Stiles attendait, les bras croisés sur son torse. Il avait enfilé une veste pour couvrir la nuée de frissons qui dressaient les poils de ses bras. Impossible pour lui de savoir s'il avait froid, ou si la vue de Théo dans sa chambre – et plus généralement sa maison – lui donnait la gerbe. De mémoire, il n'avait jamais réellement apprécié la chimère. Lorsqu'ils étaient à l'école primaire, Scott et lui traînaient avec Théo de temps en temps. Pour autant, Stiles avait toujours ressenti une sorte de gêne, comme si Raeken avait quelque chose de dérangeant. Une aura particulière.

Son regard dur ne quittait pas Théo, surveillant le moindre de ses faits et gestes. Il ne lui avait jamais fait confiance, cela n'allait pas commencer maintenant. Qui lui disait qu'il n'allait pas l'étriper ? Il l'avait bien frappé. Pour le faire taire, certes, mais le geste était là, ancré dans sa mémoire. Même Derek n'avait jamais levé la main sur lui de cette façon et pourtant, Dieu sait à quel point il avait pu se montrer violent par le passé. Oui, il lui avait éclaté le nez contre le volant de sa voiture, mais sa main n'avait pas tapé directement son visage. Elle l'y avait amené, c'était très différent. Et puis Derek avait une conscience accompagnée d'une morale, contrairement à Théo qui se fichait éperdument des conséquences que ses actes pouvaient avoir sur les autres. Derek. Bordel, à ce moment précis, il pensait à Derek. L'image de l'ancien alpha avait toujours participé à calmer ses angoisses et au fond, il savait très bien pourquoi. Plus qu'un crush, Derek le rassurait par sa simple présence dans sa caboche torturée. Il avait cette aura de calme qu'il avait toujours enviée. Et même si songer à lui faisait du bien à l'hyperactif, cela n'effaçait tout de même pas l'angoisse qu'il ne pouvait s'empêcher de ressentir avec une certaine force. Parce que le danger était là, face à lui, plus perfide que Scott avait jamais voulu le croire.

- Tu préfères la version qui fait pleurer dans les chaumières, ou… Commença Théo d'un ton railleur.

- Va droit au but, le coupa Stiles.

Il jouait avec le feu sans le vouloir. Il était comme ça et ne savait que rarement se taire lorsqu'il le fallait. Quoi qu'on lui dise, il ne changerait pas. Il était bien trop tard pour ça. Néanmoins, la terreur l'aidait parfois à se calmer, à faire preuve d'un tant soit peu de mesure. En présence de Théo, se contrôler était bien difficile tant la rancœur que l'hyperactif entretenait le concernant était forte.

- Très bien, lâcha la chimère.

Stiles n'aimait pas la position dans laquelle il se trouvait. Il avait laissé Théo s'assoir sur son lit tandis que lui avait choisi d'occuper la chaise de son bureau. Enfin, choisi. Disons que l'être surnaturel avait d'office pris place là où il le voulait et Stiles avait ressenti le besoin de ne pas chercher à l'en empêcher. Incapable de savoir s'il tiendrait en place en étant debout, l'hyperactif s'était installé sur cette chaise maudite qui grinçait à chacun de ses mouvements. Il ne s'empêchait pas pour autant de gesticuler, parfaitement conscient que Théo sentirait tout de même son stress, qu'il le cache ou non. De toute manière, bouger était dans sa nature.

- J'ai été missionné pour collecter des informations sur la meute de Beacon Hills, lâcha tout naturellement Théo sans crier gare.

- Pour la détruire, j'imagine ? Fit Stiles d'un ton glacial. Et bien évidemment, tu t'es dit que t'introduire chez moi était une bonne idée, qu'utiliser un humain faible et incapable de se défendre ne te pose aucun problème. Tu comptes me torturer avec quoi, tes griffes ? Quoi que tu fasses, je ne te dirai rien.

Si les mots étaient forts et que Stiles semblait ne pas être touché par l'idée, son odeur parlait pour lui. Seulement, l'humain n'avait pas encore pris la pleine conscience de ses propres paroles. Pour autant, il était d'une indéfectible loyauté à son stupide meilleur ami, à cette meute qu'il considérait comme sa seconde famille. Il avait déjà tant fait pour lui, pour les autres. Ce n'était pas aujourd'hui qu'il allait cesser de les aimer, de les aider.

- Tu ne vas pas avoir le choix, Stiles, rétorqua Théo en haussant un sourcil.

- Et qu'est-ce que tu vas faire ? Je pense que tu sais déjà que je ne t'aiderai pas de mon plein gré. Une idée, peut-être ?

Sans montrer la moindre émotion, Théo se fit la réflexion que Stiles n'avait absolument pas changé. Toujours aussi aimant. Toujours aussi suicidaire, aussi. Et toujours aussi peu coopératif, à raison. Oui, la chimère comprenait sa méfiance et savait qu'à sa place, sans doute serait-il aussi acerbe que lui, si ce n'est plus. Théo retint un soupir de soulagement. La stabilité de l'instabilité habituelle de Stiles le rassura. Avec lui, il pouvait y arriver, c'était certain. Malheureusement, il allait devoir mentir, bluffer, simplement pour s'assurer l'obéissance de l'hyperactif. Les choses avec lui n'avaient jamais été simples et cela ne changerait pas.

- Ton père, lâcha-t-il simplement, d'un ton aussi glacial que l'était celui de Stiles.

Une lueur de colère aussi forte que fugace traversa le regard de l'hyperactif qui se tendit instantanément et tenta de garder son calme. Pour préserver son effet, Théo l'empêcha de répliquer en monopolisant la parole :

- Je sais très bien que tu ne lâcheras pas une seule information, si je m'en prends à toi. Je pourrais te faire ce que je veux, là tout de suite. Tu ne pourrais pas te défendre ni hurler, parce que je sais comment te faire taire. Mais tu leur es loyal, et je sais que tu es assez dingue pour donner ta vie pour eux. Tu serais capable de te laisser battre à mort simplement pour les protéger.

Cette idée était loin d'être une exagération. Il connaissait Stiles et son courage l'avait toujours étonné. Enfin, cela allait bien plus loin. L'hyperactif était complètement dingue. Un humain qui protégeait des loups, curieux tableau. Il les aidait sans arrêt, se démenait pour les exposer aux dangers les moins mortels possibles au travers de ses plans de génie, s'occupait de chacun d'eux, veillait à leur bien-être respectif. Une vraie maman. Qu'avait-il en retour ? Pas grand-chose, si ce n'est un peu de reconnaissance de temps à autres. Et pourtant, il continuait, s'évertuait à redoubler d'efforts et d'abnégation, pour ces amitiés qu'il considérait comme sacrées.

Oui, mais il avait encore une famille, de sang cette fois-ci.

Et son père en était le dernier membre.

Dans le but d'être le plus convaincant possible pour ne pas avoir à nouveau recours à la force, Théo ne cessa de l'hyperactif, dont le visage commença à se décomposer alors qu'il intégrait doucement l'horreur du sous-entendu de ses paroles. Sous-entendu qu'il se décida à expliciter après quelques secondes d'un silence glaçant :

- Mais qu'en est-il de ton père ? Tu sais, je n'aimerais pas avoir à lui faire du mal.

Il n'aimait pas le ton menaçant qu'il se donnait. Passer pour le méchant ne lui plaisait pas non plus énormément, mais c'était le mieux à faire. Et il devait continuer.

- Tu n'oserais pas…

- Je ne le tuerai pas tout de suite, précisa le blond. Je connais bien des manières de lui pourrir la vie, avant de le blesser.

- Espèce d'enfoiré… Siffla l'hyperactif.

Stiles serra les dents tout autant que les poings mais sa réaction physique était minime par rapport à son odeur qui, elle, montrait une explosion d'émotions telle que Théo dut redoubler d'efforts pour ne pas réagir face à cela. A la colère se mêlait la souffrance, à la tristesse se mélangeait la terreur. La chimère ressentit avec netteté la déchirure qui commençait à s'opérer en lui. Intérieurement, il félicitait l'hyperactif pour son self-control impressionnant quant à la situation.

Théo avait appris beaucoup de choses, en cavale, et s'était notamment renseigné sur la vie de Stiles, autant naturelle que surnaturelle. Il était d'ailleurs au fait de la possession de l'hyperactif par le Nogitsune. Le monstre l'avait eu à force de torture mentale en utilisant notamment la maladie de sa mère pour l'affaiblir. S'il voulait obtenir la coopération de Stiles… Il allait devoir y aller fort. A répétition. Le harceler. Parce que cet humain n'était pas comme les autres.

Il était diablement fort.

Pour être honnête, Théo ne voulait pas lui faire le moindre mal et il s'en voulait déjà pour le coup qu'il lui avait porté. Mais il n'avait pas le choix. Il avait peu de temps et pas une si grande marge de manœuvre que cela. Lui parler était une option qu'il avait envisagée avant son arrivée, avant qu'elle ne soit reléguée aux oubliettes. Mettre Stiles en danger n'était pas quelque chose qui l'intéressait, bien au contraire.

- J'irai doucement, par étapes. Tu le verras perdre le goût à la vie, tu le verras se séparer lentement de toi. Se renfermer sur lui-même. Pour la suite, à voir ce que tu préfères : le voir décliner petit à petit, sans que les médecins ne puissent détecter ce qui va le ronger ? Ou bien voir son sang couler ?

- Tu ne peux pas…

- Bien sûr que si, et tu le sais.

Théo entendait le cœur de Stiles tambouriner, affolé, dans sa poitrine. L'hyperactif gardait un air qui se voulait digne, mais qui perdait peu à peu de sa crédibilité tant la pâleur de son visage était marquée. Cette fois, Stiles ne parlait plus et c'était révélateur de la corde sensible, si sensible que Théo avait touchée.

- En d'autres termes, tu as le choix entre un empoisonnement au thallium ou bien à mes griffes. Les deux options sont douloureuses, chacune à leur manière.

Théo se leva alors et fit quelques pas d'un air nonchalant en sa direction. Stiles se recula dans sa chaise mais la chimère l'attrapa brusquement par le col, dégagea la chaise d'un coup de pied et plaqua l'hyperactif contre le mur. D'un geste rapide, il lui immobilisa les poignets et pressa son corps contre le sien. Pas parce qu'il en avait envie, juste pour se rendre d'autant plus détestable à ses yeux. Sa crédibilité était primordiale. Les battements erratiques du cœur de Stiles le perturbèrent tout autant que la puissance de son odeur emplie de chaos, mais il tint bon et se rapprocha de son visage. Stiles avait les yeux écarquillés de terreur et de colère et Théo sentit son souffle tremblant heurter sa peau un peu hâlée. Celle de Stiles était pâle comme la mort.

- Tu veux assister à sa déchéance ?

L'hyperactif ne se débattit pas, mais il ne répondit pas non plus. Théo fit de son mieux pour garder un timbre de voix naturel et froid. Il ne devait pas flancher, pas maintenant. Jamais. Torturer Stiles de la sorte ne lui plaisait pas le moins du monde et il aimerait mille fois pouvoir faire ce qu'il avait à faire sans avoir à lui débiter tous ces mensonges. Mais c'était un mal pour un bien. Moins il en saurait, plus il serait en sécurité. Plus il prendrait Théo pour la pire des ordures, moins il n'irait se mettre en danger. Avec une lenteur calculer dans le but d'user ses nerfs et de le faire craquer, la chimère alla faire des choses qui le dégoûtaient lui-même, jouant avec sa proie aussi bien physiquement que psychologiquement. Le silence de Stiles, aussi surprenant qu'édifiant, l'aida à rendre sa comédie d'autant plus morbide. Parce qu'il y avait un élément qu'il n'avait pas prévu, mais qui allait dans son sens.

La libération de l'hyperactif de sa possession par le Nogitsune n'avait pas été sans conséquences. Et si la force de la volonté de Stiles restait impressionnante, elle était bien amoindrie, tout simplement parce que cet épisode avait largement affaibli le jeune homme au point de rendre les paroles de la chimère d'autant plus meurtrières et convaincantes.

Stiles finit par trembler entre ses bras et ses jambes, par flageoler. Théo resserra sa prise sur ses poignets pas si fins, mais qui lui semblaient si fragiles, si faciles à briser… L'humanité de l'hyperactif était terrifiante de faiblesse. Sans se décoller outre mesure ni cesser ses manipulations aussi horribles que légères, la chimère vint lui chuchoter ceci à l'oreille :

- Ta coopération, contre la vie de ton père.

Théo se détesta.