Chapitre 32 : Le jour des morts
Résumé :
De retour à Seventh Heaven, Cid et Vincent tentent de reprendre le cours normal de leur vie.
Avec la désormais nécessité de gérer leur attraction mutuelle et l'avis de la famille.
Et avec l'arrivée du jour des morts, même les morts vont s'en mêler...
Personnages :
Team Avalanche + leurs morts : Setzer, Darril (FF6), Sky Strife (OC), Harumi Kisaragi (OC), Tifa, Seto, tribu de Red (oc) (FF7)
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Shera est une grande sœur protectrice, Vincent et Cid continuent le lent, très lent, trop lent, chemin vers le grand amour, PTSD, du deuil et des différentes façons de l'appréhender, Freelance sur la culture de Guadosalam. Référence au suicide, réflexion sur la mort, ce chapitre va être un rayon de soleil ! ou pas.
Shera prit relativement bien les révélations familiales que Cid lui annonça. Du moins, après les quelques minutes nécessaires pour recalibrer ses convictions religieuses et le monde tel qu'elle le percevait depuis l'âge de dix ans, un thé généreusement aromatisé au whisky et une longue litanie de jurons dans trois langues différentes.
"Ça explique tellement de choses," finit-t-elle par déclarer une fois qu'elle eut épuisé tous les jurons qu'elle connaissait après vingt-deux ans à être la sœur de Cid et la fille de Kaïn.
"Ouais, hein ? " fit Cid en lui servant un second thé au whisky.
Elle hocha la tête en prenant une nouvelle gorgée, se frottant le front.
"Comment… tu le prends ? "
"Honnêtement, je crois que je suis encore sous le choc," admit Cid.
Depuis leur départ de porte Nord, il se sentait d'un calme absolu. Même le manque de nicotine ne lui avait pas terni l'humeur. Même les taquineries de son équipage sur son 'escapade sexuelle' avec Vincent ne l'avaient pas atteint. Et ni Edgar, ni Balthier n'avaient été subtils.
"Et… concernant… Sire Haifin ? "
Cid remplit sa propre tasse de thé au whisky en faisant la moue.
"Je... crois qu'on a fait la paix... plus ou moins. Il a admis ses torts."
"C'est ça le plus inattendu de toute cette situation," marmonna Shera en prenant une gorgée de la sienne.
"M'en parle pas, j'ai encore du mal à le croire."
"Maman ? "
"Comme toujours : Elle est le roc sur lequel notre famille s'accroche. Elle n'a même pas cillé."
"Qu'est-ce qu'on ferait sans elle…"
"Probablement beaucoup plus de conneries."
"Vincent ? "
Cid détourna rapidement le regard vers sa tasse.
"Il... avait compris avant moi."
"C'est pas ce que je demande," rétorqua Shera.
Cid tenta de prendre un air innocent, et comme d'habitude, ce fut ce qui rendit sa sœur suspicieuse.
"Tu as couché avec lui."
"Non ! " protesta Cid.
"Siddhe."
"Non, juré ! "
Shera rétrécit les yeux, observant attentivement son frère par-dessus le bord de sa tasse.
"Tu me caches quelque chose."
"Je dirais rien."
"Ne t'en fais pas, je trouverais."
"Tu viens faire les courses avec moi," déclara Shera en tendant les clefs de la Chocomobile à Vincent, ainsi que plusieurs sacs.
"Euh… Oui, Shera."
"Bon courage," lança Cid, debout près de la chaise de Yuffie.
"Aide-moi," souffla Vincent en passant.
"Eh, je suis en train de réexpliquer à TA sœur comment résoudre des fonctions polynôme du second degré, tu veux qu'on échange ? " suggéra Cid en montrant Yuffie qui peinait sur ses devoirs.
"Sans façon. Les mathématiques sont un art occulte."
"Filet de chocobo," lut Shera sur la liste des courses.
"Entier ou en portion ? " demanda Vincent en se penchant sur le bac de surgelé du supermarché.
"Portions. Ah, au fait, Vincent ? "
"Hm ? "
"Quelles sont tes intentions envers mon frère ? "
Vincent resta silencieux, dévisageant Shera, la main toujours plongée dans le meuble réfrigéré.
Et la seule chose à laquelle il pouvait penser était : Hein ?
Ce fut d'ailleurs la seule chose qui sortit de sa bouche.
"Hein ? "
"Quelles sont tes intentions envers mon frère ? " répéta Shera, tout aussi sérieusement, mais avec le coin de la bouche qui remontait très légèrement.
Il y avait beaucoup de situations à Avalanche qui avaient été des premières pour Vincent, mais il n'aurait jamais pensé que celle-ci arriverait un jour.
Le plus proche qu'il avait connu dans sa vie était quand Ash lui avait conseillé d'arrêter de lancer des sous-entendus graveleux à Yoshiro.
Ça avait été plus pour sa santé à lui que pour le bien-être de leur collègue, cela dit.
"Je…"
"Sans détailler," précisa Shera.
"Je resterais vague."
"Bahamut, merci," marmonna Shera avant de lui tendre le sac de surgelés.
Vincent y posa le paquet de filets de chocobos avant de fermer le bac, réfléchissant à sa réponse.
"Pour l'instant…"
"Pour l'instant," répéta Shera avec un petit regard par-dessus ses lunettes, attendant que Vincent élabore.
"Seras-tu violente si mes intentions étaient moins qu'honorables à son égard ? "
"Je ne suis pas armée pour l'instant."
"Pour l'instant," répéta Vincent sur le même ton qu'elle.
Elle soupira avant de pousser le caddie vers les crèmes glacées, baissant les yeux vers la liste de course.
"Ecoute, je connais mon frère, je connais ses goûts en matière d'homme et vous êtes de plus en plus collés l'un à l'autre."
"Et ça t'inquiète ? "
"Disons que ses histoires d'amour ou de cul se finissent rarement bien. Shiva Delight."
"Vanille, chocolat et noix de pépio ? "
"Je ne sais même pas pourquoi Zack et Yuffie le précisent sur la liste, on connaît leurs favoris par cœur maintenant," soupira Shera en ouvrant un autre sac à surgelés.
Vincent sortit trois blocs de Shiva Delight de leur armoire réfrigérée pour les ranger dans le sac que Shera lui tendait.
"Donc, tes intentions ? "
Elle ne lâchait pas l'affaire. Il posa le sac sur le précédent et referma l'armoire avant de répondre.
"Honnêtement ? J'aimerais…"
Elle avait dit : pas de détail. Et même si ça serait amusant d'essayer de la faire rougir, il ne voulait pas se la mettre à dos. Il aimait bien Shera après tout, et elle ne faisait qu'essayer de protéger Cid.
"Visiter la salle des machines avec Cid ? " suggéra Shera.
"Pardon ? "
"S'envoyer en l'air."
"Ah… c'est ça que ça veut dire ? "
Shera soupira en hochant la tête.
C'était la faute de Cid et Nooj, quand, sur le front de Junon et à la recherche d'un petit coin tranquille, ils avaient décidé d'accaparer la salle des machines de leur aéronef pour un câlin rapide.
Shera les avait surpris et après qu'ils se soient fait enguirlander et chambrer abondamment, le terme avait été adopté par tout l'équipage.
Et commençait lentement à se répandre dans toute la flotte de Shinra.
"Tu l'ignorais ? "
"Oui. Mais Balthier me l'a déjà proposé."
"Ils ne sont pas sortables," soupira Shera. "Crache le morceau maintenant. Mon frère ? "
"Oui, Shera, j'aimerais visiter la salle des machines avec lui," répondit Vincent en jetant un coup d'œil sur la liste que tenait la biologiste.
"Je m'en doutais."
C'était définitivement une première pour Vincent et il n'avait pas la moindre idée de comment répondre à Shera.
Surtout parce que, une fois mise de côté l'attirance physique qu'il avait pour Cid…
Et bien il ne savait pas trop en fait.
Il y avait de la camaraderie entre eux.
De la confiance, tant en combat qu'en privé…
Et, encore une fois, de l'attirance.
Mais trente ans -ou un an- après Lucrecia...
"Vincent ? "
Le sniper se redressa et secoua la tête avant de se détourner, cherchant dans le rayon suivant ce qui manquait dans la liste.
"Est-ce que… les jumeaux ou Cid ont… dit quoique ce soit au sujet du Docteur Crescent ? "
"Cid pense qu'elle et toi étiez amants."
Vincent hocha la tête. Cid était intelligent, il l'avait probablement deviné depuis longtemps. Et Vincent espérait que Cloud avait empêché Zack d'ouvrir sa grande bouche de pipelette.
"Ça ne s'est pas très bien fini," admit Vincent, "et… je ne suis pas près de remettre ça de sitôt."
"Donc… ce serait… uniquement physique ? "
"Je crois, mais… je… ne peux pas."
"Comment ça ? "
"Il…"
Il avait si froid. Il n'était plus dans la mako, il pouvait à nouveau respirer sans être compressé, mais il avait… si... froid...
"Voyons voir comment notre dernière expérimentation a guérit, veux-tu, Cerbère ? "
Et la main d'Hojo était brûlante contre sa peau, palpant la plaie à peine guérie.
"Hm, ça n'a pas l'air de s'être refermé comme prévu… voyons voir ce que ça donne à l'intérieur…"
Inspiration.
Expiration.
Éteindre la boule de feu.
Il reposa la boîte de conserve qu'il avait prise sur le rayonnage, maintenant tordue sous sa poigne et laissant échapper le jus des légumes qu'elle contenait.
"Je... dois sortir," marmonna-t-il.
"Vas-y, je pourrais finir," déclara Shera en lui tendant les clefs de la chocomobile.
C'était dans des moments comme ça que Vincent regrettait de ne plus pouvoir fumer.
Il y avait un demi-paquet de Cid dans la boîte à gant, avec un briquet, mais Vincent avait déjà essayé en sortant de l'hôpital. Fumer n'était définitivement plus pour lui.
Ça avait beaucoup fait rire Gast sur le coup, vu toutes les fois où il lui avait reproché cette mauvaise habitude à Nibelheim. Les trois scientifiques avaient fini par le chasser du Manoir chaque fois qu'il sortait une cigarette et lui imposer d'aller fumer dehors. C'était bien une des seules choses pour laquelle ils avaient été tous les trois d'accord.
A part cette foutu expérience.
Shera toqua à la vitre de la camionnette et il sortit, aidant son amie à ranger les courses à l'arrière de manière que rien ne se renverse. Ils remontèrent dans l'habitacle et attachèrent leur ceinture. Elle lui adressa un petit sourire amical avant de régler à nouveau le siège. Vincent avait conduit à l'aller et Shera était presque une tête plus petite que lui, refaire les réglages prenait un moment.
"Il avait les mains chaudes..." finit-t-il par murmurer.
Shera lui jeta un regard alarmé.
"Cid ? "
"Hojo," précisa Vincent sans la regarder, "il avait les mains chaudes. J'aurais préféré qu'elles soient froides comme la mako."
"Il… il t'a…"
"Non. Minerva, merci, ça, il n'en a jamais eu l'idée."
En toute honnêteté, il ne pensait pas qu'Hojo ai vraiment eu le moindre intérêt pour le sexe. Il ne l'avait jamais montré en tout cas, même quand Lucrecia et lui avaient affiché leur relation au grand jour. Vincent avait eu du mal à garder ses mains pour lui en public quand Lucrecia et lui étaient amants, il ne comprenait pas comment Hojo avait fait.
Séphiroth était quand même la preuve vivante que c'était arrivé. En tout cas, si la théorie de Wilhelm était fausse et…
Et il allait arrêter de penser à ça.
"Mais quand… quand il me sortait du tube pour ses… expériences… Il…"
Il n'arrivait pas à le dire.
Et il ne voulait certainement pas atteindre sa limite dans la Chocomobile.
"Je ne peux pas être touché par une femme parce que je pense à elle et je ne peux pas être touché par un homme parce que je pense à lui," lâcha-t-il d'une voix basse.
Il tourna la tête vers Shera qui le fixait d'un regard peiné et horrifié.
"Dans les deux cas, je suis baisé. Et pas comme j'aimerais."
"Je suis désolée, Vincent."
"Je vais t'embarrasser encore plus."
"Je le mérite," admit Shera.
"J'aimerais baiser."
"Avec mon frère ? "
"Shera, as-tu jamais regardé Cid comme s'il était un autre homme plutôt que ton frère ? "
"Jamais réussi, pour moi il reste le petit gamin blond avec un bébé sur le dos que j'ai rencontré il y a vingt-deux, presque vingt-trois ans."
Vincent dû admettre que ce genre de vision pouvait mettre fin à toute envie charnelle en trois secondes top chrono. Elle démarra.
"En revanche, j'ai vu comment les gens le regardent et j'ai dû chasser des prétendants à coups de clef à molette."
"Ah. Donc le côté dragon, ce n'est pas juste lui," s'amusa Vincent.
"Il n'y en aurait pas besoin s'il n'avait pas tendance à attirer les tocards encore plus que moi," grommela Shera en mettant le clignotant.
"Merci," rétorqua Vincent d'un ton sarcastique.
"Crois-moi, y'a eu bien pire que toi," déclara Shera avant de s'insérer dans la circulation avec presque autant de brio que son frère.
Vincent contempla la possibilité avec surprise.
"Comment ? "
"Tu ne veux pas savoir."
"Rassurée ? "
"Pour Cid ? Oui. Pour toi ? Non."
Vincent fronça les sourcils et jeta un petit regard à Shera qui stoppa la Chocomobile à un feu rouge avant de lui adresser un petit sourire désolé.
"Cid est mon frère et je suis peut-être un peu trop protectrice… Arrête de sourire. Mais tu es un ami. Et tu mériterais d'être heureux après tout ce qui t'es tombé dessus."
Vincent hocha la tête en soupirant.
"Je ne veux pas de ta pitié."
"D'accord. Mon amitié, ça ira ? "
"Ça dépend. J'ai le droit de toucher Cid ? "
"Non."
"Et de trois. Santé, amour, beauté," déclara Aérith en désignant alternativement le ventre, le cœur et le visage de Cid.
"Merci," grommela Cid en se frottant le nez d'un revers de bras.
Les deux filles étaient dans le garage avec lui, l'observant assembler sa nouvelle lance sur une hampe en métal flambant neuve.
Tant que les outils étaient sortis, il voulait en profiter pour faire quelques réparations sur les leurs et elles avaient décidé de lui tenir compagnie avec du thé et du papotage.
"Tu sais, à Wutai, quand on éternue trois fois, les vieux disent que c'est parce qu'on parle de toi," déclara Yuffie tout en affûtant un de ses kunaïs, assise sur la table.
"En bien ou en mal ? "
"Chais pas, tes oreilles chauffent ? "
"Vous avez des traditions vraiment bizarres à Wutai."
Le jour des morts à Seventh Heaven commença, comme beaucoup d'autres, avec une grossièreté en Burmécien.
"Bahamut og allir kúlurnar hans[1] ! ! "
Vincent se leva d'un bond, prêt à combattre et se prit une lumière grésillante en pleine tête. Il tituba, recula et retomba assis sur son lit.
Après quelques clignements d'yeux frénétiques, il parvint à réajuster sa vue et leva les yeux.
La chambre était pleine de furolucioles, les sphères lumineuses éclairant le matin de novembre d'une lueur irisée.
"Oh. C'est le jour des morts ? " s'étonna-t-il.
Avec tout ce qui s'était passé ces trois dernières semaines, il avait complètement oublié que la date approchait.
"Ces trucs me filent les chtouilles ! " jura Cid, toujours sur son lit.
Vincent se leva, précautionneusement cette fois, évitant de donner à nouveau un coup dans la furoluciole.
Il avait été surpris, en arrivant à Midgar, que certaines traditions soient vraiment globales. Le jour des morts en était une.
Enfin, visiblement, sauf à Burmécia, mais le royaume des dragoons était suffisamment haut dans les montagnes pour être loin de la Rivière de la Vie, et donc des furolucioles baladeuses.
Il se souvenait de sa mère accrochant une lanterne aux arbres autour de leur campement du moment, de son père rassemblant sa famille autour de lui pour conter les exploits ou les sottises de leurs défunts à la lueur des furolucioles.
Même les Turks avaient eu leurs traditions, initiées par Morrow, de laisser des offrandes sur les bureaux des leurs anciens collègues, faisant un debrief aux lucioles qui s'attardaient sur les dossiers.
Ce n'étaient pas des esprits, même si les Yévonites le soutenaient mordicus.
C'était des fragments de souvenirs, de mémoires, des éléments encore non absorbés par la Rivière et qui, pour une raison obscure, sortaient de la Rivière de la Vie, une fois l'an.
Il s'habilla rapidement, imité par Cid qui évita soigneusement le contact avec les boules de lumière et ils commencèrent tous deux à descendre pour le petit déjeuner. Cait tenta de sauter pour attraper une ou deux sphères, mais abandonna vite en réalisant qu'il ne pouvait pas les toucher et passait à travers avec un grésillement désagréable. Ils croisèrent Yuffie, en uniforme, qui babillait envers les furolucioles flottant autour d'elle.
"Faut que j'aille à la MGU, mais si vous voulez venir, ça ne me dérange pas, bonjour Grand Frère ! Bonjour Cid ! "
"Bonjour Yuffie."
"Tu as cours aujourd'hui ? "
Officiellement, le jour n'était pas férié, sauf peut-être à Guadosalam, mais il était bien connu que personne ne ferait grand-chose ce jour-là, pas avec les souvenirs de leurs morts qui flottaient par-dessus leur épaule, et qui, parfois, sous l'impulsion d'une mémoire plus intense, formait un spectre du défunt.
"Non," répondit Yuffie en écartant une furoluciole de son oreille d'un geste délicat, "mais les pensionnaires et les orphelins de la MGU organisent une grande fête pour leurs défunts et j'ai promis à Selphie de l'aider à tout préparer. Je serai de retour en début d'après-midi."
"Tu veux que je t'amène à l'école ? " proposa Vincent en lui emboîtant le pas dans l'escalier.
"Le carré d'as vient me chercher, les jumelles ont dit qu'elles voulaient nous présenter leur mère cette année."
"Vous... présenter…" répéta Cid, incrédule, en les suivant vers la salle commune.
"Les Burméciens ne célèbrent pas la fête des morts ? " s'étonna Yuffie.
"On balance les cendres de nos morts du haut de la montagne et on se saoulent en leur nom, y'en a aucun qui est revenu se plaindre."
"Vous auriez vu sa tête la première fois qu'on a assisté à une cérémonie d'accompagnement Yévonite," intervint Shera, assise à la table du petit déjeuner.
"Ils laissent leurs morts pourrir dans le sol ou dans la flotte ! "
"C'est la nature, Cid."
"C'est pas hygiénique ! "
Vincent se servit en café, écoutant les deux Highwind recommencer à se chamailler.
La cuisine sentait l'odeur des épices, que ce soit pour le vin chaud ou les biscuits traditionnels Estérien. Mais il y avait aussi des plaques de caramel sombre de Corel, que quelqu'un avait cassé en fragments pour être dégustés. Des pommes blanches de Banora étaient empilées dans le panier à fruits, ainsi que des grenades de Condor, certaines enveloppées dans du papier irisé. Elmyra avait préparé plusieurs pains des morts pour la célébration du soir et une fournée de biscuits ronds étaient en train de refroidir. En attendant la fin de la cuisson des pains, Elmyra était montée en haut d'un escabeau et accrochait une lanterne de papier et de bois au-dessus de l'entrée, dans laquelle quelques furolucioles s'étaient déjà installées. Barret lui tenait l'escabeau, d'autres lanternes pendues à la main, qu'il tendait une à une à Elmyra.
Il était couvert de furolucioles. Elles s'amalgamaient sur ses épaules et sa tête, restant à grésiller paisiblement. Marlène, assise sur ses deux bottins, les regardaient passer, les yeux grands ouverts. Ce devait être le premier jour des morts où elle était en âge de comprendre ce qui se passait, vu l'émerveillement dans ses yeux.
"Elles ne te font pas mal ? " s'étonna Cid.
"Ça picote. C'est tout," répondit le colosse
"Ne les laisse pas s'agglutiner trop" conseilla Shera en en chassant quelques-unes d'un signe de main.
"Au pire, je verrais un de mes hommes."
"Papa, on pourra voir Papa Dyne et Maman Eleanor et Maman Myrna ? " demanda Marlène en posant son bol.
"Bien sûr ma chérie… Tu sais quoi, on va aller voir Auron et Jecht, ils te montreront Dyne eux aussi."
"Elmyra peut venir ? "
"J'ai beaucoup de travail aujourd'hui," commença Elmyra d'un ton hésitant en descendant de l'escabeau, se tenant à l'épaule de Barret.
"Tu es la bienvenue," déclara celui-ci en l'aidant à descendre, posant une main sur son dos.
La gouvernante hésita, jetant un regard à la cuisine.
"Et bien… Il faut que je finisse les pains des morts d'abord. S'ils veulent bien… cet après-midi ? "
"Je vais appeler Auron pour les prévenir," sourit Barret avant de replier l'escabeau pour aller le ranger.
"Je vais leur en préparer un aussi," ajouta Elmyra en retournant dans sa cuisine.
Vincent échangea un regard amusé avec Shera. Apparemment, le soap-opéra le plus prisé de Seventh Heaven allait connaître un nouvel épisode avec la présentation officielle à la 'famille'. Peut-être que Barret finirait par se déclarer officiellement avant la fin de l'année.
La porte s'ouvrit sur Aérith qui entra, un panier de fleurs dans les bras et une couronne fleurie sur la tête. La capacité de la jeune fille à avoir toujours des fleurs fraîches sous la main surprenait même Vincent, mais après tout, elle était de la même famille que Lucrecia et il avait vu des fraises en plein hiver dans le jardin intérieur de Nibelheim.
"Bonjour, tout le monde ! " s'exclama Aérith avant de sortir une poignée de fleurs de son panier, accrochant la petite couronne à la porte avec une punaise avant de la refermer.
"Bonjour Aérith ! " renchérit Yuffie pendant que la guérisseuse glissait une fleur derrière son oreille, "c'est quoi ? "
"Tradition Glaciane," répondit Aérith en faisant pareil avec Marlène, "pendant le jour des morts, les fleurs sont symbole de renaissance."
"Attention devant, Strifes en approche ! " lança Zack en entrant dans la salle commune d'un pas bondissant, tenant la porte ouverte après lui.
Apparemment Zack était de très bonne humeur et, par réflexe, tout le monde rangea les chaises sur son chemin pour ne pas qu'il se cogne dedans.
Mais étonnement, venant de lui, le brun resta calmement près de la porte, laissant passer une silhouette blonde que Vincent prit d'abord pour Cloud avant d'y jeter un second coup d'œil.
C'était une femme d'une bonne trentaine d'années, avec les cheveux en bataille, aussi blond que ceux de Cloud, mais retenus en arrière par un foulard maduin. Elle portait une salopette en jean et une chemise à carreaux et tenait une perceuse électrique d'une main, qu'elle réglait tout en parlant, ses lèvres formant des mots muets, les sourcils froncés.
"C'est Maman ! " présenta Zack en laissant passer sa mère, puis Cloud qui la suivait de prêt, un grand sourire aux lèvres.
Et la ressemblance avec les jumeaux était incroyable, surtout avec Cloud. Vincent ne doutait plus des histoires de Zack comme quoi Cloud avait facilement été confondu avec une fille étant enfant et adolescent.
"Je suis content qu'on ait réussi à la faire venir," déclara Cloud.
"Ouais, j'y arrivais pas tout seul, "renchérit Zack en suivant leur mère du regard.
Elle se tourna vers eux, agitant l'index de sa main libre sous leur nez d'un air sévère.
"De quoi vous vous rappelez pour qu'elle ait l'air aussi mécontente ? " demanda Aérith.
"L'envol du château d'eau," répondirent les jumeaux d'une même voix.
"On l'a abimée en tombant," ajouta Zack.
"Et elle nous l'a fait réparer," précisa Cloud.
"Oh, drekaskìttur," marmonna Cid en se levant, s'éloignant de la mère des jumeaux.
"Cid," siffla Shera.
"T'en fais pas, elle va pas rester longtemps," déclara Zack.
"C'est presque fini," ajouta Cloud comme leur mère se tournait vers lui, levant sa main libre pour toucher à ses cheveux.
Les doigts de sa mère le traversèrent, répandant des filaments lumineux sur ses cheveux en grésillant, puis avec un dernier sourire, elle se retourna fonça droit dans les bras de Zack qui tenta de la retenir par réflexe.
En percutant son fils, elle se divisa en une demi-douzaine de furolucioles qui descendirent lentement vers le sol avant de s'effacer.
"Oh…" murmura Zack, "désolé…"
"C'est rien," répondit Cloud en lui tapotant le bras, "on essayera encore tout à l'heure. Et puis, y'a Tifa aussi."
"Je vous aiderait ! " déclara Aérith en venant embrasser Zack.
"Moi aussi ! " s'exclama Marlène en brandissant sa cuillère.
"Après l'école, alors," déclara Barret en attrapant sa fille sous les bras pour la descendre de sa chaise. "Va te laver les dents ! "
Une fois Yuffie partie avec ses amis et Marlène accompagnée à l'école par Barret, le petit déjeuner s'acheva tranquillement au milieu des effluves des plats de fêtes que préparait Elmyra.
"Où est Nanaki ? " demanda soudain Cloud.
"Oh… c'est vrai," s'étonna Elmyra, il est sorti dans la cour ce matin, il n'est pas revenu…"
la cuisinière s'essuya les mains sur son tablier et se dirigea vers la porte de derrière, suivie par Cloud.
Vincent entendit un cri de surprise d'Elmyra et les rejoignit, sa tasse de café à la main.
"Que se passe-t-il ? "
"Je... ne suis pas sûre…" répondit Elmyra, plantée sur le porche.
Nanaki était endormi au milieu de la cour, entouré d'une dizaine d'autres lions de cosmo, tous roulés en boule autour de lui, leur souffle silencieux et calme. Il y en avait de tout âge et de toutes tailles, leurs crinières et pattes ornées de bijoux, des peintures de guerre sur leur fourrure, et tous paisiblement endormis.
"C'est lui qui en fait venir autant ? " murmura Vincent, surpris.
"Je ne savais même pas que c'était possible," déclara Elmyra pendant que Cloud descendait précautionneusement les marches.
Il approcha de Nanaki, s'agenouillant en prenant bien garde de ne toucher aucun des lions et effleura le museau du jeune fauve qui ouvrit l'œil. Ils échangèrent quelques mots à voix basse avant que le fauve se recouche.
"Est-ce que… on devrait les disperser ? " demanda Vincent.
"Ça fait des mois qu'il n'a pas dormi aussi paisiblement," rétorqua Aérith en arrivant à son tour. "Il va bien, il n'est même pas triste."
Cloud hocha la tête et donna une dernière caresse sur le crâne de Nanaki avant de se lever, rejoignant les autres humains.
"Il peut rester dans la cour aujourd'hui ? "
"Bien sûr Cloud, mais… Il faudra qu'il mange et boive un peu," déclara Elmyra.
"Je vais lui amener son petit déjeuner," répondit Cloud.
Quand Cid et Vincent revinrent de leur tour de garde, Seventh Heaven était plus silencieuse.
Et remplie de furolucioles.
Elles s'étaient entassées dans les lanternes jusqu'à déborder et envahissaient maintenant les coins du plafond, s'agglutinant en grappes compactes, illuminant la pièce d'une lueur grésillant et iridescente.
Cid alla immédiatement se réfugier dans leur chambre, évitant les filets de lucioles qui flottaient paresseusement. Vincent avait un léger soupçon sur les raisons de cette répulsion envers les furolucioles.
Le champ d'ossements sur Gröf Drekana était peut-être un des responsables. Mais si Cid avait vécu plus de quinze ans hors de Burmécia, il devrait être habitué depuis, c'était… étrange.
Il y avait un buffet de sandwichs et de fruits sur la table pour le repas de midi pendant qu'Elmyra achevait de préparer la nourriture et les plats pour la fête du soir.
Cela faisait des années que Vincent n'avait pas participé à un jour des morts, encore moins à un typique de Midgar, avec les plats, les traditions d'Estérie, et sa curiosité naturelle attendait ça avec trépidation.
Il se dirigeait vers le vestiaire pour se changer quand il entendit la voix de Cloud.
"Ça faisait un moment, tu étais où ? "
La question était suffisamment étrange pour que Vincent change de but, se dirigeant vers les canapés.
"Elles sont avec toi ? Oh…"
Cloud parlait à voix basse, probablement pour ne pas se faire entendre, mais avec l'audition augmentée de Vincent, il l'avait parfaitement entendu.
"Non, c'est bien, c'est bien, c'est juste… je n'étais pas sûr qu'elles iraient à la Rivière."
Vincent arriva près du canapé et se figea.
Cloud était assis à sa place habituelle sur le canapé de Red, une jambe pliée sous lui, une canette d'Ifrit Cola à la main. Sur l'accoudoir près de lui, se tenait une jeune femme aux longs cheveux bruns, vêtue de l'uniforme d'Avalanche, des gants de combats sur les mains. Elle leva les yeux vers Vincent à son approche.
Rouge.
Tifa.
"Ça va, Vincent," intervint Cloud, "elle passe juste voir si on va bien."
La jeune femme lui sourit.
Evidemment qu'elle ressemblait aux clones qu'il avait combattu, c'était le principe même du clonage.
Mais à la voir sourire paisiblement, balançant les jambes comme une enfant…
Elle se tourna vers Cloud et lui parla, et le blond hocha la tête.
"Elle dit qu'elles te remercient. Elles n'ont pas eu mal. Enfin, pas trop. Sauf celle avec la balle dans le genou. Elle t'en veut un peu."
"Comment tu sais…"
"Tifa me l'a dit."
La jeune femme hocha la tête, faisant sauter sa queue de cheval avec enthousiasme. Sur les photos de l'album, elle avait toujours porté une queue de cheval basse, nouée au niveau de sa taille, mais visiblement, quand elle avait été en uniforme, elle avait opté pour une coiffure plus serrée, similaire à celle que Vincent avait adoptée.
Il pouvait comprendre, les tripes de squames dans les cheveux, il ne l'avait fait qu'une fois. C'était infernal à laver.
"Cloud… C'est… Elle est une Errante ? "
Le blond haussa les épaules, observant Tifa d'un regard tendre.
"Je sais pas. C'est la première fois que je la vois. Le reste du temps, je peux juste l'entendre."
"Qu…"
Cloud frissonna et se tourna vers Vincent, le regard implorant.
"Le dit pas à Shera et Aérith, hein ? Elles vont vouloir que je reprenne les médicaments…"
Visiblement, il n'y avait pas que le mauvais œil qui bénéficiait de la mako. Le regard de chien battu luminescent était aussi très efficace. Vincent s'assit sur le grand canapé, proche de Tifa, l'observant à la dérobée pour ne pas risquer d'influencer le souvenir. Il avait tué ses clones après tout et Cloud n'apprécierait pas si Tifa se couvrait soudain d'impact de balles.
"Tu l'entends souvent ? "
Cloud hésita avant de répondre.
"La plupart du temps, j'entends que des cris, mais… mais parfois, c'est des voix et je peux les reconnaître."
"Qu'est-ce qu'elles te disent ? "
"C'est difficile à comprendre. Surtout quand elles marmonnent."
L'apparition fit mine de donner un petit coup sur l'épaule de Cloud, affichant une expression agacée mais affectueuse.
"Désolée Tifa, mais y'a des fois, je comprends pas un mot de ce que tu essayes de dire."
Elle plissa la bouche d'un air soucieux et tendit la main d'un geste plus calme, effleurant les cheveux de Cloud.
"Des fois, c'est quand on se bat... Le pire, ce sont les Bienheureux."
Cloud soupira et posa la tête en arrière, sur le dossier du canapé.
"Ils hurlent. Ils sont prisonniers de leur propre corps. Tout ce qu'ils veulent c'est aller à la Rivière et la seule façon, c'est de détruire entièrement leurs corps."
"C'est pour ça que tu es aussi…"
"Déterminé ? "
"J'allais dire efficace."
"J'aime bien te parler," déclara soudain Cloud, changeant de sujet.
"A moi ? " s'étonna Vincent à qui on avait plutôt suggéré de se taire quand il commençait à devenir bavard et donc sarcastique.
Cloud hocha doucement la tête, levant les yeux vers Tifa.
"Tu me juges jamais. Tu écoutes ce que je dis, même quand c'est aberrant. Tu me prends au sérieux. C'est comme… C'est comme Cid avec Zack."
"Cid ? "
"Il aide Zack aussi. Il l'aide à réfléchir et à se calmer… Tout le monde traite Zack comme un abruti, sauf Cid…. Et tout le monde me traite comme un fou, sauf toi."
Tifa bougea rapidement. Un moment elle était sur l'accoudoir, celui d'après elle se laissait tomber sur Cloud, ouvrant les bras.
Il y eu une fraction de seconde pendant laquelle ses bras se serrèrent autour du cou de Cloud. Pendant laquelle la main de Cloud fut sur son dos.
Une fraction de seconde où ils se touchèrent.
Et elle disparut, se scindant en une vingtaine de furolucioles, plus que Vincent n'en avait jamais vu sur un souvenir du jour des morts.
Elle avait effectivement été à deux doigts d'être une Errante.
Cloud jeta un regard triste sur les furolucioles qui s'éloignaient ou disparaissaient.
"J'aimerais bien que ça dure plus longtemps," souffla-t-il.
"C'est déjà une journée où on peut les voir."
Cloud hocha la tête tristement.
"Je vais… dormir."
Replonger quoi.
"Je préviendrais tout le monde de ne pas faire trop de bruit," déclara Vincent en se penchant.
Il posa la main sur l'épaule de Cloud et serra doucement avant de le laisser s'allonger sur le canapé, redevenant graduellement aussi immobile et silencieux que la première fois qu'il l'avait vu.
Vincent se leva en silence, s'apprêtant à le laisser tranquille quand il réalisa qu'ils n'étaient pas seuls.
Zack se tenait derrière le grand canapé, un sandwich à la main, contemplant son frère avec tristesse.
Vincent ne l'avait pas entendu venir, ce qui, venant de Zack, était surprenant.
"Zack ? "
Le brun tourna les yeux vers Vincent, le fixant quelques secondes avant de les baisser à nouveau.
"Je suis pas un bon frère, hein ? " murmura-t-il.
"Pourquoi dis-tu ça ? "
"Je ne le crois pas. Cloud. Quand il dit qu'il parle à Maman et Tifa, je ne le crois pas."
"Ce n'est pas quelque chose de courant…"
"Non… Non les… les psys voulaient l'interner. Il a fallu que le Professeur Gast intervienne pour les en empêcher."
Le sandwich entre les mains de Zack commença à se déliter, réduit en charpie par les gestes nerveux du Strife et Vincent glissa sa main dessous pour retenir les fragments d'aliments.
"J'ai tellement peur qu'un jour quelqu'un réalise qu'il… qu'il ne va pas mieux… Et qu'il doive aller en hôpital psychiatrique."
Vincent tendit l'autre main, faisant lâcher les restes du sandwich à Zack qui ne sembla même pas le réaliser, le laissant faire sans quitter Cloud du regard.
"Je crois que ça le tuerait."
"Viens, Zack," murmura Vincent en l'entrainant vers la cuisine.
Il jeta les restes du sandwich à la poubelle puis aida Zack à se laver les mains, sous le regard soucieux d'Elmyra. Le Strife brun soupira et s'appuya de tout son poids sur Vincent. Heureusement qu'il avait une force augmentée, Zack pesait le poids d'un béhémoth mort.
"Tu penses qu'il leur parle vraiment ? "
"Je ne sais pas, Zack," répondit Vincent. "Mais s'il le dit… je suis prêt à le croire."
"Je devrais faire pareil," marmonna Zack avant de réaliser qu'il n'avait plus son sandwich.
Il sortit de la cuisine pour en reprendre un second qu'il entama avec plus d'appétit, mâchant pensivement avant de se tourner à nouveau vers Vincent.
"Comment va Cid ? "
"Pas à son aise. Je crois que les furolucioles… le gênent."
"Ouais. L'année dernière, ça avait fait pareil. Il ne voulait pas sortir de sa chambre."
"C'est culturel. Les Burméciens… n'ont pas l'air très doués pour faire leur deuil."
Zack fronça les sourcils avant d'attraper une assiette, la remplissant de sandwichs.
"Je vais lui amener à manger ! "
"Bonne idée," déclara Vincent, "ça lui fera du bien. Je vous apporte du thé."
Il prépara deux tasses avec l'aide d'Elmyra et se dirigea vers le couloir, ouvrant la porte d'une main, les deux tasses tenues par l'anse de l'autre.
Lucrecia se tenait de l'autre côté, nue, ensanglantée, tendant la main pour la poser sur son visage.
Elmyra sortit précipitamment de la cuisine, un couteau à la main, quand elle entendit le fracas des tasses sur le sol.
Vincent était adossé à côté de la porte du couloir, restée grande ouverte, haletant.
Les fragments des tasses étaient par terre, le thé inondant le parquet.
Il ne restait que quelques furolucioles, flottant paresseusement vers le sol en s'effaçant peu à peu.
"Vincent ? " appela doucement Elmyra, rangeant son couteau dans la gaine à sa taille.
Il ne répondit pas, plus pâle qu'Elmyra ne l'avait jamais vu, plus pâle que quand il était arrivé à Seventh Heaven.
"Vincent," répéta-t-elle, un peu plus fort.
"Qu'est-ce qu'il a ? "
Elle tourna la tête vers Cloud, debout au milieu de la pièce, campé sur ses jambes comme s'il devait combattre. Le bruit avait dû le réveiller.
"Je ne sais pas, j'ai juste entendu un bruit…"
"Ça va," reprit Vincent, "ça va… j'ai… juste été surpris par un souvenir…"
Il baissa les yeux vers les dégâts sur le sol et se pencha, commençant à rassembler les morceaux.
"Je m'excuse pour les tasses…"
"Ne t'en fais pas," répondit Elmyra en lui tendant des chiffons," fais juste attention à ne pas te couper, je refais du thé."
"Je vais l'amener à Cid", proposa Cloud, "vas prendre l'air."
Vincent hocha la tête, finissant de nettoyer avant de sortir sur le porche. Il se laissa tomber sur une des marches menant à la porte et inspira profondément.
Il aurait dû se douter qu'il allait voir Lucrecia aujourd'hui.
Il aurait dû s'en douter, elle était morte et il avait la tête remplie de mémoires d'elle, mais la voir ainsi…
Il n'arrivait pas à se souvenir quand est-ce qu'il l'avait vue nue et ensanglantée, réalisa-t-il.
Le dernier souvenir clair qu'il avait d'elle, c'était quand elle s'excusait devant le tube à mako, les mains sur son ventre arrondi.
Mais là… elle n'avait pas été enceinte.
Juste nue, couverte de sang, ses cheveux rassemblés en une natte à moitié défaite et…
Les furolucioles devant lui commencèrent à briller de manière plus intense et il les dispersa d'un revers de main. Ce n'était pas le moment de faire apparaître un spectre vengeur en pleine rue.
Peut-être qu'il allait devoir faire comme Cid et rester dans la chambre aujourd'hui.
Il prenait l'air depuis une vingtaine de minute, toujours dans son uniforme quand il vit le carré d'as revenir avec Yuffie, remontant la rue d'un pas déterminé. Il se redressa de son siège, plaquant un petit sourire sur son visage pour ne pas inquiéter Yuffie.
"Tadaima," commença-t-il.
Yuffie passa en trombe près de lui sans répondre, retournant dans Seventh Heaven.
Il se tourna vers ses amis.
"Que se passe-t-il ?"
Zell sursauta au ton froid de l'adulte devant eux et fit un pas derrière les jumelles, à peine plus courageuses. Ce fut Djidane qui expliqua d'une voix hésitante, repliant ses doigts autour de la furoluciole qui reposait dans sa main.
"Elle a essayé de faire venir son oncle tout à l'heure. Elle n'y est pas arrivée."
Aérith était dans la chambre avec Yuffie, un bras autour des épaules de l'adolescente. Yuffie tenait une photo sur ses genoux, la contemplant tristement et elle leva les yeux quand Vincent entra. Il referma calmement derrière lui, salua le temple fixé au-dessus de la porte avant d'approcher de l'autel que l'adolescente avait monté sur son bureau.
Elle l'avait entièrement débarrassé, puis recouvert d'une nappe propre. La pierre funéraire de son oncle avait été nettoyée et posée sur son kimono qu'elle avait récupéré avant l'incinération et soigneusement lavé. Il y avait de l'encens qui brûlait, des offrandes de fruits, de thé et deux lanternes de papiers emplies de furolucioles étaient placées de chaque côté. Il approcha de Yuffie et s'agenouilla devant elle, ouvrant le coffret qu'il tenait.
"Est-ce que je peux utiliser ton autel, s'il te plait ? "
Yuffie hocha la tête. Il se releva puis approcha de l'autel, posant la boite laquée sur un coin libre. Il posa d'abord un carré de tissu usé près de la tablette d'Harumi, puis prit précautionneusement la tablette de sa mère, la plaçant dessus. Il referma le coffret, le mettant de côté sur le lit de Tifa, avant de poser une dernière chose sur l'autel.
Un des biscuits qu'Elmyra avait fait.
Ce fut là que Yuffie se mit à pleurer, silencieusement.
Vincent se tourna vers elle, s'asseyant de l'autre côté et passa un bras autour d'elle. Aérith l'observa faire avec inquiétude.
"Je dois vous laisser ? " demanda-t-elle à voix basse.
"Seulement si Yuffie le désire," répondit-t-il sur le même ton.
"Pou... pourquoi ça marche pas ? ! " demanda Yuffie entre deux sanglots. "Pourquoi je vois pas mon oncle ? "
"C'est une tradition, mais ce n'est pas un rituel. Préparer le butsudan[2] ne fera pas venir les morts."
"Qu'est-ce que je dois faire alors ? "
"Les furolucioles font apparaître les souvenirs que tu as d'eux," expliqua Vincent.
"Tu dois te souvenir de lui," ajouta Aérith.
"J'y arrive pas ! " s'exclama Yuffie en hoquetant, "y'a rien qui vient, j'étais trop petite ! "
Vincent tendit le bras pour attraper la boite posée sur le lit d'en face, la ramenant sur ses genoux. Il la rouvrit et sortit un petit cadre qu'il tendit à Yuffie.
"Voici ma mère."
Yuffie prit le petit cadre avec autant de délicatesse que possible et le leva à hauteur de ses yeux.
La photo représentait une jeune femme, vêtue d'un kimono simple, assise près d'un enfant à l'air ronchon. Elle avait des cheveux très courts et fixait l'objectif d'un regard effronté.
"C'est qui le petit garçon ? "
"C'est moi. Je devais avoir quatre ans. Un de ses amis a pris la photo, elle ne voulait pas. Il lui a dit que c'était pour garder un souvenir de moi avant que je devienne encore plus imbuvable qu'elle."
"Elle avait l'air d'avoir un sacré caractère" jugea Aérith.
"A l'époque, il ne fallait pas grand-chose pour être considéré comme une femme 'sauvage'. Mais elle était chasseuse de monstres, mère célibataire et une redoutable trafiquante de relique."
Yuffie lui rendit le cadre avec précaution, le tenant des deux mains avant de plonger vers sa propre boîte funéraire, sortant plusieurs photos.
"Là, c'est Kaa-San."
La photo représentait une famille complète, tous vêtus de lourds kimonos richement brodés, mais Yuffie avait posé des morceaux de papier sur certains des visages, les cachant à la vue. Elle désigna une femme assise au centre, dans un lourd kimono ornementé, à côté d'un homme tout aussi richement vêtu, mais dont le visage était caché.
"Kasan ? " répéta Aérith.
"Sa mère" traduisit Vincent en prenant la photo. "Effectivement. Tu lui ressembles beaucoup, Yuffie."
Yuffie rougit en balbutiant.
"Ouais, non, Kaa-San était beaucoup plus gracieuse que moi… Tu sais qu'elle s'est battue contre Séphiroth ?"
"Quoi ? "
"Oui, pendant la guerre de Wutai. Ils se sont combattus en combat d'honneur… bon il l'a vaincu, mais il a refusé de la tuer. Il a dit que ce serait dommage de perdre une adversaire aussi valeureuse."
"J'ignorais qu'il faisait ce genre de chose."
"Moi de même," ajouta Aérith.
"Pas sûre que la Shinra laisse sortir ce genre de truc, il est un traître maintenant. Mais c'est bien connu à Wutai. Il était respecté là-bas. Craint, mais respecté. Les vieux disaient qu'un guerrier avec un tel honneur chez Shinra, c'était donner de la confiture aux tomberries."
"Tu n'es pas sur la photo ? " demanda Aérith en tendant le cou.
"Oh, non ! C'était le mariage de Kaa-san et Oto-sama. Je suis née l'année suivante."
Elle ouvrit grand les yeux et reprit la photo, observant attentivement.
"Par contre. Ah, il est là ! " s'exclama Yuffie en montrant un enfant, debout près de son père, engoncé dans un kimono de cérémonie.
"Ton oncle ? " demanda Vincent.
"Oui. Il devait avoir…" commença Yuffie en comptant sur ses doigts. "Sept ans."
"Vous n'aviez pas beaucoup de différence d'âge," nota Aérith.
"Non. Ojii-sama… mon grand-père, a eu beaucoup d'enfants, jusque tard. Il est là," ajouta Yuffie en désignant le patriarche, assis près de ses fils. "Il est mort pendant la guerre."
"Au combat ? "
"Même pas. Crise cardiaque. C'est comme ça que Oto-Sama s'est retrouvé empereur."
Elle regarda les visages dévoilés sur la photo avec un petit soupir.
"Tous les autres… ils sont morts pendant l'attaque de Sin. Il ne reste qu'Oto-Sama, une de ses tantes, ses enfants, et moi."
"Quel âge avais-tu ? "
"Sept ans."
"Et lui quinze…" calcula rapidement Vincent.
"Tu étais petite, c'est normal que tu n'as pas beaucoup de souvenir de lui," déclara Aérith en serrant son bras autour de Yuffie.
"Pourtant... il s'occupait de moi," soupira Yuffie.
"Que faisait-t-il ? "
"Et bien… déjà il me suivait partout, pour éviter que je fasse des bêtises. Et des fois, il les réparait dans le dos de Kaa-san pour pas que je me fasse disputer."
Aérith eu un petit rire attendri.
"Désolée, continue."
"Et… il essayait de m'apprendre à bien me tenir dans la cour. A être polie, à ne pas faire de faux-pas… C'est peut-être pour ça que je suis aussi vulgaire, il a pas eu le temps de finir le boulot."
"La politesse, c'est très surfait," rétorqua Vincent.
"Oh ! Et il était ninja ! Comme c'était le benjamin de ses frères et sœurs, c'est lui qui devait devenir le protecteur caché d'Oto-sama ! C'est pour ça que je veux être ninja, comme lui. Oto-Sama voulait que je suive la voie des samouraï…"
Cette fois, ce fut Vincent qui laissa échapper un petit rire.
"Tu aurais fait un très mauvais samouraï, Yuffie," ricana Vincent, amusé.
"Ouais, hein ? C'est Harumi-Jisan qui m'a appris à lancer un shuriken quand j'avais six ans. Je me rappelle encore, ça a fait…"
Elle leva les yeux et la main.
Harumi se tenait devant elle, adolescent d'une quinzaine d'années, vêtu de noir, ses cheveux attachés sur sa nuque et une étoile de ninja dans la main. Il parlait en silence, comme tous les spectres de furolucioles, mais désignait alternativement l'arme, quelque chose plus loin, une cible probablement, tout en montrant le geste pour lancer l'arme. Il fit la démonstration, puis se tourna vers Yuffie avec un sourire avant de lui tendre une autre étoile.
Les doigts de Yuffie se refermèrent dessus et l'arme disparu, mais son oncle continua comme si de rien n'était, lui montrant de nouveau le mouvement. Il sembla suivre quelque chose du regard et se tourna de nouveau vers sa nièce, réprimant un sourire amusé tout en faisant signe que c'était raté. Il laissa échapper un petit rire et disparut, se scindant en plusieurs furolucioles.
"Tu vois," murmura Vincent. "ce n'est pas une question de rituel."
Yuffie hocha la tête en reniflant avant de venir se blottir contre l'épaule humaine de Vincent. Aérith jeta un petit regard soulagé à Vincent par-dessus la tête de Yuffie et articula silencieusement un remerciement.
Vincent inclina la tête en réponse.
"Et ta mère ? Tu veux la voir ? " finit par demander Yuffie en se redressant, essuyant ses yeux.
Il ferma les yeux, cherchant un des souvenirs qui la faisait apparaître à chaque jour des morts.
C'était il y a si longtemps, la dernière fois. Elle était apparue dans le bureau des Turks, son arme à la main et avait proprement terrorisé Yoshiro en la lui passant à travers le corps avant de disparaître.
Est-ce qu'elle existait toujours dans la Rivière ou est-ce qu'elle avait déjà disparue, ses mémoires dispersées, transmises à d'autres créatures ?
Est-ce que Lucrécia aussi n'existait plus ?
Est-ce…
Il entendit le petit cri de surprise d'Aérith et rouvrit les yeux.
Lucrecia était devant lui.
Nue.
Ensanglantée.
Elle approchait un pistolet à injection de son cou.
Quand Yuffie et Aérith arrivèrent à le calmer, l'apparition avait disparu, dispersée par le coup de pied réflexe de Vincent, qui avait aussi brisé la chaise du bureau de Yuffie.
"Tout va bien, Grand Frère, elle est partie, tout va bien," murmurait Yuffie dans leur langue natale, les mains sur son visage, "respire, c'est fini…"
Aérith avait les deux mains sur son bras humain, ses yeux grands ouverts au point qu'il apercevant le blanc autour de ses iris vert.
A part ses cheveux plus ondulés, elle ressemblait à Lucrecia. Et après l'avoir vue deux fois aujourd'hui, il réalisait maintenant à quel point.
Il détourna le regard et elle le lâcha, comme piquée par un insecte.
"Je… je crois que… je ferais mieux… de… rester dans ma chambre."
"Makoto…" commença Yuffie.
"Ça va," répondit Vincent, "ça va… je vais juste... faire une sieste."
Il jeta un dernier regard à la chaise brisée avant de sortir, son pas s'éloignant dans le couloir.
"Des fois, il ne sait pas mentir," murmura Yuffie pendant qu'Aérith soupirait en hochant la tête.
Il n'avait pas vu Lucrecia arriver.
Bon sang, depuis quand les furolucioles étaient aussi sensible ? Il devait se concentrer des heures sur un souvenir avant, pour faire apparaître sa mère et là, une simple pensée fugitive avait…
Il secoua la tête.
Il fallait qu'il arrête de penser à elle, du moins aujourd'hui.
Il entra dans sa chambre sans prendre la peine de toquer, une habitude qu'il commençait à prendre à cause de Cid.
Et se figea.
Cid était assis sur son lit, dans le coin le plus éloigné de la pièce, recroquevillé sur lui-même.
Deux spectres étaient près de lui. L'un des deux se tenait au pied du lit, les mains dans les poches de son blouson de pilote, ses mèches blanches retombant sur sa peau sombre. Il tourna la tête vers Vincent et celui-ci reconnut l'esprit qui était apparu derrière Cid lors du survol de Guadosalam.
L'autre était assis sur le lit, près de Cid, vêtu d'un uniforme militaire coupé à l'épaule et à la jambe gauche. Il avait la peau pâle et des cheveux brun coupés très court, sauf sur le sommet de son crâne, formant une très longue natte, nouée sur elle-même en plusieurs boucles pour ne pas le gêner.
Son bras et sa jambe gauches étaient étrangement flous et il tenait une béquille appuyée contre son épaule. Il se contentait de regarder Cid avec un petit sourire, tapotant des doigts en rythme sur sa canne.
"Cid ? "
"Aide-moi," murmura Cid d'une voix étranglée.
Vincent referma la porte derrière lui, approchant d'un pas aussi calme que possible. Il y avait une tasse de thé et une assiette de sandwichs intouchés sur le bureau près de Cid.
"Zack et Cloud ne les ont pas dispersés ? "
"Si mais..." avoua Cid. "Ils arrêtent pas de réapparaitre..."
Vincent prit la chaise du bureau et s'assit, presque à toucher l'homme aux cheveux bruns.
"Qui sont-ils ? "
Cid hésita brièvement, jetant un petit regard à Vincent, avant de déglutir.
"Tu... tu te souviens… Je t'ai dit qu'on avait crashé avec mes hommes, à Junon ? "
"Oui."
"Ce... ils sont… Ce sont les deux… ils sont morts ce jour-là…"
Celui aux cheveux blancs sembla vaciller et Cid referma précipitamment les yeux, évitant de le regarder.
"Ils reviennent tous les ans depuis… Je le supporte plus…"
"Ce n'est pas eux, Cid."
"J'ai pas pu les sauver, Vince…" murmura Cid. "S'il te plait, disperse les…"
"A une condition," reprit Vincent. Parle-moi d'eux."
Cid hésita longuement, observant les deux revenants devant lui, puis Vincent, avant de reprendre la parole, se rasseyant pour replier les jambes loin du brun. Il montra le jeune homme à la peau brune en premier.
"Bar... Baralai. Mon co-pilote. Il a l'air calme et sérieux comme ça, mais faut... fallait pas pousser le chocobo au cul. Je pense que... tu l'aurais bien aimé, même s'il était Yévonite…"
"Un Yévonite ? Pilote ? "
"Il était perpétuellement en crise de foi, ça le bouffait vivant."
L'apparition debout rabattit la tête en arrière, éclatant d'un rire silencieux. Il avait l'air jeune. Plus que Cid. Plus que l'âge apparent de Vincent, mais devait probablement avoir été plus âgé que les jumeaux. Vingt-cinq ? Vingt-six ans ?
"Il aurait tellement aimé le Haut-Vent" murmura Cid, "il aurait passé sa vie dessus, ça lui aurait fait aimer voler plus que son Dieu."
L'apparition de Baralai se pencha en avant, les mains toujours dans les poches et hocha la tête en guise d'accord.
"Je sais pas comment j'ai survécu. Il a été… déchiqueté lors de l'atterrissage."
"Cid. Non. Pas ce souvenir." le coupa Vincent.
Des lignes rouges apparaissaient sur la peau brune, mais le jeune homme continuait de parler en silence, ses lèvres reprenant le fil d'une discussion longtemps passée. Le sang commença à goutter, le visage à se déformer. Vincent se leva à demi, tendant la main pour la poser sur les yeux de Cid.
"Pas celui-là, Cid" reprit Vincent.
Le blond sursauta à demi au contact et chercha frénétiquement un autre souvenir.
"C'était le meilleur ami de Gippal."
Les lignes disparurent comme Baralai se tournait vers un autre interlocuteur invisible, parlant avec les mains et mimant un instrument de musique. Vincent relâcha lentement Cid, le laissant regarder Baralai à nouveau.
"Un Al Bhed et un Yévonite ? " s'étonna de nouveau Vincent.
"Pas au début… C'est venu plus tard, mais… Lui, Gip et Nooj… on n'a jamais compris… Trois personnes complètement différentes et unies comme les doigts de la main. Je suis sûr que si Nooj a tenu le coup aussi longtemps, c'était grâce à eux. Pas à moi."
Baralai se tourna vers l'autre spectre, Nooj probablement, lui touchant l'épaule avant de lui expliquer quelque chose. Le brun hocha la tête avec un petit sourire et Baralai lui mit une petite tape sur l'épaule avant de fourrer ses mains dans les poches de son blouson et se tourner, traversant le mur comme s'il n'était pas là, laissant une furoluciole flotter paresseusement derrière lui avant de disparaître.
"Gippal doit être en train de leur jouer un air, ils adoraient tous les deux sa musique," murmura Cid avant de se tourner vers le souvenir restant.
Il inspira profondément et se frotta les mains l'une contre l'autre avant de reprendre.
"Tanooj. Nooj. Il... il était tirailleur sur notre aéronef, avec Gippal."
L'amalgame de furolucioles tourna la tête vers Vincent. Il était grand et large d'épaule, et avait un regard calme derrière ses lunettes. Par moment, son bras et sa jambe gauche devenaient plus flous, parfois plus nets, et Vincent eut l'impression de reconnaître des prothèses mécaniques. Il semblait avoir l'âge de Cid, une trentaine d'années, peut-être plus, peut-être moins...
"Je l'avais dans la peau, ce con," finit par souffler Cid.
"Vous étiez amants ? "
Cid ouvrit la bouche. La referma. La rouvrit.
"Ça dépendait des moments," admit-t-il, "ça dépendait à qui tu demandais. Il aurait dit non. J'aurais dit oui. On passait notre temps à s'envoyer en l'air, s'engueuler, se recoller et recommencer. Même Cid en avait marre à la fin."
Connaissant la patience du navigateur, ça avait dû être une relation mouvementée, en effet.
"Je commençais à tirer un trait sur lui quand… quand y'a eu le crash. Il a voulu sortir Bar du cockpit avant l'impact avec le sol… Ils ont… Ils étaient pas attachés..."
"Cid."
"Ouais, ouais, je sais, pas ce souvenir," reprit le blond en fermant les yeux.
Il garda les yeux fermés un moment et Vincent vit l'image du tirailleur vaciller à plusieurs reprises, le montrant parfois ensanglanté, parfois désarticulé, avant qu'elle ne se stabilise. Cid rouvrit les yeux alors que Nooj changeait de position sur le lit, se détournant de Cid pour parler à quelqu'un d'invisible.
"Il avait un grain," finit par reprendre le blond d'une voix tendue. "Plusieurs. Tout un épi. Il était Gi, il vivait dans la région de Cosmo quand le canyon a été attaqué et... Il a perdu un bras et une jambe. Il a chopé des prothèses Al Bhed -j'ai jamais su COMMENT- et il est revenu sur le front de Junon. Il était… il était pas bien Vince. Il voulait mourir. Tout le monde l'appelait le Suicidaire."
"Les Gi ont... avaient un rapport étrange avec la mort," expliqua Vincent.
"Ah ? "
"S'ils survivaient à un combat gravement blessé, ils pensaient qu'ils devenaient des errants et qu'ils ne trouveraient le repos que s'ils parvenaient à mourir au combat."
Cid regarda tour à tour Vincent, puis le souvenir assis sur son lit.
"C'est con qu'il n'en a jamais parlé," finit-t-il par murmurer.
"Différentiation culturelle."
"Je voulais l'aider," admit Cid, "je voulais... je voulais le réparer, comme dit Shera… mais j'ai jamais pu."
"Parfois, il faut vouloir être aidé…"
"C'est marrant, c'est ce que Shera me disait à l'époque. Elle n'a jamais voulu s'attacher à lui. Setzer venait de mourir et… Et, ho, putain…"
Les yeux de Cid s'écarquillèrent sous la révélation qu'il venait d'avoir.
"Comment j'ai fait pour ne jamais réaliser à quel point ces deux-là se ressemblent ? Blaient. Ressemblaient."
Devant les yeux de Cid, la silhouette de Nooj se brouilla, sa natte se dénouant et s'éclaircissant, ses traits s'affinèrent, jusqu'à ce que ce soit Setzer qui soit assis sur le lit, avec son sourire canaille et insolent, vêtu de son manteau noir.
"Je suis vraiment con," murmura Cid.
Le souvenir roula des yeux.
"Oh, ta gueule," murmura Cid " si vous vous étiez rencontrés, vous vous seriez entretués en trente secondes et j'aurais dû recoudre les morceaux."
Cette fois l'apparition eut un sourire narquois, fronçant ses sourcils et faisant la moue.
"Le seul truc sur lequel pour auriez été tous les deux d'accord, c'est que j'ai des gouts de merde en matière de mec."
Setzer eut un grand rire silencieux, abattant sa main sur sa cuisse avant de secouer la tête. Il se leva, tendit la main pour la poser sur la tête de Cid...
Et disparut, une guirlande de furolucioles s'effondrant sur Cid.
Cette fois, le pilote n'essaya pas d'éviter le contact avec les sphères lumineuses, les regardant s'estomper entre ses doigts.
"Cid ? "
Le pilote leva les yeux vers Vincent avant se tourner, désignant le panneau de liège, levant la main vers une photo, se frottant le visage de l'autre.
"Ils sont là."
Vincent suivit son geste du regard.
Gippal avec ses deux yeux, assis sur un lit militaire, son instrument sur les genoux, tête bêche avec Baralai et Nooj, l'un visiblement désemparé, l'autre amusé, tous deux penchés sur une sphère.
Baralai et Shera, dans le cockpit d'un aéronef, en train de faire des réglages, concentrés sur leur tâche.
Nooj, assis devant un feu de camp, contemplant les flammes avec une expression fixe, hantée.
Baralai, assis sur une caisse derrière Nooj, par terre, et essayant de lui refaire sa natte sur les conseils de Gippal et Cid.
Une photo officielle de tout l'équipage, où ils se tenaient bien, droit, digne et sérieux.
La même dix secondes plus tard, où le fou rire les avait tous gagnés.
"Ils me manquent."
"Mon père… Mon père dit que c'est à ça que servent les furolucioles. A se souvenir."
"Pourquoi ? On peut très bien se souvenir sans avoir des fantômes sous les yeux…"
"Pas si on a besoin de leur dire quelque chose en face," répondit Vincent d'un ton pensif.
Les furolucioles dans les mains de Cid reprirent soudain leur éclat et le blond sursauta, s'écartant d'elles.
"Pas de panique, elles vont juste faire apparaître un autre souve…" commença Vincent avant de tressaillir à son tour comme une silhouette apparaissait devant eux.
Cid n'eut que le temps de reconnaitre un corps de femme nue et couverte de sang, portant quelque chose dans ses bras que la main de Vincent l'avait déjà dispersée, envoyant voler les furolucioles à travers la pièce, les laissant disparaître.
"Voilà… voilà pourquoi il faut se concentrer sur les bons souvenirs" déclara Vincent en se rasseyant, gardant le regard résolument fixé sur le sol.
"Qui… qui c'était ? "
"Le… Le professeur Crescent. Lucrecia."
Et que Vincent ait ce genre de souvenir d'elle n'était pas rassurant.
Qu'est-ce qui s'était passé à Nibelheim ?
Cid glissa vers le bord du lit, passant ses jambes par-dessus pour s'approcher de Vincent. Le brun ne le regarda même pas, gardant les yeux baissés. Cid leva lentement la main, la laissant quelques secondes dans le champ de vision de Vincent avant d'oser la poser sur son dos.
"Elle te manque ? "
Vincent secoua la tête.
Cid attendit qu'il reprenne la parole, mais Vincent resta silencieux.
Il se leva, restant à nouveau quelques secondes silencieux avant de défaire son lit, prenant la couverture pour la poser sur les épaules de Vincent.
"Cid ? "
"Viens, on va dehors," déclara Cid en ouvrant la fenêtre.
Par réflexe, peut-être, Vincent le suivit.
Ils s'installèrent à leur place habituelle, à l'abri des regards de la rue et de ceux des paparazzis et Cid sortit son PHS, choisissant une playlist avant de reposer le téléphone, s'allongeant sur le métal pour regarder passer les furolucioles au-dessus d'eux.
A cette période de l'année, la couverture devenait indispensable pour aller traîner sur le toit. Cid ne semblait pas sentir le froid, et après être allé à Burmécia, Vincent comprenait pourquoi.
Il y avait un espace entre eux, comme d'habitude.
Vincent s'allongea à son tour, presque à sentir la chaleur du corps de Cid contre son bras.
Cid ne le regardait pas.
"Elle me manque," finit par avouer Vincent, "son sourire me manque, sa voix me manque, la voir me manque… Et en même temps… Elle… elle m'a..."
"Respire," murmura Cid.
Vincent hocha la tête et ferma les yeux, inspirant profondément. Entre les conseils de maître Cid pour arriver à mettre de la distance avec ses périodes de reviviscence et ceux de Cid pour maîtriser sa limite, il devenait… Pas plus facile de supporter ses souvenirs mais… Plus facile de les affronter, peut-être ?
Il se tourna, passant un bras autour de la taille de Cid et posant son visage au creux de son épaule, cachant son expression au blond. Il fallut un petit moment pour qu'ils s'installent confortablement tous les deux, chacun cherchant où mettre ses bras, ses jambes dans le cas de Vincent, et la main de Cid finit par rester sur le dos de Vincent, le caressant du pouce. La main de démon du Turk resta fermement contre son ventre, le poing serré. Il ne voulait pas risquer un nouvel épisode de panique comme à l'hôtel.
Il inspira profondément, écoutant le cœur de Cid battre régulièrement avant de continuer.
"Elle est toute aussi coupable que lui. Que Hojo," précisa Vincent. "Elle savait ce qu'il me faisait dans le sous-sol du Manoir. Elle ne l'a jamais arrêté."
La main sur son dos cessa de bouger et il entendit Cid inspirer lentement avant qu'il ne le serre doucement contre lui.
"Putain," souffla Cid avant de déposer un baiser sur le crâne de Vincent.
Ils restèrent côte à côte en silence, observant les essaims de furolucioles traverser l'espace sous la plaque avec détermination, toutes dans la même direction. Au bout d'un moment, Vincent sentit Cid se redresser légèrement et il tourna la tête vers lui. Le pilote regardait dans la direction où se dirigeaient les mémoires volantes, les sourcils froncés.
"Où vont-t-elles toutes ? " murmura-t-il, intrigué.
Vincent suivit la direction de son regard et se tourna à son tour, avant de se lever.
Il y avait comme un lever de soleil à quelques centaines de mètres de Seventh Heaven. Comme si un astre irisé se levait là ou secteur 7 s'était élevé.
"Oh," murmura Cid en se levant à son tour.
"Secteur 7," se contenta de murmurer Vincent, "combien de morts ? "
"A la dernière estimation, environ quatre cents cinquante," répondit Cid, "sans compter les blessés graves, les estropiés à vie et ceux qui... qui sont décédés de leurs blessures."
Quatre cent cinquante morts. En une seule fois. Ça donnait le vertige. Vincent n'arrivait pas à imaginer autant de corps.
Il n'arrivait pas à imaginer autant de vivants non plus.
"On a essayé d'évacuer le plus gros, mais… quand le pilier a commencé à s'effondrer…"
Le blond soupira et détourna le regard du soleil de furolucioles qui continuait à illuminer les Taudis.
"Je t'avoue que sur le coup… je ne m'inquiétais que pour Tifa et Cloud. Barret était hors de lui… Je l'ai jamais vu aussi bouleversé..."
Il tourna à nouveau la tête vers le soleil funèbre. C'était presque éblouissant, l'obligeant à plisser les yeux.
"Je ne m'attendais pas à ce que ce soit à ce point…"
"C'est la première fois que je vois autant de furolucioles au même endroit," murmura Vincent. "Il va y avoir des Errants..."
"Apparemment, les Yévonites ont prévu une cérémonie de purification…"
Vincent se contenta d'un soupir qui en disait beaucoup sur ce qu'il pensait des Yévonites.
"C'est pareil à Wutai il paraît," nota Cid, "Canyon cosmo aussi. Et Winhill… Enfin… plus personne ne va à Winhill."
"Squall est de là-bas."
"Et il est le seul survivant. Lui et les jumeaux."
"Les jumeaux ? "
Cid hocha la tête d'un air las.
"Ils étaient stationnés là-bas avec leur unité. C'est là qu'Hojo a mis la patte sur eux."
"Il faut qu'on l'arrête," déclara Vincent.
Cid se contenta d'hocher la tête en réponse. La voix de Shera venant de sa chambre les fit sursauter.
"Vous êtes encore sur le toit vous deux ? ! "
"Oui, Shera."
"Vous allez attraper froid ! "
"Oui, Aérith."
"Descendez de là ! "
"Oui, Barret," répondit Vincent pendant que Cid ricanait.
Cid ramassa son PHS et Vincent la couverture, qu'il plia soigneusement tout en suivant le pilote au bord du toit. Le pilote s'assit, laissant ses pieds pendre au bord du toit, mais Vincent s'accroupit près de lui.
"Cid ? "
"Hm ? "
Vincent glissa les doigts de sa main humaine dans les cheveux de Cid, déposant un baiser sur les lèvres du blond.
"Merci."
Cid le dévisagea avec surprise avant qu'un grand sourire ne fleurisse sur ses lèvres.
"Je t'en prie. Je suis tenté de faire ça plus souvent, tout d'un coup."
Bien.
Cid commençait à flirter aussi.
Jusqu'à présent, chaque fois qu'il avait essayé de flirter avec Cid, même dans leur chambre ou quand ils étaient seuls dans une pièce (ce qui était rare, trop rare) le blond avait semblé… embarrassé. Gêné.
Au point que Vincent s'était demandé si Cid était vraiment intéressé ou si l'épisode de l'hôtel n'avait été qu'un concours de circonstances, dû à la situation, au stress des jours précédents ou au fait que Cid avait eu besoin de réconfort.
Visiblement, il avait juste eu besoin d'un peu de temps.
Ou de parler de Nooj.
Vincent regarda Cid descendre dans la chambre avant de le suivre. Il refaisait le lit quand il entendit la voix de Shera venant du couloir.
"Oh non, non ne... oh, kukkalabi, Cid ! Ne va pas dans le couloir ! "
Cid étant Cid, il n'écouta pas, ouvrant la porte de la chambre. Vincent le suivit, passant la tête par la porte ouverte.
Une femme blonde était en train de sortir de la chambre de Shera d'un pas enjoué, traversant à moitié la porte dans un grésillement. Elle portait une combinaison de mécanicien, le haut rabattu et noué autour de sa taille, dévoilant une brassière verte. Elle avait les cheveux blonds, attachés en queue de cheval, et une cigarette entre ses lèvres. Elle vit Cid et obliqua vers lui, lui ouvrant grand les bras, un immense sourire aux lèvres.
Derrière elle, Shera se décomposa, voyant Cid approcher.
Mais le pilote ne ralentit pas.
Il ouvrit les bras aussi comme pour prendre le souvenir contre lui.
Elle le traversa et disparut.
"A l'année prochaine, Darill" murmura Cid avant de continuer, allant enlacer sa sœur.
"Cid…"
"On va voir l'équipage ? " murmura Cid dans ses cheveux.
"Bar et Nooj y seront…"
"Je sais. Je les ai vu. Zer aussi. Viens, on y va."
Shera hésita quelques secondes avant de finir par hocher la tête, serrant son frère contre elle avec un soupir de soulagement.
"Je prends mon PHS et mon sac."
Cid hocha la tête et la relâcha, la laissant retourner dans sa chambre. Il se tourna à demi vers Vincent.
"Tu veux venir ? "
Vincent réfléchit quelques secondes à la proposition avant de secouer la tête.
C'était tentant mais…
Pas aujourd'hui.
"Merci, mais non. C'est votre deuil à vous."
Shera, qui revenait à ce moment-là, lui adressa un regard troublé, mais Cid se contenta d'hocher la tête.
"Ok. On sera de retour ce soir."
"Je transmettrai à Elmyra. Dites bonjour de ma part à tout le monde. Sauf à Balthier."
"Qu'est-ce qu'on dit à Balthier, alors ? " demanda Shera.
"Non. Il comprendra."
Cid ricana avant d'entraîner sa sœur avec lui, dévalant l'escalier.
Vincent les suivit, retournant à la cuisine prévenir Elmyra de l'absence de Cid et Shera pour le repas.
Elmyra était dans la cuisine à laver la vaisselle, épaule contre épaule avec une silhouette floue, presque effacée, où ne subsistait plus qu'une paire d'yeux gris.
"Elmyra, Cid et Shera sont partis à l'aérodrome, ils reviennent ce soir…"
"Oh ? " répondit leur cuisinière, sortant les mains de l'évier, "je suis étonnée, l'année dernière, Cid refusait pratiquement de quitter sa chambre."
"Il… va mieux," expliqua Vincent en gardant le regard fixé sur la silhouette près d'Elmyra.
La gouvernante tourna le regard dans la même direction avant de revenir vers Vincent avec un sourire.
"Mon époux," expliqua-t-elle, "Leif."
"J'ignorais que tu étais…"
"Il est mort dans la guerre contre Wutai, il y a seize ans," expliqua Elmyra en replongeant les mains dans la vaisselle.
Elle tendit une assiette à l'apparition qui fit mine de la prendre et l'essuyer. Avec un petit sourire, Elmyra reposa l'assiette sur l'égouttoir.
"Pourquoi… Est-t-il comme ça ? " s'étonna Vincent.
"Parce que je l'oublie," répondit Elmyra.
Vincent resta quelques secondes à observer la femme devant lui, mais celle-ci ne semblait pas affligé ou triste. Résignée plutôt. Elle croisa son regard et lui sourit.
"Je ne me souviens plus de sa voix, de ses gestes… Je dois regarder les photos pour me souvenir de son visage…"
Elle leva la main et effleura très délicatement le visage de la silhouette, près de ses yeux, pour ne pas la dissoudre.
"Je ne me rappelle que de ses yeux. Sa gentillesse. Le fait que son rire me faisait rire. Des recettes qu'il m'a apprises… Il était cuisinier, comme moi. Nous nous sommes rencontrés au restaurant où nous travaillions."
Elle eut un petit soupir et retourna à sa vaisselle.
"Si nous avions eu des enfants, peut-être que j'aurais essayé de me souvenir de lui pour eux, mais… Ça n'a jamais marché."
Vincent hocha doucement la tête mais Elmyra l'arrosa de quelques gouttes d'eau de l'évier.
"Ne fais pas cette tête. C'est ce qui nous attend tous."
"Comment... tu fais ? "
La gouvernante haussa les épaules.
"Ce n'est pas facile, ni volontaire de ma part. Les premières années ont fait mal. Très mal. Je ne voulais pas l'oublier au début, mais… Ça finit par… s'émousser."
"On naît, on vit, on meurt, et même les souvenirs seront oubliés," récita Vincent.
Elmyra hocha la tête, tendant une autre assiette à son époux qui fit mine de l'essuyer à nouveau.
"Ce n'est pas une question d'oubli," avoua-t-elle. "Ce n'est pas qu'il faut se forcer à oublier nos morts. C'est... juste qu'il faut accepter qu'ils ne soient plus là."
"Tu es plus sage que moi, Elmyra," déclara Vincent en prenant un torchon pour l'aider à finir la vaisselle.
"Le privilège de l'âge," rétorqua la gouvernante.
"Elmyra, j'ai au moins vingt ans de plus que toi."
"Vil flatteur. Seize," corrigea Elmyra.
Vincent interrompit son geste, calculant rapidement.
"Quel âge a Barret déjà ? " demanda-t-il en haussant un sourcil.
"Trente-six le mois prochain."
"Je suis choqué, Elmyra[3]."
Elle ne le laissa repartir qu'avec une tasse de vin chaud et un biscuit des morts encore tiède.
Vincent prit sa tasse avec un remerciement et alla s'installer sur le porche arrière, s'agenouillant à sa place habituelle, observant Nanaki qui dormait toujours au milieu des lions fantomatiques. Parfois, le jeune lion se relevait, s'étirait et faisait le tour de la troupe, cherchant un autre lion auprès duquel s'étendre, museau contre museau.
Ce fut là que l'illusion apparut.
Elle s'assit près de Vincent avec des gestes élégants et féminins, laissant ses jambes pendre par-dessus le bord du porche, trop haut pour qu'elle touche le sol.
Elle ôta ses chaussures à talons rouge avec un petit soupir de soulagement, s'aidant de la pointe des pieds pour les retirer, les jetant négligemment sur le côté.
Elle posa sa tasse de thé à côté d'elle, une tasse de ce vieux service qu'ils avaient trouvé dans un placard en arrivant dans le Manoir. Vincent les avait trouvées peu pratiques, trop ornementées, trop petites pour ses grandes mains, mais elle, elle les avait tout de suite adorées.
Elle leva les mains vers sa queue de cheval, défaisant le ruban qui maintenait ses cheveux attachés avant de les ébouriffer, se tournant vers lui avec un petit sourire.
"Alors, c'est ça ? " murmura Vincent.
Elle fronça légèrement les sourcils, sans cesser de sourire.
"C'est ça le seul souvenir heureux que j'ai de toi ? "
Lucrecia pencha la tête sur le côté et reprit sa tasse, la levant à ses lèvres.
"Je pensais qu'il y en aurait plus," avoua-t-il.
Elle parla.
Il pouvait lire sur les lèvres, mais ce n'était pas important.
Elle ne lui répondait pas.
C'était une conversation qu'ils avaient eu, il y a plus de trente ans.
C'était juste un souvenir.
"Je… j'aurais dû… t'aider plus. J'aurais dû t'emmener de force loin de Nibelheim. Tu m'aurais haï je pense."
Elle ne le regardait plus, désignant des choses qui se passaient devant eux, trente ans plus tôt. Il ne se souvenait plus de quoi.
"Mais, peut-être que tu serais en vie. Ton fils serait… normal. Ton petit-fils serait à l'école, vivant..."
Il soupira. Elle le regardait à nouveau, écoutant probablement sa réponse d'il y a trente ans.
De quoi avaient-t-ils parlé à l'époque ? Il ne s'en souvenait pas.
Elle eut un petit rire qui se mua en fou rire, la faisant renverser son thé. Elle se releva d'un bond, tenant sa jupe trempée entre deux doigts pour l'écarter de sa peau.
Oh. Il se rappelait maintenant.
C'était le jour où il était tombé amoureux d'elle.
Il ne savait même plus ce qu'il lui avait dit, une remarque sarcastique probablement, mais le fou rire les avait tous les deux pris par surprise. Elle avait dû se lever précipitamment et aller se changer. Lui était resté bêtement sur place à attendre son retour. Il avait fini par lui ramener ses chaussures et une autre tasse de thé.
Elle lui avait souri en le trouvant sur le pas de la porte, vêtue de son épais pyjama d'hiver.
"Je suis désolé."
L'apparition ne répondit pas. Elle s'effaça, se scindant en plusieurs lucioles, et disparut.
"Ce n'était pas un esprit, tu sais ? "
Vincent tourna la tête vers Nanaki, toujours couché près de son propre fantôme, un lion plus grand et musclé que lui, couturé de cicatrices et à la crinière impressionnante.
"Je sais. Mais j'avais besoin de lui dire."
Nanaki hocha la tête et posa son nez contre la tête du vieux lion, inspirant profondément avant de soupirer tout aussi profondément.
"C'est dommage qu'ils n'aient pas d'odeur," murmura le fauve, "j'aimerais bien m'en souvenir."
"Ta famille ? "
"Oui," répondit le fauve avant de relever la tête, "là, avec la fourrure dorée, c'est Mamma, elle s'appelait Nina. Là, c'est mon oncle, Amaru, et ses deux petits, Isi et Inti. Ici c'est ma grand-mère, Itzel, c'était elle le chef de clan, et là, ma cousine, Ninook, et lui, c'est mon père, Seto," acheva Nanaki en frottant son museau près de celui de l'apparition qui dormait près de lui. Je croyais qu'il nous avait abandonné quand Cosmos a été attaqué mais... Grand-Père... enfin, c'est mon tuteur, mais je l'appelle comme ça… Grand-père m'a dit qu'ils l'ont trouvé sur le chemin des squames après la bataille. Il en a tué des dizaines avant de succomber."
Il donna un petit coup de langue sur le visage de l'apparition mais la rentra en grimaçant quand elle grésilla en réponse.
"Il a essayé de nous protéger jusqu'au bout."
"Il est mort en guerrier."
Nanaki hocha la tête, observant le visage de son père.
"La première année, j'ai pas réussi à les regarder. Ça me faisait trop mal," avoua le fauve.
L'année suivant la mort de sa mère, Vincent s'était caché, refusant de participer aux festivités de Daguerreo. Refusant de voir sa mère.
Hel avait dû aller le chercher dans sa cachette la nuit venue. Gigas ne pouvait pas entrer avec sa taille et Chaos…
Il avait mordu Chaos quand il avait essayé de l'extraire de force.
Ni Chaos, ni leurs frères n'apparaissaient devant lui. Ça devait probablement signifier qu'ils étaient en vie. Il l'espérait en tout cas, mais Trigger n'était jamais apparu. Même la première année, deux mois à peine après sa mort, quand Vincent commençait tout juste à s'adapter à Nibelheim, il n'était pas apparu.
D'un autre côté… Trigger n'avait pas voulu vivre.
Sa femme et ses enfants avaient été tués lors d'un règlement de compte avec des trafiquants d'armes faisant concurrence à Shinra, et que les Turks avaient été chargés de démanteler… Il les avait vengés, puis était rentré chez lui.
Vincent, Ash et Morrow l'avaient trouvé le lendemain, s'inquiétant de ne pas le voir arriver à la Tour.
C'est Vincent qui l'avait nettoyé, pendant qu'Ash appelait le chef des Turks pour le prévenir et que Morrow cherchait des preuves éventuelles d'un meurtre.
Il n'y en avait eu aucune.
Trigger s'était tué pendant la nuit, rejoignant sa famille. Et étant parti en paix, si tant est que Vincent pouvait appeler ça de la paix, il avait été immédiatement absorbé par la Rivière.
Les Yévonites avaient toute une échelle de valeur sur les morts et leurs différentes valeurs, sur qui méritait d'atteindre leur Au-Delà et qui ne le méritait pas sans être Accompagné, sur qui était condamné à devenir un Errant, ou un monstre jusqu'à ce que ses erreurs soient pardonnées. Mais Vincent avait été élevé dans les principes des Anciens, et leur connaissance de la Rivière de la Vie, qu'ils tenaient de Minerva elle-même.
Le suicide n'empêchait pas de rejoindre la Rivière. Ça n'empêchait pas d'avoir ses souvenirs absorbés et redistribués aux générations futures.
Les seuls qui pâtissaient d'un suicide étaient souvent ceux qui restaient à pleurer le mort.
L'obscurité descendit soudain sur les Taudis, comme le soleil disparaissait derrière le mur et que les lampes s'éteignaient, pendant les quelques minutes que les habitants de Taudis appelaient la petite nuit, rendant les furolucioles encore plus lumineuses.
Puis l'éclairage de nuit se mit en marche, moins intense que celui de jour, à peine suffisant pour qu'on se déplace dans les rues sans provoquer d'accidents, juste assez pour que le rythme circadien des habitants soit régulier.
Nanaki se leva, donna un dernier coup de museau à son père et leva le nez vers le ciel, laissant échapper un long hurlement, plus lupin que félin. Sa famille l'imita, se levant un à un avant d'accompagner son cri en silence et disparaître, laissant les furolucioles s'évanouir dans les airs. Nanaki cessa de hurler et approcha près de Vincent, sautant sur le porche d'un bond léger pour venir donner un petit coup de tête sur son épaule.
"Merci de m'avoir tenu compagnie."
"Je t'en prie," répondit Vincent.
Cloud sortit, attiré par le hurlement de Nanaki et approcha, notant d'un regard l'absence des lions.
"Nanaki ? "
"Oui ? "
"Tout va bien ? "
Le lion hocha la tête.
"J'ai fini. Vous allez préparer la cour pour le feu de joie ? Je peux aider ? "
Cloud hocha la tête tout en remontant ses manches.
"Faut qu'on creuse un trou dans la terre."
Vincent se leva, l'imitant, pendant que Red retournait au centre de la cour, commençant à gratter le sol de ses griffes.
"Compte sur moi."
La veillée fut calme.
Au grand dam de Barret, et pour le plus grand plaisir des autres, le feu de joie fut immense. Vincent apprécia, le mois de novembre commençait sur une période de froid et bien que Yuffie soit descendue avec sa couverture et l'avait partagée avec lui, la chaleur du feu fut la bienvenue.
Il y eut des traditions de Corel, et une fois les flammes descendues à un niveau raisonnable, Barret leur apprit à sauter par-dessus le feu sans se brûler. Les jumeaux apportèrent ce qu'ils prétendaient être un rituel ancestral de faire rôtir des pahsanas et des pommes directement sur les flammes. Les pains des morts d'Elmyra passèrent de mains en mains, chacun prenant un morceau à griller avec les pahsanas, les garnissant de viande en salaisons, ou de diverses confitures. Cid et Shera, de retour de l'aérodrome, n'amenèrent pas de traditions, Burmécia oblige, mais assez de bières différentes pour satisfaire tout le monde. Aérith leur enseigna un chant en Glacian pour le repos des morts que Marlène chantonna tout le reste de la soirée. Yuffie expliqua un rituel Wutan, un qui devait être du nord de l'île, ou spécifique aux Kisaragi, car Vincent ne le connaissait pas, versant de l'eau à quatre reprises, pour les morts, pour les vivants, pour les errants et pour les oubliés. Jessie, Biggs et Wedge arrivèrent plus tard, après la commémoration du secteur 7, tous un peu éméchés et à l'alcool triste, mais après un pain des morts, quelques friandises et du thé chaud, ils se sentirent mieux, Jessie et Biggs chacun recroquevillé sur un genou de Wedge, une couverture sur eux.
Reeve, qui avait été persuadé par ses parents de passer le jour des morts avec eux, leur donna un coup de fil, s'assurant que tout le monde allait bien et écoutant Marlène lui chanter la mélodie qu'Aérith lui avait enseigné.
Et après le repas, alors que tout le monde attendait que le feu s'éteigne de lui-même, Yuffie insista (c'est à dire qu'elle enfonça régulièrement son doigt dans les côtes de Vincent jusqu'à ce qu'il accepte) pour qu'il raconte une histoire.
Vincent ne se rappelait pas la dernière fois qu'il avait parlé autant, mais visiblement, les aventures des héros de la lumière pour restaurer les quatre cristaux[4] fascinèrent l'équipe entière. Heureusement, Cid lui tendait régulièrement bière et thé, ou sa gorge se serait desséchée.
Il était certain d'avoir vu des spectres autour d'eux, juste à la lisière de la lumière du feu de joie, et qui semblaient écouter eux aussi.
Le feu s'éteignit juste un peu avant la fin de l'histoire. Yuffie avait tenue éveillée de justesse, mais plongea dès que Vincent se tut. Marlène dormait depuis longtemps, dans les bras de son père. Du trio, Wedge était le seul éveillé, regardant Vincent d'un air paisible, caressant les cheveux de ses amants. Nanaki dormait aussi, étalé de tout son long sur les genoux des jumeaux et d'Aérith.
Il fallut un moment pour porter tous les endormis au lit, ranger les restes du repas et s'assurer que le feu était bien éteint avant de le laisser pour le reste de la nuit. Puis chacun émigra dans sa chambre.
Cid sommeillait déjà à moitié quand Vincent le rejoignit après avoir mis Yuffie au lit. Quant à Cait, il attendait son maître sur son lit en faisant sa toilette. Vincent se mit en pyjama, se glissa sous les couvertures et éteignit la lumière.
Il ferma les yeux avec un soupir.
Il les rouvrit soudain, glacé et s'assit, le cœur battant.
Lucrecia était agenouillée sur son lit, presque nez à nez avec lui.
Elle était nue, du sang sur les jambes, ses cheveux rassemblés en une grosse natte, ce qu'elle ne faisait que rarement, quand elle faisait une manipulation importante, ou qu'il l'emmenait en randonnée sur les pics de Nibelheim.
Et elle lui parlait.
Il s'appelle Séphiroth.
Elle se pencha, posant un baiser sur sa tempe et il sentit les furolucioles grésiller sur sa peau avant qu'elle ne s'écarte.
Mais je l'appelle Zéph. Mon petit Zéphir.
Un petit sourire, si faible, si douloureux.
Prends soin de lui. Je t'en supplie.
Et elle disparut, les furolucioles s'effaçant, affaiblies par la journée qu'elles avaient passée hors de la Rivière de la Vie.
Vincent les regarda disparaître en silence.
D'où venait ce souvenir ?
[1] Bahamut et toutes ses couilles. C'est poétique le burmécien.
[2] Autel familial
[3] Autrement dit : Elmyra a 42 ans, soit 6 ans de plus que Barret. Même pas honte. Get it, Girl.
[4] Ouais, il leur a raconté une histoire qui peut être le scénario de Final fantasy du 1 au 5...
