Le contact entre la peau des pieds du garçon contre les carreaux froids faisait un bruit désagréable, mouillé. Courir sur du carrelage trempé était une très mauvaise idée, il le savait, mais il devait les fuir. Ils le pourchassaient, voulaient s'amuser avec lui. C'était drôle de s'agripper à sa graisse. Quand ils le frappaient, ils avaient l'impression que leurs poings rebondissaient sur sa peau pâle constellée de grains de beauté. Et lui, il avait peur.

Stiles passa les portes du vestiaire et déboula dans le bâtiment dans lequel se trouvait la piscine. Le cours avait déjà commencé, il était en retard et poursuivi par des idiots de sa classe qui prenaient un malin plaisir à le martyriser. Son professeur allait l'aider, c'était sûr et, avec un peu de chance, ne le punirait pas pour son retard… Stiles vit les gradins et accéléra le pas. L'espoir était là, à quelques mètres et ce qui devait arriver arriva. Son pied mouillé dérapa et le garçonnet glissa. Stiles vit sa chute au ralenti.

Il ne ressentit la douleur à aucun moment, n'entendit pas non plus le claquement sec de sa peau contre le carrelage, parce que son cerveau de petit garçon était focalisé sur les rires autour de lui. Des rires de hyènes. Et le pire, c'est que son professeur riait également aux éclats.

- Bah alors la baleine, on tient plus debout ?

Stiles serra les dents et ferma les yeux, comme si ça pouvait retenir ses larmes. Mais c'était inutile, tout le monde avait vu que le petit Stilinski pleurnichait. Les insultes plurent sur lui et son professeur n'émit aucune objection, laissa les langues de serpent se faire plaisir à son sujet parce que pour lui, ce n'étaient que des enfants qui s'amusaient à leur manière. Chacun riait de plus belle alors que le petit Stiles essayait comme il pouvait de se relever. Un garçon le poussa et l'hyperactif retomba lourdement sur le sol, en sanglots, humilié.

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Stiles ouvrit lentement les yeux. Sa tête était lourde, elle lui faisait mal et son cœur battait un peu vite. C'était peu, mais assez pour être inconfortable, assez pour le faire réfléchir moins vite. Ainsi, il mit près de deux bonnes minutes à reconnaître l'endroit dans lequel il se trouvait. L'étonnement le prit lorsqu'il reconnut finalement la chambre de Derek, sombre mais confortable. Hein ? Ne comprenant pas ce qu'il faisait là, il se redressa lentement et parcourut la pièce du regard. Pas de doute, il ne s'était pas trompé, il s'agissait bel et bien de la chambre de Derek. Mais que… Pourquoi ? La tête encore lourde, Stiles mit un peu de temps à se lever et dut s'appuyer sur le mur pour garder un équilibre plus que précaire. Ses jambes étaient encore faibles et peinaient à le porter, comme si elles étaient engourdies. Et même si se déplacer de cette manière n'était pas pratique, il préférait faire ça que de rester dans ce lit alors que… Merde, ou était Derek ? Oh non, il allait sans doute lui en vouloir de squatter son lit, et même s'il ne savait pas ce qu'il s'était passé, Stiles tenait à s'excuser.

Descendre les escaliers fut une torture. Marcher était difficile mais Stiles faisait d'autant plus d'efforts pour rester concentré et ce n'était pas gagner. Mettre un pied devant l'autre sans tomber n'était pas aisé lorsque sa tête peinait à coopérer. Elle était si lourde et la douleur sourde, si présente, que sa concentration était faible et se flétrissait. Stiles devait donc redoubler d'efforts. C'était un cercle vicieux.

Lorsque la dernière marche fut passée, Stiles poussa un soupir de soulagement peu discret et relâcha la pression de sa main sur la rambarde, qu'il serrait précédemment comme si sa vie en dépendait. De son autre main, il s'essuya sommairement son front, sur lequel perlaient quelques gouttes de sueur froide. Balayant le grand salon du regard, Stiles pesta intérieurement. Mais où Derek se trouvait-il, bon sang ? C'est alors qu'il entendit de légers bruits de pas et qu'il le vit, sortant de la cuisine, mangeant un sandwich qu'il venait sans doute de se faire. Lorsque le loup remarqua la présence de Stiles, c'est-à-dire assez rapidement, il déposa son casse-croûte sur un meuble et alla vite à sa rencontre.

- Je ne savais pas que tu étais réveillé, il fallait m'appeler, dit-il en passant un bras autour de lui pour le soutenir.

- Tu peux me lâcher, ça va, grimaça Stiles.

- Tu tiens à peine debout, lui fit remarquer le loup, un sourcil haussé.

- C'est qu'un détail, soupira l'adolescent.

Mais le bêta, qui ne l'entendait pas de cette oreille et qui voyait très clairement la faiblesse de Stiles, l'accompagna jusqu'au canapé et le fit s'assoir dessus avant de le lâcher et de s'assoir négligemment sur la table basse face à lui.

- Derek, t'es bien gentil mais… Qu'est-ce que je foutais dans ta chambre ? S'enquit l'hyperactif en le regardant, perplexe. On a… Fait quelque chose ? Si c'est effectivement le cas, je…

- On a rien fait, le coupa Derek. T'étais au bord de la crise de panique, tu ne te souviens pas ?

Stiles le regarda, sans comprendre et son air perdu surprit Derek qui choisit de l'aider un peu.

- Scott voulait te pousser à aller au lycée pour que tu ne rates pas le cours de sport. Tu avais piscine, précisa-t-il.

Ce mot suffit à débloquer la mémoire de Stiles dont les yeux s'ouvrirent en grand. Tout lui revint violemment comme si ses souvenirs avaient attendu l'intervention de Derek pour ressurgir.

- Oh merde, souffla-t-il alors que son cœur ratait plusieurs battements.

Stiles baissa les yeux, perdu et soudainement honteux. Mais oui, il s'était retranché dans la salle de bain pour chercher comment éviter le cours de sport, Derek était venu, puis Scott… Et ce dernier avait essayé de l'emmener de force au lycée. La suite n'était qu'une succession de sons et d'images floues, mais Stiles n'avait pas besoin de plus. Il avait manqué de faire une crise de panique chez Derek, devant celui-ci, simplement parce que Scott avait pris son aversion pour la piscine pour un caprice.

- Et… Et je suis allé me retrancher dans ta chambre ? Demanda-t-il faiblement avant de maugréer. La honte…

- Non, je t'y ai amené, lui expliqua tranquillement le loup, étonné par sa réaction.

Stiles le regarda, sans comprendre.

- Pourquoi ?

Trouvant la question idiote, Derek choisit de ne pas y répondre. Stiles n'allait pas bien à ce moment-là, alors il avait jugé normal et naturel de l'isoler dans un endroit qu'il connaissait et où il se sentirait sans doute en sécurité. Il avait bien intuité puisque le jeune homme avait rapidement retrouvé le calme lorsqu'il l'avait déposé sur son lit, à tel point qu'il s'était endormi à une vitesse impressionnante.

- Et Scott ? Il a accepté de repartir au lycée… Sans rien dire ?

Derek secoua la tête et lâcha :

- Il trouvait ta réaction exagérée et il n'était pas d'accord à l'idée que tu rates ton cours, mais je ne lui ai pas laissé le choix.

Stiles garda le silence un instant. A force de parler avec Derek, sa tête s'allégeait et la douleur disparaissait. C'était lent, mais appréciable, si bien que le jeune homme ne s'en rendit pas compte tout de suite.

- Merci, lui dit-il simplement, pensif.

Parce que, l'air de rien, Derek l'avait bien aidé. Bon, il faudrait toujours qu'il trouve une excuse pour son absence, mais ça irait. En y réfléchissant sans paniquer, l'hyperactif pensa à quelques solutions qu'il pourrait mettre en œuvre pour que son absence ne soit pas comptabilisée. En tout cas, il lui devait une fière chandelle, à ce loup grincheux. Il lui avait sauvé la mise et ce n'était pas rien.

- Maintenant, j'aimerais que tu m'expliques, entendit Stiles.

Il releva la tête vers Derek et le regarda sans comprendre. Les yeux bleu-vert étaient fixés sur lui avec une intensité folle. Ces orbes clairs paraissaient passer au travers de sa carapace et Stiles eut peur. Il avait son petit jardin secret et le regard de Derek lui donnait l'impression de pouvoir y pénétrer avec aisance et ça, il n'en était pas question. Son odeur fut teintée de honte et il baissa la tête.

- Stiles, j'insiste, tu me dois des explications.

- Je ne te dois rien du tout, s'entendit-il dire.

Il n'y avait pas d'animosité dans sa voix. Pour autant, il mit un peu de temps à comprendre que c'était lui qui venait de parler, de lâcher ces paroles qui pouvaient paraître sèches au premier abord. En plus, c'était faux, il avait une dette envers le loup. Mais il avait peur et cette émotion ajouta une fragrance piquante à son odeur déjà marquée par la honte. Les erreurs, il les enchaînait et Derek avait déjà bien assez vu sa faiblesse, ce n'était pas la peine d'en rajouter. Entre cette demande minable de pacte, la nuit durant laquelle il était allé sur le balcon, sa presque crise de panique et maintenant, ça… La pensée qui lui traversa l'esprit fut idiote, mais il ne put la réfréner. Si ça continue, Derek ne va plus vouloir de toi. Et ça, ce n'était pas envisageable, pas tout de suite. Stiles ne pouvait pas le perdre si violemment, son sevrage du loup devait être progressif. Parce que Derek lui permettait de s'oublier et ça, c'était loin d'être négligeable. Dans ces moments-là, Stiles ne survivait pas, il vivait.

- Stiles, regarde-moi.

Le ton était sans appel, ne laissait pas d'autre choix que de s'exécuter. Alors, Stiles releva doucement la tête, mais garda les yeux détournés. Il ne pouvait pas regarder le loup en face, il n'y arrivait pas.

- Regarde-moi, répéta Derek, patient, mais d'un ton un peu plus dur.

Et même s'il mit du temps, Stiles y parvint, lentement. C'était dur et pas naturel. Stiles regardait rarement les gens dans les yeux, il avait toujours eu du mal. Pour lui, c'était plus facile de parler en ayant les yeux ailleurs, sur un point fixe, sans importance. Un meuble, ça ne jugeait pas. Un sol ou un mur, non plus. Un regard, ça laissait transparaître des émotions, des sentiments et même, des opinions, quelles qu'elles soient. Et Stiles, le grand roi du sarcasme, avait peur du jugement et ce, malgré les apparences. Sa confiance en lui était si faible que même en cet instant, il fut incapable de sortir quelque remarque acerbe que ce soit. Incapable de se protéger verbalement. Incapable de garder le masque en place. Si seulement il n'était pas là, face à lui, à discuter. Si seulement, à la place, ils s'enlaçaient, s'embrassaient, s'unissaient… Là, Stiles oublierait tout.

- On ne peut pas continuer comme ça si tu vas mal, lui dit Derek d'un air tranquille, comme si ça ne l'affectait pas.

Avait-il lu dans ses pensées ? Stiles eut du mal à supporter son regard, qu'il n'arrivait pas à déchiffrer. Et cet air qui se voulait indifférent… L'hyperactif ne saurait pas dire s'il s'agissait d'une façade ou bien de la réalité. Derek en avait-il quelque chose à faire ? Ou alors… Avait-il trouvé quelqu'un d'autre pour satisfaire ses envies lupines ? Aussitôt, Stiles chercha à répliquer :

- Je vais bien !

Mais sa voix était peu assurée et son volume sonore, un peu trop fort pour être naturel. Il s'était très légèrement emporté et même sans ça, il savait que son cœur l'avait trahi.

- Je ne suis pas idiot, Stiles. Je sais que tu ne vas pas aussi bien que tu veux le faire croire. Et si tu veux qu'on continue notre petit arrangement, il va falloir que tu me parles.

La voix de Derek était posée et ne laissait pas de place au doute. Son regard en disait long également, mais le cerveau de Stiles était trop saturé de pensées pour qu'il daigne s'en rendre compte.

- En quoi ça t'intéresse ? Je veux dire… T'as pas besoin de connaître mes états-d'âmes pour te vider les couilles.

La remarque n'était pas acerbe malgré les mots employés. Stiles avait parlé de manière sincère, ne voyant pas ce que son état mental venait faire là-dedans. En outre, il avait énoncé un simple constat, seule défense qu'il avait pour se protéger.

Derek ferma les yeux un instant avant de les rouvrir, l'air agacé.

- Stiles, je sens ton odeur. Elle te suit partout, même pendant qu'on baise.

Les mots crus firent naître de légères rougeurs sur les joues de l'adolescent qui détourna le regard, un tantinet gêné par la tournure de la discussion. Encore une fois, il choisit la défense, adoptant le même langage familier que Derek, sans se soucier du fait que c'était complètement idiot :

- Et quoi ? Ça t'empêche de jouir ?

Une lueur nouvelle naquit dans les yeux du loup. Manque de chance pour Stiles, cela ressemblait à de la colère. Parce que, sans vraiment le vouloir, il le provoquait, indubitablement.

- T'as qu'à l'ignorer, mon odeur, maugréa l'adolescent sans vraiment remarquer le changement d'émotion dans les yeux de son vis-à-vis.

- Je peux pas Stiles.

Le ton de Derek était dur et sa mâchoire, serrée. Il se contenait mais ça, Stiles n'y faisait pas attention, concentré sur sa pitoyable défense. Il ne voulait pas que le loup découvre ce qu'il était, à quel point il était minable.

- Mais bien sûr que si, il suffit d'un peu de volonté, argua l'adolescent d'une voix un peu plus assurée, sans le regarder.

- Stiles !

La manière brusque et animale dont Derek avait prononcé son nom le ramena sur terre et l'obligea à le regarder. Ses yeux n'étaient pas bleu électrique, pas encore. Il gardait son sang-froid autant que possible mais Stiles la vit enfin, sa colère et elle le fit se crisper. Son attention braquée sur le loup face à lui, il ne fit même pas attention à l'envolée complète de sa faiblesse ainsi que de la lourdeur de sa tête.

Derek contenait sa colère comme il le pouvait. Comment expliquer à Stiles ce qu'il voulait dire alors que les relations, le social, c'était loin d'être son truc ? Et encore, c'était encore pire lorsque son esprit était émotionnellement altéré, comme actuellement. Néanmoins, il décida de tenter, en espérant que Stiles comprendrait malgré son incapacité à être subtil et autre chose que bourru.

- Quand on baise, on s'unit, lâcha-t-il d'un ton sec et il continua, même s'il savait qu'il serait maladroit. Je sens ton odeur, elle est exacerbée. Parfois ça va, mais d'autre fois, elle est polluée par toutes ces choses que tu ne dis pas. A certains moments, elle pue parce que tu vas mal !

Et cette dernière phrase énerva Stiles, purement et simplement. Rouge mais cette fois-ci de colère à son tour, il se leva brusquement, oubliant sa défense. Blessé à outrance par la remarque, il ouvrit la bouche, cette jolie bouche d'où sortiraient d'ici quelques secondes des mots qu'il regretterait, à n'en point douter. Non, Stiles, ne dis pas ça… Le supplia la voix de la raison à l'intérieur de lui. Mais la colère de l'hyperactif était aussi forte que soudaine et elle n'attendait qu'une chose : qu'il la laisse éclater. Et son mal-être, bien loin de le dissuader, s'imposa en lui avec une telle force que sa digue intérieure céda, purement et simplement. Et il cria sa fureur, d'une voix cassée qu'on ne lui connaissait pas :

- Ben si ça te convient pas, si mon odeur de merde te dérange à ce point, trouve-toi un autre trou !