendit rejoindre ses compagnons. La pièce, sans être extensible pour autant, s'avérait suffisamment spacieuse pour les quatre visiteurs. Pour tous meubles : un large lit coincé dans un angle, un autre plus petit dans l'angle opposé, une commode à la peinture défraîchie dotée de son nécessaire à toilette et un grand baquet de bois. Un foyer relié au conduit de cheminée de la salle commune et un vieux rideau tendu devant la fenêtre parachevaient l'ameublement, que le rouquin décréta lui convenir. L'autre Elfe ne perdit pas de temps pour délester ses enfants de leurs capes alourdies de pluie et de leurs bottes détrempées. Avisant le baquet, Anya s'hasarda à lui demander s'il désirait de l'eau chaude afin de baigner les deux petits. Réponse positive obtenue, elle s'esquiva pour sommer le garçon d'écurie de l'aider à monter l'eau jusqu'au troisième étage. Lorsqu'elle revint, le gigantesque Elfe avait disparu et la Mère apportait les draps pour les lits.

Anya profita de ce que l'eau chauffait lentement dans l'âtre pour installer les couchettes, observant à la dérobée les autres occupants de la chambre. Les petits Elfes babillaient un charabia incompréhensible entrecoupé d'éternuements tandis que leur père tâchait de les dépêtrer des vêtements mouillés qui leur collaient à la peau. Sans attendre, Anya roula le grand baquet au centre de la pièce. Elle allait pour vérifier la température de l'eau lorsque l'un des gamins lui tira la manche. Il avait fière allure, le petit bonhomme aux oreilles bizarrement taillées, à demi débraillé, le nez coulant et ses cheveux bruns gouttant sur ses épaules déjà bien mouillées ! Pas grand-chose de noble ou de féerique là-dedans, quoi que purent en prétendre les vieilles histoires de bonnes femmes échangées au coin du feu.

« Ias na i pigen sâd ? demanda le petiot d'une voix fluette. Boen…

-Quoi ?

-Boen baur. »

Anya ne saisissait pas un traître mot de ce que lui débitait le petit Elfe et l'homme en bleu était trop occupé à batailler avec le lacet de chemise de l'autre enfant pour lui prêter main forte, mais la façon dont le garçonnet se tortillait lui fit office de langage universel. Elle le saisit par le poignet et, sans autre forme de procès, le traîna vers les commodités. Une fois le gosse soulagé, elle l'aida à retirer ce qui lui restait de vêtements et à entrer dans le baquet où son jumeau barbotait déjà. Parce qu'ils étaient jumeaux, ces deux-là, ce n'était pas possible autrement. Ils se ressemblaient trop. Elle n'avait jamais vu de jumeaux auparavant, mais maintenant qu'elle en avait sous les yeux le doute n'était plus permis.

L'homme en bleu dégaina une savonnette fleurant bon le printemps et entreprit de récurer énergiquement les deux crevettes qui lui tenaient lieu de fils. L'un des petits piailla des choses inintelligibles : jouant avec l'eau, il s'était envoyé du savon dans les yeux. Anya se précipita pour lui essuyer le visage du coin de son tablier.

« Hannad, » lui sourit l'Elfe adulte. Il se reprit aussitôt : « Je veux dire, je vous remercie. Pourriez-vous leur rincer les cheveux pendant que je leur cherche des vêtements propres et de quoi les sécher ? Je serai votre obligé. »

Il avait une jolie voix, toute chantante et dorée, et Anya l'aurait bien écouté parler plus longtemps. Mais il se détourna pour fouiller dans le paquetage à la recherche de draps pour sécher les gamins et de culottes, tuniques et autres chausses pour les vêtir. La jeune fille s'exécuta donc. Elle récupéra dans l'âtre brûlant ce qui restait d'eau chauffée et la mélangea à celle, froide, du pichet de toilette sur la commode puis elle versa doucement l'eau tiède sur les petites têtes brunes. Les garçonnets rirent, joyeux, et firent mine de l'éclabousser pour lui tirer un sourire.

« Haew teilion di im cair nedhnên, lui expliqua l'un des jumeaux, dan cairim send nedhadab.

-Ah, fit Anya, parce qu'elle ne voyait vraiment pas quoi dire d'autre.

-Egland e cair, précisa l'autre enfant en désignant son frère. Elros eglâd ui pân.

-Law ! »

La découverte de draps de bain par leur père et le retour simultané de l'Elfe roux dispensèrent la jeune fille de fournir une réponse qui n'aurait pu être qu'hasardeuse, au mieux. Le Père, tout encombré d'une lourde paillasse, suivait le géant rouquin qui lui tint la porte ouverte. Les enfants à peine sortis du baquet, Anya s'arc-bouta et poussa celui-ci contre le mur, près de la cheminée : le Père pourrait alors placer la paillasse à sa place au milieu de la pièce. Il commençait à fatiguer, le Père, songea-t-elle en considérant ses bras tremblants qui retenait à grand-peine l'épaisse paillasse de s'écraser pesamment au sol. Il aurait mieux fait de demander l'aide du garçon d'écurie, songea-t-elle alors que l'aubergiste s'en retournait dans la salle commune, mais il était encore trop fier pour ça.

Avant de prendre le même chemin, Anya proposa à l'homme en bleu de lui faire monter de l'eau propre afin que son compagnon et lui puissent se décrasser à leur tour. Elle s'enquit également de ce que les quatre voyageurs désiraient manger. Les adultes échangèrent un regard.

« Votre ragoût avait l'air appétissant, avança le brun de sa voix chantante.

-Lapin, patates et carottes du potager. Avec du persil et d'la ciboulette, s'y vous plaît. Le pain vient d'la ferme voisine, la croûte est un peu dure mais y fait d'bons tranchoirs. Y reste aussi d'la soupe, et du canard en broche, ajouta Anya. Et la Mère peut farcir des courgettes si z'en voulez.

-Une soupe et des tranchoirs de ragoût, alors, » conclut le rouquin, et le timbre râpeux de sa voix, s'il s'accordait parfaitement à son visage couturé de cicatrices, manqua d'écorcher les oreilles d'Anya. « Auriez-vous des fruits pour le dessert de mes neveux ?

-Y doit rester d'la tarte aux mûres. On a aussi des nèfles, s'y aiment ça.

-Parfait. »

Jugeant la conversation terminée, le rouquin alla s'asseoir sur le grand lit et s'attacha à délacer de sa main unique son surcot brodé. Un des gamins, toujours emmitouflé dans son drap de bain, se précipita pour l'aider. L'homme à la voix douce la raccompagnait à la porte lorsque Anya eut une soudaine illumination.

« J'peux monter prendre vos vêtements mouillés quand vous descendrez manger, lui dit-elle. J'les mettrai dans l'séchoir. Y'a encore un peu d'place. Ça sera mieux que d'les garder ici, avec l'humidité et tout. »

Le visage gracieux de l'Elfe s'épanouit en un sourire reconnaissant. Il opina son accord puis, d'un geste, il lui signifia d'attendre et s'en alla fouiller dans son sac de voyage. Il revint bientôt vers elle, tenant à la main un joli foulard de soie véritable.

« C'est très aimable à vous, lui chanta sa belle voix. Je vous prie d'accepter ce modeste présent en gage de notre gratitude. »

Il lui tendit le foulard et Anya s'en saisit, ne sachant que dire ni que faire. Finalement, elle résolut de cirer également leurs bottes, si d'aventure elle parvenait à y avoir accès.

« Au revoir, souffla-t-elle par réflexe en passant la porte. »

Le beau foulard était d'une douceur incomparable entre ses doigts et faisait son ravissement. Elle le portera sans faute à la prochaine fête des moissons, lorsqu'elle ira danser avec Mikal.

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Pour d'obscures raisons d'identification au narrateur, j'ai choisi de ne pas proposer la traduction des phrases en elfique (et c'est peut-être pas plus mal. Vu mon niveau en langue et malgré mes efforts pour respecter la grammaire sindarine, à mon avis ça doit donner un truc du genre « Je parler bien très les elfes. »). Mais vous inquiétez pas, vous perdez rien d'essentiel.

Donc voilà, l'histoire se poursuivra de cette manière, en changeant de narrateur et de point de vue sur des scènes complètement anodines à chaque chapitre. J'espère que ce chapitre aussi vous aura plu, et merci beaucoup de l'avoir lu ! Je vous souhaite un bon week-end !