« They say that all is fair in love and war. I have built my trench and brought my rifles, and I have no intention of retreating. »
Foxglove – Adalyn Grace
« On dit que, à l'amour comme à la guerre, tous les coups sont permis. J'ai creusé ma tranchée, j'ai apporté mes fusils, et je n'ai aucune intention de battre en retraite. »
Foxglove – Adalyn Grace
Chapitre 79 : All Is Fair In Love And War
Harry travaillait méthodiquement.
Cela rendait Severus fou de le voir cuisiner parce qu'il disait toujours que si le garçon faisait un quart du même effort pour s'organiser en Potions, il ferait des merveilles. C'était peu probable. Déjà, parce qu'il ne risquait pas de faire exploser la marmite s'il jetait le mauvais ingrédient dedans.
Mais il était toujours organisé en cuisine.
Même s'il s'agissait simplement de préparer des spaghettis bolognaise que personne ne toucherait parce que l'heure du déjeuner avait beau approcher, personne n'avait d'appétit.
Et la bolognaise avait été un mauvais choix de toute manière.
La viande hachée lui donnait la nausée.
Il n'arrêtait pas de repenser à MacNair.
Ses yeux grands ouverts, sa gorge déchirée, la mare de sang autour de lui…
Il cilla, reporta son attention sur le bol devant lui, dut faire un effort pour se souvenir que c'était de la sauce tomate et pas du sang…
Non, décidément, ce n'était pas sa plus brillante idée.
Il y eut finalement du mouvement dans l'appartement et il soupira de soulagement. Il était resté hors de vue, plus tôt, lorsque Severus était finalement rentré, choisissant de laisser faire Dora. Parce qu'il connaissait trop son père, il n'avait pas non plus tenté de l'empêcher de s'enfermer dans sa chambre ou d'y faire un carnage.
Était-il inquiet ? Bien sûr.
Il avait observé Dora tambouriner à la porte verrouillée pendant un moment tandis que les bruits de destruction résonnaient dans toute la maison… Puis elle avait semblé se ressaisir et avait commencé à tenter de percer les protections que Severus avait jetées…
S'il était honnête, il n'aurait pas parié sur elle.
Quand Sev voulait s'isoler, il savait très bien s'y prendre. Pourtant, soit il n'avait pas réellement voulu la garder à distance, soit elle était plus douée que Harry parce qu'elle était parvenue à pénétrer dans la chambre. Elle avait fermé la porte derrière elle. Et jeté des sorts de silence.
Depuis tout était atrocement calme.
Cela faisait très précisément quarante-deux minutes.
Harry avait gardé un œil sur la pendule.
Les bruits de voix dans le couloir étaient trop bas pour qu'il saisisse quoi que ce soit à la conversation. Il entendit la porte d'entrée, preuve que quelqu'un était parti…
Il espérait un peu que c'était Severus parce qu'il ne voulait pas vraiment avoir une nouvelle version de la même conversation. C'était un dialogue de sourds. Et le Professeur arrivait au bout de sa patience, ce qui le rendait méchant.
Si tu tiens tant que cela à te suicider, j'ai des poisons qui feront l'affaire. Ou peut-être préfères-tu une méthode plus dramatique ? Peut-être souhaites-tu sauter du haut de la Tour d'Astronomie ? Ou cracher davantage sur le sacrifice de Lily et James et aller te jeter droit dans les bras du Seigneur des Ténèbres ?
Il ne savait pas très bien pourquoi ces mots l'avaient autant blessé.
Après tout…
S'il était très honnête, ce n'était rien qu'il n'avait pas déjà pensé lui-même.
Il sentit la présence sur le seuil, sut qu'il n'avait pas de chance et que c'était Dora qui était partie et pas Severus. Il ne se retourna pas immédiatement, préférant se concentrer sur la sauce qui lui donnait la nausée et qu'il n'avait aucune raison de continuer à préparer.
Il n'avait pas faim.
Severus n'aurait pas faim.
« Bill est sur le canapé. » annonça-t-il froidement. « Dumbledore l'a soigné mais il est sous le coup de la possession. Plus que cette nuit. Il dort. »
Ou il faisait semblant, Harry n'était pas très sûr.
Le Briseur-de-Sorts n'avait pas dit grand-chose mis à part pour s'excuser.
« Sirius a ramené Kreattur chez lui. Il viendra te voir dès qu'Andromeda l'aura soigné. » continua-t-il, face au silence trop lourd qui lui répondit. « Dumbledore a dit qu'il avait des choses à faire dans son bureau et ne voulait pas être dérangé sauf en cas d'urgence. »
Il suivit, à l'oreille, le bruit de la canne qui se déplaçait dans la cuisine. Une chaise racla légèrement le sol.
Harry ne se retourna pas pour vérifier s'il s'était bien assis.
Il espérait un peu qu'il l'ait fait parce qu'il était évident qu'il n'aurait pas du tout dû être debout ce jour-là. Il était aussi évident que Kreattur n'était pas le seul qui aurait dû consulter Andromeda mais il n'allait pas gaspiller sa salive parce qu'il savait que Severus n'irait pas à l'infirmerie qu'importe ce qu'il en dirait.
D'un coup de baguette, il mit de l'eau à chauffer pour les spaghettis.
Il était à court d'excuse pour ne pas lui faire face mais, comme un lâche, il garda résolument le dos tourné.
« Je ne veux pas avoir cette conversation. » conclut-il, sans chercher à masquer la lassitude dans sa voix. « Je n'en peux plus d'avoir cette conversation. »
Il entendit son inspiration tremblante, l'entendit s'humecter les lèvres, probablement peser le poids de ses mots avec plus d'attention qu'il ne l'avait pas fait dans la Chambre des Secrets…
« J'étais une forteresse. » lâcha son père.
Sa voix était plus rauque, plus désespérée que ce à quoi il s'attendait.
Harry avait compté sur le schéma habituel. Des hurlements, des mots jetés pour blesser, du regret, des excuses, beaucoup d'Occlumencie…
L'Occlumencie, semblait-il, avait été remisée au vestiaire.
Et si Severus faisait l'effort de se mettre à nu alors Harry se sentait forcé d'en faire de même. Lentement, il se retourna. Il s'adossa au comptoir de la cuisine et croisa les bras dans un geste de réconfort davantage que de défi.
Le Maître des Potions avait tourné la chaise de manière à pouvoir lui faire face. Cela devait lui coûter d'avoir cette conversation assis au lieu de debout, de devoir lever les yeux vers lui au lieu de l'inverse.
Quoi que Dora lui ait dit, elle avait fait des miracles. Il semblait légèrement plus calme à défaut de serein, vidé peut-être de toute la rage qui l'avait saisi dans la Chambre des Secrets. Il s'était lavé et changé. Au lieu de sa tenue sévère habituelle, il ne portait que le pantalon et la chemise qu'il préférait lorsqu'il ne devait pas quitter la maison. Il sentait le savon au lieu de l'humidité et l'âcre résidu d'horcruxes… Mais il n'y avait pas de masque invisible sur son visage, aucune tentative pour voiler ses émotions.
Severus était épuisé et cet épuisement était gravé sur chacun de ses traits.
Son chagrin aussi.
Ce fut le chagrin qui doucha la colère d'Harry et le fit descendre des grands chevaux sur lesquels il était monté pendant que son père se livrait à son tempérament autodestructeur.
« J'étais une forteresse. » répéta Severus calmement bien que tristement, en plantant son regard dans le sien.
Il ne lui fit pas l'affront de prétendre ne pas savoir de quoi il parlait.
Le début de l'année semblait si loin…
Tous ces mois…
C'était presque difficile de se souvenir de comment les choses étaient entre eux avant, de l'homme froid et cruel qui l'avait regardé avec mépris…
« Tu étais seul. » contra-t-il, à voix basse. Pas par méchanceté mais parce que c'était la vérité et qu'ils le savaient tous les deux. « Tu étais seul et amer et tu attendais juste qu'un des deux te sacrifie pour sa cause. »
Severus ne nia pas. « La solitude et l'amertume ne font pas aussi mal que de perdre quelqu'un que l'on aime. Ou de le regarder se détruire. J'étais une forteresse. Tu as démoli mes défenses. Tu m'as convaincu d'abaisser mes boucliers, de laisser entrer d'autres personnes. »
Il haussa les épaules. « Et ? Tu ne peux pas me dire que tu n'es pas plus heureux comme ça. »
« Heureux ? » répéta son père, avec un bruit pas tout à fait amusé. « Crois-tu que je puisse être heureux, Harry, lorsque tu comptes te laisser mourir ? Crois-tu que je puisse être heureux alors que tu me demande d'accepter de te perdre ? »
Il détourna la tête, soudain incapable de soutenir son regard. « Je n'ai jamais dit qu'on ne pouvait pas essayer de trouver une solution, juste… »
« Oh, s'il te plaît. » cracha le Maître des Potions. « Si tu pensais que cela mettrait un terme à la guerre sur le champ, tu irais trouver le Seigneur des Ténèbres immédiatement et sans ciller. Tu le laisserais probablement te tuer sans même lever ta baguette. »
Il resserra un peu son étreinte solitaire mais ne répondit pas.
Severus soupira puis se frotta le visage. « J'étais une forteresse. J'étais seul, comme tu le dis. Je n'avais rien à perdre. Tu as changé tout ça. Tu m'as donné une raison de vivre, de me battre. Tu m'as donné quelque chose à perdre. Je déteste perdre, en règle générale. Je ne supporterai pas la douleur de perdre la personne à laquelle je tiens le plus au monde une nouvelle fois. »
Il ouvrit la bouche mais son père le prit de vitesse.
« Ne ramène pas Nymphadora dans cette conversation. C'est tout à fait différent et elle en est parfaitement consciente. » lâcha-t-il. « Te souviens-tu de ce que je t'ai dit le soir où Black t'a attiré dans la Cabane Hurlante ? »
Harry ferma les yeux.
Comment aurait-il pu oublier ?
La panique du Professeur à cet instant… La manière dont il s'était accroché à lui… La façon dont il avait menacé tous ceux qui essayaient de s'approcher, même pour l'aider… Les mains qui cherchaient une morsure sans la trouver… La promesse que même s'il était un loup-garou, il ne le laisserait pas tomber…
Tu es tout ce que j'ai. Tu es mon fils. Je ne peux pas te perdre, Harry. Je ne peux pas, tu comprends ?
« Tu savais déjà ce que j'étais. » murmura-t-il. « Tu savais qu'il y avait un horcruxe. Tu savais ce que ça voulait dire. Ce n'est pas ma faute. Ce n'est pas moi qui ai choisi. » Il secoua la tête, ravalant la brûlure des larmes à l'arrière de sa gorge. « Je ne veux pas mourir. Je ne suis pas suicidaire. Mais je ne veux pas non plus devenir son pantin. Ce serait pire que pour Bill ou Dora et tu le sais. Je ne veux pas être prisonnier de mon propre corps. Je ne veux pas être coincé dans ma propre tête, à hurler dans le vide, pendant qu'il assassine les gens que j'aime avec mes mains. Je ne veux pas mourir mais je n'ai pas peur de mourir. Pas si c'est la seule manière de m'assurer qu'il ne prendra pas le contrôle de moi, qu'il ne gagnera pas. Pas si c'est la seule façon de le vaincre. » Il se frotta les yeux. « Je ne veux pas mourir mais peut-être que je suis fatigué, papa. Et tu savais que j'étais un horcruxe. Tu savais ce que ça impliquait. Je ne t'ai pas tendu un piège ou un truc du genre. Tu savais. »
« Je savais que je devrais accomplir un miracle de plus. » contra Severus. « J'ignorais que je devrais le faire à ton corps défendant. »
Harry poussa un soupir puis se repoussa du comptoir pour se laisser aller sur une chaise. L'eau bouillait mais il ne voyait pas l'intérêt de faire cuire des pâtes que personne ne mangerait. Il joignit les mains sur la table, joua avec le sceau des Prince. Il le portait depuis si longtemps que son doigt avait un peu enflé. Il dut forcer pour le faire remonter jusqu'à sa phalange.
« Tu m'as promis de te battre. » insista son père. « Je me suis battu pour toi. J'ai accompli l'impossible pour toi et j'en ai payé le prix. Crois-tu que j'aurais choisi de perdre le contrôle de mes mains ? Que je suis reconnaissant d'avoir une patte folle ? Que je subis paisiblement le fait d'être devenu un poids que personne ne veut laisser aller au combat ? Tu m'as demandé de me battre, de te revenir, quoi qu'il arrive. Et je l'ai fait. » Severus déglutit péniblement et désigna le sceau des Prince d'un geste. « Lorsque je t'ai donné cette bague, lorsque j'ai offert de t'adopter, tu m'as promis d'en faire de même. »
Harry eut un sourire triste et fit coulisser le sceau jusqu'à l'ôter. Lentement, il le poussa sur la table jusqu'à Severus. « J'ai menti. » Il ôta sa main et fixa son regard sur l'anneau plutôt que d'affronter le regard lourd de l'ancien Mangemort. « J'ai aimé être ton fils. »
Il était déjà en train de calculer combien de temps il lui faudrait pour empaqueter ses affaires. Il ne savait pas où il irait. Chez Sirius probablement. Ou dans les dortoirs des Gryffondors. Ou…
Le rire de son père était amer, fatigué.
« En sommes-nous véritablement toujours là ? » s'enquit Severus avec une lassitude effrayante. « Crois-tu vraiment que mon amour soit soumis à conditions ? Crois-tu pouvoir t'en tirer aussi facilement qu'en me rendant une bague ? Crois-tu que je suis en train de te jeter dehors ? Le moment du choix est passé, Harry. Tu es mon fils. Je suis ton père. Plus rien ne changera cela, à présent. Pas une bague. Pas un horcruxe. Et pas ce désaccord entre nous. »
Le sceau des Prince fut repoussé vers lui.
Harry continua à fixer la bague, cillant pour lutter contre les larmes qui lui brûlaient les yeux, sans vraiment comprendre quel était le but de cette conversation si…
« Je te l'ai dit hier soir, je suis qui je suis. » reprit le Maître des Potions. « Je ne m'excuserai pas de ce que je suis prêt à faire pour te garder en vie. »
« Moi aussi, je suis qui je suis. » contra-t-il. « Et je refuse de voir qui que ce soit blessé ou pire pour moi. Surtout toi. »
« Eh bien, je suppose qu'il nous faut nous accorder sur ce désaccord. » lâcha Severus. « Parce que je ne renoncerai pas. Et si je dois te forcer la main pour te sauver, je le ferai. Si tu fois me haïr pour ce que je serai amené à faire pour te sauver la vie, c'est un prix que je suis prêt à payer. »
Lentement, il se força à croiser son regard. « Pareil. »
Les yeux noirs étaient toujours tristes et fatigués et tout un tas de choses entre les deux. Pourtant, l'ébauche d'un sourire flotta sur les lèvres de son père. « Tu as le don de me mettre dans des états de rage impossibles et pourtant je ne peux m'empêcher d'être fier de toi. Il est rare de trouver des hommes d'âge mûr qui ont la force de leur conviction et toi… » Severus soupira. « J'aimerais que tu en aies un peu moins. J'aimerais que tu sois un peu plus égoïste. »
« Je suis égoïste. » riposta-t-il. « Si je n'étais pas égoïste, je ne t'aurais pas laissé t'attacher à moi en sachant que tu allais probablement souffrir à la fin. Ce n'était pas le but de tout ce discours sur la forteresse ? »
« Non. » nia Severus, en levant les yeux au ciel. « Le but était de te faire culpabiliser suffisamment pour te donner envie de te battre et, également, de te rappeler que je ne peux pas être tenu responsable de mes actes ou de mes paroles lorsque la vie de mon fils est en jeu. » Il agita une main tremblante. « Je suppose que je devrais laisser les grands discours à Albus et m'en tenir à l'essentiel. Je n'ai pas le don des métaphores grandiloquentes. »
Harry n'avait pas envie de rire mais il se força pourtant à grimacer et à mettre un peu de légèreté dans sa voix. « Probablement. » Il renfila le sceau à son doigt, forçant un peu pour qu'il passe la phalange. C'était drôle. Quelques mois plus tôt, la bague avait été légèrement trop grande. Et à présent… « Papa ? Je veux une autre promesse. »
Un lever de sourcil l'invita à poursuivre alors le garçon déglutit péniblement, choisissant ses mots. Au final, cependant, il n'y avait pas de bonne manière de le dire.
« Ne meurs pas avec moi. » exigea-t-il.
Parce qu'il voyait comment la chose se profilait.
Il voyait le désespoir de Severus.
Il voyait cette fatigue qui n'en était pas tout à fait.
Il le connaissait suffisamment – versions adolescente et adulte confondues – pour savoir comment cela finirait si personne ne l'arrêtait. Il avait beau pester contre les Poufsouffles, s'en moquer, en termes de loyauté… La sienne était quasiment indéfectible. Et elle ne connaissait pas de limites.
Sans surprise, son père refusa d'une brève secousse de la tête. « Où tu vas, je vais, fils. Je suppose que c'est à toi de déterminer la destination. »
« Ce n'est pas juste de mettre ça sur mes épaules. » riposta-t-il.
« Non, ce n'est pas juste. » confirma Severus. « Mais personne ne m'a jamais accusé d'être juste. Je suis un Serpentard jusqu'à la moelle et je gagnerai comme un Serpentard. »
En le faisant culpabiliser, en cherchant à le manipuler, en le poussant à vouloir le protéger quoi qu'il arrive…
Harry aussi était un Serpentard.
Lui aussi pouvait jouer comme un Serpentard.
Il pouvait même probablement gagner.
°O°O°O°O°
La pluie tombait drue, masquant leur odeur et leur présence, mais pas les traces de boue que laissaient leurs bottes dans la terre meuble.
Pas pour la première fois, Lunard espéra qu'ils avaient tous eu la présence d'esprit de jeter un sort sur leurs chaussures. Ses loups étaient efficaces mais pas toujours prudents. Vesper et Tristan, en particulier, avaient tendance à agir sans réfléchir. Cela en faisait des combattants hors pair mais de piètre stratèges.
Or, songea Remus, tapi derrière un buisson à épier ce qui se passait dans le cottage décrépi à moitié dissimulé par la végétation, pour mener cette mission-là à bien, il leur faudrait réfléchir. Ils ne pouvaient pas se permettre d'erreur.
Pas avec la vie d'enfants en jeu.
Il n'avait jamais perdu espoir de retrouver ceux que Greyback avait kidnappés lors de l'attaque de Poudlard mais n'avait jamais relevé leurs traces près du gros de la meute. C'était une remarque anodine d'Olivia qui l'avait mis sur cette piste et, bien qu'aucun de ses loups n'aient su où leur ancien Alpha les avait cachés, ils n'avaient pas tardé à les dénicher.
Le cottage tombait en ruine mais avait l'avantage d'être dans une partie plus éloignée des highlands où la végétation était plus drue et le masquait à la vue du premier venu. Il y avait également des protections magiques sur les lieux, Remus les sentait, invisibles à l'œil nu, qui crépitaient légèrement dans l'air.
Rien qui ne les arrêteraient le cas échéant.
Enfin, après plusieurs jours à surveiller les lieux…
Il y avait cinq élèves à l'intérieur, plus prisonniers qu'invités, d'après ce que Remus avait constaté. Tous transformés sans doute, que la morsure ait eu lieu à Poudlard ou après. Transformés mais pas intégrés. Qu'ils aient refusé de rejoindre la meute de Greyback, aient tenté de s'enfuir ou que l'Alpha ait simplement décidé de les garder sous le coude au cas où ils s'avèreraient utiles comme moyen de rançon plus tard… Les enfants étaient gardés à part.
Une première année, deux troisième années, une quatrième année et un autre gamin que Remus ne remettait pas.
Ils étaient gardés par trois loups-garous qui avaient l'air de s'ennuyer ferme et n'étaient pas aussi attentifs à leur environnement qu'ils l'auraient dû, trop certain de leur sécurité.
Il y avait également une louve avec eux, qu'Olivia avait identifiée comme une louve non-dominante et qui semblait être en charge des gosses. C'était encore celle qui leur prêtait le plus d'attention, bien qu'ils semblaient tous plus ou moins réticents à sa compagnie.
De ce qu'il avait observé, il n'y avait qu'une vague routine à la vie dans ce cottage. Les gardes se relayaient la nuit et la journée mais étaient trop sûrs d'eux. Les enfants étaient autorisés à sortir deux fois par jour pour prendre l'air mais n'avaient pas le droit de s'éloigner du cottage.
Remus avait la désagréable impression qu'ils avaient appris à ne pas chercher à s'échapper de la manière dure.
Leurs vêtements étaient sales, déchirés et plus d'un avaient des bleus visibles sur le visage ou les bras.
Cela mettait son loup en rage.
Les membres les plus faibles de la meute auraient dû être protégés.
C'était un instinct.
Greyback avait beau être Greyback, un Alpha restait un Alpha.
C'était un précepte sacré…
Il aurait dû protéger les enfants.
Cela faisait trois jours qu'ils longeaient le périmètre, observaient, étudiaient, fomentaient des plans d'attaque…
Il était raisonnablement certain que Vesper et lui pouvaient détruire les protections en moins d'une minute et assez discrètement pour ne pas donner à leurs ennemis trop de temps pour s'organiser. Il était plus que confiant que Vesper, Tristan et lui pouvaient maîtriser les trois loups qui montaient la garde et qu'Oliva pouvait se charger de la louve. Nicolas, qui n'avait pas de magie, pouvait s'occuper de délivrer les enfants.
Oui…
Lunard avait un plan d'attaque plus ou moins arrêté.
Pourtant, il hésitait.
Et cela l'agaçait d'hésiter.
Non loin de lui, invisible parmi la végétation, il sentait le reste de sa meute aux aguets, n'attendant que son signal pour passer à l'attaque.
Et le besoin de sauver ces gosses était tel que Lunard était tenté de le donner.
Si le loup avait eu le plein contrôle, ils auraient déjà attaqué.
On ne laissait pas des enfants en danger.
Pourtant, Lunard recula lentement, sans un bruit, sans un mouvement brusque…
Il sentit plus qu'il ne vit chacun de ses loups l'imiter avec une réticence visible.
Même Olivia qui n'était vraiment pas une combattante aguerrie avait du mal à combattre cet instinct qui la poussait à prendre soin des louveteaux.
Ils se regroupèrent dans une clairière, à un kilomètre du cottage.
« Quel est le plan, Alpha ? » demanda immédiatement Tristan, d'une voix grave.
Son loup brillait dans ses yeux, un éclat sauvage, une soif de sang.
Lunard soupçonnait que ce n'était pas tant les enfants qui motivaient Tristan que l'envie d'en découdre. Son nouveau second tournait en rond au cottage. Il passait son temps libre à chasser. Surveiller la meute de Greyback était trop passif pour lui. Plus d'une fois, déjà, il avait suggéré à Remus qu'ils devraient tenter de lui voler d'autres loups…
« Le plan est d'aller à Poudlard demander des renforts. » déclara-t-il, à contrecœur.
Tout en lui lui dictait d'attaquer tout de suite, de mettre Albus et les autres devant le fait accompli.
Ils s'étaient déclarés alliés à part entière exactement pour s'octroyer ce genre d'autonomie.
Mais Laura jouait la voix de la conscience dans sa tête et la voix de Laura murmurait qu'au lieu de l'adouber pour avoir sauvé les enfants, ils lui reprocheraient d'avoir foncé dans le tas et pris des risques avec leur vie.
Était-il certain qu'il pouvait gagner cette bataille à l'instant ?
Il parcourut sa meute du regard, incapable de juguler la vague d'affection et de fierté, et pourtant…
Non.
Nicolas n'avait pas de pouvoirs magiques et, sous forme humaine, serait un poids mort si quelque chose se passait mal.
Olivia avait la meilleure volonté du monde mais, comme Laura, le combat n'était pas dans sa nature.
Vesper et lui seraient ralentis par la nécessité de démonter les protections magiques sur le cottage.
Tristan, seul, ne pouvait pas faire face à trois loups-garous.
Et c'était sans compter qu'ils ignoraient si les gardes étaient d'origine sorcière ou moldue et la manière dont ils choisiraient de répondre à la violence. Il était possible qu'ils aient des doses de potion sur eux, possible qu'au lieu de loups sous formes humaines, ils se retrouvent face à des crocs et des poils.
« Quoi ? » s'étouffa presque Tristan. « C'est une affaire de loups ! »
« Une affaire de loups, oui. » confirma froidement Lunard. « Mais je ne prendrai pas de risques avec la vie des enfants. »
Il s'apprêtait à ordonner à Olivia et Nicolas de retourner surveiller le cottage lorsque Tristan cracha par terre, son regard de plus en plus sauvage.
En lui, le loup se figea, mortellement attentif.
« Tu as quelque chose à dire, Tristan ? » s'enquit-il, la voix doucereusement dangereuse.
Il ne manqua pas la manière dont Vesper, après un moment d'hésitation, s'écarta pour aller se tenir avec Olivia et Nicolas, laissant Tristan seul face à lui.
Tristan qui planta son regard dans le sien et eut l'insolence de le soutenir plusieurs secondes avant de céder sa dominance et de détourner la tête. Pourtant, au lieu de se taire, l'homme croisa les bras devant lui d'un air butté.
« Je veux juste être sûr que tu ne te ramollis pas. » grommela le loup. « D'abord tu te mets à manger des rations, ensuite tu veux qu'on vive comme des humains… Maintenant, tu vas chercher tes ordres à Poudlard… »
Lunard avait décidé que, tout aussi agaçant qu'il soit, la théorie de Snape avait du bon.
À vivre comme un loup, on oubliait qu'on était homme.
Il y avait un équilibre à établir pour trouver l'harmonie.
Il avait donc décrété que, s'ils étaient libres de chasser et de consommer le fruit de leur chasse, il était également nécessaire de diversifier leur nourriture et de manger à table avec couverts, assiettes et serviettes. Il s'était échiné, ces derniers jours, à leur rappeler qu'être un loup-garou ne voulait pas dire être un animal.
Nicolas et Olivia avaient paru soulagés de ce retour à la civilisation, s'il était honnête.
Vesper… C'était toujours compliqué de déterminer ce qu'elle pensait. Elle était difficile à sonder. Mais elle n'avait pas fait de difficultés.
Tristan, lui, aimait vivre à la dure et ne comprenait pas ce revirement. Lunard avait trop longtemps laissé les choses déraper.
« Je ne vais pas chercher mes ordres. » gronda-t-il. « Je ne suis pas leur chien. »
Et pourtant c'était l'effet que ça lui faisait.
Devoir aller demander l'autorisation, comme s'il n'était pas Alpha. Comme si…
Pour le bien des enfants, se répéta-t-il.
C'était très exactement le genre de choses sue lesquelles Laura l'avait mis en garde.
S'il faisait passer son ego avant la sécurité des enfants, il ne valait pas mieux que Greyback.
Mais Tristan avait rejoint Greyback volontairement, en sachant quel genre de monstre il était à défaut de jusqu'où il irait. Ce n'était pas tant ses convictions qui l'avaient ébranlé que ses méthodes. Tristan n'avait pas signé pour les massacres en série ni pour la sauvagerie à laquelle se livrait la meute ennemie mais il croyait sincèrement à la suprématie des loups.
Lunard avait sa loyauté et il le savait.
Mais si l'autre loup commençait à douter de sa dominance…
Il aurait aimé dire que ce qu'il fit ensuite le dégoûtait mais une part de lui, la part animale, s'en délecta.
Il était plus petit que Tristan, plus frêle, et, pourtant, ce fut lui qui plaqua l'autre homme contre un arbre, une main crispée autour de sa gorge.
« Tu as autre chose à dire, loup ? » gronda-t-il, laissant l'Alpha enfler sa voix.
Tout un tas de choses passa dans le regard de l'autre loup-garou qui ne fit, pourtant, aucun geste pour se libérer ou se défendre. Accepter la punition était une manière de reconnaître que Remus était le plus dominant des deux, qu'il se soumettait à son autorité.
« Non. » souffla Tristan.
« Ne doute pas de moi. » exigea-t-il, en l'obligeant à croiser son regard. « Je sais ce que je fais. »
L'autre homme le soutint aussi longtemps qu'il le put. « Oui, Alpha. »
Lunard glissa sa prise de sa gorge à sa nuque et serra avec affection.
L'espace d'une seconde, il failli donner le commandement à Vesper, simplement pour marquer le coup, pour établir un précédent lorsque quelqu'un le défiait… Mais il faisait encore moins confiance à Vesper qu'à Tristan. Nicolas n'aurait jamais été capable de les maîtriser et Olivia encore moins.
« Je veux deux loups en surveillance. » ordonna-t-il. « Tenez-vous prêts. Lorsque je reviens, on attaque. »
Il se détourna sous un chœur de « Oui, Alpha » et, dans un craquement assourdi par la pluie, disparut.
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Severus se sentait moins mal que lors de leur dernière tentative de déplacer un horcruxe mais, supposait-il, c'était naturel. Après tout, ce coup-ci, il n'avait pas été directement dans le collimateur du Seigneur des Ténèbres. Le contrecoup de la magie noire avait été minime, ce qui était probablement plus alarmant, étant donné la difficulté du rituel en question.
Ou bien, comme Nymphadora l'avait affirmé, se voilait-il la face et sa rage n'était pas due uniquement à ce qui s'était passé…
Toujours est-il qu'il était maître de lui-même lorsqu'il abandonna Harry à la cuisine pour aller au salon. Centré à défaut d'être calme, apaisé à défaut d'être serein, concentré à défaut d'être reposé.
Il fallait dire que la jeune femme l'avait forcé à avaler une potion antidouleur et deux potions calmantes. Elle l'avait également obligé à prendre une douche, à se changer et avait jeté plus d'un sort de diagnostic maladroit sur sa cuisse avant qu'il n'ait la présence d'esprit de le faire lui-même. Son muscle était en piètre état sans que cela soit réellement alarmant et il savait ce qu'en aurait dit Andromeda ou Poppy. Il n'avait pas le temps de se reposer, pourtant.
Toutefois, il n'irait nulle part ce jour-là.
Claudiquer, même avec la canne et les potions dans son organisme, lui faisait serrer les dents et il devait s'appuyer au mur pour ne pas tomber. Il s'affala dans un fauteuil, étendit sa jambe douloureuse et décida de ne plus en bouger pour l'instant. Alors seulement il tourna son attention vers le canapé qui paraissait trop petit sous la masse du Briseur-de-Sorts qui y était pourtant recroquevillé sous trois épaisses couvertures.
Il devinait que la conversation allait être pénible.
Il allait falloir parler sentiments et prodiguer du réconfort, deux choses que Severus détestait fortement lorsqu'il n'était pas proche des personnes concernées. Il était proche de Bill désormais, cependant, supposait-il, alors il lui faudrait faire un effort.
De tous, le Briseur-de-Sorts était celui qui avait témoigné le plus de loyauté envers lui sans rien attendre en retour alors que, dans les faits, il ne lui devait rien. Peut-être avait-il sauvé Molly mais Bill avait largement payé cette dette en le protégeant de la Marque. Et, pourtant, le jeune homme l'appuyait encore et encore, sans hésiter. Après ce qu'il s'était passé cette nuit, quelqu'un de moins courageux ou de moins loyal se serait sans doute récusé du rituel. Bill n'avait même pas évoqué l'idée et ce malgré l'hostilité générale à peine contenue de Severus.
Il aurait préféré être drapé de ses robes noires pour cela, à l'abri derrière ses boucliers mentaux, mais il avait préféré le confort aux unes, quant aux autres… Les autres servaient à emprisonner la panique là où elle ne le transformerait pas en un monstre vociférant qui s'en prendrait à sa famille.
Il n'était pas fier de ce qu'il avait craché au visage d'Harry dans la Chambre, même s'il ne le regrettait pas au point de s'en excuser. Si c'était un électrochoc dont son fils avait besoin… Il était, en revanche, dégoûté par la manière dont il s'était adressé à Nymphadora.
Et puis…
Les robes et les boucliers ne servaient qu'à mettre de la distance.
« Bill. » appela-t-il, sans parvenir à masquer la fatigue dans sa voix. « Cesse de faire semblant de dormir, veux-tu. »
L'homme souleva les paupières au prix d'un effort visible. Ses yeux étaient rougis mais pas par l'éclat de la possession. La honte qui était gravée sur ses traits…
Severus n'avait pas besoin de Legilimencie pour deviner ce qui lui passait par la tête à cet instant précis.
« Si vous me tutoyez, c'est que j'ai vraiment des ennuis. » lâcha le Briseur-de-Sorts dans une tentative de plaisanterie qui tomba à plat, parce qu'il y avait une réelle angoisse dans sa voix, comme s'il s'attendait à ce que le Maître des Potions ne le vilipende pour ce qui s'était passé.
Cela aurait été facile de lui reprocher de ne pas avoir été suffisamment attentif lorsqu'il avait récupéré la coupe et, en un sens, cela aurait été justifié.
Le fiasco dans la Chambre des Secrets, en revanche…
Severus avait écarté Nymphadora précisément au cas où son esprit aurait encore été trop vulnérable face à une entité qui avait déjà eu l'occasion d'étudier ses défenses. Il avait pris la décision de garder Bill parce qu'il était leur expert en runes et qu'il avait développé la plus grosse partie du rituel. Il avait escompté que le Briseur-de-Sorts parviendrait à protéger son esprit car il était plus aguerri aux attaques mentales que la jeune femme. C'était Severus qui avait sous-estimé le Seigneur des Ténèbres, ce qu'il n'aurait jamais dû faire.
La faute ne posait pas sur Bill mais sur lui.
C'était lui qui était aux commandes de cette opération.
Même Albus s'était plié à ses ordres.
« Préfères-tu le vouvoiement ? » hésita-t-il, mal à l'aise. Voilà pourquoi il ne faisait jamais ce genre d'efforts d'habitude, ne prenait pas ce genre de risques même en amitié – pourquoi il ne se risquait pas à se faire des amis tout court. Les codes sociaux étaient trop complexes lorsqu'on ne jouait pas avec comme un jeu d'échecs, lorsqu'on était sincère.
« Non. » réfuta le Briseur-de-Sorts, en se repoussant en position assise.
Il se recroquevilla pourtant dans un coin du canapé, ramenant les couvertures sur lui, comme s'il avait trop froid ou trop besoin de se sentir en sécurité pour se préoccuper de l'image qu'il renvoyait. Il y avait un mug vide sur la table, prouvant que quelqu'un avait eu la présence d'esprit de lui servir du chocolat chaud, et il avait ôté ses bottes. Cela lui donnait des allures juvéniles qui n'étaient pas sans lui rappeler Harry.
« J'ai juste l'impression que vous allez me traîner dans votre bureau et me coller une retenue comme si j'étais un première année. » lâcha le Gryffondor, avec un frisson.
« Si je dois tutoyer Charlie, il est ridicule de ne pas en faire de même avec toi. » décréta-t-il, en pianotant sur l'accoudoir de son fauteuil. « Cela va dans les deux sens. »
Bill se détendit très légèrement et se frotta le visage. « J'en déduis que vous… tu ne m'en veux pas pour… »
Sa phrase resta en suspens.
Severus soupira. « Qu'as-tu répété à ton frère encore et encore lorsqu'il se blâmait de ses actes sous Imperium ? »
Le Briseur-de-Sorts grimaça. « Je sais, je sais… Rationnellement, je sais. C'est un peu différent quand on est de ce côté-là de la barrière. Je… Je n'ai pas lésiné sur les sorts de mort. »
« Nous sommes tous vivants, c'est ce qui compte. » rétorqua-t-il.
« Grâce à Harry. » commenta Bill et il plana dans la pièce un gros non-dit. Parce que si Harry n'avait pas détruit l'horcruxe lorsqu'il l'avait fait…
Mais Severus n'était pas en état d'être objectif ou d'en admettre autant.
« Comment te sens-tu ? » demanda-t-il, changeant le sujet. Il sortit sa baguette, fit un effort conscient pour moduler les sorts de diagnostics afin qu'ils ne lui déroulent pas le passé médical entier du jeune homme… Tout était bon.
« Bête. » admit l'aîné des Weasley, avec un bruit pas tout à fait amusé. « Faible. Incapable. »
Il pinça légèrement les lèvres. « C'est l'horcruxe qui parle. Tu n'es ni bête, ni faible, ni un incapable. Je ne m'entoure pas de ce genre de personnes. »
Cette fois-ci, le rire, bien qu'un peu trop rauque et fêlé, était plus sincère.
Bill secoua la tête. « Vous… Tu veux bien vérifier qu'il n'y a plus rien dans ma tête ? Il a brisé mes défenses si vite que… »
« Il avait eu le temps de les étudier. » le rassura Severus, lorsque sa phrase resta en suspens. « C'était mon erreur, Bill, et je m'en excuse. Je n'aurais pas dû te laisser assister au rituel en lui-même. »
« Non, non… » riposta le Briseur-de-Sorts. « C'est mon métier. J'aurais dû… C'est mon métier. Savoir quand se récuser, ça fait partie du job. C'est moi qui aurait dû savoir que je n'étais pas assez fort. Je pensais vraiment que… J'ai résisté. J'ai vraiment résisté. Essayé de résister… Mes boucliers ont volé en éclats comme du verre. »
Et le jeune homme ne serait pas en paix tant qu'il ne serait pas certain qu'il ne subsistait rien du Seigneur des Ténèbres dans son crâne. Il murmura donc un Legilimens et fit un tour rapide de son esprit, mesurant ses défenses, tentant de ne pas s'appesantir sur les souvenirs glanés à droite ou à gauche par respect pour la confiance qui lui avait été témoignée .
« Cela n'a rien à voir avec ta force. » insista Severus, après avoir confirmé qu'il n'y avait plus aucune trace de possession. « La dernière fois, il s'est insinué dans ma tête. Je n'étais guère en meilleur état que toi. »
« Mais il n'a pas pris le contrôle de ton corps. » contra Bill sérieusement.
Le Maître des Potions fut forcé de lui accorder la chose d'un geste. « Le médaillon jouait avec nos peurs et nos désirs. Celui-ci… Celui-ci semblait plus agressif. »
« Le journal a manipulé Ginny pendant des mois pour finir ce que Tu-sais-qui avait commencé à l'école. » remarqua le Briseur-de-Sorts.
« La bague misait sur la culpabilité. » murmura-t-il. « S'ils sont tous différents… »
« S'ils sont tous différents, ce sera d'autant plus compliqué de s'en protéger. » remarqua Bill.
La cheminée s'enflamma brusquement et Sirius en émergea sans avertissement et non sans se prendre les pieds dans le pare-feu. Il se remit debout en pestant contre le bout de ferraille et s'épousseta en mettant de la cendre partout sur le tapis.
Severus leva les yeux au ciel. « Il t'aurait suffit de demander l'autorisation de traverser, sais-tu ? »
Cela lui valut un regard noir. « Je vois que tu as fini ton caprice. Bill, tu vas mieux ? »
Le Briseur-de-Sorts lui répondit d'un hochement de tête.
Le Maître des Potions, quant à lui, choisit de ne pas relever l'emploi du mot caprice.
« Kreattur s'en sortira. » déclara Sirius, en s'appropriant l'autre fauteuil et en plaçant immédiatement les pieds sur la table basse. « Il a la tête dure même s'il a réussi à se fracturer méchamment le crâne. Andy m'a fait la leçon pendant une heure. Apparemment, il est trop vieux pour ce genre de choses. Il a adoré entendre qu'il en faisait trop et qu'il devait lever le pied… » Il frappa dans les mains et les frotta l'une contre l'autre, feignant davantage d'énergie qu'il n'en avait en réalité. « Bon. Si tout le monde est calmé et qu'on peut en discuter sans se disputer… Où est-ce qu'on a merdé ? »
« Nous n'avons pas… Ne pourrais-tu pas parler correctement ? » s'énerva Severus. « Je te rappelle que tu as désormais tout un tas d'adolescents et un nourrisson à charge. »
« Oui et ma crevette jurera comme un dragonnier avant d'apprendre à marcher. » décréta sereinement Sirius. « Sauf si Narcissa me tue avant, ce qui est, soyons honnêtes, très probable. »
Le Maître des Potions prit une profonde inspiration et s'accrocha à sa résolution de rester calme. « Nous y étions presque. L'horcruxe était pratiquement détaché de la coupe. »
« Mais il ne s'est pas attaché au trophée. » contra Sirius. « Je l'ai bien vu. »
« Parce que nous n'avons pas eu le temps de terminer le rituel. » insista-t-il. « Si nous… »
« Ça n'aurait pas marché. » intervint Bill.
Il frissonnait toujours et, s'il s'était détendu au point de ne plus être tout à fait replié dans le coin du canapé, il continuait d'agripper les couvertures comme si le froid était insupportable.
Severus ouvrit la bouche pour défendre sa théorie mais le Briseur-de-Sorts fit la grimace et le prit de vitesse. « Le trophée a explosé avant qu'Harry ne détruise la coupe, exactement comme le collier. Ce qui met un coup à l'hypothèse qu'un objet qui aurait appartenu à Vous-savez-qui fonctionnerait mieux qu'un autre. »
« C'était Dumbledore qui l'intéressait. » observa Sirius. « Si on avait réussi à le détacher totalement de la coupe, il se serait probablement jeté sur lui. »
« Il serait resté prisonnier du cercle de runes. » contra Severus.
« Une fois totalement détaché du vaisseau originel ? Je ne suis pas si sûr. » insista Bill. « Le sang avait commencé à coaguler. Une fois sec… Je maintiens que nous perdons en puissance à utiliser du sang en pochette. »
« Et Moldu. » lâcha l'Animagus, presque à contrecœur. « Ça m'est venu ce matin pendant que je cambriolais la banque de sang. Sans vouloir faire écho aux puristes… Est-ce que le sang d'un sorcier ne serait pas plus puissant ? »
L'ancien Mangemort poussa un long soupir. « Nous n'avons plus le choix, de toute manière. Il ne nous reste qu'un seul essai… Nous saignerons les prisonniers. Il y en a suffisamment pour que ce n'ait pas à être… létal pour qui que ce soit. »
Il y eut un long silence. Vu la quantité de sang qu'il leur fallait, ce ne serait tout de même bon pour la santé de personne.
« Peut-être que c'est ça le problème. L'intention. » suggéra Bill, lui aussi avec une réticence visible. « On mélange le sang de plusieurs personnes. On évite de sérieusement blesser qui que ce soit. Le rituel pour créer un horcruxe… Il n'y a pas de magie plus noire. Et nous… On ne va pas jusqu'au bout parce que… »
« Parce qu'on ne veut pas se salir les mains. » termina Sirius, une note d'avertissement dans la voix. « Parce qu'on n'est pas prêt à toutes les horreurs. Mais ce n'est pas qui nous sommes, Bill, ce n'est pas… »
« Ce n'est peut-être pas qui vous êtes, vous. Moi, j'ai fait pire. » contra sèchement Severus, en tournant les yeux vers Bill. « Termine ta pensée. »
Néanmoins, il avait déjà suivi le raisonnement du Briseur-de-sorts.
« Il faut commettre un meurtre pour créer un horcruxe. » hésita Bill. « On a trouvé comment en détacher un mais pour le rattacher à un autre vaisseau… Le sang… Je ne suis pas certain que le problème vienne simplement du fait qu'il ne soit pas fraîchement versé. »
« Il y a une différence entre saigner un Mangemort jusqu'à risquer le tuer et potentiellement commettre un meurtre rituel. » lança Sirius, en secouant la tête. « Severus l'a dit, on y était presque. L'important, c'est de libérer Harry. Si on ne peut pas rattacher l'horcruxe à un autre vaisseau, on… »
« Si on ne peut pas le rattacher à un objet, nous ne pourrons pas le détruire. » contra Severus. « Je ne suis même pas certain que nous pourrons le contenir. Nous nous exposerions à une possession bien plus sérieuse que celle dont Bill et Nymphadora ont été victimes. » Il pianota sur l'accoudoir d'un doigt tremblant. « Mais Harry sera libre. Sur ce point, tu as raison. »
« Je préférerais quand même l'option avec destruction et sans possession. » remarqua Bill, non sans sarcasme. « Je ne veux pas être responsable de ce qui se passerait si on libérait une de ses choses. Si celui-ci avait pris le contrôle de Dumbledore… »
Un silence pesant tomba sur la pièce tandis qu'ils réfléchissaient tous aux choix qui s'offraient à eux, aucun d'eux n'étant bon.
Harry les interrompit après quelques minutes pour les avertir qu'il allait rendre visite à Kreattur.
Avait-il tout entendu ? Probable.
Severus aurait dû jeter un sort sur la pièce.
Qu'il ait oublié…
Il se pinça l'arrête du nez, agacé par ses erreurs. Il était trop fatigué et cela lui jouait des tours.
Saisissant l'excuse de cette interruption, Bill décréta qu'il se sentait mieux – un mensonge éhonté – et emprunta la cheminée pour aller rejoindre Fleur. Une sage décision, selon Severus. Aussi niais que cela soit – et il aurait été le premier à hurler à la sottise un an plus tôt – le meilleur remède à l'après-coup d'un horcruxe était encore l'étreinte d'un être aimé.
« Tonks est dans le coin ? » demanda Sirius, nonchalamment, une fois que les flammes de la cheminée eurent perdu l'éclat émeraude pour reprendre la teinte chaude d'un feu normal.
D'un geste, Severus remit le pare-feu en place. « Non, elle est allée au bureau. Nous avons abandonné Kingsley toute la matinée. L'un de nous, au moins, devait rejoindre son poste. »
« Donc on est seul ? » pressa son ami.
Un vieil instinct dont il ne se débarrasserait jamais poussa Severus à s'asseoir légèrement plus droit et à s'assurer, sans pourtant bouger un seul doigt, que sa baguette était prête à être dégainée si besoin. Il ne pourrait pas se lever. Pas sans perdre de précieuses secondes. Il devrait être rapide et…
« Ne fais pas cette tête, Servilus, je ne vais pas t'attaquer. » se moqua l'Animagus, en levant les yeux au ciel. « Même si tu mériterais que je te botte le cul après ce que tu as dit à Harry. »
La plaisanterie avait fondu dans un ton extrêmement sérieux.
Toutefois, le Sang-Pur était toujours affalé négligemment dans son fauteuil, ses pieds étaient toujours sur la table basse – malgré ses multiples regards noirs – et ne présentait aucun des mêmes signes de possession que Nymphadora ou Bill.
« Tu es parano. » soupira Sirius. « Mais je suppose que ça t'a gardé en vie jusqu'ici donc… » Il chassa l'accusation d'un geste de la main. « On est seuls oui ou non ? »
« Oui. » confirma-t-il. Et, pour plus de sécurité, il renforça non seulement ses protections mais jeta aussi plusieurs sortilèges qui garantiraient que rien ne sortirait du salon. « Qu'y a-t-il ? »
Son ami abandonna sa tranquillité factice, reposa les pieds et sol et se pencha légèrement en avant, le regard planté dans le sien. « Tu m'as dit et redit que l'horcruxe ne pouvait pas contrôler Harry. Severus, est-ce que tu es sûr de toi ? »
Il ouvrit la bouche pour répondre que, évidemment, il était sûr de lui mais la referma lentement.
« La situation d'Harry est différente. » botta-t-il en touche.
« Ce n'est pas un oui retentissant et confiant, ça. » gronda Sirius.
« Que veux-tu que je te dise ? » s'énerva-t-il.
Sans réfléchir, il esquissa un mouvement pour se lever, ressentant le besoin de marcher pour distraire ses nerfs, mais un élancement de douleur dans la jambe le poussa à se caler à nouveau dans le fauteuil avec un sifflement. Un nouveau moment d'impotence qui fut le coup de grâce de la maigre emprise qu'il avait sur lui-même.
La colère était partie, cependant, remplacée par cet accablement sans fond.
Il avait l'impression d'être tombé dans un puit et de couler, couler… Il était en apnée, les poumons brûlants du manque d'oxygène et…
« Que veux-tu que je te dise ? » répéta-t-il dans un murmure, en se passant une main sur le visage. Il la laissa sur ses yeux quelques secondes, termina le mouvement en repoussant ses cheveux en arrière. Ils étaient trop longs. Il avait depuis longtemps laissé passer le délais où il les coupait d'ordinaire et ne se faisait pas assez confiance pour le faire lui-même. C'était un détail futile qu'il avait remisé au bas de sa liste de priorités, comme tant d'autres.
« Dis-moi que tu es certain qu'Harry n'est pas susceptible de se transformer en Tu-sais-qui à n'importe quel moment. » insista Sirius.
« Je ne le pense pas. » soupira-t-il. « Harry… Harry est un vaisseau vivant. Si l'horcruxe avait dû s'emparer de lui, il l'aurait fait quand il était encore un bébé ou, du moins, trop jeune pour se défendre correctement. Là… » Lorsqu'il avait plongé dans son âme à Halloween, il avait vu le tissu cicatriciel. « L'horcruxe est comme une tumeur et Harry s'est développé autour. Peut-il l'influencer… Lorsqu'il éprouve des émotions extrêmement négatives, peut-être. Joue-t-il un rôle dans sa dépression ? Certainement. Mais le contrôler ? Je ne crois pas que cet horcruxe-là en soit capable. C'était un accident, après tout. Je ne pense pas que ce soit un risque. Je me méfierais davantage du Seigneur des Ténèbres en chair et en os s'il décidait d'exploiter la connexion entre eux mais l'Occlumencie devrait le protéger de ce genre d'attaques. Harry a le niveau d'un Maître Occlumens. Il est de taille à lutter contre lui. »
Lentement, l'Animagus se cala à nouveau contre le dossier du fauteuil. « Le serpent. Le serpent est vivant, lui aussi. Est-ce qu'il est possédé par son horcruxe ? »
Severus prit le temps de réfléchir puis réfuta la chose d'une secousse de tête. « De ce que j'ai observé, Nagini le sert volontairement et si le Seigneur des Ténèbres l'utilise et abuse de leur lien… Elle n'est pas possédée par le bout d'âme qu'elle abrite. De plus… » Il s'humecta les lèvres. « Il est trop égocentrique et paranoïaque pour supporter un rival, fut-ce un autre lui-même. S'il y avait un réel risque, il n'aurais pas choisi un vaisseau vivant. »
Sirius l'observa longtemps, plus grave qu'à l'ordinaire. « Il y a un risque. »
« La coupe est le seul horcruxe qui a pris le contrôle de l'un de nous, jusque ici. » lui rappela-t-il. « La bague, le médaillon… Ils ont cherché à nous manipuler, à nous aveugler mais ce n'était pas ce genre de… »
« Severus. » le coupa son ami, en se frottant le visage à son tour. « Il y a un risque. Petit, peut-être mais un risque. »
Il voulut nier.
Ça ne te ressemble pas de te voiler la face comme ça, l'avait accusé Harry, cette nuit-là.
« Peut-être. » admit-il à contrecœur.
« Ça veut juste dire qu'il faut être attentif, c'est tout. » décréta Sirius. « Kreattur garde déjà un œil sur Harry mais il est distrait par le bébé… Je vais lui dire d'être plus vigilant. »
« Nous n'en parlons pas à Harry. » déclara-t-il. « Cela ne ferait que rajouter de l'eau à son moulin. Officiellement, cette hypothèse n'existe pas. »
L'Animagus hésita puis hocha la tête. « D'accord. »
Ils s'observèrent un long moment, soudés dans ce besoin de sauver l'adolescent de lui-même.
L'ancien Maraudeur fut le premier à détourner le regard. « J'ai une théorie. Elle vaut ce qu'elle vaut. »
« Va-t-elle me plaire ? » ironisa-t-il.
La grimace de son ami en disait long. « Plus on en détruit, plus ils deviennent puissants. »
Severus réfléchit à cette possibilité pendant un moment, passant mentalement en revue tout ce qu'il avait lu sur les horcruxes, toutes ses observations… « Je ne crois pas. Tout indique que bien qu'une infime part du bout d'âme reste reliée au porteur originel, une fois tranchée et rattachée au vaisseau, elle existe dans son individualité. »
Sirius fronça les sourcils. « Alors explique-moi pourquoi ils sont de plus en plus dangereux ? »
« Ils sont tous autant dangereux les uns que les autres, simplement différemment. » contra Severus. « En revanche, je concède que la coupe était le plus puissant que nous ayons rencontré jusque ici. Toutefois, la bague me paraissait plus puissante que le médaillon in fine. » Il claqua la langue. « Non… Une fois détruit, le bout d'âme ne va pas rejoindre les autres pour les renforcer… En revanche, il est possible que tous les horcruxes ne soient pas égaux. »
Sirius se leva avec une souplesse que Severus envia et disparut momentanément dans la cuisine pour revenir avec deux verres de jus de fruits à la main. Il aurait préféré du thé ou de l'eau mais ne commenta pas, sachant que son ami, lui, aurait probablement préféré du whiskey.
« Tu veux dire que la puissance de l'horcruxe peut varier suivant à quel point il a donné de lui lorsqu'il a créé l'horcruxe ? » déduisit l'Animagus, en se rasseyant. « Se donner corps et âme vient de prendre un tout nouveau sens… »
« C'est une théorie. » hésita Severus. « Une âme est-elle infinie ? Pas si l'on en croit tout ce qui a été écrit sur les horcruxes. La séparer en deux est anathème… La séparer en sept ou huit… Est-ce proportionnel ? Ne reste-t-il qu'un huitième de son âme en lui ? Ou bien les bouts sont-ils plus ou moins gros suivant l'importance ou la cruauté du meurtre ? Les émotions qui l'habitaient à ce moment là ? La puissance magique dépensée lors du rituel préparatoire ? Je pencherais pour cette hypothèse, ce qui expliquerait la différence de puissance entre les horcruxes. »
« Tu penches pour cette hypothèse parce que tu espères qu'il n'a pas fait exprès de créer celui d'Harry. » remarqua très justement Sirius. « Et que ça voudrait dire que son horcruxe n'est pas aussi puissant que les autres, qu'il ne peut vraiment pas le posséder. »
Peut-être.
Il se mura dans le silence et prit une gorgée d'un jus de citrouille qui était trop acide à son goût. Merlin seul savait depuis combien de temps le pichet était dans le placard sous sort de stase, Harry était le seul à en boire.
Au bout de quelques minutes, comprenant qu'il n'y aurait pas de réponse, Sirius soupira. « Écoute… Je sais que ça ne va pas trop, en ce moment. Je le vois bien. »
« Tu n'es pas exactement à ton plus haut niveau d'affabilité, non plus. » riposta-t-il, sur la défensive.
Nyssandra était toujours aux abonnés absents.
« Je n'ai pas dit le contraire. » déclara l'Animagus. « C'est le problème d'une guerre, ça use. »
« Je suppose. » admit-il, avec rancœur.
« Je sais que ça n'aide pas qu'Harry soit si… » Le Sang-Pur s'arrêta, poussa un nouveau soupir et descendit la moitié de son verre avant de grimacer. « Il est dégoûtant, ce jus. »
« Peux-tu finir le cours de ta pensée que nous passions à autre chose ? » siffla-t-il.
« Si tu dois passer tes nerfs sur quelqu'un, passe-les sur moi. » cingla Sirius, soudain bien moins aimable. « Donner à Harry des idées sur comment se suicider ? Recommence et je te tue. Et, non, ce n'est pas une menace en l'air. »
Severus ne chercha pas à se défendre. Au contraire, il acquiesça d'un geste sec de la tête.
Ça sembla calmer un peu l'agacement de son ami qui reposa le verre sur la table basse. « On peut parler de l'autre hippogriffe dans la pièce ? Grindelwald. »
Il imaginait sans mal l'état dans lequel Albus devait être à cet instant précis. Qu'il ne se soit pas donné la peine de venir débriefer ce qu'il s'était passé…
« Grindelwald. » insista Sirius, face à son manque de réaction. « Et les trucs que l'horcruxe disait… Et Dumbledore avait l'air… » L'Animagus secoua la tête. « Severus, je crois que Dumbledore était amoureux de Grindelwald. »
Severus demeura impassible.
Ce n'était pas son secret et il n'allait pas le trahir. Pas à moins d'avoir véritablement besoin d'un point de pression sur Albus.
« Tu ne vas rien dire ? » demanda l'Animagus, en fronçant les sourcils.
« Je n'ai pas d'opinion. » répondit-il, ce qui lui valut un bruit dubitatif.
« Tu as toujours une opinion sur tout. » décréta Sirius. « Si tu n'as pas d'opinion, c'est que tu ne veux pas en avoir. Ce qui veut dire que tu penses que j'ai raison. » Son ancien rival l'étudia quelques secondes puis il écarquilla légèrement les yeux. « Non, tu sais que j'ai raison parce qu'il a dû te le dire. Oh, putain… Dumbledore et Grindelwald ? Dumbledore et Grindelwald ? »
Severus leva les yeux au ciel. « En as-tu terminé, oui ? »
« Terminé ? » Sirius manqua s'étouffer. « Tu sais ce qui se passerait si les gens découvraient… Grindelwald, Severus. »
« Oui, je sais. » confirma-t-il. Dumbledore perdrait tout ce qu'il lui restait de crédibilité politique et, étant donné qu'ils ne tenaient la Confédération Internationale Magique en respect que par un fil, ça signerait la mort de leur Ministère et la victoire du Seigneur des Ténèbres. « Laisse-moi donc te reposer la question… En as-tu terminé ? »
Parce qu'il n'était pas tout à fait un idiot, Sirius savait pertinemment quelles conséquences ce secret pouvait avoir. Il s'avachit un peu plus dans le fauteuil, secouant la tête.
« Grindelwald… » murmura pourtant l'Animagus. « C'est tellement… »
« Tragique ? » suggéra-t-il.
« Fou. » corrigea Sirius.
« Plus fou que de s'amouracher d'une vampire ? » contra-t-il. « Plus fou que l'idée de Nymphadora et moi ? »
Son ami se reprit et finit par hausser les épaules. « Je suppose que l'amour ne se choisit pas. »
C'était peut-être la chose la plus sensée qu'il n'ait jamais dite.
°O°O°O°O°
Le ciel était sombre comme au crépuscule bien que le déjeuner soit à peine passé.
L'orage estival avait frappé fort et de manière inattendue, emplissant l'air d'une moiteur qui ne rafraichissait rien. Au lieu d'allumer les bougies et de se concentrer sur les rapports qui s'entassaient sur son bureau, Albus avait ouvert la fenêtre et s'était appuyé contre l'embrasure, respirant la tempête à pleins poumons. Si des gouttes de pluie venaient parfois heurter son visage et y dégoulinaient…
À chaque éclair aveuglant qui striait le ciel, Albus apercevait du coin de l'œil son reflet dans la vitre et s'autorisait la faiblesse de s'imaginer un autre corps près du sien.
Machinalement, les doigts de sa main droite jouait avec la bague qui encerclait son annulaire gauche.
Trop peu, trop tard.
« Ich liebe dich. » murmura-t-il, confiant ces mots à l'orage qui les emporterait peut-être jusqu'au delà du voile.
Son cœur saignait malgré toutes ses tentatives pour l'endurcir, pour renforcer ses boucliers mentaux…
C'était le prix à payer pour le genre de magie auquel ils s'étaient adonnés. La magie noire exigeait toujours plus de pouvoir, se nourrissait de vos émotions… Et c'était sans parler des effets résiduels d'un horcruxe.
À cet instant, il aurait donné n'importe quoi pour la pierre de résurrection qu'il avait confiée à Harry.
Pour revoir ses fantômes.
Un fantôme, en particulier.
La tentation était grande et c'était une des raisons pour lesquelles il avait choisi de se terrer ici.
Mais le destin aimait le mettre à l'épreuve et il ne fut pas surpris de sentir quelqu'un parler à la gargouille qui gardait fidèlement l'entrée de son bureau. Il avait ordonné de ne pas être dérangé, Kingsley et Severus étaient les deux seuls qui auraient pu passer sans y être invités et Poudlard n'aurait dû attirer son attention que sur les autres personnes indispensables comme Tonks ou Minerva. Mais Poudlard avait toujours eu un faible pour Harry Potter.
La gargouille pivota pour lui avant qu'Albus n'ait pu prendre sa décision et, malgré tout, il sourit et posa une main sur la pierre froide près de la fenêtre, espérant que le château ressentirait toute l'affection qu'il avait pour lui.
Poudlard, à sa manière, veillait sur lui.
Il était en train de refermer la fenêtre et de se composer une expression plus neutre lorsque les coups résonnèrent à la porte, un peu hésitants. Il l'invita à entrer, toujours un peu saisi de trouver un véritable jeune homme là où il s'attendait toujours à voir un enfant de onze ans. Et quel jeune homme…
Visiblement, Harry n'était pas venu pour une simple visite de courtoisie. Le garçon avait appris, par imitation, à se draper de son pouvoir, comme lui le faisait parfois lorsqu'il était nécessaire de rappeler aux personnes présentes qu'il était le plus puissant de la pièce. Severus aussi usait de cette technique.
Plus que cela, cependant, l'adolescent avait pris une attitude très particulière qui seyait mieux à Draco Malfoy. Le menton haut, l'expression distante, presque hautaine, chaque geste calculé… L'effet aurait été plus frappant s'il avait porté des robes élégantes au lieu du jean et du tee-shirt encore tachés de la poussière de la Chambre des Secrets, mais cela n'entachait pas l'impact général pour autant.
Albus masqua son sourire attendri avant qu'Harry n'ait pu l'apercevoir, choisissant d'aller s'installer derrière son bureau.
Lucius avait affirmé que si Harry se déclarait troisième parti, lui et Voldemort perdraient des partisans… Il n'avait sans doute pas eu tort. Pourtant, Albus avait connu suffisamment de mages noirs plus ou moins accomplis et de personnages grandiloquents convaincus de leur propre importance pour ne pas se laisser impressionner aussi facilement par de la poudre aux yeux. Et Harry valait mieux que ça.
Severus avait eu ses raisons de lui apprendre à se comporter avec l'arrogance des héritiers des grandes Maisons mais Albus ne voulait pas de ça pour lui.
« Que puis-je pour toi, Lord Potter ? » demanda-t-il, mettant juste assez d'humour dans sa voix pour que le garçon sache que son petit numéro n'aurait pas l'impact escompté sur lui.
L'adolescent hésita, faillit s'entêter, puis relâcha la tension dans ses épaules en même temps que l'expression froide sur son visage. La pression légèrement inconfortable de la magie qui avait envahi la pièce se dissipa elle aussi.
D'un geste, Albus l'invita à s'asseoir. « Tu sais que ma porte t'es toujours ouverte, Harry. Inutile d'y mettre ce genre de formes. Du thé ? »
Le garçon soupira mais se laissa tomber dans le fauteuil et accepta la proposition. Le bébé niffleur qu'il traînait partout sortit un museau intrigué de sous son tee-shirt, ruinant davantage l'effet Grand Lord qu'il avait voulu donner. Sans sembler y penser, l'adolescent passa un doigt sur la petite tête bleuté et le laissa escalader son épaule et son bras jusqu'à l'accoudoir. Le niffleur semblait très intéressé par le bureau d'Albus…
Après avoir appelé son elfe de maison favori et lui avoir demandé un plateau, il rangea un coupe-papier en argent dans un tiroir et invita Harry à laisser son animal de compagnie explorer. À peine l'avait-il posé sur le bureau que le niffleur se jeta sur un presse-papier partiellement recouvert de dorures.
Ils l'observèrent tous les deux un moment, jusqu'à ce que le plateau apparaissent avec un léger bruit et que le Directeur ne se voit obligé de faire de la place pour ne pas endommager rapports et mémos qui s'entassaient là.
Cela prit quelques minutes.
Quelques minutes qu'il utilisa pour mieux cadenasser au fond de son esprit tous ses sentiments et souvenirs intrusifs.
Quelques minutes qu'Harry, il en était certain, mit à profit pour revoir son plan d'attaque et structurer sa pensée.
Ce ne fut que lorsque ils eurent tous les deux une tasse en main et se furent servi un des petits sandwichs au concombre posés sur une large assiette qu'Albus se décida à briser la glace.
« Drôle de journée, n'est-ce pas ? » demanda-t-il, avec un peu trop de sincérité.
Harry émit un bruit qui n'était pas vraiment amusé. « Les jours où on détruit les horcruxes sont toujours bizarres. Comme si la vie était soudain plus… grosse. Comme si le concept était soudain moins abstrait et plus… C'est dur à expliquer. »
« Cela nous rend davantage conscient de notre propre mortalité. » hasarda-t-il, prudemment.
Le sourire de l'adolescent était un peu désabusé. « Je n'ai pas vraiment besoin de ça pour en être très conscient. »
Et, en dépit de tout ce que l'on pouvait penser, cela attristait Albus. C'était la raison pour laquelle, si on lui avait laissé le choix, il aurait gardé Harry dans l'ignorance jusqu'au dernier moment.
« Comment va Severus ? » s'enquit-il.
Il vit le garçon vaciller entre la réponse attendue et la vérité, tiraillé entre sa loyauté et sa lassitude…
« Déterminé à ce que je l'emporte dans la tombe à défaut d'autre chose, je dirais. » lâcha finalement le Gryffondor, la mâchoire contractée avant de croiser son regard. « On peut parler franchement ? Pas de sous-entendus, pas de faux-semblants, pas de manipulations… Juste… On peut parler franchement ? D'homme à homme ? »
Les flammes brillaient haut derrière les yeux verts mais Albus ne tenta même pas d'effleurer son esprit.
Il s'était attendu à ce genre de conversation à un moment où à un autre.
Respectueusement, il acquiesça. « Si tu le souhaites. »
« Je vais mourir. » déclara Harry avec cette asthénie qui lui collait à la peau dernièrement. Sa voix ne trembla pas, ni avec crainte, ni avec émotion. Elle était fatiguée, résignée et emplie d'une certitude qui fit se serrer le ventre d'Albus avec culpabilité. Avec regret.
Il n'y avait rien à répondre à cela alors il demeura silencieux.
« Ce rituel… Vous ne pensez pas qu'il va marcher. » continua l'adolescent, avec un brin d'accusation.
Le vieux sorcier s'autorisa une légère grimace. « Au contraire. Je pense qu'il a toutes les chances de réussir. Je pense que Bill a raison sur la question du sang. Je pense que si nous poussions plus loin dans la noirceur, nous parviendrons à détacher un horcruxe d'un vaisseau et à le rattacher à un autre. »
Un soupçon d'espoir, rapidement douché, passa dans le regard du garçon.
« Un horcruxe. » releva-t-il. « Mais pas le mien. »
Albus posa sa tasse de thé et se cala plus confortablement dans son fauteuil, croisant les mains sur son ventre, doigts entrelacés.
« Non. » confirma-t-il tristement. « Pas le tien. Nous pouvons essayer, cependant, mais… Je crains que dans ton cas, l'horcruxe soit trop profondément ancré dans ton âme pour l'en déloger sans conséquences. Tu n'es pas un objet, Harry, et ton cas est unique. Nagini, par exemple, n'est devenue un horcruxe que récemment, son âme n'a certainement pas absorbé le fragment de celle de Tom de la même manière que la tienne l'a fait. Le déloger n'est pas la réponse. »
« Mais vous les laissez faire. » insista le garçon avec agacement. « Vous les encouragez. »
Albus l'étudia un moment puis décida qu'il lui devait la vérité.
« J'ai averti Severus que je n'étais pas convaincu que cela fonctionnerait sur toi mais… Je n'ai pas cherché à le dissuader non plus. » admit-il.
« Vous lui donnez de faux espoirs ! » s'énerva Harry. « Il… »
« Je lui donne ce dont il a besoin pour continuer de fonctionner. » l'interrompit-il.
Il ne fut pas surpris lorsque Fumseck quitta son perchoir pour venir se poser sur l'accoudoir du fauteuil du garçon, vit le coup d'œil qu'il jeta immédiatement à son niffleur qui s'était figé face à la présence potentielle d'un prédateur… Toujours si prompt à se soucier des créatures plus faibles que lui-même…
Albus sentit sa gorge se serrer légèrement et la racla. « Severus refuse d'entendre, Harry, et il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Ce rituel lui donne un but, une raison de continuer… »
« C'est cruel. » contra l'adolescent.
Cela l'était peut-être.
Toutefois…
« Sans espoir, Severus s'enveloppera de sa douleur et de sa colère et, chez lui, nous savons tous les deux qu'elles sont autodestructrices. » déclara-t-il. « Sur le plan personnel, je ne sais pas comment le sauver de lui-même. Sur le plan global, j'ai besoin de lui en état de diriger mes troupes. » Ce fut son tour de planter ses yeux bleus dans ceux du garçon. « Je ne possède pas la bonne réponse, Harry. Il t'aime. Il ne s'arrêtera à rien pour te sauver. Tu voulais parler franc, sans faux-semblants ou dissimulations… J'ai besoin de lui. Et, égoïstement, je voudrais le sauver de lui-même comme il souhaiterait le faire pour toi, comme j'aimerais pouvoir te sauver toi. Il est peut-être cruel de lui laisser miroiter qu'il a une chance avec ce rituel mais tant qu'il se concentre sur ça, il ne s'aventure pas sur des chemins plus dangereux. Tant que je sais ce qu'il fait, je n'ai pas besoin de me méfier qu'il tente quelque chose de plus désespéré. »
Harry n'appréciait pas cette réponse mais c'était la seule qu'Albus avait à lui donner.
« Et vous êtes prêt à sacrifier des gens pour ça ? » gronda le garçon. « Parce qu'une fois qu'ils auront le diadème… Ils sont prêts à assassiner un Mangemort pour ce rituel. Je ne veux pas de ça. Pas juste parce que je ne veux pas que quelqu'un d'autre meure à cause de moi mais parce que je ne veux pas qu'il tue quelqu'un comme ça. De sang-froid. »
Le vieux sorcier se resservit du thé, uniquement pour gagner du temps, un peu gêné. « Tu n'es pas sans savoir… »
« Je sais ce qu'il a fait par le passé ou je devine. » le coupa l'adolescent. « Mais ça fait longtemps qu'il a changé. Tuer durant une bataille et tuer comme ça, délibérément, c'est différent. Et on ne va même pas parler de la magie noire et de ce que ça pourrait lui faire. »
« Tu crains qu'il ne replonge. » devina Albus.
Harry haussa les épaules, leva les mains et les laissa retomber pour indiquer combien il trouvait la question bête. « Gorgé de magie noire, blessé par ma mort ? Qu'est-ce qui va l'arrêter s'il va si loin ? Le meurtre de sang-froid, c'est la limite. Si on le laisse faire ça… »
« Peut-être exagères-tu la sévérité de la situation. » nuança-t-il. « Il n'a parlé que d'utiliser les prisonniers pour du sang frais. Il y en a suffisamment pour… »
« Ils parlent de meurtre rituel, maintenant. » l'interrompit sèchement à nouveau le garçon. « Vous avez raté la petite réunion. Même Tonks n'arrête pas de répéter qu'elle tuera quelqu'un si besoin. »
Albus s'autorisa un sourire triste. « Es-tu si surpris ? Elle semble avoir forgé une véritable affection pour toi. »
« Ce n'est pas la question. » s'agaça-t-il. « Severus… C'est comme s'il avait besoin de se prouver qu'il a tout fait. Il n'hésitera pas. Et les autres ne l'arrêteront pas. Ils n'essayeront même pas. »
Le thé n'avait pas bon goût.
Trop de tristesse, trop d'amertume, trop de regrets.
« Et tu veux que, moi, je l'arrête. » devina-t-il.
Harry ouvrit la bouche, la referma… Fumseck lui donna un petit coup de tête sur l'épaule et, délicatement, le garçon cogna son crâne contre celui du phœnix.
« Non. » murmura l'adolescent au bout d'un moment. « Je veux qu'on lui coupe l'herbe sous le pied. »
Oh.
Albus reposa sa tasse et l'étudia plus attentivement. « Tu veux retrouver le diadème avant lui. »
« Je veux le détruire avant qu'ils ne puissent réessayer leur rituel à la con. » confirma Harry, sa voix retrouvant en force, en détermination. « Tout à l'heure… Ça aurait pu très mal se finir. Il n'y a pas que le fait que je ne veux pas qu'ils tuent quelqu'un. Ces choses sont dangereuses. Et celui de la coupe a failli se libérer. Osez me dire le contraire. Vous étiez à deux doigts de le toucher. »
« Je n'allais pas le toucher. » nia-t-il. « J'étais pertinemment conscient que… »
« Vous approchiez. » se vit-il coupé la parole une énième fois. « Vous ne vous en rendiez même pas compte mais vous vous rapprochiez. » Les yeux verts plongèrent dans les siens, un peu trop compréhensifs. « Ce n'est pas votre faute, Professeur. Tom sait se montrer convainquant. »
Avait-il avancé vers le cercle de runes ?
Gellert…
Il ferma brièvement les yeux. « Souhaites-tu me poser la question ? »
Il n'aurait pas menti.
Pas à ce garçon qui portait le poids du monde sur ses épaules.
« Je ne crois pas que j'en ai besoin. » répondit Harry, plus doucement. « Pour ce que ça vaut, je suis désolé. »
Albus hocha lentement la tête puis soupira. « Il ne te le pardonnera pas. »
« Tant mieux. » plaisanta le garçon, en haussant les épaules. « Ça lui fera moins mal lorsque je partirai. »
Le Directeur ne masqua pas la douleur que ces mots faisaient naître en lui. « Tu sous-estimes son amour pour toi. Nous pouvons en vouloir à quelqu'un et les aimer plus que de raison. L'un n'exclue pas l'autre. »
Harry se pencha pour récupérer son niffleur qui tentait désespérément – et de manière impossible – de faire rentrer le presse-papier dans sa poche ventrale. Il le garda sur ses genoux, caressant machinalement la créature qui s'attaqua immédiatement au sceau que le garçon n'ôtait jamais.
« Vous êtes avec moi ou pas ? » demanda-t-il franchement.
« Jusqu'à la fin, Harry. » promit-il. « Jusqu'à la toute fin. »
Le Survivant parut soulagé. Il s'humecta les lèvres et acquiesça lentement. « Faites semblant d'être toujours avec eux mais s'ils trouvent l'horcruxe avant moi… Severus ne me le dira pas. Il sait que je vais vouloir le prendre de vitesse. »
« Dans ce cas, me voilà ton espion. » offrit Albus. « L'épée… »
« Trop encombrant. » refusa le garçon. « J'ai volé un crochet de basilic. »
« Severus… » hésita-t-il.
« Va fouiller ma chambre et me jettera probablement des sorts de détection de manière aléatoire. » confirma l'adolescent. « Mais il ne le trouvera pas parce que je vais le cacher là où il n'ira pas le chercher. Et il ne sait pas que je l'ai, de toute manière. Je l'ai volé dans le laboratoire de Serpentard, pas sur le basilic. Il va se méfier, je sais. C'est lui qui m'a appris à raisonner comme ça. Il m'a appris à gagner… »
Albus doutait que l'ancien Mangemort ait prédit de voir ses propres méthodes retournées contre lui.
« J'ignore où est le diadème, Harry. » admit-il. « Sur ce point, je ne suis pas plus avancé que Severus. La théorie de Nymphadora est peut-être juste mais il y a une possibilité pour qu'elle soit erronée et qu'il soit ailleurs qu'à Poudlard. »
« Espérons que non. » lâcha le garçon, en grimaçant. « Parce que, ce coup-ci, je suis presque sûr qu'il a senti la destruction de l'horcruxe. Il est… agité. » Le vieux sorcier se redressa brusquement mais Harry balaya l'air d'un geste de la main. « Je gère. Il ne passera pas mes boucliers. Mais le fait que je puisse le sentir, ce n'est pas bon signe. Je ne crois pas qu'il sache exactement ce qu'il s'est passé mais il sait que quelque chose ne tourne pas rond. Je ne peux pas être plus précis sans tenter de remonter la connexion. » L'adolescent hésita. « Je pense que je pourrais maintenant. Je comprends assez la Legilimencie pour… tenter. Si vous voulez. »
« Non. » refusa-t-il tout net. « C'est trop dangereux et la fiabilité des informations serait soumise à caution. »
L'adolescent ne chercha pas à discuter, il parut même un peu soulagé. « Dans tous les cas… Quand on détruira le diadème, il le saura. J'en suis sûr. Papa voudra sans doute capturer Nagini mais si j'ai raison, il n'aura pas le temps d'essayer. Vous comprenez ? »
« Je comprends. » confirma Albus. Une fois qu'ils auraient détruit le diadème, la bataille finale ne serait pas loin. Qu'ils la provoquent ou la subissent, il leur faudrait en finir.
« Autre chose. » hésita l'adolescent, en détournant le regard. Ses doigts s'étaient crispés dans la fourrure du niffleur. « Severus dit que l'horcruxe ne peut pas me posséder. Je crois qu'il ment. Ou qu'il se ment. »
« C'était une de mes inquiétudes. Toutefois, si l'horcruxe pouvait te posséder, je pense qu'il l'aurait déjà fait. » contra Albus. « L'Occlumencie est ta meilleure protection, particulièrement dans les moments où tu te sens le plus vulnérable. »
« Si je suis un danger… » insista le garçon.
« Tu n'es pas plus un danger aujourd'hui que tu l'étais hier ou il y a trois mois. » le rassura Albus. « Sur ce point, je pense que Severus a raison. »
« Je le sens en moi qui s'agite. » avoua Harry. « Il se délecte quand je suis mal ou furieux. Il me pousse. Il n'est peut-être pas tout à fait aux contrôles mais… Il m'influence. »
« Par le biais de tes émotions négatives. » devina Albus. « Et tu es suffisamment doué en Occlumencie pour contrôler tes instincts. Le danger est mince, Harry. Certes, mince ne veut pas dire inexistant et je t'enjoins donc à la prudence… Mais c'est en cédant à la crainte que tu risques de laisser une brèche. »
Un peu rassuré semblait-il, Harry hocha la tête pour montrer qu'il avait compris.
Il croisa son regard à nouveau et toute l'assurance dont le Survivant avait fait preuve, toute la morgue, semblaient avoir fondues. Restait l'adolescent, quasiment un enfant encore, qui le regardait avec la même ferveur que presque six ans plutôt face à un miroir qui reflétait les désirs les plus profonds. L'innocence, elle, avait disparu.
« Vous le sauverez, n'est-ce pas ? » exigea le garçon. « Vous me le devez. Je me fous d'à quel point il essaye de… Il va repousser tout le monde, il va se jeter en première ligne, il va tenter de se faire tuer… Vous savez comment il est. Ce… Ce sera pire qu'après Lily. »
« Je ferai tout mon possible. » promit Albus.
« Faites mieux que ça. » ordonna Harry. « Il mérite… Il ne le verra pas tout de suite mais, au bout d'un moment… Lui et Dora, ils peuvent avoir une belle vie. Ils peuvent avoir une famille à eux. Sans prophétie, sans danger… C'est ce que je veux pour lui. Pour eux. »
Le vieux sorcier ferma les yeux, ressentant tout le poids de ses années, de cette journée qui remuait décidément trop de choses…
« As-tu un plan pour trouver le diadème ? » s'enquit-il. « Nous avons déjà fouillé une bonne partie de l'école sans succès. Seul… »
« Je ne serai pas seul. » contra l'adolescent. « Du moins, j'espère. »
« Bien sûr… » Albus avait été stupide de ne pas le voir avant. « Mr Weasley et Miss Granger. »
« Ron ne sait rien. » réfuta Harry. « Et Hermione irait tout rapporter à Severus. »
Le Directeur fronça les sourcils, pris par surprise comme il l'était rarement, puis… « Oh. Je vois. Et es-tu certain que c'est le bon choix ? »
Le sourire qui étira les lèvres du jeune homme était dur, les flammes derrière ses yeux à leur paroxysme.
« Un Gryffondor n'a pas le choix. » récita Harry. « Un Serpentard n'en fait jamais. »
Oui, songea Albus, Severus l'avait bien façonné.
°O°O°O°O°
Ce n'était pas exactement le moment rêvé pour une promenade. Les éclairs striaient le ciel, la pluie tombait drue, s'infiltrant à travers ses vêtements malgré le sort d'imperméabilité, et la visibilité était quasiment nulle. Pire, la moiteur ambiante rendait l'air poisseux.
Pourtant, Nymphadora ne regrettait pas de s'être portée volontaire, au lieu d'envoyer une recrue comme Kingsley l'avait suggéré.
Certes l'orage ravivait un peu le froid qui l'avait pris aux tripes dans la nuit et dont elle peinait à se défaire, mais prendre l'air lui faisait du bien.
S'éloigner du château.
S'éloigner des cachots.
Ce n'était pas juste de leur en vouloir et elle le savait mais quand Harry était revenu, soutenant un Bill à moitié catatonique et avec un vague avertissement que Severus allait probablement fondre un chaudron et qu'elle ne devait pas le prendre personnellement…
Harry pouvait être extrêmement agaçant.
Elle l'aimait, elle se sentait coupable de le penser, mais Harry pouvait être extrêmement agaçant.
Il était persuadé d'avoir raison, persuadé de voir la situation plus clairement qu'eux, persuadé qu'il pouvait les sauver d'eux-mêmes… Son attitude, qu'il s'en rende compte ou pas, était aussi arrogante que condescendante, et, bien qu'elle ne nierait pas que Severus avait eu tort de lui parler comme il l'avait fait, elle pouvait comprendre pourquoi il l'avait fait. Pourtant, elle avait dans l'idée que même un électrochoc ne réveillerait plus Harry. Plus maintenant que sa décision était prise et son opinion arrêtée.
C'était à nouveau le même problème qu'après la bataille, lorsqu'il avait faussé compagnie à Sirius… On ne pouvait pas le raisonner ou discuter.
On pensait souvent que le défaut majeur des Gryffondors était leur imprudence, leur témérité poussée à l'extrême… Elle en avait suffisamment côtoyés dans sa vie privée et professionnelle pour avoir une autre opinion. C'était leur suffisance qui les perdait toujours. La certitude qu'ils avaient la supériorité morale et savaient mieux que vous.
Elle se frotta le visage, chassant les gouttes de pluie, et pressa un peu le pas en voyant les grilles qui se dessinaient au loin sur le chemin. Juste avant d'en toucher le métal pour les déverrouiller, elle effleura l'appareil magique vissé sur son oreille.
« Je quitte le périmètre. » annonça-t-elle.
La réponse ne tarda pas.
« Tu sais que tester cette version n'était pas si urgent. » répondit la voix de Kingsley, au creux de son oreille. « Tu n'étais pas obligée de foncer sous l'orage comme si tu avais un groupe d'Inféris qui te collait au train. »
Elle n'avait pas été très subtile lorsqu'elle s'était jetée sur l'excuse toute trouvée.
C'était le troisième prototype de ce genre que les jumeaux leur faisaient parvenir et, jusque là, c'était le meilleur. Déjà parce qu'il était plus confortable et que la voix de Kingsley ne manquait pas l'assourdir à chaque mot. L'appareil était discret, un simple amas gélatineux qui se logeait dans le conque de son oreille. La première version avait été plus volumineuse, difficile à cacher et gênante lors des combats. Elle l'avait testé elle-même. La deuxième avait été acceptable et avait tellement facilité la communication et l'organisation sur le front qu'elle aurait été prête à s'accommoder d'un léger inconfort.
Cette version-ci était pratiquement parfaite.
Le fonctionnement était simple. Les oreillettes étaient reliées magiquement entre elles avant la bataille, si on effleurait la sienne pour l'activer, sa voix portait dans toutes les autres. Pour la désactiver, il suffisait de la toucher à nouveau.
« Tu me connais. » plaisanta-t-elle, en inspectant automatiquement les environs du regard, soudain plus alerte. La zone Poudlard-Pré-au-Lard était protégée mais hors de l'enceinte de l'école, il subsistait un danger. « Toujours prête à me sacrifier pour la cause. »
« La cause ? Ou la pinte de bièraubeurre que Rosmerta t'offrira au Trois Balais ? » se moqua Kingsley.
« Les deux, mon commandant. Les deux. » répondit-elle, avec une joie forcée. Le ciel se déchira au-dessus d'elle, le tonnerre ne tardant pas à y répondre d'un grondement sourd. « Par contre, on va garder cette petite excursion entre toi et moi, parce que si Severus apprend que je suis sortie là-dessous juste pour tester les oreillettes, il va probablement m'assassiner. »
L'assassiner à coup de fioles de Pimentine, de regards inquiets ou désapprobateurs et de tasses de thé préparées par culpabilité à cause de ce qu'il s'était passé plus tôt.
Quand elle y repensait, son estomac se serrait.
Ce n'était pas tant ce qu'il avait dit ou la manière dont il avait dit. Ça, elle pouvait le lui pardonner. Elle connaissait trop bien sa tendance à repousser tout le monde lorsqu'il allait mal… Mais le voir aussi désespéré, à même le sol… Il lui avait fallu déployer des trésors de patience pour le convaincre de se relever. Elle l'avait traîné dans la salle de bain parce qu'elle ne savait pas quoi faire d'autre. La douche chaude avait semblé l'aider un peu à s'éclaircir les idées, encore que sa jambe lui ait donné des sueurs froides. Elle n'avait pas osé le lâcher, persuadée qu'il allait glisser et couronner cette journée de merde en s'ouvrant le crâne. Il n'avait même pas protesté, n'avait même pas tenté de prétendre qu'il allait bien.
Elle détestait le voir comme ça.
Il souffrait.
Il était terrifié.
Et elle ne savait pas comment l'aider…
« Parlant de notre estimé chef de l'Ordre du Phœnix… » hésita Kingsley, la tirant de ses souvenirs désagréables. « Je suppose que je n'ai toujours pas le droit de savoir où vous avez tous disparu, ce matin ? »
Le chemin qui menait à Pré-au-Lard était plus que boueux. Ses bottes adhéraient au sol et elle ne fut pas mécontente de dépasser le champ où des moutons s'agglutinaient sous un abri de fortune car cela signifiait que la Cabane Hurlante n'était plus très loin. Et une fois la Cabane Hurlante passée, les Trois Balais n'attendraient plus qu'elle.
Ce n'était pas une bièraubeurre qu'elle comptait extorquer à Rosmerta, en service ou pas. Un verre d'alcool dur ne la tuerait pas, pas plus que la cigarette dont elle rêvait depuis des heures.
« Je ne peux pas te le dire. » répondit-elle franchement, sans chercher à nier qu'ils lui cachaient quelque chose. Elle n'insulterait pas son intelligence de la sorte. Et puis, la seule raison pour laquelle Kingsley était toujours dans le flou sur les horcruxes, c'était la nécessité de maintenir la chose secrète au cas où cela reviendrait aux oreilles de Voldemort.
« Je présume que s'ils t'ont informée, toi, plutôt que moi, c'est parce que tu pouvais leur être plus utile ? » demanda son partenaire, après une seconde.
Il y avait une vraie question là-dessous.
Parce que, techniquement, Kingsley était plus gradé qu'elle.
Techniquement, hiérarchiquement…
Le dossier qu'elle avait monté sur Jedusor, ce qu'elle en avait déduit… Tout ça, Kingsley aurait pu le faire aussi bien qu'elle, si ce n'était mieux. Néanmoins, il n'aurait jamais pu s'infiltrer dans Gringotts.
« J'étais plus utile. » confirma-t-elle. « Rien de personnel. »
Ce n'était pas un désaveu de leur confiance.
« Bien. N'en parlons plus dans ce cas. » commenta-t-il, visiblement un peu soulagé. « Où es-tu à présent ? Je t'entends toujours mais moins bien. »
En effet, la voix de son partenaire s'était faite distante… C'était tout le but de tester ces oreillettes, cependant. Voir leurs limites.
« La Cabane Hurlante. » lâcha-t-elle, en jetant un vague coup d'œil à la bâtisse décrépie qui se découpait contre le ciel noir. « Je… »
Il y eut un éclair qui l'éblouit momentanément.
Et lorsqu'elle reposa les yeux sur le chemin, elle n'était plus seule.
Elle ne ravala pas le cri d'alarme à temps, face à cette silhouette sombre surgie de nulle part en plein orage. Sa baguette tomba dans sa main avant même qu'elle ait terminé de crier, ses jambes fléchies, les réflexes trop ancrés pour…
« Tonks ? » s'inquiéta Kingsley dans son oreille, distant mais bien présent.
Ce fut à ce moment qu'elle reconnut l'homme trempé qui se tenait devant elle.
Elle n'était pas certaine que ce soit une bonne chose.
« Remus. » lâcha-t-elle, pour le bénéfice de Kingsley. « Tu m'as fait peur. »
Elle parvint à serrer la mâchoire avant de rajouter un abruti peu aimable.
« Désolé. » s'excusa-t-il. Comme toujours ses excuses sonnaient creuses. « J'allais à Poudlard, je ne pensais pas croiser quelqu'un par ce temps. » Il fronça les sourcils. « Tu parlais toute seule ? »
« Ça ne t'arrive jamais ? » grinça-t-elle, peu encline à lui révéler la présence de l'oreillette que ses cheveux dissimulaient. « Qu'est-ce que tu viens faire à Poudlard ? Tu n'as pas rendez-vous avec Severus aujourd'hui. »
Remus s'était arrêté à un bon mètre d'elle et ne fit aucun geste pour approcher afin de faciliter la conversation que l'orage rendait compliquée, conscient peut-être qu'elle lui aurait jeté un sort sans sourciller. Malgré la distance, pourtant, elle vit l'éclat ambré passer dans son regard.
« Nous sommes alliés, tu te souviens ? » riposta-t-il. « Je suis sensé partager les informations que je récolte. Je fais un effort, Nymphadora. »
« Ne m'appelle pas comme ça. » siffla-t-elle, presque par réflexe.
Elle ne corrigeait plus vraiment les gens désormais mais lui… Lui, il n'utilisait son prénom entier que parce qu'il savait que c'était ainsi que l'appelait Severus. Ce n'était qu'un jeu de territoire de plus pour lui et ça la mettait en rage.
« Tonks. » appela calmement Kingsley dans son oreille. « J'ai deux Aurors en stand-by. Ils peuvent être sur ta position en cinq minutes. Déclencheur : tempête. »
Elle ne se détendit pas totalement mais cela contribua à apaiser un peu cette anxiété au creux de son ventre. Elle ne se souvenait que trop bien de ce qu'il s'était passé la dernière fois qu'elle s'était retrouvée seule au milieu de rien avec lui.
Tout ce qu'elle avait à faire était caser tempête dans la conversation – peu difficile avec l'orage – et Kingsley lui enverrait des renforts.
Vraiment, ces oreillettes allaient leur changer la vie.
« Mes excuses. Il me semblait que c'était ton nom. » se moqua Remus, d'une voix trop grave où perçait le loup, avant de secouer la tête d'une manière qui était plus animale qu'humaine. « Trêve de plaisanteries. Crois-le ou non, ce n'était pas sur toi que j'espérais tomber. Je voulais parler à Kingsley mais je suppose que tu devras faire l'affaire. »
Elle serra les dents.
« Numéro deux du Département des Aurors et numéro quatre du gouvernement ? » railla-t-elle. « Oui, je suppose que je peux faire l'affaire mais c'est vrai que tu n'as jamais vraiment aimé que je te donne des ordres. Hein, Remus ? »
« Doucement. » l'avertit Kingsley. Aucun jugement. Juste une mise en garde.
« Je n'ai pas le temps de me disputer avec toi. » cracha le loup-garou, en faisant deux pas en avant.
Seule sa fierté l'empêcha d'en faire autant en arrière.
Elle pouvait pratiquement entendre Severus râler dans le fond de son crâne que la fierté tuait aussi certainement que la stupidité.
« J'ai trouvé les enfants que Greyback a kidnappés. » annonça-t-il.
Kingsley n'entendait que son côté de la conversation. Afin de faciliter la communication, ils avaient demandé aux jumeaux de modifier leur première version de l'appareil pour effacer tous les sons ambiants qui n'étaient pas la voix du porteur.
« Les enfants que Greyback a kidnappés ? » répéta-t-elle, sachant que ça lui donnait l'air stupide mais souhaitant garder son partenaire informé.
Remus lui jeta un regard bizarre mais persévéra. « Ils sont dans un cottage dans les highlands. On aurait pu les délivrer seuls mais par esprit de collaboration, me voilà. Tu vois. Je fais des efforts. »
Elle résista à l'envie de lui demander s'il voulait une tape de félicitation sur la tête ou une friandise.
Elle blâmait l'influence de Severus.
Elle s'humecta les lèvres, goûtant à la pluie, puis rangea sa baguette – une décision qu'elle espérait ne pas regretter. « Retournons au château. Il faut rassembler une équipe et… »
« Je ne veux pas d'Aurors. » la coupa Remus, avant de grimacer en levant les mains. « Je sais ce que tu vas dire mais écoute-moi, d'accord ? »
Elle n'avait pas envie de l'écouter.
Elle ne voulait plus jamais le voir.
Mais avec la vie d'enfants en jeu, elle enferma ses sentiments personnels très loin au fond de sa tête et acquiesça.
« Il y a quatre loups-garous qui les gardent. Trois combattants, une chargée des enfants. » expliqua-t-il. « Ils entendront une troupe d'Aurors de très loin. Même tes meilleurs. C'est une affaire de loups. » Quelque chose passa sur son visage et il haussa les épaules. « Je suis vraiment venu dans l'idée de… mieux faire. Cependant… Emmener une troupe d'Aurors va compliquer la situation. Tu aurais des Langues-de-Plombs sous la main, je ne dis pas, mais là… »
« Même si je mets l'équipe d'Aurors sous tes ordres ? » riposta-t-elle, à moitié railleuse.
Il parut surpris qu'elle le propose.
Le choix, pourtant, n'était pas si difficile.
Elle n'était pas en état d'aller sur le terrain.
Les effets de l'horcruxe s'étaient estompés mais elle en sentait encore la morsure fantôme et elle savait qu'elle ne serait pas à cent pour cent. Elle ne risquerait pas la vie de ses hommes en n'étant pas à son meilleur.
Kingsley ne pouvait pas quitter le château tant que Dumbledore et Severus n'avaient pas repris le commandement or Dumbledore était enfermé dans son bureau et Severus n'était pas physiquement en état de quitter leurs appartements. Même avec la canne, sa jambe ne le porterait pas loin.
Elle pouvait envoyer Aidan ou Bertha. Les deux étaient assez subtils pour laisser Remus croire qu'il avait le commandement tout en gardant un œil sur les opérations.
« Même dans ce cas là. » confirma-t-il. « Par contre, j'ai quand même besoin de renforts. »
« Tu veux des renforts mais pas d'Aurors ? » s'agaça-t-elle. « Qui est-ce que tu veux, alors ? Des membres de l'Ordre ? Sirius ? »
Sirius ne serait pas la plus mauvaise idée en temps normal mais Harry lui avait dit qu'il avait été soumis au Doloris et elle aurait préféré éviter de l'exposer davantage ce jour-là.
« Kalan et Edward. » lâcha-t-il.
Elle en éclata presque de rire.
Évidemment.
« Tu n'es pas venu ici par esprit de collaboration. » accusa-t-elle. « Tu es venu ici pour agrandir ta putain de meute. »
« Ils font déjà partie de ma meute. » rétorqua-t-il. « Je ne leur impose pas de nous rejoindre au cottage à temps plein. J'ai juste besoin de renforts. Ce sont des membres de l'Ordre, non ? Ils sont suffisamment bons combattants pour que vous les ayez envoyés dans les équipes du front ? »
« Mais ils ne veulent rien à voir à faire avec toi. » rétorqua-t-elle.
« La faute à qui ? » siffla-t-il. « Ils semblent penser que je suis un dangereux obsédé sexuel. Comme tout le reste du château. »
« Oui… » ricana-t-elle froidement. « La faute à qui ? Peut-être que si tu ne veux pas passer pour un obsédé sexuel, Remus, il ne faut pas te comporter comme tel. »
« J'ai voulu t'embrasser, tu m'as repoussé. Fin de l'histoire. » gronda-t-il. « Tu fais une montagne de… »
« Mais arrête de te trouver des excuses ! » explosa-t-elle, sa voix soulignée par un coup de tonnerre. « Arrête ! »
Remus haletait de manière visible, ses yeux plus sauvages qu'humain…
Preuve qu'elle n'aurait rien eu à faire sur un champ de bataille, elle n'eut même pas l'intelligence d'avoir peur. Au contraire, elle n'attendait que ça : qu'il l'attaque. Parce que s'il l'attaquait, elle aurait une excuse pour…
« Tonks. » intervint Kingsley, dans son oreille, lui remettant les deux pieds sur terre. « Confirme-moi que tu es en sécurité, s'il te plaît, ou je descends moi-même lui réexpliquer pourquoi c'est une très mauvaise idée de s'en prendre à ma partenaire. »
« Je suis en sécurité. » lâcha-t-elle, abandonnant les faux-semblants.
La colère de Remus parut s'atténuer avec ces mots.
« Évidemment que tu es en sécurité. » contra-t-il, agacé. « Que crois-tu que je vais te faire exactement ? J'ai d'autres priorités que toi, Dora. »
Elle choisit d'être la plus mature et de ne pas relever.
« Envoie-moi Faucett et Artos. Spécifie-leur que la mission a à voir avec les loups-garous et qu'ils seront sous l'autorité de Lupin. » continua-t-elle, sans lui prêter attention. « Volontaires seulement. S'ils ne veulent pas, trouve Abbot à la place. »
Il y eut une seconde de silence dans son oreille.
« Reçu. » répondit Kingsley, avec un léger amusement. « Tu te souviens que c'est moi qui suis censé donner les ordres, Auror Tonks ? »
« Désolée, Kingsley. » rétorqua-t-elle, avec un brin d'humour noir, dévisageant Remus avec mépris. « Tu sais bien que je suis devenue une femme castratrice aux ambitions carriéristes démesurées, sans morale ou limites. On se retrouve aux grilles. Je coupe. »
« Tu es sûre ? » demanda-t-il immédiatement, toute plaisanterie disparue. « Je préfère avoir un lien avec toi. »
« Oh, ne t'inquiète pas. S'il pose un doigt sur moi, nous aurons un Alpha castré à la tête de notre meute. » déclara-t-elle. « Je coupe. À tout de suite. »
Elle effleura l'oreillette.
Remus, qui avait froncé les sourcils jusque là, leva les sourcils.
« Comme je suis le plus mature, je vais faire comme si je n'avais pas entendu. » décréta-t-il, avant de désigner son oreille du doigt. « Par contre, ça… J'en veux. »
Elle manqua s'étouffer d'outrage et choisit de partir à grandes enjambées le long du chemin boueux qu'elle venait de descendre. Remus la suivit de près, dans un silence renfrogné, qui la laissait encore plus tendue que toutes les insultes qu'il aurait pu lancer.
Ils atteignirent les grilles de l'école au moment précis où trois silhouettes encapuchonnées descendaient vers eux. Une drapée de bleue qui appartenait sans conteste à Kingsley et deux dont le rouge trempé avait l'air écarlate sous cet orage.
« Qui a eu l'idée de ces couleurs ? » marmonna le loup-garou, mains dans les poches. « Franchement, des robes bleues et rouges… C'est brillant. Il ne manquerait plus qu'elles brillent dans le noir aussi. »
Le rouge pour l'Ordre du Phoenix avait été décidé à la va-vite et si cela ne se prêtait pas forcément aux missions d'infiltration, sur les champs de bataille, au moins, cela différenciait les amis des ennemis. Les robes étaient les mêmes que celles des Aurors, renforcées contre les attaques physiques et magiques. C'était tout ce qui comptait.
« Le prochain modèle, on les fera en fourrure. » s'entendit-elle répondre sèchement. « Il parait que la peau de loup, c'est la dernière tendance. »
Remus déplaça ses yeux ambrés des deux loups-garous qui se rapprochaient à elle, sa bouche s'étirant en un sourire entre le moqueur et le dégoût. « Je ne sais pas lequel de nous deux t'a rendue si mauvaise, si c'est Snape ou si c'est moi, mais si tu veux mon avis, tu étais bien plus agréable avant. »
Elle préféra se taire.
°O°O°O°O°
Draco n'était pas des mieux disposé en cet après-midi pluvieux et il n'était pas le seul à être ronchon.
« Chut… » gronda-t-il un peu son frère, sans parvenir à passer par-dessus ses pleurs, en le berçant doucement. « Pourquoi es-tu si grognon, aujourd'hui ? »
Désespéré de trouver quelque chose pour calmer Orion, il lança un regard éperdu autour du salon… Les appartements de Sirius étaient devenus d'un négligé impossible à décrire. Peut-être était-ce la conséquence naturelle de la présence d'un nourrisson, peut-être était-ce dû à un trop grand nombre de personnes partageant un trop petit espace… Même les elfes ne parvenaient plus à garder les pièces en ordre.
Cependant, il n'était pas dans un meilleur état lui-même. Ses robes étaient froissées, ses manches retroussées sans élégance jusqu'aux coudes…
Ce fut un miracle qu'il parvienne à entendre les coups frappés à la porte au travers des hurlements de son frère. Il attendit quelques secondes mais, bien sûr, personne d'autre que lui n'irait ouvrir alors il cala Orion plus fermement dans le creux de son bras gauche puis se dirigea vers la porte d'entrée qu'il ouvrit avec un regard noir pour qui osait venir le déranger.
Il n'était pas certain de qui il s'attendait à trouver sur le seuil mais ce n'était pas le garçon qui avait résolument évité de mettre un pied dans les appartements de Sirius depuis la naissance d'Orion.
Il ne fallait pas croire que Draco n'avait pas remarqué la jalousie mal déguisée que Potter éprouvait envers son petit frère.
« Qu'est-ce que tu veux ? » demanda-t-il, en guise de bonjour.
Potter leva les sourcils, visiblement surpris par cet accueil glacial, puis laissa tomber le regard sur le bébé qui s'époumonait. « Qu'est-ce qu'il a ? »
« Qu'en sais-je ? » rétorqua-t-il. « Cela fait des heures qu'il pleure. Il pleure si je le pose. Il pleure si je le berce. Il pleure si j'essaye de le nourrir. » Il secoua la tête. « Mère est partie voir Mrs Weasley. Kreattur est souffrant. Parce que, apparemment, les elfes de maison ont le droit d'être malade maintenant. Sirius a disparu. Luna et Granger ont fui. Mes elfes sont des incapables… Ils lui ont donné la couverture bleue au lieu de la jaune. La bleue, Potter. Et maintenant ils sont incapables de trouver la jaune. J'ai dû les renvoyer au Manoir avant de leur ordonner de se punir pour leur incompétence. Granger me tuerait. »
Il avait vaguement conscience que ce qui sortait de sa bouche n'était qu'une suite de paroles sans trop de sens mais Orion les avait tenus éveillés une partie de la nuit et, vraiment, comment était-il censé réfléchir quand cela faisait des heures qu'il était forcé de subir ces vagissements ?
« D'accord. » lâcha Potter, en sortant les mains de ses poches pour désigner l'intérieur des appartements par-dessus l'épaule de Draco. « Je peux ? »
Il fallut quelques secondes au Sang-Pur pour comprendre ce que l'autre adolescent demandait, preuve que les hurlements d'un bébé étaient détrimentaires au bon fonctionnement d'un cerveau. Techniquement, c'étaient les appartements de son parrain. Il n'aurait même pas dû avoir besoin de permission. Du moins, c'était ce qu'en aurait dit Sirius.
Sans un mot, Draco s'effaça pour le laisser passer et ferma la porte derrière lui, le suivant machinalement jusqu'au salon, où il constata à nouveau avec impuissance à quel point l'endroit était en désordre. Les couvertures pour bébé s'entassaient, il y avait un second berceau près du canapé, tout un tas de choses dont il n'avait pas soupçonné l'existence avant la naissance d'Orion… Sans parler des peluches et des…
« Qu'est-ce que je peux faire ? » s'enquit Potter, en plantant les mains sur les hanches pour mieux étudier le bazar ambiant. « Ranger ? Nettoyer ? Ou préparer un truc à manger ? Ça aiderait ? »
Il fut soulagé que le garçon ne propose pas de tenter de prendre Orion.
Draco n'aurait pas voulu le lui confier et cela aurait probablement été gênant.
Mais Potter ne toucherait pas son frère tant qu'il avait un horcruxe dans la tête. C'était ainsi.
Et c'était sans parler du niffleur dont le museau dépassait du col de son tee-shirt. Merlin seul savait combien de maladies ces bestioles transportaient.
« La couverture jaune… » s'entendit-il supplier à moitié, élevant un peu la voix pour couvrir les pleurs du bébé.
Handicapé par le précieux poids dans ses bras, Draco n'avait pas pu fouiller correctement.
Potter n'avait pas besoin de plus d'instructions, il se mit en quête de la fameuse couverture, parvenant à rendre un aspect présentable au salon dans le même mouvement et en un temps record.
« Qu'est-ce qu'elle a de spécial cette couverture ? » demanda le Gryffondor, au bout de longues minutes de recherche.
« Elle ne le fait pas pleurer. » répondit-il, sans réfréner son sarcasme. Potter cessa de fouiller sous le canapé pour lui jeter un regard et il leva les yeux au ciel. « Il y a des runes apaisantes dans le motif. »
Accroupi devant le canapé, l'autre garçon appuya un bras sur le coussin, sourcils froncés. « Tu as essayé un accio ? »
« Non, Potter, j'ai soudain oublié que j'étais un sorcier. » rétorqua-t-il. « Évidemment que j'ai essayé un sortilège d'attraction. »
Potter émit un bruit qui était entre le dubitatif et le moqueur puis se remit à chercher tout en remettant de l'ordre. Grinçant les dents face à ces pleurs qui n'en finissaient pas, Draco se laissa tomber sur un fauteuil et tenta, une nouvelle fois, de bercer tout doucement Orion.
« Ce n'est pas un comportement digne de l'héritier de Lord Malfoy. » informa-t-il son frère. « J'attends un petit plus de distinction de ta part. »
« Je croyais que c'était le bébé le plus parfait du monde. » remarqua le Gryffondor avec beaucoup trop de mesquinerie.
« Il est parfait. » confirma-t-il, sur la défensive.
« Ses poumons ont l'air parfaits, en tout cas. » se moqua Potter, en se relevant brusquement, la couverture jaune levée dans son poing serrée. « Elle était coincée sous le pied du berceau, c'est pour ça qu'elle ne répondait pas aux sorts d'attraction. Tergeo. »
Draco ne perdit pas une seconde à remplacer l'hideuse couverture bleue par la jaune. Il fallut quelques minutes mais les vagissements s'espacèrent lentement jusqu'à laisser place à un silence qu'il apprécia à sa juste valeur. Il ferma les yeux pour le savourer…
Mais, bien sûr, Potter adorait lui gâcher son plaisir.
« Kreattur n'est pas malade. Il a été blessé dans la destruction de la coupe. »
Draco rouvrit brusquement les paupières, son regard croisant immédiatement celui de l'autre garçon. Les yeux verts étaient gardés, distants. Fatigués.
Dans ses bras, Orion s'était finalement endormi.
« Laisse-moi le coucher. » exigea-t-il.
Potter acquiesça d'un geste du menton rendu sec par la lassitude qui emplissait soudain chacun de ses gestes.
Il ne quitta pas le salon longtemps, à peine le temps de déposer Orion dans son berceau dans la nurserie, de jeter le sort qui lui permettrait de surveiller le bébé à distance et d'entendre s'il avait besoin de quelque chose. Pourtant, lorsqu'il revint dans l'autre pièce, Potter avait terminé de rendre au salon une apparence convenable. L'autre garçon était en train de tapoter machinalement les coussins et de les aligner sur le canapé, l'esprit visiblement à des milles de la tâche.
« Granger est dans les cachots. Elle prépare des potions pour Slughorn. » déclara-t-il, en se passant une main dans les cheveux. « J'ignore où est Weasley mais, vu le temps, je suppose qu'il doit être chez lui… Nous pouvons utiliser la cheminée pour lui demander d'aller la chercher et… »
« Non. » refusa Potter, tout net. Il dévisagea Draco quelques secondes puis, après un moment d'hésitation, s'assit sur le canapé qu'il venait de remettre en ordre. « Il faut qu'on parle. Seul à seul. »
Draco claqua la langue. « Je ne vais pas aimer cette conversation. Je me trompe ? »
L'autre adolescent grimaça. « Probablement pas. »
Il pouvait toujours faire demi-tour, retourner s'occuper d'Orion ou s'enfermer dans sa chambre, prétendre qu'il ne savait pas exactement de quoi Potter voulait lui parler parce qu'il n'y avait pas cinquante raisons pour lesquelles il choisirait de se confier à lui plutôt qu'à ses meilleurs amis ou son père. Il pouvait.
Au début de l'année, il l'aurait fait sans hésiter.
Merlin… Avant la bataille, il l'aurait fait sans hésiter.
Parce que ce n'était pas juste les états d'âmes physiques et métaphoriques de Potter dont il allait être question.
De ses propres décisions dépendrait son futur.
Et Draco avait toujours été très égoïste, surtout avec son futur.
Il enfouit les mains dans les poches de sa robe de sorcier, soutenant le regard vert toujours trop dur, toujours trop distant.
C'était difficile de se souvenir que, la veille à peine, ils avaient fêté les seize ans du Gryffondor, qu'ils s'étaient laissés aller à prétendre être encore des adolescents normaux avec des jeux stupides…
Le garçon assis sur ce canapé n'avait pas l'air d'avoir seize ans.
Draco n'avait pas l'impression d'avoir seize ans.
À cet instant, il sentait pleinement le poids écrasant des protections du Manoir et tout ce qui allait avec le sceau à son doigt. À cet instant, il était Lord Malfoy parce que c'était qui il était désormais.
À cet instant, il se sentait adulte.
Aussi adulte que Potter qui le regardait calmement bien qu'un peu tristement.
Il ne l'aurait jamais exprimé à voix haute et surtout pas devant elle, car cela lui aurait fait de la peine, mais il lui arrivait de songer que, par moments, Potter le comprenait mieux que Granger n'aurait jamais pu le faire. Il l'aimait de tout son cœur et Merlin savait qu'elle aussi avait dû grandir trop vite… Mais pas de la même manière.
Un Avada en pleine poitrine et un séjour dans les limbes, la perte définitive d'un parent…
Il sortit sa baguette et jeta les sortilèges qui garantiraient que la discussion resterait entre eux. Potter rajouta un ou deux sorts et, une fois que la pièce fut devenue un coffre – ou une tombe – le Gryffondor se mit à parler.
Draco s'assit alors que le récit avait déjà commencé, écoutant avec un mélange d'horreur et de fascination le résumé de la veille au soir. Le cambriolage réussi de Gringotts l'aurait peut-être rempli d'admiration pour sa cousine si la suite du récit ne l'avait pas glacé de terreur. Ce n'était pas juste que l'horcruxe soit parvenu à influencer autant Nymphadora et Bill à la limite de la possession… C'était la description de ce qu'il s'était passé pendant le rituel, du fait que Snape aurait tout risqué, même l'impensable, pour préserver l'horcruxe et réessayer. C'était la conversation qu'avait épiée Potter après coup.
Il se passa une main sur le visage alors que la voix de l'autre garçon s'éteignait, un peu rauque d'avoir autant parlé.
« Je vais trouver le diadème avant eux et le détruire. » conclut Potter, avec un temps de retard. « Il n'y a pas d'autre option. »
Le Sang-Pur l'observa jouer distraitement avec le sceau des Prince à son doigt. Potter n'avait jamais été capable de se tenir parfaitement immobile. Il était toujours en mouvement. Même assis, il devait avoir quelque chose entre les mains. Même en classe, il finissait toujours par agiter sa jambe ou…
Draco aurait tout donné pour revenir des mois en arrière et, ce, pour de nombreuses raisons plus intimes et importantes que celle-ci… Pourtant… Il aurait aimé retourner à une époque où il appelait Potter, le Balafré, et se moquait de ses tendances à jouer les Saints. Blaise lui aurait fait une remarque ou deux, Draco aurait prétendu ne pas être jaloux de cette attention que le Survivant ne méritait pas…
À présent… C'était trop réel. Tout était trop réel. Tout allait trop vite.
« Tu es conscient que Snape va s'y attendre. » remarqua-t-il, parvenant à maîtriser suffisamment sa voix pour ne pas qu'elle tremble.
« Évidemment. » répondit Potter, avec un calme tout aussi factice, avec une assurance tranquille que…
Si c'était Lord Malfoy qui était assis dans ce fauteuil et tentait désespéramment d'entrevoir une solution qui ne se terminerait pas en drame, c'était Lord Potter qui le dévisageait. Ou Lord Prince, peut-être. Quelque soit la personnalité d'emprunt que Potter avait prise dans ce passé alternatif, elle lui collait à la peau. Comme son séjour chez Serpentard, semblait-il.
« Les lignes sont claires. » soupira le Survivant, avec un sourire triste. « J'ai tracé la mienne. Il a tracé la sienne. On n'en bougera ni l'un ni l'autre. Il sait que je vais essayer de le prendre de vitesse, comme je sais qu'il va essayer de me couper des informations… Dora, Sirius et Bill sont de son côté et ils suivront ses ordres. »
« Pas Dumbledore. » devina-t-il.
« Dumbledore est plus pragmatique. » confirma Potter. « Mais, ça, Severus va aussi s'en douter. Comme il va s'attendre à ce que j'encourage Hermione et Ron à m'aider à fouiller l'école. »
Draco ferma les yeux. « Potter… »
« Mais pendant qu'ils seront occupés à surveiller ce qu'Hermione, Ron et moi on fait… » continua le garçon.
« Potter. » insista-t-il.
« …et à garder un œil sur Dumbledore, toi, tu… »
« Harry. » le coupa-t-il.
L'emploi du prénom était suffisamment rare, peut-être même inédite, il n'en était pas sûr, pour que le Gryffondor retombe dans le silence.
Draco rouvrit les yeux, plongea son regard dans le sien. « Mesures-tu ce que tu me demandes ? »
Le visage de Potter pouvait être expressif lorsqu'il ne se cachait pas derrière l'Occlumencie. Et, pour cette conversation, il avait au moins eu la décence de ne pas se replier entièrement derrière ses boucliers mentaux.
« Tu as offert de m'aider. » lui rappela l'autre garçon, dans un murmure presque défensif. « Si… Quand…Tu as offert de m'aider. »
« J'ai offert de t'aider à mourir avec dignité avant que tu ne te transformes en Tu-sais-qui. » contra-t-il. « Je n'ai pas offert de participer à un complot qui mènera à ton suicide. Parce que c'est ça l'idée, non ? Une fois que tu auras détruit le diadème, tu retourneras l'arme contre toi et… »
« Non. » réfuta Potter, ses lèvres s'étirant en un bref sourire amer. « Non, j'aimerais bien, crois-moi, mais… L'un doit mourir de la main de l'autre car aucun ne peut vivre tant que l'autre survit. Je crois que ça veut dire qu'il faut que ce soit lui qui me tue. »
Il fronça les sourcils. « Potter… »
Le Gryffondor secoua la tête, comme pour chasser ces idées là. « J'ai besoin de toi. Severus ne te soupçonnera pas, tu comprends ? Il ne sait pas que tu sais pour les horcruxes, encore moins pour moi. Tu es l'as dans ma manche. »
« Ton arme secrète ? » traduisit-il avec un dédain légèrement feint. Il était flatté. Malgré lui, malgré tout, il était flatté. Mais… « Lorsqu'elle apprendra que je t'ai aidé, elle ne me le pardonnera jamais. »
Le visage de Potter se fit dur, lisse… « Elle n'a pas besoin de le savoir. »
Draco éclata de rire. Un rire froid, pas du tout amusé. « C'est ça ta brillante solution ? Tu veux que je mente à ma femme tout le reste de ma vie à propos de la mort de quelqu'un qu'elle considère comme son frère ? »
« Elle n'a pas besoin de savoir que tu savais ce que j'allais faire avec. » contra-t-il. « Tu peux lui dire que tu m'as aidé à le trouver après coup, si tu veux. »
« Je ne veux pas de ce genre de secrets entre moi et la femme que j'aime. » siffla-t-il.
« Elle ne comprendrait pas. » insista Potter. « Tu sais qu'elle ne comprendrait pas. Elle… Elle est comme Severus. Elle pense que tout problème a une solution logique. Et peut-être que… Peut-être qu'ils ont raison, peut-être qu'il y a une solution logique… Peut-être que le rituel finirait par marcher s'ils tuaient quelqu'un… Mais est-ce qu'on peut prendre le risque, Draco ? Est-ce qu'on peut prendre le risque de laisser une de ces choses posséder Severus ? Ou Hermione ? Ou ton frère ? »
Il plissa les lèvres. « Coup bas. »
Le Survivant haussa les épaules. « Je donnerai autant de coups bas qu'il faut. J'ai besoin de quelqu'un en qui je peux avoir confiance pour faire passer le bien général avant le mien. J'ai besoin de quelqu'un qui n'hésitera pas entre me sauver moi et sauver tout le monde. » Les yeux verts se firent un peu plus désespérés. « Et… Ce n'est pas comme si… Ce n'est pas comme si tu allais me tuer, d'accord ? Ou même m'aider à mourir. Tu n'es pas obligé de faire ça. Je ne te demande pas ça. »
« Ce que tu me demandes revient au même. » contra-t-il. « Et c'est ma faute. J'ai proposé. »
Mais ce n'était pas ça qu'il avait eu en tête.
Lui, il avait pensé au scénario sans espoir où Granger irait trop loin parce qu'elle serait incapable de le laisser partir et finirait par s'en vouloir de l'avoir autant fait souffrir.
Et une partie de lui avait aussi pitié de Potter, de ce que les autres exigeaient de lui.
« Draco… » Potter esquissa un geste vers lui, comme pour lui toucher le bras, puis l'avorta. Son regard, en revanche, était redevenu clair, non encombré de boucliers et faux-semblants. Suppliant. « Je suis mourant. On peut dire les choses de quinze manières différentes, c'est ça la vérité. Je suis mourant. »
« Pas exactement. » nuança-t-il. « Ce n'est pas ça être mourant, Potter. Tu n'es pas… »
« Je suis condamné si tu préfères. » l'interrompit le Gryffondor. « On sait tous les deux que, dans dix ans, je ne serais pas là aux repas de famille ou pour les parties de Quidditch entre copains ou pour la naissance des enfants des uns et des autres. On le sait. »
Il pinça les lèvres et détourna le regard, refusant de réponse.
« Eux aussi ils le savent, ils ne sont juste pas capables de l'accepter. » pressa Potter. « Je suis condamné, Draco. Je vais mourir. Et je ne veux pas que quelqu'un d'autre meure avec moi. Je ne veux pas que quelqu'un d'autre fasse quelque chose d'horrible à cause de moi. Est-ce que… Est-ce que ce serait vraiment si mal de ta part de m'aider à m'assurer que personne ne soit blessé ? Est-ce que ce serait vraiment si difficile de vivre avec ça ? Tu es le seul qui… »
L'autre garçon s'interrompit, déglutit et, cette fois-ci, n'avorta pas son geste lorsqu'il se pencha pour lui serrer le bras. L'avant-bras gauche. Là où une Marque des Ténèbres aurait pu se trouver aurait-il fait d'autres choix.
« Tu es le seul qui n'a jamais dit on va trouver une solution ou on va te sauver quoi qu'il arrive ou il faut juste que tu veuilles survivre un tout petit peu plus fort. Tu es le seul qui a dit que tu comprenais pourquoi je voulais partir avant de me transformer en quelque chose qui ne serait pas moi. Je veux aussi partir avant de les voir tous se transformer en la pire version d'eux-mêmes juste pour me sauver moi. » lâcha Potter, ses doigts s'enfonçant suffisamment fort dans sa chair pour lui faire mal. « J'ai besoin d'aide. S'il te plaît . Ce ne serait pas… Tu ne serais pas mon complice ou… Ce serait de la pitié. De la miséricorde. »
Draco leva les yeux au ciel pour mieux cacher qu'ils le piquaient, la mâchoire contractée. « Ne vas pas utiliser des grands mots que tu ne comprends pas, tu vas te faire mal à la tête. »
Au lieu de rebondir sur l'insulte, Potter resserra encore sa prise. « S'il te plaît plait. Aide-moi. Tu es le seul à qui je peux demander ça. »
Parce qu'il était de nature mesquine, il faillit lui demander s'il se souvenait de ce qu'il s'était passé la dernière fois qu'il avait demandé un service de cette ampleur à un Lord Malfoy. Il ravala la remarque.
Potter était désespéré.
Plus que ça, Potter était las.
Et Draco, malgré tout, comprenait pourquoi.
On ne pouvait pas se battre tout le temps, contre tout, et tenir la distance.
« Elle ne me le pardonnera jamais. » murmura-t-il.
Le choix aurait dû être simple.
Granger avant tout.
Mais c'était plus compliqué que ça.
Parce que, à cause de Granger, il avait développé un certain sens moral. Des convictions.
Et tout en lui lui soufflait que Potter avait raison, que Snape les mènerait tous à leur perte parce qu'il ne pouvait pas être objectif et rationnel, que Granger ne comprendrait jamais qu'il y avait des choses pires que la mort, que…
« Implication minimale. » promit Potter, en relâchant son bras. « J'ai juste besoin que tu m'aides à trouver le diadème. Tu n'as pas besoin de savoir le reste » Le garçon grimaça. « Enfin, j'ai aussi besoin que tu caches ça. »
Il tira de sa poche arrière un bout de tissu tâché.
Il ne le déplia pas, ne lui dit pas ce qui était dedans mais…
Draco se frotta les yeux. « Dis-moi que ce n'est pas un crochet de basilic. »
« Ce n'est pas un crochet de basilic. » répéta docilement Potter.
Le Serpentard lui jeta un regard courroucé auquel il répondit d'un sourire qui sonnait atrocement faux et Draco se retrouva à secouer la tête.
« Toujours à jouer les martyrs. » cingla-t-il. « Toujours à vouloir sauver le monde et à entraîner les gens dans ton sillage pour les mettre en danger sans même avoir besoin de demander. Non, bien sûr. Tout le monde est trop heureux d'aller se faire tuer pour Saint Potter. »
Le Survivant fronça les sourcils et ouvrit la bouche mais il ne lui laissa pas le temps de dire quoi que ce soit.
« Tu es la plaie de mon existence. » décréta-t-il. « Tu l'as toujours été et tu le seras toujours. Dans dix ans, tous ces repas de familles, tous ces matchs de Quidditch, toutes ces naissances que tu ne verras pas… Tu seras toujours la plaie de mon existence parce que je sais que je vais le regretter. Je le sais. »
Mais les gens le suivaient aveuglément sans qu'il n'ait jamais besoin d'exiger quoi que ce soit d'eux.
Alors lorsqu'il s'abaissait à supplier ?
Que pouvait faire Draco mis à part accepter ?
À l'écouter, Snape était déterminé à faire passer son intérêt personnel avant celui de la communauté magique et la priorité de Draco se devait d'être Orion et son futur. Or Potter n'était pas assez intelligent, pas assez sournois, pour l'emporter sur Snape. Pas seul.
« Nous allons retrouver le diadème les premiers. » décida-t-il. « Et nous le détruirons. Ensuite, nous aviserons au sujet de ton horcruxe, est-ce clair ? Aucune mission suicide sans m'en parler. Aucune initiative malheureuse. Aucun geste typiquement Gryffondor. Nous discuterons de la suite et de tes options rationnellement. C'est ma condition, Potter. » Il grimaça. « Ça et Granger ne doit pas savoir. Je le lui dirai mais peut-être pas… à chaud. »
Après tout… Elle aussi avait eu ses secrets. Et il lui en avait voulu… Oui, il lui en avait voulu de ne pas tout lui dire mais…
« D'accord. » acquiesça immédiatement Potter.
« Je suis sérieux. » insista-t-il, en plantant son regard dans le sien. « Si tu montes dans ce foutu train, il vaudrait mieux pour toi que j'ai personnellement composté le billet d'abord. »
Il ne plaisantait pas vraiment et le rire de l'autre garçon n'était sans doute pas des plus rassurants.
« D'accord. » répéta le Survivant, en se détendant visiblement. Il resta silencieux quelques secondes puis lui adressa le sourire le plus sincère qu'il n'ait jamais dirigé dans sa direction. « Merci. »
« Ne me remercie pas. » refusa-t-il, en louchant sur le placard où il savait que Sirius gardait l'alcool. « Surtout ne me remercie pas. Je cède à mon corps défendant. »
« Tu cèdes parce que tu es quelqu'un de bien. » contra Potter. « Crois-moi, je suis le premier surpris. »
Plus jeune attrapeur du siècle ou non, il n'esquiva pas à temps la layette que Draco lui jeta en pleine tête.
°O°O°O°O°
Le plan s'était déroulé sans aucun accroc, songea Lunard, du moins, jusque là.
Kalan et Edward étaient méfiants du reste de la meute, sur leurs gardes, mais lorsque était venu le temps d'attaquer, ils avaient trouvé leur place avec une facilité toute naturelle.
Le plan était simple et avait été parfaitement exécuté : Vesper et lui avaient détruit les protections, les autres avaient attaqué simultanément, Nicolas s'était glissé à l'arrière pour évacuer les enfants…
Bien sûr, un des trois gardes avait eu le temps d'avaler une dose de la potion loup-garou et s'était transformé en un énorme loup sous les hurlements terrifiés des gosses mais ce n'était rien qu'ils ne puissent maîtriser. Remus avait laissé les deux autres loups-garous sous formes humaines à Vesper et Tristan et s'était chargé du loup dont le corps désarticulé gisait désormais au sol.
Il avait quelques égratignures mais rien de bien sérieux.
Il se redressa à temps pour évaluer la situation.
Vesper était toujours en plein duel.
Kalan et Edward avaient engagé la louve qui gardait les enfants et qui, Remus le savait, mourrait avant de les laisser les emmener. Olivia et Nicolas essayait de convaincre les gosses de se sauver.
Et Tristan…
« Non ! » cria Remus, lorsqu'il vit ce que son second tenait dans la main.
Le garde qu'il avait affronté parvint à échapper à sa prise, le visage en sang, mais trop tard. Tristan lui avait volé la fiole qu'il avait tenté de déboucher et, sans prêter aucune attention à son Alpha, il en avala le contenu d'une traite.
Lunard gronda d'irritation - à cette désobéissance marquée autant que parce que la situation risquait méchamment de lui échapper. La transformation était une lente agonie qui laissait Tristan vulnérable aux attaques et il fut obligé de le protéger en attendant qu'elle soit complète.
« Accio potion ! » entendit-il Vesper hurler sur sa gauche.
Il n'eut que le temps de se tourner vers elle. « Non ! »
Mais trop tard. La fiole qui s'était échappée de la poche de son adversaire vint se loger dans sa main et elle la but sans tressaillir ou hésiter.
Tristan s'ébroua, énorme loup brun au pelage fauve, et hurla à la lune. Un appel repris moins d'une minute plus tard par la louve au pelage gris bleuté.
La louve de Greyback, sentant le vent tourner, leva les deux mains en signe de reddition, pleurant à grosses larmes. Edward la captura.
Quant aux deux gardes qui restaient… Vesper et Tristan en eurent raison en moins d'une poignée de secondes.
Les enfants criaient et pleuraient.
Lunard savait qu'il convenait d'aller les rassurer. Il était leur Alpha à présent et il devait le leur faire savoir, leur promettre qu'ils étaient sous sa protection et en sécurité, qu'il allait les ramener à Poudlard…
Mais la priorité…
La potion de Greyback n'était pas celle de Severus.
Ce n'était pas un mélange de consciences qui le fixait à travers les yeux des deux loups-garous aux babines retroussées mais des animaux.
« Assez. » tonna-t-il, de son ton le plus autoritaire, laissant le loup briller dans son regard.
Vesper et Tristan se départirent immédiatement de leur attitude hostile, soumis à leurs instincts plus fortement qu'ils ne l'étaient sous formes humaines. Ils auraient pu lui arracher la gorge mais lorsque Remus s'accroupit, ils trottèrent docilement jusqu'à lui. Il plaça une main sur leurs nuques et serra jusqu'à leur tirer un couinement de douleur à chacun.
« Vous avez désobéi à mes ordres. » siffla-t-il. « Il y aura des conséquences. Tenez-vous tranquille. Une patte en dehors des clous et la punition sera doublée. »
Les deux énormes loups s'aplatirent au sol en signe de soumission.
Lorsqu'il se releva et se tourna vers les enfants, les cris avaient cessé.
Pas la terreur.
Mais c'était une terreur teintée d'émerveillement.
« Vous êtes sous ma protection, désormais. » annonça-t-il, adoucissant sa voix jusqu'à son timbre plus naturel. « Je vais vous ramener à vos parents. »
Ça lui gagna instantanément leur loyauté.
Edward le regardait avec la même fascination gardée que les enfants.
Kalan, en revanche, était toujours méfiant. Pire, Lunard sentait que son loup aurait préféré être à mille lieux de lui.
Un problème potentiel, décida-t-il.
Un problème pour plus tard.
°O°O°O°O°
La tête de l'elfe de maison émergea de son nid de couvertures lorsqu'il entendit Harry entrer dans la cuisine des appartements de Sirius.
« Ne te lève pas ! » ordonna rapidement Harry, avant que Kreattur n'ait pu tenter de bouger. En quelques enjambées, le garçon avait rejoint le nid et s'était agenouillé pour que l'elfe n'ait pas besoin de se tordre le cou pour le regarder. « Comment tu te sens ? »
La plaie sur son crâne avait été soignée mais il gardait une marque qui laisserait sans doute une cicatrice.
L'estomac noué, Harry tenta de ne pas se noyer dans la culpabilité qu'il éprouvait depuis qu'il avait vu le sang sous la tête de l'elfe. Durant une interminable seconde, il avait cru que Kreattur était mort.
« Kreattur va très bien. » pesta la créature, en croisant les bras avec pétulance. « Maîtresse Andy s'inquiète trop. Kreattur est solide. »
Kreattur était loin d'être aussi solide qu'il voulait le faire croire. Harry n'avait pas oublié qu'il s'était épuisé durant la bataille jusqu'à s'évanouir.
« Je suis désolé. » offrit-il, incapable de croiser son regard. « C'était ma faute. »
Après un moment d'hésitation, Kreattur sortit une main de son nid de couvertures et tapota maladroitement celle du garçon.
« Maître Harry sera un bon maître. » déclara l'elfe de maison. « Mais Maître Harry se met trop en danger. Maître Sirius aussi ne fait pas assez attention. Kreattur ne veut pas perdre un autre maître. » Pour la première fois, peut-être, Kreattur faisait son âge. « Kreattur a enterré trop de maîtres. Ce n'était pas la faute de Maître Harry si Kreattur a été blessé. Kreattur ferait n'importe quoi pour sauver Maître Harry ou Maître Sirius. »
Harry se frotta le visage. « Ce n'est pas aussi rassurant que tu voudrais que ça soit. »
L'elfe ferma les yeux. « Kreattur veut être empaillé avant de devoir enterrer un autre maître. Kreattur a décidé. Kreattur est trop vieux. »
Harry secouait déjà la tête. « Hors de question. Tu… Tu nous enterreras tous. »
Kreattur le regardait avec une affection un peu bourrue et une fatigue manifeste. « Kreattur a été un bon elfe. Kreattur sera un bon elfe jusqu'à la fin. Mais Kreattur ne verra pas mourir Maître Sirius. Encore moins Maître Harry. Assez. »
Il ouvrit la bouche pour lui ordonner d'arrêter ses bêtises… La referma…
« Kreattur… » souffla-t-il.
« Tout va bien, Maître Harry. » déclara gentiment l'elfe. « Kreattur a eu une belle et longue vie et il est fier de servir la noble et ancienne nouvelle génération des Black. Et Kreattur ne compte pas mourir demain. Kreattur aimerait simplement que ses maîtres soient un peu plus prudents. Kreattur se punira pour ses pensées ingrates dès qu'il… »
« Non. » l'interrompit-il fermement. « Pas de punition. Tu sais qu'on n'aime pas ça. »
« Maître Harry est un gentil maître. » répéta Kreattur, avec un sourire, avant de fermer les yeux. « Kreattur va dormir un peu si Maître Harry n'a pas besoin de lui. »
« J'aurais toujours besoin de toi. » répondit-il, très sérieusement. « Tu fais partie de la famille. »
Kreattur rouvrit les yeux et les posa sur lui avec une adoration un peu moins hystérique que celle qu'y mettait Dobby d'habitude.
« Gentil maître. » murmura-t-il, avant de se tourner sur le côté pour se rendormir.
Harry resta agenouillé là longtemps, à le regarder respirer, juste pour être certain qu'il allait bien.
°O°O°O°O°
Le bout des doigts tachés d'encre, Severus ratifia un énième document, agacé du maigre contrôle qu'il avait sur sa main. Il reposa la plume et massa sa main droite avec sa main gauche. Il s'était replié à sa table de travail dans le coin de son salon pour la journée, refusant l'idée même de quitter ses appartements. Sa jambe lui faisait trop mal et il manquait cruellement de sommeil. Les différents membres du gouvernement lui avaient fait passer, par elfes, tous les documents qui nécessitaient son attention.
Sur la table, bloqué en position ouverte, le carnet noir continuait à vomir un monologue colérique.
Nymphadora était à Pré-au-Lard où elle avait fait le tour du village, des défenses, et des réfugiés avant de s'installer au Trois Balais pour lui résumer la situation avec Lupin. Qu'elle ait autorisé une mission de secours sans lui en parler l'agaçait légèrement, d'autant que des enfants étaient impliqués et qu'il n'aurait pas choisi de faire confiance à une meute de loups pour la mener à bien. Il aurait insisté pour envoyer un détachement d'Aurors, au minimum. Qu'elle ne l'ait pas fait…
Shacklebolt avait secondé sa décision, cependant, et il pouvait comprendre leur raisonnement. Techniquement parlant, Lupin était toujours un membre de l'Ordre avec sa propre unité et il était vrai qu'ils ne l'utilisaient pas autant qu'ils auraient pu ou dû. De plus, Nymphadora ne se sentait pas capable de mener cette opération sereinement ce jour-là, n'avait pas voulu envoyer Sirius ou Bill pour les mêmes raisons, et Shacklebolt lui-même était trop indispensable étant donné sa semi-absence à lui. Restait Abbot mais avec leurs généraux dans cet état, mieux valait le garder sous le coude au cas où il y aurait une attaque…
La cheminée s'enflamma brusquement, l'éclat des flammes virant à l'émeraude. « Severus ? »
« Traversez. » autorisa-t-il le Directeur, en quittant sa table de travail avec difficultés. La canne ne suffisait pas tout à fait à soulager la douleur dans sa jambe et, s'il fit quelques pas, il se laissa vite tomber dans un fauteuil. La première chose que fit Albus, en émergeant de l'âtre, fut de lui jeter un regard inquiet que Severus balaya d'un geste. « Andromeda ayant décidé de passer à l'improviste déposer un livre pour Harry, je peux vous garantir que je vais bien. Inutile de poser la question. »
Nymphadora avait juré que ce n'était pas elle qui avait demandé à sa mère de passer l'examiner sous couvert d'une excuse aussi ridicule.
Sirius ne se serait pas encombré d'excuses car la subtilité ne l'étouffait pas.
Non, le méfait était signé. Andromeda avait refusé d'avouer mais il savait que son fils était le coupable.
La Médicomage n'avait guère été impressionnée ni par son état général, ni par son niveau d'épuisement mais n'avait pas trouvé quoi que ce soit d'alarmant mis à part son incapacité chronique à prendre soin de lui – sa formulation. Peut-être, avait-elle suggéré avec beaucoup d'ironie, se sentirait-il mieux s'il s'autorisait à dormir plus d'une poignée d'heures cette nuit-là.
« Voilà qui est rassurant. » commenta Albus, en s'installant dans un autre fauteuil. « Votre Patronus disait que vous vouliez me parler ? Cela avait l'air sérieux. »
Severus prit le temps de poser des protections sur la pièce. Il était seul dans les appartements, Harry n'était pas encore revenu, mais il se méfiait des elfes de maison que le garçon avait à sa solde. Kreattur était peut-être indisposé mais il lui restait l'ancien elfe des Malfoy.
« Savez-vous ce qu'est en train de faire mon fils présentement ? » demanda-t-il tranquillement.
Sous sa barbe, la bouche du vieux sorcier tressauta. « Il s'est enfermé dans l'ancienne salle de Divination avec Miss Granger et Mr Weasley, si je ne m'abuse. Quant à ce qu'il y fait, je ne peux en présumer. »
« Un conseil de guerre, j'imagine. » s'agaça Severus. Albus se reposait peut-être sur ses portraits mais lui avait d'autres moyens d'espionner les gens. La pierre anti-localisation que Bill lui avait offerte, la veille, pour son anniversaire, avait rendu la moitié de ses sorts inutilisables et il avait dû se reposer sur des moyens plus prosaïques. Pourtant, mis à part le fait qu'Harry et ses amis se soient repliés dans l'ancien Q.G. qu'il avait partagé avec Lily… Son fils était beaucoup trop malin pour ne pas poser de protections sur la pièce. Ses protections. Imperméables à l'œil acéré de l'elfe de Poudlard que Minerva préférait et le seul à qui il aurait confié, lui, une mission aussi délicate. « Sans doute est-il en train de lancer ses fidèles acolytes à la chasse au diadème. Il est inutile que je vous explique pourquoi. »
L'expression du vieux sorcier était sereine, si ce n'était un peu attristée. « Harry est un garçon courageux, Severus, qui a de très fortes convictions. »
« Oh, je ne l'ignore pas. » rétorqua-t-il, en serrant les accoudoirs de son fauteuil à s'en faire mal. « Le problème étant que ses convictions interfèrent avec les miennes et que je ne compte pas le laisser mourir pour elles. Ce qui nous amène à cette conversation. »
Albus l'observait par-dessus ses lunettes en demi-lunes. « Harry est venu me trouver tout à l'heure. Mais vous ne l'ignorez pas. »
Non, il ne l'ignorait pas.
Jiggy avait perdu sa trace à plusieurs reprises, Harry ayant usé de sorts, de sa pierre anti-localisation et de sa cape, mais la visite à Albus… Severus n'avait jamais douté que ce serait son premier arrêt.
« Et que vous a-t-il demandé ? » s'enquit-il.
Le Directeur eut un geste las. « Mon aide pour vous convaincre de ne pas dépasser les limites de l'acceptable, bien sûr. »
« Bien sûr. » répéta-t-il froidement. « Et vous lui avez répondu que… »
« Que je l'aiderai dans la mesure du possible. » offrit Albus. « Néanmoins, j'ai aussi juré de vous aider à tout tenter pour le sauver et je compte tenir ma promesse. Si vous souhaitez réessayer le rituel, une fois le diadème en votre possession, je ne vous en empêcherai pas, dusse-t-il y avoir des dommages collatéraux. »
Severus fouilla son regard longtemps, à la limite de la Legilimencie, sans y détecter de mensonge. Pourtant, tout était dans le choix délibéré des mots, dans ce qu'il ne promettait pas.
« Êtes-vous avec moi, Albus, ou êtes-vous avec lui ? » demanda-t-il franchement.
« Faut-il vraiment qu'il y ait deux camps ? » soupira le vieux sorcier.
« Il y a deux camps par nécessité. » rétorqua-t-il. « Je ne le laisserai pas mourir ou agir avec la noblesse d'un Gryffondor stupide. Je réitère ma question : êtes-vous avec moi ou avec lui ? »
Le Directeur l'observa avec une lueur dans le regard que Severus peinait à identifier. Était-ce de l'affection ? Du regret ?
« Avec vous. » jura le Directeur, avec une force tranquille.
Rien ne trahissait quoi que ce soit…
Pourtant…
Pourtant…
Severus le connaissait trop bien sans doute.
« Je vous avertis, Albus. » lâcha-t-il, incapable de tout à fait dissimuler la fêlure dans sa voix. « Je vous ai beaucoup pardonné au fil des années et, au demeurant, il y a peu que je ne vous pardonnerais pas. Mais ça… Si vous choisissez vos machineries au lieu de la survie de mon enfant, non seulement je ne vous le pardonnerai pas mais je n'aurai de paix tant que je ne vous aurai pas détruit. »
Le vieux sorcier ne tressaillit pas, ne marqua aucun geste de colère ou d'agacement face à cette menace. Il se contenta de sourire. « Oh, je le sais, mon garçon. Croyez-vous que je sois prêt à vous perdre ? »
« Pour le plus grand bien ? » railla-t-il. « Que ne sacrifieriez-vous pas ? »
Les yeux bleus étaient mornes, tristes. « Faites-moi un peu confiance, Severus. »
Lui faire confiance ?
Alors qu'il avait, encore et encore, prouvé qu'on ne pouvait pas lui confier le bien-être d'Harry ? Qui l'avait élevé comme un porc qu'on mène à l'abattoir ? Qui avait tenté de s'immiscer entre eux, entre Sirius et le garçon, simplement pour mieux asseoir son influence ? Qui avait renvoyé Harry chez les Dursley en sachant qu'il y était maltraité et que Severus le lui avait interdit ? Qui jouait les marionnettistes en coulisses depuis des années ? Qui?
Non…
Non, il ne pouvait pas faire confiance à Albus.
Pas quand la vie d'Harry était en jeu.
Mais il aurait préféré que le vieux sorcier joue franc-jeu.
Ça, au moins, Severus aurait pu le respecter.
Ça, au moins, il aurait pu le lui pardonner.
Au lieu de cela, il occluda profondément l'ardente déception qui lui serrait la gorge et prétendit être satisfait par cette réponse.
« Ne me le faites pas regretter. »
°O°O°O°O°
La pluie s'était arrêtée mais l'air ne s'était pas départi de cette moiteur désagréable qui rendait l'attente insupportable. Nymphadora avait déjà fait le tour du périmètre des protections de Pré-au-Lard deux fois, elle s'était arrêtée au Trois Balais, avait échangé avec les réfugiés et Rosmerta, avait briefé Severus via leurs carnets… Combien de temps cela prenait-il de mener une mission de sauvetage soit disant facile ?
Elle n'aurait jamais dû confier le commandement d'une telle chose à Remus, se morigéna-t-elle pour la centième fois, tout en arpentant le quai de la gare sous l'œil de plus en plus inquiet de ses Aurors. Ils savaient qu'elle attendait un groupe de retour de mission et ils savaient qu'il valait mieux se faire petit quand elle était de cette humeur.
Finalement, finalement, les premiers craquements des transplanages se firent entendre et Remus apparut, une fillette de onze ou douze ans dans les bras. Et avec lui… Ils arrivèrent par vague de deux ou trois, ceux qui pouvaient transplaner accompagnant les autres. La meute de Remus aux membres volés à Greyback, les deux membres de l'Ordre qui avaient été mordus, d'autres enfants et deux loups énormes, l'un brun et l'autre d'un gris bleuté.
« Tu te fous de moi ? » lança-t-elle, alors que Remus approchait comme pour entraîner les autres au-delà des protections.
Les Aurors de garde se tendirent, soudain très alertes, en position de combat.
« Je ramène les enfants au château moi-même. » déclara Remus, sans répondre à sa question.
« Soit. » cracha-t-elle, évaluant du regard chaque enfant sans trouver la moindre trace de blessure alarmante. Ils auraient droit à un check-up à l'infirmerie quoi qu'il en soit mais il ne semblait pas y avoir besoin qu'une équipe de Médicomages les accueille aux grilles. « Tu peux emmener ces deux là comme escorte si tu veux. » Elle désigna la femme et l'homme qui se tenaient derrière Edward et Kalan, avec des expressions un peu craintives. « Mais les loups restent ici. »
« Nous sommes tous des loups. » rétorqua Remus. « Et nous allons tous au moins jusqu'au portail de l'école. Ils ont risqué leurs vies pour sauver ces enfants, ils ont le droit d'être traité avec respect. »
« Ne me parle pas de respect. » contra-t-elle. « Tu sais très bien que ce n'est pas ce dont il est question. »
« Non. Il est question de préjugés et du fait que la population a peur des loups-garous. » décréta-t-il. « Or on m'a promis une alliance complète. »
« Remus. » siffla-t-elle, en osant un pas en avant, sans pour autant ranger la baguette qu'elle avait automatiquement tirée en apercevant les énormes animaux. Un frisson désagréable ne cessait de descendre le long de son échine et elle devait faire un énorme effort pour occluder le souvenir de deux mâchoires serrant de part et d'autre de sa gorge. « Ils n'ont aucun contrôle sur eux-mêmes. C'est dangereux. »
Quoi qu'ils aient pris pour être sous leur forme animale, ce n'était pas la potion de Severus. Et si ce n'était pas la potion de Severus, ils n'étaient pas stables.
« Je les contrôle, moi. » affirma-t-il, avant de forcer le passage vers Pré-au-Lard, sa petite troupe à sa suite.
« Madame ? » bredouilla un des Aurors. « Voulez-vous que nous les interpelions ? »
Avec les enfants au milieu ?
Alors qu'ils présentaient la meute de Remus comme des alliés ?
Alors que cela impacterait négativement la présence de Laura et des autres gamins au château ?
Avec rage, elle leur fit signe de baisser leurs baguettes.
Le sourire victorieux de Remus, elle se promit de le lui faire ravaler un jour prochain.
En attendant, elle n'eut d'autre choix que de suivre, assistant impuissante à la marche de Remus et de ses loups. Les réfugiés, les habitants de Pré-au-Lard… Tout le monde sortit dans la rue, hurlant de terreur en apercevant les loups, les menaçant de leurs baguettes…
Remus continuait d'avancer, sa meute à sa suite, les enfants rescapés sur les talons…
C'était un désastre annoncé.
À tout moment elle s'attendait à ce qu'un sort ne vole… Elle se tint prête à intervenir, se tint prête à…
« Greyson ! »
Une femme fendit la foule, jouant des coudes, pour se précipiter vers le groupe.
« Maman ! » cria un des garçons qui devaient être en deuxième ou troisième année.
Le gamin courut vers sa mère qui tomba à genoux au milieu de la rue pour mieux l'enlacer. Durant de longues minutes, il n'y eut que des sanglots et des murmures et Nymphadora, elle-même, ne pouvait s'empêcher d'avoir les yeux humides face à la scène.
C'était si rare que cela se termine bien, ces temps-ci…
Puis la sorcière se releva, tenant fermement la main de son fils, et marcha droit vers Remus pour l'enlacer, la gamine qu'il avait dans les bras comprise. Loin d'être surpris ou de faire preuve de fausse modestie, le loup-garou sourit et lui rendit son étreinte.
Et, comme ça, en un claquement de doigt, il venait de gagner la faveur de la foule.
Ce ne furent plus des cris d'horreur qui les accompagnèrent le long des rues de Pré-au-Lard mais des cris de joie, des applaudissements… Les gens approchaient les loups sous forme animale, un peu craintivement d'abord, puis avec plus d'assurance lorsque ceux-ci prouvèrent qu'ils n'étaient pas menaçants…
Nymphadora observa le tout avec un choc mâtiné de dégoût.
Parce que ça puait la mise en scène.
Remus avait voulu ce genre de victoire.
Le temps qu'ils quittent Pré-au-Lard même pour aller vers le château, une foule derrière eux, cela s'était presque transformé en parade.
Et les loups-garous en étaient les héros.
Remus en était le héros.
Oubliées les rumeurs qui couraient sur son compte, oublié son comportement détestable envers elle, oubliées ses sautes d'humeur dangereuses…
Il était le héros qui avait ramené les enfants kidnappés à la maison.
Et ce qui la fit vraiment rager, sans qu'elle ne puisse déterminer si c'était un sortilège ou le destin qui s'acharnait, ce fut le moment où ils atteignirent les grilles de Poudlard et où, alors qu'il avait fait sombre toute la journée, les nuages s'écartèrent sans prévenir. Remus se retrouva nimbé d'un rayon de soleil qui semblait providentiel.
Nymphadora serra les dents à s'en faire mal.
Ce coup-ci, ce n'était pas l'horcruxe qui lui donnait des pulsions meurtrières.
°O°O°O°O°
Le feu était bas dans la cheminée et Severus le raviva d'un coup de baguette. Le mauvais temps se répercutait toujours dans les cachots. La pluie rendait l'endroit plus humide.
« Tu veux te calmer, oui ? » lança Sirius en direction de la jeune femme qui arpentait le salon de long en large.
Severus l'observa sans rien dire, ayant déjà tout dit lorsqu'elle était rentrée furieuse, une demi-heure auparavant. Et si son regard s'attardait un peu sur son jean, eh bien… Ce n'était pas sa faute si sa rage la rendait d'autant plus attirante et qu'elle persistait à passer et repasser devant lui. Il n'était qu'un homme et il était loin d'être aveugle.
« Vous auriez dû le voir ! » s'énerva-t-elle, pourtant. « Dis-leur, Bill ! »
Bill, qui était arrivé uniquement pour s'avachir dans un fauteuil, l'air épuisé, haussa les épaules. « Il a certainement retourné l'opinion. Tout le château ne parle que de lui et de sa meute et c'est positif. »
« Tant mieux pour eux. » rétorqua l'Animagus. « Ça ne nous concerne pas. Il a sauvé les gosses, c'est le principal. Franchement, on a d'autres chats à fouetter que Remus et ses loups… »
« Tu es borné ou tu le fais exprès ? » rétorqua Nymphadora.
« Lupin est potentiellement un problème. » décréta Severus, intervenant pour la première fois dans la conversation. « Mais c'est un problème politique qui devra attendre. Nous en avons de plus urgents. »
Il avait déjà jeté les protections nécessaires sur le salon mais il les renforça par acquis de conscience, même en sachant qu'Harry n'était toujours pas rentré. D'après ses informations, il était en train de fouiller méticuleusement la tour d'Astronomie avec ses amis.
« Le rituel ? » devina Bill. « On pourrait utiliser la pensine. Voir à quel moment précisément… »
« Entre autres. » le coupa-t-il, en croisant le regard de Sirius qui était arrivé avec une bouteille d'alcool et leur en avait tous servi un verre sans leur demander leur avis. L'Animagus en était à son troisième mais avait toujours l'œil vif. D'un autre côté, c'était une conversation qu'ils avaient déjà eu plus tôt dans la journée.
« Si tu veux parler du diadème… » soupira Nymphadora, en venant s'asseoir à côté de son cousin sur le canapé. « Il faut continuer à chercher de façon méthodique. On se disperse trop. »
« Il y a ça. » acquiesça Severus. « Mais il nous faut surtout parler d'Harry. »
« Harry ? » releva Bill.
« Harry n'est pas dans le meilleur état d'esprit. » lâcha Sirius, en prenant une autre gorgée de whiskey. « Et la dernière fois qu'il est parti dans ce genre de délires, il m'a drogué et il s'est enfui rejoindre Vous-savez-qui. »
Nymphadora croisa les bras, cherchant le regard de Severus. Il le soutint un long moment. Elle détourna les yeux la première, masquant mal sa désapprobation et son sentiment d'impuissance.
« Nous ne partageons plus d'informations avec lui. » annonça-t-il. « Il va vouloir nous prendre de vitesse. Il faut les surveiller, lui, Granger et Weasley. »
« Il n'y a pas qu'eux. » insista Sirius. Il avait déjà soulevé l'argument, plus tôt. « Il a toute une bande à ses ordres. »
« Mais Granger et Weasley sont les seuls au courant pour les horcruxes, et encore, ils ne savent pas pour Harry. » décréta-t-il. « Il est trop intelligent pour risquer révéler l'information à quelqu'un d'autre. Non, ce sont ces trois là sur lesquels il nous faut nous concentrer… En gardant à l'esprit qu'ils ont de l'expérience lorsqu'il est question de résoudre des mystères avant les Professeurs de Poudlard. » La Chambre des Secrets, entre autres. « Autre chose… Nous ne pouvons plus faire confiance à Albus. Il peut prétendre autant qu'il veut, il a choisi son camp et ce n'est pas le nôtre. À partir de maintenant, toutes les informations passent par moi. Je déciderai de ce que l'on peut laisser filtrer ou non. »
Retour à l'espionnage en somme.
« La priorité est de retrouver ce foutu diadème. » renchérit Sirius. « Et vite. Bill, toi et moi, on s'y colle à plein temps. Sans Severus et Tonks, on n'a plus d'armée. »
Nymphadora grimaça. « Je ne dirais pas ça comme ça. »
« Nous n'avons guère été brillants aujourd'hui. » confirma Severus, en se frottant le visage.
« Peut-être que si vous dormiez de temps en temps. » ironisa l'Animagus. « Depuis quand tu n'as pas fait une nuit complète, Servilus ? »
Trop longtemps.
Bien trop longtemps.
« J'ai un peu de mal à me remettre de la nuit dernière. » admit Nymphadora dans un soupir, un peu à contrecœur. « Je me sens mieux et je sais qu'il ne me contrôle plus mais… »
Elle laissa sa phrase en suspens.
« Pareil. » grimaça Bill. « C'était… perturbant à tous les niveaux. »
La réunion improvisée se termina rapidement après ça. Tout, de toute manière, avait été dit.
« Ça va, ta jambe ? » demanda la jeune femme, une fois qu'ils furent seuls.
Pour toute réponse, il ouvrit un bras en une invitation. Elle vint s'asseoir sur lui mais avec prudence et elle ne tarda pas à basculer ses fesses entre son flanc et le côté du fauteuil pour ne pas qu'il ait à supporter son poids. Étant donné que cela lui permettait quand même de se lover contre lui, il ne protesta pas.
Ils restèrent silencieux longtemps, à profiter du rare moment de répit, mais le répit ne durait jamais dans la tempête et elle ne tarda pas à relever la tête de là où elle l'avait nichée sur son épaule.
« Tu es sûr que c'est la bonne méthode avec Harry ? » hésita-t-elle.
Il ferma les yeux et appuya sa tête contre le dossier du fauteuil. « Le dialogue ne mène à rien. Quelle autre solution avons-nous ? Je le connais. Je sais ce qu'il s'est mis en tête. Je sais jusqu'où il ira. »
« Je n'aime pas ça. » avoua-t-elle. « L'idée de manigancer dans son dos… »
Il poussa un soupir silencieux et planta un baiser sur son front. « Je n'aime pas cela non plus. Toutefois, si c'est ce qu'il faut faire pour le sauver… » Il déposa un autre baiser sur son front, presque une excuse. « Ce ne sera pas une guerre ouverte. Il n'en parlera pas. Je n'en parlerai pas. La vie va continuer son cours. »
« Avec un énorme non-dit en forme de diadème au milieu ? » rétorqua-t-elle.
« Avec un énorme non-dit en forme de diadème au milieu. » confirma-t-il. « En parler ne servirait qu'à nous déchirer et nous ne le voulons ni l'un ni l'autre. »
« C'est tordu, Severus. » murmura-t-elle. « C'est beaucoup plus sain de parler des choses… »
« Libre à toi d'essayer. » rétorqua-t-il. « C'est aussi efficace que de parler à un mur. »
« Tel père, tel fils. » ironisa-t-elle, appuyant le coude contre le dossier pour caler sa tête dans sa main.
Cela lui permit de l'étudier à loisir.
Severus n'avait pas suffisamment d'énergie pour occluder davantage que ce qu'il ne faisait déjà. Il ne chercha pas à masquer son expression irritée.
« Tu m'en veux ? » devina-t-elle. « De te dire ces choses-là ? »
Il agita une main dans un geste vague. « Si tu ne peux pas me les dire, toi, alors qui ? »
Elle sourit sans que ça n'atteigne ses yeux. « Ça a vraiment été une journée de merde, hein ? »
« Vraiment. » confirma-t-il, dans un soupir, laissant retomber sa main sur sa cuisse dans une caresse peut-être un peu trop possessive. Elle ne protesta pas, pas même lorsqu'il la glissa le long de sa jambe vers son genou. La toucher le calmait, aussi stupide que cela puisse paraître.
« Ça m'énerve aussi, tu sais. » avoua-t-elle. « Son comportement. Qu'il agisse comme s'il savait tout mieux que nous. Comme si on était plus idiots que lui. Des gentils idiots bien intentionnés, hein, mais des idiots quand même. »
Severus secoua la tête. « Il n'a jamais eu d'adultes dans sa vie, Nymphadora. Il a grandi tout seul. Et quand il est arrivé à l'école… Depuis la première année, il est forcé de se mettre en danger pour sauver quelqu'un ou pour déjouer les plans du Seigneur des Ténèbres… Il ne s'en rend pas compte. Il est conditionné. Je pensais que nous avions fait des progrès mais… » À nouveau, il poussa un soupir. « La première fois que je l'ai privé de sortie, on aurait dit que je venais de lui offrir un Éclair de feu. Crois-moi, mon enfance était loin d'être idéale mais, au moins, j'avais ma mère. Même mon père n'était pas toujours… Grandir sans parents, sans adultes… Il estime qu'il n'en a pas besoin. Il veut des parents et donc il joue le jeu mais ce n'est pas en un an qu'il apprendra à accepter mon autorité alors qu'il pense être dans son droit. » Après un temps d'hésitation, il se corrigea. « Notre autorité. »
Ses yeux gris se baladaient sur son visage et plongèrent dans les siens à l'emploi de ce pronom possessif.
« Je ne vais pas le laisser mourir non plus, tu sais. » lâcha-t-elle. « Il peut manigancer ce qu'il veut, il ne va pas gagner. »
Malgré tout, les lèvres du Maître des Potions s'étirèrent légèrement en un sourire. « Oh, je le sais. »
« Mais je pense tout de même qu'on devrait réessayer de lui parler. » insista-t-elle. « Plus calmement. Je pourrais aller chercher des pizzas. On peut faire une soirée en famille. On se pose. On discute. Sans tension. »
Il resserra légèrement la prise sur son genou, avec affection.
« Il ne va pas changer d'avis, mon amour. » l'avertit-il. « Libre à toi d'essayer mais il ne va pas changer d'avis. »
Elle se pencha pour l'embrasser. « Ne sous-estime pas la détermination d'une Poufsouffle. »
« J'ai depuis longtemps appris à ne pas te sous-estimer. » répondit-il, très honnêtement. « Mais je sais aussi à quel point il peut être entêté. Ne sois pas déçue lorsque cela échouera. »
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Harry s'était attendu à ce que le sujet des horcruxes soit banni de leurs appartements car c'était ainsi que jouait traditionnellement les Serpentards. Ce à quoi il ne s'était pas attendu, en revanche, après avoir perdu l'après-midi à fouiller la Tour d'Astronomie en faisant semblant de se cacher de l'elfe que Severus lui avait collé aux basques, c'était de rentrer à la maison pour trouver trois cartons de pizzas sur la table basse et une Auror dont le sourire était plus acéré qu'à l'accoutumée.
Un échange de regards avec Severus lui apprit que ce traquenard n'était pas l'idée de l'ancien espion mais qu'il ne lèverait pas le petit doigt pour l'aider.
C'était complètement surréaliste de s'installer autour de la table basse et d'avaler des tranches de pizza encore chaudes, tout en discutant de tout et de rien, en sachant pertinemment qu'il y avait un éléphant dans la pièce.
Dora, à sa décharge, faisait de son mieux pour détendre l'atmosphère, en parlant Quidditch ou musique.
Severus jouait le jeu, bien que tombant visiblement de sommeil.
Alors Harry ne pouvait rien faire d'autre que prétendre, lui aussi, que tout était normal.
Quoi que normal soit.
C'était surréaliste.
Au moment où son père s'excusa, incapable de prétendre plus longtemps qu'il ne tenait pas debout uniquement par pure volonté, il sut que l'éléphant allait enfin faire son apparition. Dora rassembla les cartons vides, transférant les quelques parts qu'il restait dans une assiette. Harry rassembla les verres sales. Ils portèrent le tout dans la cuisine en silence mais, à la seconde où tout fut rangé, la jeune femme se racla la gorge.
« J'aimerais qu'on discute. » déclara-t-elle doucement, en tirant une chaise pour s'asseoir.
Ce n'était pas vraiment une demande, comprit Harry, mais davantage un ordre.
Sans un mot, il s'installa sur la même chaise que ce matin là, lorsqu'il avait eue une conversation similaire avec Severus. Encore que… similaire… Il doutait que l'approche soit la même.
Et il était fatigué d'avance d'avoir à affronter une nouvelle fois ce sujet.
Déjà, les questions murmurées et inquiètes d'Hermione dès que Ron avait eu le dos tourné l'avait lessivé.
Au bout de quelques secondes, comprenant visiblement qu'il n'allait pas commencer, elle s'humecta les lèvres et joignit les mains sur la table, laissant échapper un petit rire nerveux. « J'ai tellement l'habitude d'être dans l'autre chaise que je ne sais pas quoi dire. » Elle tenta un sourire. « Mon père ferait de la camomille… Tu veux de la camomille ? »
La dernière chose dont Harry avait envie, c'était de tisane.
Il se frotta le visage. « Est-ce qu'on peut juste avoir la dispute que je puisse aller me coucher ? »
Elle eut l'air très déçue et ce fut comme un coup de poignard au cœur qu'il fut forcé d'occluder. « Je ne veux pas me disputer, je veux qu'on discute. »
« Ne le prends pas mal, Dora, mais j'en ai vraiment assez de discuter de ça. » soupira-t-il. « Et, encore une fois, ne le prends pas mal, mais tu n'as aucune idée de ce que c'est d'être dans ma position. Volde… Tu-sais-qui est mon destin et… »
« Tu crois que je n'ai aucune idée de ce que c'est d'affronter Tu-sais-qui ? » le coupa-t-elle, sans s'énerver, en levant les sourcils. « Harry je me suis retrouvée face à lui plusieurs fois. Je sais à quel point c'est terrifiant mais… »
« Non, tu ne sais pas ! » explosa-t-il. Il s'était contenu toute la journée. Il avait pris sur lui toute la journée. Il avait été mature et adulte et rationnel et… Il contracta la mâchoire à en avoir mal, serra les poings sous la table. « Tu ne sais pas ce que c'est de l'avoir en toi. Tu ne sais pas ce que c'est de… »
« Tu as la mémoire très, très courte. » l'interrompit-elle, un peu plus sèchement.
Elle masqua mal son frisson face à ce qu'il s'était passé la nuit précédente.
« Ce n'est pas pareil. Tu ne peux pas comparer. » décréta-t-il. « Il était dans ta tête cinq minutes. J'ai un bout de lui en moi. Je dois mourir. C'est littéralement ce que veut dire la prophétie et vous faites comme si tout allait bien, comme si ça allait bien se terminer, et c'est juste tellement hypocrite. »
« Déjà, une prophétie, par définition, n'a rien de littéral. » rétorqua-t-elle. « Ensuite, on a déjà établi que c'était un ramassis de conneries et… »
« Pourquoi ? Parce que ça vous arrange ? » se moqua-t-il, son ton se faisant plus mordant. Il se contraignit au calme, augmenta sa prise sur ses boucliers… « Écoute… » Il se passa une main dans les cheveux. « Je sais que ça part d'une bonne intention mais… »
« Que ça part d'une bonne intention ? » répéta-t-elle, incrédule. « Harry, on essaye de te sauver la vie et, toi, tu sembles déterminé à te sacrifier. Il n'y a pas de bonne intention là-dedans. C'est normal pour nous de… »
« Je suis fatigué, Dora. » cracha-t-il. « Je ne sais pas pourquoi c'est si compliqué à comprendre. Je suis fatigué. »
Elle l'observa longtemps, un mélange de tristesse et de frustration dans ses yeux gris. « On est tous fatigués, Harry. Ce n'est pas une raison pour abandonner. Je comprends que tu aies plus de raisons d'être fatigué que d'autres mais il faut en parler, mettre des mots sur ce qui te pèse, pas renoncer. »
Il leva les yeux au ciel. « Écoute, c'est entre Severus et moi, de toute manière… »
« Non, ce n'est plus entre Severus et toi. » contra-t-elle calmement. « C'est entre Severus, toi et moi. »
À nouveau, il ressentit cette vague de chaleur douce au niveau de son cœur. Cette fois, pourtant, il s'en protégea en entourant son esprit d'un mur de flammes, ne se laissa pas sombrer dans cette affection si librement offerte.
Il avait été prêt à la manière dont Severus choisirait de jouer la partie, avait deviné que Sirius s'alignerait sur lui…
Il n'avait pas pris Dora en compte et c'était une erreur.
Et s'il voulait avoir les coudées libres…
Il renforça le mur de flammes, se retira loin derrière ses marécages jusqu'à avoir une maîtrise parfaite sur ses émotions, jusqu'à être certain que sa voix serait calme et forte et ne trahirait rien du tout du demi-mensonge qu'il s'apprêtait à énoncer.
« Tu n'es pas ma mère, Tonks. » lâcha-t-il. « Tu ne seras jamais ma mère. »
Ils n'auraient pas le temps d'en arriver là mais il aurait aimé.
L'éclair de panique sur le visage de l'Auror fut instantané bien que très vite maîtrisé. « Ce n'est pas ce que je… »
« Non ? » se moqua-t-il un peu, avec amertume. Il secoua la tête. « C'est de Severus dont tu dois prendre soin. Pas de moi. Je n'ai pas besoin de toi, je suis un grand garçon. »
Il se leva plus vite qu'elle, était déjà arrivé à la porte de la cuisine lorsqu'elle reprit la parole.
« Je ne suis peut-être pas ta mère… Je ne serai peut-être jamais ta mère… » lança-t-elle. « Mais ça n'empêche pas que je t'aime et que je vais te sauver que tu le veuilles ou non. »
Ses pas ralentirent imperceptiblement mais il continua son chemin sans répondre ou se retourner, ne relâchant son emprise sur ses boucliers qu'une fois à l'abri dans sa chambre. Il se laissa tomber sur son lit, embrassant du regard les ballons de la veille qu'il avait calés dans un coin, les cadeaux d'anniversaire qui s'entassaient sur son bureau en attendant d'être rangés, Paillette qui dormait sur son galion sur la table de nuit, Masque roulé en boule à côté de sa tête sur son oreiller…
Il ferma les yeux, roula sur le ventre et pressa le visage contre le deuxième oreiller, tentant d'étouffer le bruit de sa respiration trop hachée, des bouffées d'air qu'il avalait parce qu'il en manquait, parce qu'elles n'atteignaient pas ses poumons, parce que…
« Respire. »
Il se détendit légèrement, par instinct, au son de cette voix familière.
Une main se posa au creux de ses omoplates, frotta plusieurs fois, puis le guida sur le côté. Sa respiration se fit un petit peu plus facile sans se réguler. Il n'osa pas lever les yeux vers Severus. Pas encore. Il se contenta d'obéir à ses instructions, de se concentrer sur sa voix, de tâcher d'inspirer et d'expirer calmement en même temps que lui…
« Je croyais que tu allais te coucher ? » demanda Harry, d'une voix tremblante, au bout de quelques minutes, lorsqu'il se fut finalement maîtrisé.
La crise de panique l'avait laissé le corps fourbu et trop fatigué pour faire autre chose que de se recroqueviller en position fœtale. Il ne protesta pas la main que son père passa affectueusement dans ses cheveux ou le fait qu'il transforma son jean et son tee-shirt en pyjama d'un coup de baguette. Il ne fit aucun effort non plus quand Severus tira la couette de sous lui pour l'en recouvrir.
Il se laissa mettre au lit comme un enfant parce que…
Parce que…
Mais il occluda cette ligne de pensée car elle lui faisait piquer les yeux.
« Nymphadora est bien intentionnée. » murmura finalement Severus, en réponse à sa question. « Mais elle ne te comprend pas comme moi. » Il hésita une seconde puis soupira. « Tu lui as fait de la peine, tu sais. »
Harry ferma les yeux. « Je sais. »
« Elle ne se laissera pas repousser aussi facilement, non plus. » remarqua l'ancien espion. « Si elle a résisté à mes dons certains pour rejeter les gens, ce n'est pas toi qui va la convaincre de t'abandonner… »
Il haussa les épaules. « Ce serait plus simple si… »
Il laissa sa phrase en suspens.
« Si nous agissions tous comme les Dursley et que nous te rejetions parce que tu penses que tu es un fardeau ou trop dangereux ou trop pénible ? » ironisa son père, en remontant un peu plus la couette sur lui. « Cela n'arrivera jamais. »
Il rouvrit les yeux, tendit une main lasse vers son étui à lentilles pour ravaler la boule dans sa gorge.
« Je suis fatigué. » avoua-t-il dans un murmure. Il ne cessait de le répéter mais personne ne semblait comprendre à l'exception possible de Draco.
« Je sais. » admit Severus sur le même ton. « Mais tu pourrais te reposer sur nous au lieu de tenter de tout affronter seul. »
Il aurait pu… S'il n'avait pas su ce que ça impliquerait pour eux.
« Moi aussi j'étais une forteresse, tu sais. » chuchota-t-il, revenant à leur conversation du matin. « Différemment mais… Moi aussi j'étais une forteresse. »
« Je sais. » répéta son père, avec tristesse.
Il soupira. « Alors, ça nous laisse où ? »
Severus lui caressa à nouveau les cheveux, sans chercher à masquer la lassitude et le chagrin sur son visage. « Au même endroit que ce matin, je suppose. »
De deux côtés opposés d'une tranchée invisible.
« Je t'aime. » lâcha-t-il, avec un peu de désespoir, sans même parvenir à rougir de révéler ses sentiments sans aucune pudeur. Il avait seize ans, pas six. Il n'aurait pas dû…
« Moi aussi. » répondit Severus, avec à peine une hésitation. « Si je t'aimais moins, je serais peut-être capable de faire ce que tu me demandes mais je n'ai jamais été très mesuré avec mes sentiments. »
C'était déjà ça, supposait-il, que quoi qu'ils fassent, même si c'était l'un contre l'autre, ils le fassent par amour.
Peut-être même était-ce tout ce qui comptait.
