Lorsqu'Isaac pénétra à l'intérieur du loft, il arborait un air préoccupé. Un air que Derek ne lui voyait pas souvent et qui lui fit aussitôt froncer les sourcils. Sans un mot, l'ancien alpha assis sur le canapé tapota la place à côté de lui. Pas beaucoup plus âgé que la bande de joyeux lurons qu'il avait longtemps chaperonnée, il considérait chacun de ses membres comme des personnes importantes à ses yeux, ce qui faisait que leur bien-être comptait pour lui.

Mais Isaac s'était naturellement fait une place toute particulière dans son cœur. Celle du petit frère qu'il n'avait jamais eu. Et Derek, qu'importe l'air qu'il se donnait, prenait soin de lui avec une tendresse qu'on ne lui connaissait pas vraiment. Celle qu'il réservait autrefois à sa famille et qu'il avait encore pour Cora. Avec Peter, il avait plus de mal : l'ancien alpha avait effectivement toujours eu quelques difficultés de ce genre avec son oncle, il ne savait jamais sur quel pied danser avec lui.

- Ta journée s'est mal passée ? Demanda directement Derek.

Il n'aimait pas les légers plis soucieux qui barraient la peau claire du bouclé. Bouclé qui, il le savait pertinemment, n'avais pas eu une vie facile. C'était d'ailleurs sa situation – désastreuse – qui l'avait poussé à le transformer, lorsqu'il était encore un alpha. A cette époque, il avait besoin d'une meute, certes. Mais il n'avait pu passer à côté de ce jeune homme à l'avenir incertain. Cet adolescent qui avait déjà trop souffert et qui, chaque jour, avait manqué de mourir sous les effusions de violence de son père. Derek n'avait pas pu se résoudre à fermer les yeux et passer son chemin sans rien faire.

Depuis, Isaac habitait au loft, et pas seulement parce que sa maison lui rappelait trop de mauvais souvenirs. Derek avait besoin de l'avoir près de lui car le garçon avait parfois de violentes réminiscences de son passé. Le laisser seul dans ce genre de moments, c'était lui assurer des heures de crises émotionnelles sans précédent. Quoi qu'on dise, Derek avait à cœur de protéger ceux qu'il aimait et Isaac faisait partie intégrante de ce cercle des plus restreints.

Isaac secoua la tête.

- Non, j'ai juste… Trouvé Stiles bizarre, finit-il par répondre.

- Stiles a toujours été étrange, objecta Derek.

Et même si entendre Isaac parler de l'hyperactif le surprenait un peu – Isaac traînait plutôt avec Lydia et Liam, qu'il appréciait davantage –, Derek ne le montra pas. Il eut d'ailleurs du mal à imaginer ce que le bouclé pourrait trouver d'incongru chez ce personnage des plus particuliers, lui qui enchaînait toujours les bizarreries. Le pire aux yeux de Derek, c'était surtout cette énergie qui lui semblait infinie. Quoique sa tendance inarrêtable à fouiner partout concurrençait aisément tout le reste… Rendant l'hyperactif d'autant plus irritable à ses yeux. Stiles n'était pas méchant, mais il avait ce petit côté agaçant qui rendait parfois sa présence un peu lourde et, pour Derek, quelque peu difficile à supporter. L'ancien alpha était un loup-garou appréciant le calme et la tranquillité. Avec Stiles dans le coin, il était assuré de n'avoir droit ni à l'un, ni à l'autre. Autant dire qu'il appréciait son absence.

- Son odeur ne l'est jamais, répliqua Isaac en triturant nerveusement. Dis, tu penses… Que c'est possible de contrôler ses émotions au point qu'elles ne transparaissent pas dans une odeur ?

Derek haussa un sourcil. Il était clair qu'il ne s'attendait ni à une remarque, ni à une question de ce genre. En tous les cas, il savait parfaitement quoi lui répondre. Il baignait dans le monde surnaturel – et plus particulièrement celui des loups-garous – depuis sa naissance.

- Ce n'est pas possible, finit-il par lui répondre après avoir tout de même pris le temps de réfléchir. Tu peux contrôler un minimum tes émotions pour faire en sorte de les dissimuler ou d'en réduire l'impact dans une odeur. Mais dans la mesure où tu es doué d'émotions, tu ressens quelque chose et ton odeur s'en retrouve forcément impactée.

- Donc si je suis bien… Une odeur contient forcément un semblant d'émotions, réfléchit Isaac à haute voix.

Derek hocha la tête tout en fronçant graduellement les sourcils.

- Tu veux bien en venir au fait, Isaac ? Quémanda-t-il.

Pas que le loup-garou ressente un attachement particulier envers l'hyperactif, mais si Isaac semblait aussi préoccupé à son sujet et qu'il lui posait toutes ces questions, c'est qu'il avait remarqué quelque chose. Stiles, malgré ses petits côtés agaçants, restait un membre de la meute à part entière et son bien-être importait autant que celui des autres. Aux yeux de Derek, sa nature humaine ne faisait aucune différence.

Isaac soupira et ramena ses jambes vers lui avant de les entourer de ses bras en baissant les yeux.

- J'ai vraiment trouvé Stiles bizarre et… Je sais pas, son odeur n'était pas normale, finit-il par lâcher. Elle était trop… Vide. Il ne parlait pas beaucoup et même parfois… On aurait dit qu'il nous évitait.

Derek songea à un petit coup de mou. Il était vrai que la discrétion et le silence n'étaient pas une habitude chez Stiles Stilinki. Le seul point préoccupant qu'il voyait dans cette situation… C'était effectivement cette histoire d'odeur. Derek ne remit pas en cause les capacités olfactives du bouclé, en qui il avait pleinement confiance.

- Tu lui as demandé ce qu'il avait ?

- Non, je n'ai pas osé l'aborder, répondit Isaac, gêné. Mais peut-être que j'aurais dû…

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Isaac aurait en effet dû prendre son courage à deux mains pour demander à Stiles ce qui n'allait pas. L'hyperactif n'avait attendu que ça toute la journée, avant de voir ses espoirs de sauvetage brisés. Si personne ne s'était intéressé à lui dès son retour, eh bien… Les choses continueraient comme ça jusqu'à ce que… Jusqu'à ce qu'il satisfasse Théo et que celui-ci abandonne ce qui resterait de lui – autrement dit pas grand-chose. En quelques jours, il en avait déjà trop fait pour qu'il ait une chance de s'en sortir. N'importe quel membre de la meute aurait pu être son salut, mais… Personne n'avait rien vu, rien remarqué. Il était foutu. Honnêtement, les différents traitements infligés par Théo lui faisaient mal. C'était horrible, cauchemardesque et Stiles en oubliait volontiers quelques-uns qui, par chance, ne s'étaient pas inscrits dans sa mémoire. Mais ce qui achevait lentement de le détruire, c'était cette indifférence nette qu'il avait ressentie à son sujet. Pas un seul de ses amis ne s'était soucié de lui.

Alors forcément, les paroles malsaines de la chimère tournaient en boucle dans son esprit. Stiles était lucide : il se savait effectivement remplaçable. Sa présence n'était tolérée que parce qu'elle était jugée nécessaire tant que l'on ne trouverait personne de plus efficace que lui. Il savait également qu'il n'était pas des plus appréciés à cause de son TDAH qui le rendait… Agaçant au possible. Il était conscient de tout ça.

Mais il ne s'imaginait pas que cela aurait une telle importance.

Et là, seul dans son lit, à l'intérieur de cette chambre plongée dans le noir, Stiles eut envie de craquer. De juste… Se lâcher. D'hurler. De sortir de là, d'aller voir son père, de tout lui dire. Oh oui, ce besoin le démangea.

Aucune larme ne vint. Stiles ne put rien faire d'autre que serrer ses draps fort, si fort qu'il en eut les phalanges blanchies à l'extrême mais ça, il ne pouvait pas le voir. Le cauchemar, il le savait, était loin d'être terminé et il avait déjà craqué. Déjà pleuré. Merde, il se sentait perpétuellement sale, mauvais et… Atrocement mal dans sa peau. Quand il songeait à ce pourquoi il était dans cet état-là… Il avait la nausée rien qu'à y repenser. Trahir ses amis, sa meute. Subir toutes ces horreurs en silence. Ça le rendait malade. Pour cette raison, Stiles se répéta qu'il faisait ça pour son père et que… Qu'il lui épargnait bien des malheurs. L'hyperactif pouvait pardonner son aveuglement à son géniteur : il était humain et avait ses propres problèmes à gérer. Mais les autres… Bordel, Stiles n'arrivait même pas à leur en vouloir alors qu'il avait paradoxalement terriblement besoin d'eux. Un regard, une question, une perche, une main tendue… Et même si en échange de ses bons et loyaux services, il n'avait rien, eh bien… Jouer à l'agent double lui serra atrocement le cœur.

Stiles entendit la porte de sa chambre s'ouvrir et se crispa, dos à elle. Les pas lents et légers qu'il perçut après la fermeture de la porte le tétanisèrent. Après la nausée, la peur. L'hyperactif avait beau faire le fier de temps à autres, il n'arrivait pas à s'y faire. Théo passait toujours par la porte lorsque Noah n'était pas là. Dans le cas contraire, la chimère entrait par la fenêtre, qu'il ordonnait à Stiles de ne jamais verrouiller.

Stiles entendit distinctement le bruit léger que firent les vêtements de la chimère lorsque celle-ci les retira. Oh bien sûr, il allait garder son boxer – il ne l'enlevait jamais, pour le plus grand bonheur du châtain. Ce dernier profita des quelques secondes qu'il lui restait tranquille avant de recommencer à subir. La soirée qu'il avait passée, seul à ruminer, lui parut soudainement idyllique et il ferma fortement les yeux dans l'espoir de pouvoir remonter le temps… Et profiter davantage de cette solitude qui, au final, était préférable à tout le reste. Il sentit les draps bouger et le corps chaud de Théo se glisser dessous, non loin de lui et… Une main se plaquer lentement contre sa bouche. Stiles sentit la peur affluer avec violence. Il savait que Théo n'allait pas le violer à proprement parler, mais… Il flirtait toujours à côté de cette limite assez floue, juste pour assoir davantage sa domination sur lui. Sauf qu'il finirait par agir, un jour. Il le lui avait dit. Stiles était pourtant d'avis que rien de cela n'était nécessaire dans la mesure où il lui était dévoué contre son gré, cependant… Théo ne voulait rien entendre. Merde, Stiles lui avait plus ou moins directement prêté allégeance juste pour voir ses séances de torture diminuer autant en intensité qu'en quantité ! Et puis il n'y avait pas que les caresses dangereuses. Il y avait la violence, aussi. Les coups. La manipulation mentale dont Stiles avait également parfaitement conscience. Il avait beau essayer de se dire que tout ça n'était rien, il… Il n'arrivait pas à restreindre l'impact que les gestes de Théo avaient sur lui. Alors forcément, il frissonna et tenta de se débattre, au début. Parce qu'il détestait ça. Qu'il voulait que ça s'arrête, que… Théo n'avait réellement pas besoin de ça pour s'assurer qu'il était à son service.

Comme toujours, Théo le poussa à bout si bien qu'au bout d'un long, trop long moment, Stiles se retrouva pantelant, tremblant, les larmes aux yeux. Comme toujours, Théo laissa sa bouche frôler son oreille. Comme toujours, Théo en rajouta une couche.

Il lui raconta où il comptait l'emmener, un de ces jours. Un endroit désert, désaffecté. Et il l'y laisserait un moment, attaché quelque part. Juste pour titiller ses nerfs et le faire craquer davantage. Puis il s'attèlerait à le faire crier, aussi… Cela faisait bien longtemps que Théo n'avait pas aiguisé ses griffes et cela lui manquait ardemment…

… Si seulement c'était vrai. Si seulement il n'avait pas à faire tout ça… La seule chose que voulait réellement faire Théo à l'heure actuelle, c'était partir. Loin. Laisser Stiles en paix. Mais non, il le maintenait contre lui et sentait l'intégralité de son corps trembler. Et son odeur… Oh oui, l'hyperactif était à bout, aussi bien physiquement que mentalement. Théo le poussait toujours dans ses retranchements, parce qu'il avait de quoi le faire chanter et que ce moyen-là était des plus efficaces… Il savait que Stiles lui était complètement soumis.

Mais il n'arrivait pas à s'arrêter. A sortir de ce rôle qui s'était imposé à lui par la force des choses. Passer une grande majorité de sa vie à être un connard avait conditionné la manière dont il s'y prenait pour récupérer des informations sur la meute de Scott McCall. Pour l'instant, il ne se passait rien, alors Stiles n'avait rien à lui rapporter. Mais Théo devait avoir quelque chose et ce, rapidement. Ainsi, il laissa ses lèvres descendre un peu, caresser la peau du cou de l'hyperactif avant de la suçoter lentement. Ses entrailles se nouèrent. Il n'aimait pas ce qu'il faisait, ce qu'il lui faisait. Il détestait également lui sous-entendre qu'un jour, il irait plus loin parce que ça, ce n'était pas vrai. Théo pouvait le blesser, le faire cauchemarder, le torturer… Mais pas plus.

Pourtant, il savait que Stiles y croyait, et il ne ferait rien pour le détromper. Parce qu'il lui fallait des informations, quelque chose à transmettre à ceux qui, depuis le départ, le menaçaient. Qu'il les lui fallait rapidement. Alors s'il pouvait lui mettre suffisamment de pression… Il le ferait, même si ça les brisait tous les deux – d'une manière différente, toutefois. La chimère avait envie de vomir tant elle détestait ce qu'elle faisait. Et pourtant, elle devait continuer.

C'était égoïste, Théo en était bien conscient, mais… Il avait lui aussi quelqu'un à protéger. Et dans un sens, même s'il était en train de foutre la vie de Stiles en l'air, il gardait l'espoir que celui-ci se reconstruise une fois sa… Leur mission terminée. Théo l'obligeait à trahir sa meute, oui… Mais il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que Stiles ne subisse pas les retombées de ses actes. La meute apprendrait sa présence un jour ou l'autre. Cependant, il fallait que cela se fasse au dernier moment. Qu'il ait le temps de se montrer, de fuir. Et tout redeviendrait plus ou moins normal à Beacon Hills… Jusqu'à ce que la meute qui le menaçait s'attaque à celle de McCall. Théo ne s'inquiétait pas… Enfin pas vraiment. Il les connaissait tous et était d'avis qu'ils réussiraient à se défendre et à riposter. Mais en attendant, il devait rester dans cette configuration. Protéger Stiles tout en continuant de le briser pour… Mettre quelqu'un d'autre à l'abri. Techniquement, tout cela ne devrait pas prendre plus de quelques jours… Une ou deux semaines, tout au plus. Théo espéra que ça suffirait.

Il pria toute la nuit, alors qu'il gardait un Stiles terrorisé et incapable de dormir prisonnier de ses bras, pour que cet enfer ne dure pas plus que nécessaire.

Et surtout, Théo espéra fort tenir mentalement jusque-là mais plus le temps passait, moins il en était certain.