Chapitre 6

- Ch'est chimple, on change le positionnement de la boîte grâche à une nouvelle image de marque, articula Roxanne en mâchant son croissant.

La soirée s'était terminée de manière confuse et chaque membre de l'équipe avait fini par s'endormir là où il le pouvait – sur un fauteuil, sur un pouf ou même étalé sur un bureau, dans le cas de Chris. Le lendemain, un Tom aux yeux marqués de cernes s'était pris d'un élan de générosité et était passé à la boulangerie, pendant que Stan faisait du café en en renversant la moitié sur son clavier. Mitch avait mal à ses quelques cheveux, mais il était ravi. Le bureau était presque comme une maison pour lui, et il avait l'impression d'avoir organisé une pyjama party. Enfin il pouvait tirer avantage de sa collection de mugs et en faire profiter toute l'équipe.

- Alors, c'est ça notre nouvelle image ? demanda Stan en haussant un sourcil en épongeant son clavier. Du porn ?

- Du charme, Stan. Du racolage. Pas de la pornographie, juste de la… subtilité.

Elle adressa un clin d'œil à Chris qui sourit comme un con et poursuivit.

- Vous vous souvenez du clash « Chaudière/Frigidaire » ? On va faire encore mieux. En misant tout sur une cible féminine libérée sexuellement, on grattera des parts de marché à la toupie. Il faut montrer que le bilboquet, c'est sexy, c'est jeune, c'est dynamique !

- Et phallique, ajouta Ralph.

- Oui mais, comme je le disais, la subtilité…

- Oui mais ça rime.

- Si tu veux. Non seulement l'engouement pour le bilboquet sera décuplé, mais en plus, la vente des calendriers devrait nous rapporter une petite somme d'argent.

- Alors là, tu me parles ! chantonna Stan, ravi. On se fout à poil quand tu veux.

- Vous êtes cinq, continua Roxanne en désignant ses collègues. Ça vous fait deux mois chacun. Et pour les deux autres, on fera quelque chose de groupé. Ça vous convient ?

Il y eut un murmure d'approbation. Stan se gratta la tête.

- Mais en y réfléchissant… c'est pas un peu dégradant d'utiliser nos corps en photo pour faire des ventes ?

Roxanne le foudroya du regard.

- Et me faire traiter de salope sur Twitter pour financer un crowdfunding, c'était pas dégradant ?

- Mais je…

- Equiper tes employés de lunettes porno pour qu'ils puissent enfin communiquer sur un sujet commun, à savoir mes fesses, c'était pas dégradant ?

- Ok, ok.

Stan, le regard craintif, n'insista pas et frappa dans ses mains.

- Au travail !


Ils passèrent les jours suivants à imaginer, conceptualiser et organiser le photoshoot du calendrier. Stan était plus motivé que jamais, l'idée de Roxanne ayant redonné un espoir à tous ses collègues. Il y avait quelque chose d'incroyablement excitant à travailler sur un nouveau projet, et bien plus stimulant que de fabriquer des jouets de bois. Roxanne avait appelé Héloïse en renfort et l'amie de Tom et Mitch avait été ravie de leur prêter main-forte – qui plus est, son expérience en maison d'édition, notamment sur les couvertures des livres, s'était rendue utile. Avec Roxanne, elles travaillaient d'arrache-pied, passant des heures entières à griffonner des notes et des croquis.

Le jour J, l'open space était méconnaissable, inondé de décors, costumes et matériel photo. Ils avaient installé un genre de loge dans la salle de réunion où ils se maquillaient et enfilaient leurs costumes, supervisés par Hélo, pendant que Roxanne s'occupait de gérer l'espace photo. Tom essayait tant bien que mal de se débrouiller avec une poudre et un pinceau pendant qu'Hélo criait des consignes dans tous les sens. Son « écolier » du mois de septembre devait paraître à la fois sexy et crédible. Il glissa un coup d'œil vers Mitch à l'autre bout de la pièce et sentit ses joues s'embraser. Vêtu d'un simple maillot rouge, il étalait sur ses muscles une couche luisante d'autobronzant afin de sublimer son maître-nageur du mois d'aout. Hélo s'était emparée d'un brumisateur pour donner à sa peau un aspect transpirant et aspergeait ses épaules, tout en donnant à Chris des instructions de maquillage (« Non Chris, tu représentes la fête nationale de juillet, tu ne peux pas dessiner le drapeau de la Creuse sur tes fesses »).

Se sentant observé, Mitch leva les yeux vers Tom qui détourna aussitôt le regard. Foutu short trop serré…

- Allez, on s'active, on s'active ! Ralph, tu es le premier ! Mets-moi ces oreilles de lapin et viens ici !

- Est-ce que je pourrai garder les oreilles de lapin, j'aime bi…

Sa voix disparut tandis qu'Hélo le traînait à l'extérieur de la pièce, et le pompon blanc cousu à son caleçon fut la dernière chose que Tom vit.

- Trop cool, Ralph en lapin de Pâques, je veux voir ça ! s'exclama Stan qui s'élança sur leurs talons.

Mitch et Tom se regardèrent et éclatèrent de rire.

- Mais qu'est-ce qu'on fout là ? sourit Tom.

- J'en sais rien, mais j'aime beaucoup ton look, répliqua Mitch en baissant le regard vers le torse nu de Tom agrémenté d'une simple cravate lâche.

Celui-ci balbutia une phrase incompréhensible et tenta de recentrer son attention sur son miroir.

- Les gars, vous croyez que je pourrai prendre mon accordéon sur la photo ?

Une demi-heure plus tard, Ralph avait terminé ses photos, et c'était au tour de Mitch. Il fit un petit signe de tête à Tom.

- Tu viens me voir poser ?

- Avec joie.

Un décor de plage en carton avait été installé, ainsi que des faux châteaux de sable et une planche de surf. Roxanne réglait son appareil photo et sourit en les voyant.

- Tiens, dit-elle en tendant un bilboquet écarlate à Mitch. On utilisera celui-là.

Le DRH donnait l'impression d'avoir fait ça toute sa vie. Il était particulièrement à l'aise devant l'objectif et n'hésitait pas à mettre en avant sa musculature soigneusement travaillée pendant toutes ces années. Il multipliait les poses extravagantes et les blagues douteuses et Roxanne dut plusieurs fois arrêter la séance pour cause de fou rire.

De son côté, Tom n'en pouvait plus. Il admirait chaque centimètre carré du corps de Mitch en ayant un peu plus chaud à chaque fois. Son cœur (et son corps) s'emballait beaucoup trop vite et il dut parfois se forcer à rire aux blagues qu'il n'avait pas entendues tant la vue de Mitch embrouillait ses pensées.

- On passe à mai, Mitch ! C'est le bilboquet fleuri. Attend, tiens…

- Un string ?!

- C'est pour que tu ne sois pas nu, Mitch. Utilise le bilboquet pour cacher… enfin, tu vois.

- On dit « bilbouquet », louloute ! fit la voix de Chris depuis les « vestiaires ». Je l'ai designé pour toi !

Tom se demanda un instant quelle genre de boîte demandait à ses employés de se mettre à poil pour les biens de l'entreprise. Le genre de boîte dont les employés font des partouzes, se dit-il. L'aisance de ses collègues venait peut-être du fait qu'ils avaient déjà plus ou moins tous couché ensemble. Et puis, à l'époque de la colloc, les vêtements étaient aussi en option. Tom aurait dû avoir l'habitude de ce genre de situation.

Sauf qu'auparavant, Mitch était son pote. Son poto. Son bro. Maintenant, tout était plus…

Il déglutit.

Chaud.

Mitch termina enfin son shooting, et Tom fut rappelé à la réalité par la voix de Roxanne.

- A ton tour, septembre !

L'exercice n'était pas aussi facile pour Tom que pour Mitch. Non seulement il était moins à l'aise que lui avec son corps, mais c'était surtout le regard de Mitch sur lui pendant la séance qui le perturbait. Il avait l'impression d'être maté de manière la plus indécente possible. Là où lui avait tenté – en vain – de rester un minimum discret, Mitch ne se privait pas pour le dévorer d'un regard enflammé. Les lumières violentes des spots n'arrangeaient rien.

Chaud.

Trop chaud.

Roxanne, qui examinait les clichés sur le petit écran de l'appareil, pinça des lèvres et jeta un regard entendu à Tom. De toute évidence, il était grillé.

- Ok, on reprend, essaye d'avoir le visage moins crispé Tom…

L'intéressé n'en menait pas large. Une partie de son cerveau se détacha pour regarder la scène d'un point de vue extérieur, et il se trouva parfaitement ridicule. Lui à moitié à poil en short d'écolier et sac à dos, maquillé comme jamais, avec un bilboquet rayé comme seul moyen de cacher sa putain d'érection devant Mitch – et devant tous ses collègues. Merci Roxanne et ses idées à la con.

- Tom, t'as une bosse sous to…

- SUPER, interrompit Roxanne d'une voix forte, on passe à la photo de groupe pour la couverture, allez !

Après une photo de groupe chaotique dont le résultat finit par convaincre Roxanne et Stan, il restait des photos individuelles à faire, mais, au vu de l'heure, Tom ne ferait son deuxième mois que le lendemain. Il s'extirpa donc du groupe et s'enfuit aux toilettes afin de se débarrasser de son maquillage et de la laque dans ses cheveux.

Un grand jet d'eau fraîche dans son visage lui fit le plus grand bien et il expira longuement. L'ambiance avait beau être étrange, la photo de groupe avait été une expérience de team building assez intéressante, et il s'était presque amusé. On aurait dit les vestiaires d'un vieux club de rugby amateur en pleine troisième mi-temps.

Tom attrapa un coton dans une trousse de toilette et entreprit de retirer le crayon noir de ses yeux, quand un bruit de porte qui claque le fit sursauter.

C'était Mitch. Il portait toujours son maillot rouge de maître-nageur. Tom sourit : il était certain que Mitch allait le garder. Le DRH collectionnait les slips comme les haltères – et les mugs.

- Eh ben ma gueule, c'était marrant !

- Parle pour toi, répliqua Tom en frottant son coton avec énergie. J'avais l'air ridicule.

- T'es sérieux ?

- Quoi ? En plus ça veut pas partir, ce noir de merde…

- Tom.

Tom tourna la tête et cligna des yeux. Mitch se trouvait à quelques centimètres de lui. Il sentit son souffle s'accélérer.

Mitch s'approcha encore un peu et lentement, il posa les mains sur sa taille.

- Je te trouve pas ridicule, dit-il en le regardant droit dans les yeux.

Tom manquait d'air. Les mains de Mitch étaient brûlantes, pourtant leur contact le fit frissonner. Il plongea dans le regard bleu de Mitch, celui qu'il avait tant évité quelques heures plus tôt. La tentation était trop forte.

Du bout des doigts, il effleura le torse encore légèrement humide de Mitch et le vit tressaillir. Tom se mordit la lèvre et continua la caresse jusqu'au ventre de Mitch, savourant le plaisir de le toucher, enfin. Le souvenir de leur baiser passionné de l'autre jour lui revint en mémoire et il sentit ses joues s'empourprer.

Mitch avait fermé les yeux, la respiration profonde, comme s'il se concentrait pour mieux apprécier le contact de la main de Tom sur lui. Ses propres mains agrippées à sa taille se serrèrent légèrement, et Tom sursauta légèrement lorsque ses pouces se mirent à le caresser plus bas, descendant vers l'aine.

Mitch entrouvrit les yeux, peut-être était-il allé trop loin…

Mais Tom approcha son visage tout près du sien, à quelques centimètres de ses lèvres, haletant. Mitch le rendait dingue. Complètement dingue.

Impossible de résister.

Il laissa une main glisser doucement vers la fesse de Mitch, l'autre dessinant ses abdos. Mitch poussa un léger gémissement et Tom sentit tout le sang de son corps se diriger vers son entrejambe.

C'était la première fois qu'il entendait Mitch gémir.

Ce bruit lui faisait perdre la raison.

S'il pouvait…

Mitch pressa tout son corps contre Tom et le plaqua contre le mur. Une fois la surprise passée, Tom se rendit compte que Mitch avait déplacé ses mains dans son dos pour ne pas le blesser dans le mouvement. Il sentit une bouffée de tendresse l'envahir.

La tendresse se volatilisa cependant lorsque Mitch bougea légèrement et que son maillot vint se presser contre le short d'écolier. Le cerveau de Tom vrilla complètement.

Oh, bordel de merde.

Ils étaient aussi durs l'un que l'autre et, cette fois, c'est Tom qui gémit pendant que Mitch plongea dans son cou pour le mordiller. Tom ne put s'empêcher d'enfoncer ses ongles dans les épaules de Mitch pour le serrer un peu plus contre lui. N'y tenant plus, il attrapa la joue de Mitch et caressa son visage avec son pouce.

Le temps resta suspendu un instant tandis qu'ils se fixaient l'un l'autre, haletants, le pouls battant à tout rompre, sans savoir qui briserait la tension surchauffée de ce moment. Puis ils se jetèrent sur la bouche de l'autre, affamés, sans qu'on sache vraiment qui avait initié le geste. Tom enroula ses mains autour de son cou, mordillant et suçant ses lèvres avec avidité. Il gémit encore quand Mitch entrouvrit ses lèvres et caressa sa langue du bout de la sienne, déclenchant une série de petits chocs électriques dans tout son corps.

Tom dut user de toute la volonté du monde pour s'arracher aux lèvres de Mitch.

- Attend, souffla-t-il avec difficulté.

Mitch leva un sourcil.

- Mec, on s'arrête là si tu…

- Pas ici.

Le regard enflammé de Mitch se mit à pétiller.

- Chez toi ?

- Chez moi.

Mitch hocha la tête et s'écarta de son corps en poussant une grande expiration. Il se mordit la lèvre, se mit sur la pointe des pieds et susurra à l'oreille de Tom :

- Je te veux.

Puis il se détoura et disparut dans le couloir. Tom se demanda vaguement si son visage cramoisi allait reprendre sa couleur initiale un jour.

Ni l'un ni l'autre ne surent où ils trouvèrent la force de revenir dans l'open space, attraper leurs affaires et dire au revoir aux autres sans laisser transparaître quoi que ce soit. Tom était persuadé que leurs intentions se lisaient sur leur font et il aurait juré que Hélo lui avait lancé un très discret clin d'œil.

Toujours est-il qu'une fois le pan de la porte de l'appartement passé, Mitch s'était presque jeté sur lui. En quelques secondes, ils se retrouvèrent en caleçon sur le canapé. Mitch s'était assis sur ses cuisses – profitant, une fois n'est pas coutume, d'être plus haut que Tom. Ce dernier déposait des baisers avides dans son cou, la sueur perlant sur son front, depuis ses cheveux en bataille, et laissant des traces noires sur son visage pas entièrement démaquillé. Mitch trouvait ça incroyablement sexy.

Pris dans le mouvement, Tom descendit le long de l'épaule et du torse de Mitch et, après une hésitation d'une microseconde, caressa son téton du bout de sa langue, lui arrachant un petit cri.

- Woooh…

- T'aimes pas ? dit Tom en s'interrompant.

Mitch hocha frénétiquement la tête et Tom sourit en continuant de s'intéresser à son téton tandis que Mitch lui agrippait les épaules en haletant.

L'esprit de Tom tournait à toute allure. Une partie de lui se posait milles questions à la seconde, était-il prêt, allait-il vraiment le faire, serait-il à la hauteur, comment, quoi, qui, où, pourquoi –

Ses pensées se transformèrent en bouillie lorsqu'il sentit la main de Mitch posée sur son caleçon. Il leva la tête et croisa le regard brûlant de désir de Mitch, mais il ne put soutenir son regard et ferma les yeux pendant qu'il caressait doucement son érection à travers le tissu.

Tom ne savait plus quoi penser, il était à la fois excité et terrifié, l'appréhension se mêlant au plaisir dans un gémissement incontrôlé. Des morceaux de pensées pas très nettes s'entrechoquaient dans sa tête.

Mitch, j'ai peur mais, s'il te plaît, touche-moi… Continue de me toucher je t'en supplie bordel de what the…

Mitch, la respiration sifflante, se pressa contre lui, approcha son visage pour lui mordiller le lobe d'oreille, lui tirant un soupir

- Bébé… murmura-t-il dans un souffle.

Tom se crispa immédiatement. Il eut un mouvement de recul, et Mitch le lâcha, l'air un peu perdu.

- Euh… ça va pas ?

Tom sentit son cœur lui faire mal dans sa poitrine et recula encore. Il ne dit pas un mot, la gorge serrée. Il ne regardait pas Mitch, qui clignait des yeux comme sorti d'un rêve.

- ... Tom ? J'ai… j'ai fait un truc qu'il fallait pas ?...

Mais Tom lui tourna le dos et saisit sa chemise.

- Hé, fit Mitch en lui saisissant le poignet. Parle-moi, je…

- Non, articula Tom. Laisse-moi.

Tremblant légèrement, il enfila sa chemise et, sans un regard pour Mitch, s'enferma dans sa chambre.