Stiles était livide. Blanc comme un linge. Pâle comme un mort. Aucun mot ne pouvait décrire avec exactitude la blancheur de sa peau tant celle-ci l'était. Les mains tremblantes, il attrapa péniblement quelques feuilles de papier toilettes et s'essuya la bouche.
- Fils, tout va bien ? Entendit-il.
Stiles se remercia intérieurement d'avoir pensé à fermer la porte des toilettes à clé. Il avait au moins droit à cela… Un semblant d'intimité. Un rideau derrière lequel il pouvait encore se cacher, dissimuler ses mensonges les plus flagrants. Car si sa voix pouvait tromper, ce n'était pas le cas de son visage. Et il avait deux jours pour acquérir les compétences nécessaires pour faire illusion devant ses amis. Autant dire que c'était mission impossible. Dans sa chambre, il avait essayé, vraiment. S'était entraîné, avait répété des phrases toutes faites, des sortes d'excuses à servir à ses amis si ceux-ci avaient des doutes. Mais rien ne marchait. Il tremblait, pleurait et… Chaque fois, les images de ce que lui avait fait subir Théo revenaient en force et martelaient sa psyché brisée.
Alors au bout d'un moment, il en avait eu les tripes si remuées qu'il s'était précipité aux toilettes pour les vomir. Sortir cette saleté incrustée en lui jusqu'à la moelle.
- Ouais je… J'ai mal digéré un truc.
Oui, sa voix faisait illusion, mais c'était tout. Les tremolos qui la parasitaient étaient justifiés par son acte involontaire. Sa faiblesse ? Idem. Ce qui était paradoxal, c'est que son état sauvait les apparences.
- Si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis en bas, fit Noah d'un ton inquiet. J'ai des médicaments contre…
- T'inquiète, le coupa Stiles, c'est bon…
Il y eut un silence derrière la porte, puis des bruits de pas. Et Stiles se sentit seul, horriblement seul. Parce qu'il l'était. S'il y avait bien quelque chose qu'on ne pouvait reprocher à Noah, c'était bien la confiance qu'il accordait à son fils : elle était totale. Stiles lui avait prouvé à de si nombreuses reprises qu'il pouvait se fier à lui que le shérif ne doutait plus de sa fiabilité depuis des lustres. Il savait son fils aussi responsable que suicidaire et aussi futé que maladroit. Mais voilà, il l'aimait. Et Stiles aimait aussi son père.
Alors, il abusait de sa confiance. Sciemment. Parce qu'il ne pouvait pas faire autrement. Noah était le seul parent qu'il lui restait alors… Il était hors de question de le mettre en danger de quelque manière que ce soit. Il était sa raison… L'unique raison pour laquelle Théo avait autant de pouvoir sur lui. Parce que Stiles pourrait n'en avoir rien à faire et l'empêcher d'avoir la moindre influence… Au détriment de son père, ce qui était impensable. L'exposer même à de simples révélations n'était pas une chose envisageable. Noah avait une vie difficile et bien remplie malgré tout. Son addiction ? Il s'en était sorti il y a peu, au final. Alors ce n'était pas le moment de tout gâcher. Si Stiles devait garder sa situation secrète pour pouvoir le protéger, alors… Il le ferait.
L'hyperactif sortit du cabinet une dizaine de minutes plus tard après avoir régurgité jusqu'à n'avoir plus rien d'autre que de la bile à donner. Au moins, il ne risquait plus de tâcher la moquette de sa chambre. La mort dans l'âme, il partit s'allonger dans son lit tout en sachant que Théo viendrait le rejoindre d'ici peu de temps, histoire de lui rappeler qui dirigeait les opérations. Stiles ne le voulait bien évidemment pas et l'idée même de simplement le revoir le terrifiait, néanmoins… La chimère ne le laisserait pas tranquille. L'hyperactif avait droit à deux jours, oui. Mais il ne les passerait pas seul.
xxx
Stiles passa les portes du lycée avec une appréhension certaine qu'il dissimula au mieux… Comme tout le reste. Son excuse pour avoir manqué deux jours de cours ? Maladie. Cette seule explication avait suffi à son père et ses amis. Personne n'avait insisté pour en savoir plus, personne n'avait cherché à creuser plus loin. Et même là, lorsqu'il salua sa bande avec un sourire des plus factices, on ne lui posa aucune question. Son odeur ? Sans doute n'alerta-t-elle aucun des loups puisqu'aucun n'émit la moindre interrogation à ce sujet. Était-ce parce qu'il avait l'impression d'être mort ? De moins ressentir les choses ? Ou juste parce qu'on n'y faisait pas attention ? Stiles ne chercha pas à savoir. Seul le résultat comptait.
Stiles ne sut ce qui prédomina en lui par la suite. La déception ? La colère ? Il allait mal, mais on ne remarquait rien. On n'essayait pas de creuser, d'aller au-delà des apparences et c'était d'une stupidité affolante. L'hyperactif ne pouvait pas parler de sa situation, mais on pouvait la deviner. Et pourtant, personne ne chercha à le faire. Ses propres paroles pouvaient lui porter préjudices : pas les réflexions que pouvait se faire autrui. Alors, il se sentit d'autant plus mal, au point qu'il oublia un instant ce pourquoi il faisait semblant, l'origine de sa comédie. De fait, il la jugea loin d'être parfaite, tout juste acceptable.
Mais l'on ne vit rien.
Au départ, Stiles crut qu'il s'agissait d'une erreur et qu'on attendait simplement de se retrouver seul avec lui, pour peut-être espérer lui tirer les vers du nez. Parce que l'hyperactif se savait particulier et il était de notoriété publique qu'il ne se livrait pas facilement, jugeant ses problèmes trop stupides pour être énoncés à voix haute. Mais pas cette fois. Cette fois, il espéra qu'on le harcèle de questions, qu'on essaie de savoir ce qu'il cachait. Parce que là… Il pourrait parler. Tout déballer. Sans aide, il n'en serait pas capable et risquerait de mettre son père dans un bourbier innommable. Cependant, si la meute savait… Ça pourrait peut-être aller et la situation se retrouverait vite réglée. On protègerait secrètement Noah, on aiderait Stiles à se remettre de tout ça… Et pour une fois, il serait celui qui devait être épaulé. D'ordinaire, c'était toujours l'inverse, parce qu'il allait bien. Chaque fois que l'on avait besoin de lui, il se donnait à fond.
Là, il était brisé.
Ce fut à peine si on remarqua sa présence. On lui demanda vaguement s'il allait mieux par rapport à sa maladie, on n'écouta pas vraiment sa réponse, sans doute car elle ne revêtait pas la moindre importance. Par contre, on lui parla de l'organisation d'une potentielle réunion de meute cette semaine. Scott, de son côté, lui demanda assez rapidement de faire des recherches sur un phénomène surnaturel qui le perturbait. Stiles ne pipa mot, mais hocha la tête alors que quelque chose en lui se brisait au sens littéral du terme. Et il resta interdit quelques secondes au milieu du couloir, abasourdi par cette indifférence à son égard. D'ailleurs, au départ, il ne voulut y croire, tant et si bien qu'il se mit rapidement à penser qu'il s'agissait d'une blague – une très mauvaise blague – destinée à l'énerver un peu. Après tout, il était toujours là à faire le pitre, à en provoquer plus d'un pour s'amuser… Mais c'était toujours gentil – et difficilement contrôlable. Il n'y avait jamais rien de méchant, parce qu'il les aimait tous et ne désirait pas les blesser.
Oui mais cela dura. S'étendit sur quelques minutes. Des heures.
A la fin de la journée, on ne lui avait pas une fois demandé ce qui lui arrivait. Stiles en vint finalement à penser qu'il réussissait à faire illusion mais tomba des nues lorsqu'il croisa son reflet dans le miroir des toilettes du lycée.
Il faisait peur. Atrocement blanc. Des cernes sous les yeux. Un regard perdu. Des mains tremblotantes. Et même s'il n'avait pas un odorat de loup, Stiles se doutait qu'elle devait contenir bon nombre de ses émotions. Elle devait suinter la peur, la colère, la déception, la douleur.
Alors comment ne pouvait-on pas voir que ça n'allait pas ?
xxx
- Il ne te considèrent pas à ta juste valeur. Ils ne l'ont jamais fait, fit Théo d'un air narquois. Tu es un humain, Stiles. Juste un humain.
D'ordinaire, l'hyperactif ne prendrait pas en compte ce genre de remarques, tout simplement parce qu'il les trouverait stupides et empreintes d'une sorte de jalousie. Parce qu'il était dans une meute et qu'il s'agissait d'une chose que Théo avait toujours voulue. Alors, la chimère s'amuserait à essayer de le faire souffrir à ce sujet, trouvant injuste qu'un humain puisse avoir sa place dans une meute et se retrouver épaulé en cas de besoin. Cependant, la situation était doucement en train de lui prouver qu'il avait tort.
Alors, Stiles considéra ces mots et y réfléchit sérieusement car pour une fois, il entrevoyait un fond de vérité. Quelque chose de moche qu'il n'aurait pourtant pas soupçonné. Sans doute la fatigue – à la fois mentale et physique – n'arrangea-t-elle pas ses réflexions. Oui, Théo savait tout de sa journée. Oui, il avait assisté à sa désillusion. Parce qu'il l'avait surveillé. Stiles n'avait aucune échappatoire.
- Ils te tolèrent dans leurs rangs parce que tu leur sers, mais comment ça va se passer le jour où ils trouveront quelqu'un pour te remplacer ? Ils t'écarteront. Après tout, tu n'es là que pour faire des recherches. N'importe qui d'autre pourrait le faire à ta place.
D'autant plus qu'il s'agissait de taches ingrates qu'il était effectivement le seul à se coltiner. Le seul. Et il était l'unique humain de la meute. Celui qu'on n'envoyait jamais sur le terrain, qu'on reléguait aux travaux « administratifs » qui servaient à tous. Il se cassait sans arrêt la tête pour les arranger, les préparer au mieux et lui… Souvent, on l'invisibilisait.
Alors oui, il avait mal. Profondément mal. Mais il ne pleura pas, sans doute parce qu'il avait versé trop de larmes les jours précédents. Par contre, il eut froid et se permit d'enfiler une veste en essayant vainement d'oublier la présence de Théo.
Cette chimère qui ne lui laissait pas une seconde de répit. Qui lui avait fait vivre des horreurs. Qui n'avait pas fini.
Qui le torturerait jusqu'à obtenir ce qu'il voulait.
Stiles n'était pas dupe. Ni idiot. Il savait que Théo cherchait à le provoquer, pour ancrer son emprise sur son être. Mais il n'en avait pas tant besoin que cela : l'hyperactif lui était déjà soumis, parce qu'il avait la vie de son père entre ses griffes… Et que ses amis, ses meilleurs amis ne semblaient pas faire cas de son malheur. Dire qu'il n'était pas en colère à ce sujet serait mentir mais son état mental actuel l'empêchait de réellement exploser… Peut-être parce que la déception qu'il ressentait était si grande qu'elle arrivait à étouffer tout le reste.
- Eh ben alors Stilinski, tu ne dis rien ?
Encore de la provocation et le pire, c'est que Théo ne faisait même pas dans la discrétion. Stiles remonta la fermeture éclair de sa veste à son maximum et tourna lentement la tête vers lui.
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Soupira-t-il d'un air las.
Parce qu'il l'était. Il était fatigué, épuisé. Dans sa tête régnait un chaos sans nom. Ses émotions se battaient les unes contre les autres avec une violence inouïe et c'était si fort… Qu'il était incapable d'avoir la force nécessaire pour faire quoi que ce soit. Réfléchir était suffisamment difficile comme cela, d'autant plus que des questions… Il en avait. Néanmoins, il arrivait à rester à peu près lucide ou en tout cas, suffisamment pour y voir clair dans le plan de la chimère. Son problème, c'est qu'il se retrouvait simplement incapable de s'en soustraire.
- Tu n'essaies même pas de les défendre, releva Théo. Toi que je croyais d'une loyauté sans égale…
Pour être loyal, Stiles l'était. Le problème n'était pas là. Cependant, jusqu'à présent, il n'avait jamais réellement pensé que son humanité puisse entrer en ligne de compte et à dire vrai… La plupart des remarques de Théo se tenaient. Malheureusement. Même si le but de celui-ci était de l'énerver suffisamment pour le pousser à les trahir plus facilement, ses mots agissaient. Dans un autre sens.
- Tu n'arriveras pas à me les faire haïr, articula-t-il en baissant les yeux.
Son cœur n'eut à souffrir d'aucun raté et pourtant, il était lourd. Lourd de tout ce qu'il avait compris et qu'il peinait encore à avaler.
La main que Théo posa sur son épaule le fit frémir tant elle lui parut glacée. La chimère se pencha avec une lenteur délibérée jusqu'à lui susurrer à l'oreille :
- Eux, ils te haïront.
Stiles ferma fortement les yeux tant la proximité que le jeune homme avait avec lui le dérangeait. Et puis il y avait cette affirmation aussi… Plus que réelle.
Car oui, viendrait un jour où sa trahison se saurait.
Et plus rien ne serait jamais pareil.
