Merci pour toutes vos reviews incroyables. Du fond du coeur.
Long love letter
Partie 4
Novembre 1994.
Sasuke ferma les yeux. Fermement. Retenir sa respiration. Attendre. Attendre que les coups finissent de pleuvoir sur son frêle corps d'enfant. Attendre que l'orage passe. Que son père se satisfasse de nouveau de sa condition d'homme.
C'était un jour comme les autres et ç'avait été une erreur de penser que leur récent déménagement dans la cité de Konoha aurait pu changer quelque-chose à leur quotidien chaotique. Et aujourd'hui plus que les autres jours, Fugaku avait des faiblesses à compenser.
Un autre coup pied dans les côtes le força à se recroqueviller sur le carrelage de l'entrée. Sasuke ne sentait plus vraiment la fraîcheur du carrelage contre sa peau de porcelaine. Il n'y avait plus que les coups et l'appréhension du prochain impact. Alors de ses bras maigrelets, il encercla son visage pour se protéger et se remémora les bons souvenirs de l'été dernier. Quand son frère lui avait appris ce qu'était un uppercut. A ce moment-là, Sasuke n'avait jamais été aussi heureux de toute sa jeune vie et il avait su qu'un jour viendrait où il serait l'un des meilleurs boxeurs de sa génération.
Alors il rêvassa de gloire sous les coups de son père, déconnectant son esprit pour ne plus entendre les gémissements étouffés de sa mère.
La colère de son père, Sasuke la connaissait bien. Elle avait quelque chose de permanent même dans les jours heureux. Comme un monstre au regard acéré qui dormait à l'intérieur de Fugaku. Elle était un autre membre de la famille, celui qui, souvent, prenait de l'ampleur durant les repas de famille.
Ici, dans la cité de Konoha, les Uchiwa ressemblaient à n'importe quelle autre famille. Des inconnus parmi la foule. Une famille sans histoire où il n'y avait nul besoin de se justifier sur les bruits de coups qui filtraient à travers la porte du septième palier. Ici, Fugaku n'aurait plus nécessité d'expliquer les bleus sur les bras de ses deux fils.
C'était pourquoi ils avaient quitté la caserne de Konoha où son père officiait au titre de capitaine de brigade. Aux yeux de tous, Fugaku était un homme respectable et décoré de nombreux écussons sur son uniforme impartial. Il avait cette carrure imposante, ce dos droit et ce visage de marbre qui inspiraient le respect à ses hommes.
En quittant la caserne suite aux soupçons de la femme d'un collègue, Fugaku Uchiwa avait refermé le cercle sur eux. Ici, dans la cité des cas-sociaux de la ville, personne ne leur prêterait jamais guère plus d'attention qu'ils ne le méritaient.
- Les événements que vous citez en Octobre 1994 ont-ils un lien avec notre affaire, monsieur Uchiwa ?
Sasuke hocha la tête à la question de la juge Senju. Dans l'audience, le regard brisé de son frère ne le quittait plus. Alors il esquissa un rictus, prêt à présenter à une foule d'inconnus la noirceur de ses démons. Et parmi eux, Naruto. Naruto qui le connaissait mieux que personne et qui pourtant, n'avait jamais su. Naruto qui ne connaissait que la surface de ses plus profondes cicatrices.
- J'y viens, votre honneur. Si vous voulez comprendre la profondeur du lien qui nous unit, Naruto et moi, je serai obligé de retracer notre histoire et ce qui nous a mené jusqu'ici.
L'avocat de la partie civile haussa un sourcil ennuyé.
- Est-ce bien nécessaire ? soupira-t-il depuis son pupitre. Nous connaissons les faits, nous avons seulement besoin de déterminer les circonstances afin de nous arrêter sur une sanction juste pour chacun des coupables.
La juge Senju le jaugea un instant, puis son regard sévère s'attarda de nouveau sur Sasuke qui ne se laissa pas déstabiliser. Pas une seconde, parce qu'une moindre faiblesse de sa part pourrait bien envoyer Naruto derrière les barreaux pour le restant de ses jours. Alors il resta stoïque, le visage marbré dans une expression qu'il avait arboré tout au long de sa vie.
- C'est nécessaire.
- Soit, trancha la femme austère en regardant la montre à son poignet. Mais ne traînez pas en longueur.
Il allait retourner dans son récit lorsqu'une question lui vint en tête.
- Connaissez-vous la théorie des âmes jumelles, votre honneur ?
Les yeux fatigués de la juge se levèrent un instant vers le ciel.
- Cela a-t-il un quelconque rapport avec notre affaire ?
Sasuke ne se démonta pas et d'un air certain, défia le regard accusateur.
- Les âmes jumelles ne sont en réalité qu'une seule et même âme, scindée en deux à sa création. Elles se cherchent continuellement à travers les vies et les réincarnations pour former à nouveau un tout. Et lorsqu'elles se trouvent enfin, il se produit un phénomène difficilement concevable. C'est comme si vous connaissiez cette autre personne depuis toujours. Elle devient votre tout. Son regard devient le miroir de votre être et sa présence devient aussi nécessaire que l'air qui remplit vos poumons.
- Ce que je qualifierais de dépendance affective n'a rien à voir avec ce procès, monsieur Uchiwa. Je vous prierai d'en revenir à notre affaire.
- Je voulais simplement que vous sachiez que deux âmes jumelles sont connectées par un lien spirituel. Il est impalpable et inexplicable à quiconque n'a jamais trouvé son autre partie.
La juge Senju posa sa joue sur la paume de sa main, le soupir au bord des lèvres. Parmi l'audience, Naruto semblait troublé et le regard accusateur de Boruto ne manqua pas à Sasuke. Il débordait du texte qu'ils avaient travaillés ensemble jusqu'à le connaître sur le bout des doigts. Mais peu importe, il dirait ce qui devait être dit.
- Et où voulez-vous en venir ?
- Il vous faut simplement savoir que deux âmes jumelles ne sont que rarement faites pour passer leur vie ensemble. La plupart du temps, l'une chasse l'autre quand celle-ci la fuit. Le manque s'installe chez la première quand l'autre a soif de découvrir d'autres choses puis sans prévenir, la roue s'inverse et ce, tout au long de l'existence. Elles deviennent un tremplin mutuel à l'accomplissement de soi. Jusqu'à la mort. Puis un nouveau cycle commence et elles se chercheront à nouveau à travers différentes vies, parfois même sans jamais se retrouver.
L'avocat de la partie civile se leva pour objecter. Le sujet évoqué était hors-propos et la juge Senju lui attribua.
- Revenez-en aux faits.
Sur le banc des accusés, les yeux de Naruto ne le quittaient plus.
Il hocha la tête pour abdiquer à la demande de la juge.
- Je continue, votre honneur.
Sasuke se souvenait parfaitement de la première fois où son regard avait croisé celui du gosse un peu crasseux des voisins. De cette sensation étrange qui l'avait traversé lorsqu'il tomba pour la toute première fois au fond des puits azurs dont il ne reviendrait jamais totalement. C'était le jour de l'éclipse, ce fameux 3 Novembre 1994 où, sans le savoir, sa vie avait pris un autre tournant.
Parce qu'à bien y réfléchir, c'était bien Naruto le pilier de sa vie. Celui qui avait tout changé. Celui qui, en lui sauvant la vie, l'avait condamné à la tourmente éternelle.
- T'es qui ? demanda le gamin rondouillard.
Il avança d'un pas prudent et Sasuke le jaugea de haut en bas comme s'il ressemblait à un extraterrestre avec ses cheveux blonds en pétards et les stries sur ses joues hâlées. Trois belles cicatrices de chaque côté, aussi symétriques que si elles avaient été tracées par un chirurgien, semblables à des moustaches de renards.
Ce type était différent des autres.
- Et toi, t'es qui pour me demander mon nom ?
L'autre pesta dans ses moustaches et Sasuke eut un sourire moqueur. L'autre paraissait si simplet à baragouiner avec son air ahuri.
- Naruto, ragea l'autre. Et toi t'es qui, enfoiré ?
Sasuke eut un air condescendant, parce qu'on lui avait appris qu'un Uchiwa ne se mélangeait pas parmi les idiots.
- T'as pas besoin de savoir, répondit-il en frimant. Salut, Naruto le nigaud !
En dévalant les escaliers de la tour B ce jour-là, Sasuke fut certain d'entendre l'autre pester depuis le septième palier, ne faisant qu'amplifier le sourire narquois collé à ses lèvres.
Sasuke flâna le long du sentier, s'enfonçant davantage dans la cité dans l'espoir de trouver un spot où il serait tranquille pour admirer l'éclipse totale que toutes les chaînes de télévision avaient annoncée. Alors il marcha, longtemps, passant derrière chaque bâtiment à la recherche de son havre de paix. Parce que depuis leur emménagement dans la tour B, Sasuke n'avait pas vraiment eu l'occasion de partir explorer les environs.
La lune montait déjà bien haut dans le ciel lorsqu'il entendit des cris provenir de l'autre côté de la cité. Des cris de gosses qui chahutaient et sans trop savoir pourquoi, ses pas le menèrent jusqu'au square d'où provenait le boucan. D'abord sceptique, il s'accouda contre la barrière alors que son idiot de voisin se mettait à charger un petit brun aux cheveux ébouriffés. Mais le blond n'atteignit pas sa cible, pris en traître par le coup de pied dans le dos d'un autre mec avec une coupe au bol.
Sasuke s'installa plus confortablement encore sur la barrière où une bande de jeunes filles s'extasiaient du combat des mâles. Il leva les yeux au ciel en les voyant rire de la chute lamentable de Naruto. Deux contre un, ces abrutis bafouaient tous les principes mêmes de la loyauté et cela se prouva une nouvelle fois lorsque le garçon blond se releva péniblement avant de reprendre un coup dans le dos qui lui fit à nouveau bouffer du sable.
- On t'a jamais vu ici, le héla la voix fluette de l'une des jeunes filles. Tu habites la cité ?
Sasuke rata une partie du combat en tournant la tête vers les demoiselles qui riaient bêtement. C'était une gamine aux cheveux blonds et aux yeux émeraudes qui lui avait adressé la parole. Il la jaugea un instant avant de tourner à nouveau les yeux vers Naruto qui se relevait une nouvelle fois en jetant une poignée de sable sur ses agresseurs. Les coups s'enchaînèrent et durant un instant, le blond prit le dessus sur le combat. Mais ses gestes étaient désordonnés et colériques, alors il perdit très vite son nouvel avantage.
Une nouvelle fois, Naruto fut mis à terre. Et une fois de plus, il se releva. Alors Sasuke fut forcé d'admirer sa détermination.
- Tu t'appelles comment ?
A nouveau, Sasuke tourna le regard vers la tête blonde, s'attardant un bref instant sur son front plus grand que la moyenne.
Elle sembla hésiter, vraisemblablement intimidée par cette froideur inhabituelle.
- Moi c'-c'est Sakura. Et toi ?
Un cri de Naruto passa jusqu'à eux, comme porté par une bourrasque de vent.
- Sasuke, répondit-il froidement. Ce sont vos copains qui massacrent lâchement un mec tout seul ?
Ladite Sakura bégaya.
- O-Oui, enfin non ! Pas vraiment ! On habite dans la même cité, c'est tout...
Sasuke hocha négativement la tête. Victime depuis des années des coups de son père, les combats de forces inégales le mettaient en rogne. Peu importe qui subissait l'assaut, il était impensable pour lui d'assister à une telle forme de violence sans réagir. Parce que ceux qui regardaient sans agir n'étaient rien de plus que des complices.
- Vous n'êtes qu'une bande d'idiotes.
Sakura ouvrit la bouche, stupéfaite, tandis que ses deux copines le regardaient comme des poissons morts. En reportant ses yeux sur le combat, Sasuke se décida à intervenir alors que la pénombre de l'éclipse s'était déjà bien installée. Il enjamba la barrière avec dextérité et courut jusqu'au type qui venait une nouvelle fois de projeter Naruto à terre et l'attrapa vivement par le col de son uniforme.
- Mais qu'est-ce que... !?
Sasuke n'eut qu'à peine le temps d'apercevoir les canines pointues de l'autre que déjà son poing s'abattait sur sa figure de chien galeux. Il le vit cracher du sang dans le sable, sonné par la force inattendue du coup et Sasuke l'observa avec satisfaction peiner à se relever, les bras tremblotants.
- Mais t'es qui, enfoiré !? intervint celui à la coupe au bol en se jetant sur lui.
Sasuke esquiva aisément sa prise et d'un coup de poing dans le ventre, mit son assaillant au sol sans lui laisser la possibilité de riposter. Le souffle coupé, le type aux affreux gros sourcils se releva péniblement.
Derrière eux, le rire idiot des filles s'était tu.
- Tu vas bouffer du sable, bâtard !
Entre temps, celui aux canines pointues s'était également relevé et à deux, ils chargèrent Sasuke dans l'unique but de lui faire payer son intervention. Mais depuis quelques temps, Sasuke suivait scrupuleusement les enseignements que son grand frère lui rapportait de ses cours de boxe. Alors il esquiva sans aucune difficulté et comme s'il mettait enfin à profit son expérience, les assomma d'un direct du droit chacun.
La pénombre était à présent totale et Sasuke plissa des yeux pour retrouver Naruto qui vacillait sur ses jambes tremblotantes. Alors il le rejoignit, passant un bras sous ses aisselles pour le soulever lorsqu'il manqua de tomber à nouveau. Puis Sasuke décida de quitter l'arène, soutenant le pauvre gamin blond qui semblait complètement sonné.
En repassant la barrière, le regard lourd des trois filles les suivirent, probablement même lorsqu'ils remontèrent le sentier jusqu'à les perdre totalement de vue. Mais avant d'atteindre la tour B, Naruto se laissa retomber de fatigue sur l'une des lourdes pierres qui délimitaient le chemin.
- Tu peux encore marcher ?
Puis sans crier gare, Naruto se releva d'un coup, les joues rouges de colère.
- Toi ! J'avais pas besoin de toi !
Un ourlet moqueur souleva les lèvres de Sasuke.
- T'avais pourtant l'air bien dans la merde !
Les joues rondouillardes s'empourprèrent davantage, agrandissant le sourire goguenard de Sasuke alors qu'il croisait tranquillement les bras sur son torse. La fierté teigneuse de Naruto l'amusait beaucoup.
- Je maîtrisais la situation !
Comme un gosse, Naruto voulut continuer le chemin seul jusque chez eux mais sa cheville en décida autrement et Sasuke lui évita une chute monumentale.
- C'est ce que je vois.
Naruto se dégagea de sa prise, se remettant debout comme il le pouvait.
- Je me suis tapé la honte à cause de toi !
Sasuke soupira.
- Tu t'es tapé la honte tout seul. Tu devrais plutôt me remercier de t'avoir épargné la la branlée de ta vie.
Naruto sembla piqué dans sa fierté et Sasuke décida de mettre un terme à tout ça.
- Allez, je te ramène.
Sans lui laisser le choix, Sasuke passa un bras sous ses aisselles et si l'autre broncha, il ne l'empêcha pas de le ramener jusqu'à la tour B où ils montèrent les sept paliers comme ils le purent.
La lumière automatique s'alluma lorsqu'ils atteignirent le leur et Naruto le dévisagea un instant, vraisemblablement toujours aussi vexé.
- A plus, souffla Sasuke, égal à lui-même. Et au fait, je m'appelle Sasuke.
Le blond bougonna un instant.
- A plus, maugréa-t-il.
En refermant la porte derrière lui, Sasuke fut surpris de s'être fait arracher un sourire, encore inconscient d'avoir croisé la route de celui qu'il considérerait plus tard être l'autre partie de son âme.
Les jours qui suivirent, Sasuke s'amusa de recroiser cet étrange énergumène qui dénotait avec tous les autres gosses du quartier. S'il le considéra au départ comme une distraction et que, par pitié, il lui proposa de lui apprendre à se battre, les choses changèrent à mesure que le temps passa. Nouveau au collège de Konoha, Sasuke s'était vite détaché des autres pour ne côtoyer que son voisin de palier qu'il trouva finalement aussi idiot qu'intéressant.
- Relève-toi.
Le poing meurtri de Naruto s'enfonça dans le sable du square où ils avaient pris l'habitude de s'entraîner.
- Enfoiré...
- Relève-toi !
Cette fois-ci, le poing hâlé tapa durement contre le sable et Naruto se releva, les dents serrées de rage. Encore une fois, Sasuke l'avait battu à plate couture. C'était un soir de Décembre 1994 et Sasuke se souvenait encore des décorations de Noël qui ornaient les lampadaires de la cité. C'était doux et chaleureux, contrastant allègrement avec le froid mordant de l'hiver qui sévissait sur Konoha. Mais comme chaque moment passé au square avec Naruto, Sasuke s'en souvenait avec une douceur comparable à nulle autre pareille.
- T'es vraiment un fumier, Sas'ke ! Un jour, je te mettrais la branlée que tu mérites !
Un sourire moqueur étira les lèvres de Sasuke, parce que Naruto avait juré qu'un jour, il le battrait.
- T'as encore du boulot, idiot.
Naruto leva le poing vers le ciel pour jurer de ses dires et Sasuke fut amusé par sa détermination sans limite.
- Salut les garçons !
Sasuke fut arraché à cette image par une voix féminine qu'il méprisait jusqu'alors. Sakura. C'était les vacances scolaires et en cette fin d'après-midi, la nuit était déjà tombée. La jeune fille s'accouda contre la barrière dans son manteau rose, éclairée par les décorations des lampadaires et Sasuke lui jeta un regard condescendant.
- Qu'est-ce qu'elle fait là ?
Naruto sembla un peu gêné. Malgré la nuit tombée, le regard accusateur de Sasuke sembla l'ébranler.
- Ben... Elle voulait passer un peu de temps avec nous, alors...
Sasuke haussa un sourcil agacé. Naruto n'avait jamais caché son amour débordant pour la jolie petite blonde aux yeux verts, quant à elle, elle n'avait jamais caché non plus son aversion pour Naruto, ni son intérêt démesuré pour Sasuke depuis qu'il avait emménagé dans le quartier, environ deux mois plus tôt. Alors, que faisait-elle ici, comme si elle faisait partie de leur petit duo ?
- Depuis quand Sakura ne traîne plus avec ces idiots de Kiba et Lee ?
Naruto se gratta bêtement le crâne alors Sasuke décida de rentrer chez lui. Il n'aimait pas perdre son temps en banalités et si son voisin ne voulait plus s'entraîner, il faisait aussi bien de partir. Cette fille ne lui inspirait pas confiance.
- Je vais rentrer, annonça-t-il en ramassant sa veste sur la balançoire. A plus tard.
Naruto le regarda s'affairer sans comprendre.
- Sérieux, mais... Sas'ke ? Tu pars déjà ?
Ils étaient arrivés depuis une heure à peine et d'habitude, ils poussaient la soirée jusque beaucoup plus tard.
- Mon père voulait que je rentre tôt.
Naruto s'était précipité vers lui, s'enfonçant à chaque pas dans le sable rendu doré par la lumière des réverbères jusqu'à stopper son chemin. Sasuke tomba dans ses grands yeux bleus et son innocence le frappa pour la première fois.
- Il a l'air sévère, ton père.
Sasuke déglutit. Hier après le déjeuner, Sasuke aurait dû sortir rejoindre Naruto pour s'entraîner dans le square mais Fugaku en avait décidé autrement. Fâché d'avoir dû envoyer son fils aîné pour aller chercher son cadet dans la cité afin de passer à table, son père lui avait interdit de ressortir après manger. Même quand Naruto était venu taper à la porte tout penaud, Itachi avait été obligé de le renvoyer. Aussi, Sasuke était quasiment convaincu que son voisin avait entendu les cris dans l'appartement des Uchiwa.
- Un peu ouais, comme tous les pères.
Les grands yeux de Naruto lui intimèrent de se confier et juste un instant, Sasuke faillit céder. Juste un instant, il crut que peut-être tout s'arrêterait, plongé dans l'azur innocent de son ami. Mais Sasuke était agacé de la présence inopportune de Sakura, aussi décida-t-il de ne pas s'étendre sur le sujet. Ce sujet qui resta tabou encore de nombreuses années et qui, s'il avait été évoqué ce jour-là, aurait peut-être changé le cours de leur existence.
Alors Sasuke contourna simplement Naruto sans un regard en arrière, scellant à jamais leur destin à tous les deux.
Un jour, ils deviendraient des meurtriers et c'était probablement parce qu'il avait fait aujourd'hui le choix égoïste de se taire.
Noël arriva le samedi suivant et après un après-midi entier à s'entraîner au square avec Naruto – et Sakura qui les suivait partout depuis quelques jours- Sasuke entama le réveillon avec une grande gaîté de cœur. Parce que Fugaku avait travaillé ce soir-là, Noël n'avait à aucun moment manqué de magie.
Aussi le lendemain, Sasuke fut de corvée pour jeter les poubelles. Mikoto craignait la fureur de son mari, alors toute sa vie, elle fit en sorte de toujours garder un foyer niquel. De toujours servir un dîner chaud ou de garder les uniformes de son époux aussi propres qu'au premier jour. Mais en jetant les détritus de la veille dans les conteneurs, Sasuke fut attiré par une étoffe à la couleur criarde qu'il connaissait bien.
La doudoune rapiécée de Naruto.
Il fronça les sourcils en la sortant d''entre deux sacs poubelle, un air de dégoût affiché sur les lèvres, ne se demandant qu'à peine ce qu'elle faisait là. Ce n'était pas si étonnant de la trouver là, après toutes les moqueries que Naruto avait dû essuyer en la portant. Les autres gamins lui en avaient fait voir de toutes les couleurs, alors il avait probablement dû vouloir s'en débarrasser. Et même si, à vrai dire, il n'avait pas réellement fait attention au jour où il s'en était séparé, quelque-chose lui intimait qu'il devrait la ramener à son propriétaire.
Sasuke balança son sac poubelle, emportant avec lui la doudoune jusque dans la tour B. Les Uzumaki n'étaient pas comme eux. Ils n'étaient pas aisés comme pouvaient l'être les Uchiwa, ils ne portaient pas de vêtements neufs tout au long de l'année. Sasuke serra le manteau entre ses doigts en remontant lentement les escaliers jusqu'au septième palier. Elle était affreuse. Dans le genre importable. Et pourtant, Sasuke savait que madame Uzumaki l'avait elle-même rapiécée après des heures interminables à tenir son foyer. Il savait aussi que monsieur Uzumaki avait courbé le dos à l'usine pour payer un vêtement chaud à son fils.
Alors arrivé devant la porte de cette famille modeste, Sasuke sut qu'il avait fait le bon choix et il sonna.
- Oh, Sasuke ! lui sourit madame Uzumaki. Joyeux Noël !
Madame Uzumaki était une femme pleine de chaleur, au sourire rassurant.
- Je...
Il se sentit un instant intimidé par cette femme qui dégageait une aura incroyable.
- Oh, c'est la doudoune de Naruto ! s'exclama-t-elle en attrapant le tissu entre ses mains. Je la cherche partout depuis plus d'une semaine ! Merci Sasuke !
Il eut un demi-sourire, gêné de lui avouer l'endroit où il venait de la retrouver. Mais l'odeur nauséabonde que dégageait le vêtement ne tarda pas à trahir le secret.
- Elle sent mauvais, remarqua-t-elle en faisant la moue. Elle était où ? A la poubelle ?
Sasuke hésita à répondre et madame Uzumaki en tira ses propres conclusions.
- Je vois, continua-t-elle tristement. Il a voulu s'en débarrasser ? J'imagine que ce n'est plus de son âge.
Sasuke baissa les yeux sur le parquet des Uzumaki qu'il voyait à travers la porte entrouverte.
- Les autres se moquaient de lui, avoua-t-il. Tous les jours. Ne lui en voulez pas, madame.
Elle serra un instant l'affreuse doudoune entre ses doigts.
- Il m'a menti.
Elle semblait touchée mais Sasuke n'était qu'un gosse à l'époque, et il ne comprit que bien des années plus tard, à la mort de madame Uzumaki, combien certains mensonges pouvaient venir hanter les vivants.
- C'est pas grave, se reprit-t-elle, plissant les yeux, balayant par la même occasion l'humidité qui s'y logeait. Je suis heureuse de savoir que Naruto et toi êtes devenus amis. Tu es un gentil garçon, Sasuke et probablement le meilleur ami que Naruto n'ait jamais eu.
Gêné, Sasuke se força à paraître aimable. Lui n'en était pas encore là dans sa relation avec Naruto et ce fut probablement cette discussion avec madame Uzumaki qui changea tout. Parce qu'il apprenait à ses dépends ce qu'était une véritable amitié.
- Tu veux boire un chocolat chaud ? demanda-t-elle alors que son visage s'éclairait d'un grand sourire.
Le même que Naruto.
Elle écarta la porte pour l'inviter à entrer et Sasuke fut immédiatement imprégné par la chaleur réconfortante que dégageait ce foyer. Le salon sentait encore la cannelle et les épices de Noël. Alors il se fit servir un premier chocolat, intimidé d'être seul avec madame Uzumaki. Puis il découvrit le bonheur d'un matin de Noël dans une famille aimante lorsque monsieur Uzumaki et Naruto les rejoignirent à leur tour.
Et ce ne furent pas le peu de cadeaux déposés au pied du sapin en plastique ou le fait que monsieur Uzumaki dut aller travailler à l'usine après le petit-déjeuner qui rendirent cette famille moins chaleureuse, non. Tous les trois avaient quelque-chose de spécial, quelque-chose sur lequel Sasuke n'avait à cet instant pas su mettre de mots mais qui, comme une grande gifle en pleine figure, sembla tout à coup lui avoir manqué cruellement tout au long de sa vie.
Et peu importe ce que c'était, finalement, parce que Sasuke le trouva ce jour-là dans l'appartement de ses voisins d'en face.
L'année suivante, le réveillon de Noël 1995 fut d'une toute autre atmosphère. Fugaku avait invité d'anciens amis de boxe ce jour-là. Des types qui venaient des quatre coins du globe, réunis spécialement à cette occasion pour ressasser des souvenirs du passé autour d'un bon dîner.
Sasuke avait treize ans, ce soir-là. Treize ans lorsque sa vie avait pris un tout autre tournant.
Le dîner avait été sympathique et Itachi comme lui, avaient été passionnés par les récits palpitants des anciens camarades de boxe de leur père. Chez les Uchiwa, la boxe était une passion de père en fils et Sasuke attendait avec impatience le jour de ses quinze ans pour rejoindre son frère sur le ring du club de la cité.
- Le dîner était délicieux, Mikoto, flatta Kakashi Hatake à destination de l'épouse Uchiwa. Ton mari est bien chanceux que tu l'aies choisi.
Il y eut un rire entre tous les anciens camarades alors qu'Itachi et Sasuke se jetaient un regard du coin de l'oeil. La salle à manger était plongée dans une semi-pénombre, éclairée par les bougies au centre de la table. Malgré une belle décoration préparée durant des heures par leur mère, l'appartement ne dégageait pas la chaleur de celui des Uzumaki à Noël dernier, comme si une espèce de tension vivait en permanence parmi eux.
Le monstre. La colère de Fugaku.
- On se demande bien ce que tu fais avec un type pareil ! plaisanta Ibiki Morino, un type effrayant aux nombreuses cicatrices sur le visage. Tu aurais dû m'épouser !
Si Hatake Kakashi eut un rire clair, il y eut un drôle d'échange visuel entre Fugaku et Mikoto Uchiwa.
- Allons allons, ne sois pas si présomptueux Ibiki, rabroua la douce voix de Kakashi. Elle a probablement fait le meilleur choix entre nous trois.
Cette remarque détendit légèrement Fugaku et Mikoto s'autorisa même un rire discret. Kakashi Hatake était un homme calme que Sasuke et Itachi connaissaient depuis de nombreuses années. Un vieux camarade de leur père, l'oeil griffé par une vilaine cicatrice, vestige d'un combat qui lui avait coûté sa carrière en professionnel. Depuis, il s'était reconverti en entraîneur pour les clubs de boxe universitaire. Et malgré l'arrêt brutal de ses montées sur le ring, il avait été l'idole absolu d'Itachi depuis de nombreuses années. Et Sasuke qui adulait son frère, s'était simplement laissé imprégner par cette admiration.
Kakashi Hatake était un grand homme, et c'était un honneur incroyable de rompre le pain avec lui durant ce repas de Noël.
Plus tard dans la soirée, bien longtemps après le dessert, Ibiki Morino proposa à Itachi d'aller s'entraîner dehors pour jauger de ses progrès depuis qu'il prenait des cours au club de boxe du quartier. Fugaku se joignit à eux. Émerveillé, Sasuke avait voulu les suivre mais il fut bien vite rattrapé par sa mère qui, parce qu'il était trop jeune pour sortir aussi tard, lui demanda d'aller se coucher.
Sasuke bouda, obligé d'abdiquer. Il n'avait que treize ans. Aussi, Kakashi le consola d'un clin d'oeil en lui assurant qu'il irait également se coucher.
Ce qu'il fit, et cette nuit-là ne quitta jamais plus les pensées de Sasuke. Parce que Hatake Kakashi qu'il admirait avec tant de ferveur vint, au beau milieu de la nuit, s'allonger dans son lit. Juste derrière lui, sa peau d'adulte contre sa tendre chair d'enfant. Sasuke se retourna entre les chaudes couvertures, la tête ensevelie de sommeil et la surprise lui bloqua la respiration.
- Monsieur Hatake ?
L'homme eut un sourire tendre à son égard.
- Chhhh, souffla-t-il et Sasuke se souvenait encore de la chaleur de son souffle contre son visage. Rendors-toi.
Sasuke n'était qu'un gosse et, crispé, il se tourna à nouveau vers le mur de son petit lit.
Sasuke n'était qu'un gosse, et c'est pourquoi il fit semblant de dormir lorsque la grosse main d'adulte de Kakashi Hatake vint se faufiler sous son pyjama.
Sasuke n'était qu'un gosse lorsqu'il sentit l'homme se caresser la verge contre ses fesses, et soupirer rauquement à son oreille alors que les doigts costauds caressaient ses parties intimes d'enfant.
Et c'est parce qu'il n'était qu'un gosse, qu'il garda le silence tout au long de sa vie d'adulte.
Le lendemain lorsque Naruto vint frapper à la porte de l'appartement des Uchiwa pour inviter son ami à venir boire un chocolat chaud dans sa famille comme au Noël précédent, Sasuke demanda à sa mère de répondre qu'il était malade.
Dans la salle d'audience, il y eut un silence de mort. Même la juge Senju et son regard austère ne semblait plus vraiment savoir sur quel pied danser. Pourtant assignée à son poste depuis de nombreuses années, elle devait en avoir vu passer, des affaires sordides. Mais les attouchements d'un homme sur un gosse laissait des marques et peut-être qu'en l'avouant pour la première fois à voix haute, Sasuke avait laissé transparaître plus de d'émotions qu'il ne l'aurait voulu.
Finalement, la juge tapa d'un coup de marteau.
- Bien, monsieur Uchiwa. Je suis navrée d'apprendre que votre enfance a été conditionnée de la sorte.
Dans la salle, personne ne pipait mots. Les jurés étaient restés bouche bée devant ses déclarations, jaugeant probablement l'ampleur de cette enfance malheureuse qui avait poussé Naruto au crime. Boruto également restait muet, cloué sur son pupitre, le regard aussi inexpressif que d'habitude. Cette fois-ci, Sasuke était totalement sorti du discours répété maintes et maintes fois avec l'avocat. Cette fois-ci et pour la première fois depuis cet événement, Sasuke avait parlé à cœur ouvert.
- Veuillez continuer, monsieur Uchiwa.
Sasuke hocha machinalement la tête, presque sonné par ses propres révélations.
Itachi avait levé des yeux horrifiés sur lui.
Sur le banc des accusés, Naruto était resté pétrifié.
Parce que personne n'avait jamais su et surtout pas ces deux hommes qui avaient régi sa vie.
En Juillet 1997, Naruto était jaloux lorsque Sasuke avait fait ses premiers pas au club de boxe de la cité. Être au moins âgé de quinze ans était une obligation et né le premier, Sasuke avait eu la chance d'être celui d'eux deux qui y rentrait le premier. Et de là, se creusa peut-être le premier écart entre eux. Jusque là, rien n'avait jamais ébranlé leur amitié devenue solide avec les années, pas même cet épisode avec Hatake Kakashi qui avait complètement chamboulé son existence.
Il n'en avait rien dit, jamais, pas même à Naruto dont il se sentait extrêmement proche. Si proche parfois, que son amitié lui semblait presque comme une nécessité. Comme s'il faisait partie de l'air qu'il inspirait pour venir gonfler ses poumons. Naruto faisait partie de sa vie, plus que quiconque avant lui. Si bien qu'il s'était parfois surpris à plonger au fond de ses yeux azurs ou à se laisser bercer par la chaleur que dégageait son sourire niais.
- Tu en penses quoi, Sasuke ?
Sakura traînait avec eux depuis tout ce temps et Sasuke n'accorda qu'un bref regard à la femme exhibée qu'elle lui montra sur l'un de ses magazines. Elle cherchait à connaître ses goûts dans l'espoir de s'en approcher pour lui plaire un jour, parce que malgré les années, Sakura demeurait inlassablement amoureuse de lui. Comme Naruto demeurait inlassablement amoureux d'elle depuis tout ce temps.
Il soupira.
- J'aime pas, répondit-il en haussant une épaule. Fous-moi la paix avec ça.
Sakura fit la moue, désormais aguerrie à se faire rembarrer par celui qu'elle pensait désespérément être l'homme de sa vie.
- Sa seigneurie Sasuke Uchiwa a-t-il déjà aimé quelqu'un en ce bas monde ?
Sasuke tourna les yeux vers Naruto qui, debout sur la balançoire du square de la cité où ils flânaient tous les trois, le défiait d'un regard moqueur. Sasuke souleva un sourire narquois.
- Et le grand Uzumaki Naruto s'est-il déjà rétamé de sa royale balançoire ?
Leurs yeux se cherchèrent un instant, complices et ce fut finalement Sasuke qui lança les hostilités en commençant à le poursuivre. Mort de rire, Naruto sauta de la balançoire pour atterrir dans le sable et détaler loin de son assaillant. Mais ralenti par les grains autour de ses baskets, le blond fut rapidement rattrapé et Sasuke se jeta sur lui pour le faire tomber à terre.
Ils roulèrent dans le sable, tordus d'un rire qu'eux seuls pouvaient partager et ce fut finalement Naruto qui réussit à avoir l'ascendant. A califourchon sur sa victime, il savoura sa victoire, un sourire carnassier soulevant ses lèvres pleines. Juste pour une seconde où le soleil brilla plus fort au-dessus de Naruto, Sasuke le trouva beau.
Et juste le temps d'un instant, quelque part hors du temps, Naruto sembla briller plus que le soleil.
Alors déstabilisé, Sasuke se laissa faire lorsque l'autre triompha en lui tenant les poignets contre le sable. Il n'y avait plus que Naruto et ses yeux si innocents qu'ils pourraient bien purifier son âme. Naruto et son sourire qui, malgré lui, le chamboulait depuis quelques temps déjà.
Naruto.
Même Sakura qui, tranquillement allongée dans le sable, tournait les pages de son magazine ne semblait plus exister. Ni même ces bons à rien de Kiba et Lee qui arrivèrent pas la suite ne semblèrent venir couper leur moment.
Sasuke resta figé, aveuglé par la lumière que dégageait Naruto.
- Qu'est-ce t'as, enfoiré ? sourit Naruto, victorieux. Tu avoues ta défaite ?
Sasuke se renfrogna et d'un mouvement habile, fit pivoter leur position pour dominer Naruto.
- Plutôt crever.
Au club de boxe ce même soir, Sasuke chercha à travers les autres garçons quelqu'un capable de lui faire ressentir cette étrange sensation qui l'envahissait lorsqu'il était proche de Naruto.
En vain.
- Je t'avais dit de rentrer tout de suite après les cours, Sasuke.
Sasuke se glaça sur la dernière marche avant le septième palier. Fugaku le pétrifiait de ses yeux noirs. A ses côtés, Naruto semblait ne plus pouvoir respirer. C'était la fin d'été 1997 et depuis longtemps, Sasuke savait que son meilleur ami connaissait la violence de son père. Il fallait être aveugle pour ne pas s'en rendre compte. Même Sakura le savait probablement aussi.
Sasuke baissa la tête en s'avançant vers l'appartement familial. Fugaku le terrifiait toujours autant. Alors il passa la porte dans un dernier regard pour Naruto et ses grands yeux bleus apeurés lui restèrent en mémoire durant tout le sévice qui suivit.
Son père lui attrapa le bras comme un gamin pris en faute. La porte était claquée. Sasuke ferma douloureusement les yeux en se laissant traîner jusqu'au salon où Mikoto sursauta, une main effrayée devant sa bouche.
- Sasuke, l'appela durement son paternel.
Sasuke rouvrit les yeux prudemment.
- Oui, papa ?
Fugaku le surplombait, austère. Sasuke avait beau avoir grandi, pris du muscle à force de s'entraîner avec Naruto ; il avait même commencé la boxe ! Mais rien à faire, son père le dominerait toujours. Sa colère imprévisible le terrorisait.
- Ton entraîneur m'a dit...
Fugaku prit une pause, comme s'il tentait de contenir la vague de rage qui montait dans ses épaules et Sasuke se sentit infiniment petit devant lui. Il y avait un mélange de fureur et de dégoût sur le visage de son paternel, quelque-chose qu'il n'avait jamais vu auparavant. Dans sa poitrine, son cœur avait cessé de battre.
- Qu'est-ce qu'il a dit... papa ?
Sa voix ne ressemblait plus qu'à une pauvre supplique inaudible. Fugaku l'avait acculé contre le chambranle de la porte et derrière lui, Mikoto restait figée par la peur, ses deux grands yeux noirs fixés sur eux. Elle connaissait la colère de son mari et elle savait que la moindre de ses interventions pouvait bien faire basculer le cours des choses. Alors elle restait silencieuse.
Depuis toujours, elle se taisait.
- Il a dit...
Fugaku inspira comme si les mots qu'il cherchait le répugnaient.
- Que certains de tes camarades de boxe se sont plaints.
La respiration de Sasuke se coupa.
- De- De quoi ?
- Que tu les regardais dans les vestiaires, répondit Fugaku comme s'il allait vomir. Oh putain, c'est dégueulasse.
Il passa une main fatiguée sur son visage dégoûté.
- T'es pas pédé, Sasuke ?
Les lèvres de Sasuke tremblaient. Malgré toute la colère dont pouvait faire preuve Fugaku, il avait toujours cherché à attirer ses grâces. Espéré qu'un jour, son père serait fier du fils dévoué qu'il était. Mais aujourd'hui, cette utopie se brisait définitivement en morceaux. Fugaku n'avait jamais été aussi proche de la répugnance.
La large main de son père vint autoritairement lui attraper sa mâchoire d'adolescent.
- Sasuke ! gronda-t-il. T'es pas un sale pédé hein !?
Les yeux noirs le scrutaient comme s'ils pouvaient sonder tous les secrets de son âme et Sasuke ne put retenir l'humidité d'envahir les siens. Et ce qui ne fut pour lui qu'une réaction à la peur que lui provoquait son père, Fugaku lui, prit ces larmes pour des aveux.
- Putain mais c'est pas possible ! beugla Fugaku en agrandissant ses yeux. Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour avoir une pédale dans ma famille !?
Par réflexe, Sasuke voulut rentrer sa tête entre ses épaules mais le monstre continua de lui maintenir fermement la mâchoire.
- Tu suces des queues, Sasuke ?
L'autre main de Fugaku chercha frénétiquement quelque-chose au niveau de son ceinturon. Sasuke eut un mouvement de recul, les yeux agrandis et le cœur en arrêt tandis que son père relevait vers lui son arme de service.
Fugaku enleva la sécurité.
- Ouvre la bouche, ordonna son père.
Pétrifié, Sasuke ne put retenir les larmes silencieuses qui coulèrent le long de ses joues.
- Fugaku qu'est-ce que tu fais !? hurla Mikoto. Fugaku arrête !
Pour peut-être la première fois de sa vie, Mikoto osa intervenir. C'était aussi peut-être parce que c'était la première fois que Fugaku levait son arme sur l'un de ses fils. Alors par instinct, elle avait agi en se jetant sur lui pour l'empêcher de faire du mal à leur cadet. Mais fou de rage, Fugaku la repoussa d'un bras et elle tomba sur le carrelage froid de l'appartement, le revolver pointé sur elle.
- Toi, tu la fermes pendant que je donne une leçon à notre fils.
Mikoto sanglota lorsque Fugaku pointa de nouveau son arme sur Sasuke.
- Ouvre la bouche, Sasuke.
On tambourina à la porte de l'appartement et ils n'eurent aucun mal à reconnaître la voix d'Itachi qui hurlait pour qu'on lui ouvre. L'entraîneur avait dû le lui dire, à lui aussi et son frère s'était probablement douté que la sentence de leur père serait certainement la pire qu'ils n'aient jamais eu à subir.
- OUVRE LA BOUCHE !
Fugaku n'était plus que fureur alors, apeuré, Sasuke obéit. Derrière et à genoux, Mikoto implorait son mari de ne pas faire de mal à leur fils. Mais son père ne voyait plus que par l'envie irrépressible de donner une leçon à son cadet.
- SUCE !
De cet épisode, Sasuke ne se souvenait que du canon froid que son père enfonça au fond de sa gorge en de brusques mouvements de va et vient. De ses larmes qui coulaient sur ses joues tandis qu'il s'étouffait à moitié. Des yeux punisseurs de son père.
De la peur si intense que son pantalon en fut mouillé.
- Tu ne suceras pas de queue mon fils.
La conclusion de Fugaku s'abattit en même temps qu'un coup de cross sur la lèvre de Sasuke et celui-ci tomba au sol. Il saigna et son sang se mélangea à l'urine sur le carrelage.
Sasuke porta la cicatrice sur sa lèvre tout au long de sa vie, mais si la douleur partit un beau matin, l'humiliation elle, ne le quitta jamais.
Sasuke enleva son pull à manches longues qui lui avait tenu trop chaud toute la soirée. Il était le seul idiot en cette fin d'été à se couvrir de la sorte mais la marque des doigts de Fugaku était encore incrustée dans la peau blanchâtre de son bras.
- C'était bien, ta soirée ?
Sasuke venait de passer l'encadrement de la porte de la chambre qu'il partageait avec son frère. Itachi était étalé sur son lit près de la fenêtre, feuilletant nonchalamment la biographie de Mike Tyson sous la lumière tamisée de son chevet.
- C'était cool, répondit-il en haussant une épaule. Sakura s'est teint les cheveux en rose.
Itachi releva les yeux de son bouquin.
- En rose ?
Sasuke força un sourire.
- Ouais, pour me plaire je crois.
- Et elle te plaît ?
En réalité, Sasuke était préoccupé par autre chose et il dandina sur ses pieds un instant, soulevant un regard curieux de son aîné.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- J'ai...
Il venait de se passer quelque-chose, sur le chemin du retour avec Naruto. Ils revenaient tous les deux de la soirée d'Ino et si Naruto avait eu la décence de ne rien dire concernant la belle cicatrice qui ornait sa lèvre depuis hier, Sasuke lui, avait peut-être un peu trop parlé.
- Je crois que je suis gay.
Sur le retour de la soirée, le long du sentier et alcool aidant, Sasuke avait avoué à son meilleur ami ne pas s'intéresser aux filles.
Itachi haussa un sourcil, entre surprise et scepticisme.
- Oh.
Naruto avait eu la même réaction.
Itachi se redressa sur son lit, fermant soigneusement la biographie de Mike Tyson pour accorder toute l'attention nécessaire à son cadet.
- Tu crois ?
Sasuke se tortilla sur place. La veille, son père lui enfonçait un canon froid au fond de la gorge pour lui passer l'envie d'être une pédale. N'aurait-il pas dû en tirer une leçon ?
- Je sais pas trop, en fait...
- Comment ça ?
Itachi tapota sur la couverture de son lit, invitant Sasuke à venir s'asseoir près de lui. Ce qu'il fit.
- Je... Les filles m'intéressent pas vraiment, tu vois... bégaya-t-il maladroitement. Et au club de boxe, je... Je regardais pas vraiment les autres garçons c'est juste que... Enfin, Naruto, tu vois... J'espérais juste...comprendre ?
Itachi étouffa un rire tendre et durant un instant, Sasuke se sentit revenir en enfance sous le regard doucereux de son grand frère. Itachi ne savait pas que Fugaku s'était servi de son arme pour la caler violemment au fond de sa bouche, la veille, et c'était mieux ainsi.
- J'ai pas tout compris, mais tu as le droit d'aimer qui tu veux, Sas'. N'en déplaise à papa.
Il y avait ce lien étroit avec Itachi. Ce lien particulier dans lequel il s'accordait le droit d'être le plus faible d'entre eux. Dehors, Sasuke ne faisait jamais aveu de faiblesse. Jamais., pas même devant Naruto. C'était ce que leur père lui avait transmis.
- Hm...
Sasuke n'était pas convaincu, parce qu'il ne trouvait pas vraiment de réponses à ses questions.
- C'est donc Naruto qui te fait te poser toutes ces questions ?
Le plus jeune leva les yeux vers lui, abattu. Naruto.
Naruto et sa lumière.
Naruto qui semblait lui redonner la vie par son simple sourire.
- Je crois, oui.
Il y eut un fracas dans l'entrée de l'appartement et en alerte, les deux frères se levèrent de concert pour aller voir ce qui se passe. Dans la pénombre, ils distinguèrent la silhouette chétive de leur mère qui fouillait dans le ceinturon de leur père, en sortant l'arme de service avec laquelle Fugaku avait violenté leur fils.
A travers le filet de lumière qui filtrait depuis leur chambre d'adolescents, Sasuke croisa le regard de sa mère. Désolé et empli de regrets. Abattu.
- Qu'est-ce que tu fais, maman ? chuchota Itachi pour ne pas alerter leur père. Tu vas blesser quelqu'un, pose ça.
Sasuke resta pétrifié tandis que les yeux humides de sa mère ne le quittaient pas. Elle semblait écrasée par le poids de sa culpabilité. Celle de n'avoir rien fait. Celle d'avoir laissé Fugaku les détruire durant toutes ces années.
Itachi ne pouvait pas comprendre ce qu'il se passait là.
- Pose ça, maman.
Sasuke ne s'était qu'à peine entendu articuler.
- Il va... sanglota-t-elle piteusement. Il faut y mettre un terme.
- Maman, pose cette arme.
Itachi sembla soudain se mettre en alerte mais Sasuke avait déjà compris.
- Ça n'arrangera rien, maman.
Le visage de poupée de leur mère se décomposa pour fondre en sanglots.
- Arranger... quoi ? demanda Itachi et aujourd'hui adulte, Sasuke était persuadé qu'il avait déjà compris. Tu veux faire quoi avec le flingue de papa ?
Mikoto serra l'arme entre ses doigts, désespérée alors qu'elle se confondait en excuses indéchiffrables auprès de Sasuke. Elle était pitoyable et rendue faible par les actes d'un mari violent.
- Il faut y mettre un terme, répéta-t-elle comme une litanie. Je dois y mettre un terme.
Il y eut une atmosphère pesante dans l'entrée de l'appartement des Uchiwa. Quelque-chose d'impalpable et qui pourtant, les marqua tous les trois.
- Je dois... sanglota-t-elle difficilement. Y mettre un terme. Il nous... il nous tuera tous. Tous les trois. Je dois... je dois vous protéger...
Sasuke n'arriva pas à esquisser le moindre mouvement, vaincu par la détresse qu'il voyait dans les yeux de sa mère. Alors Itachi fut le premier à bouger et il s'avança brutalement vers Mikoto pour l'arrêter en la prenant dans ses bras. Piteusement, leur mère fondit davantage en larmes sur l'épaule de son plus grand fils et sans force, lâcha l'arme qu'Itachi récupéra prudemment.
- C'est moi qui vous protégerais, maman, murmura Itachi. Je vous le promets.
Sasuke ne sut combien de temps il resta planté là à regarder son frère consoler leur mère dans la semi pénombre de l'entrée, à se demander si Mikoto aurait effectivement commis le pire s'ils n'étaient pas intervenus.
Cette nuit-là, leur mère dormit avec eux dans leur chambre d'adolescents. Sasuke l'avait prise dans ses bras, serrant son frêle corps contre le sien et depuis son lit, Itachi n'avait cessé de les observer pensivement.
- Comment as-tu pu rater ton examen !? hurla Fugaku et son cri résonna à travers tout l'appartement. Tu me déshonores !
C'était le chaud mois de Juin de l'année 1998 et Itachi venait d'apprendre qu'il retaperait son année de terminale, l'empêchant de quitter le nid familial pour rejoindre les bancs de l'université de Suna. Fugaku était hors de lui, ne comprenant pas comment son génie de fils aux notes toujours parfaites avait pu échouer à cette simple formalité.
- Probablement le stress, papa.
Itachi tenait tête à leur père, ne baissant plus les yeux depuis qu'il avait juré de protéger sa mère et son petit frère. Sasuke dans un coin de la pièce, observait la scène sans même oser respirer.
- Le stress, hm ? répondit Fugaku, mauvais.
Ce soir-là, Fugaku avait bu.
- T'es du genre à stresser toi, maintenant ?
Il exerçait sur son fils aîné ce regard sévère qui terrorisait encore Sasuke, mais Itachi ne sourcilla pas. Désormais âgé de dix-huit ans, il faisait la même taille que leur paternel et il semblait lui tenir à cœur d'honorer la promesse qu'il leur avait faite.
- Et alors ?
Le caractère effronté d'Itachi depuis quelques mois déplaisait fortement à leur père mais étrangement, cela semblait suffisant pour stopper Fugaku. Le fils aîné n'avait plus jamais reçu de coups, seulement des brimades et de vaines tentatives d'intimidation.
Itachi était un homme, là où Fugaku ne l'avait jamais été. Mais Sasuke n'avait pas le courage de suivre ses traces.
Frustré de se sentir impuissant, Fugaku quitta le séjour en butant contre le buffet bas. Le vase de fleurs que Sasuke avait offert à leur mère s'écrasa au sol dans un fracas infernal et le vacarme ne fit qu'accentuer la colère de leur père. Puis en quelques pas, l'homme disparu dans la cuisine où se trouvait Mikoto. Et à nouveau, il y eut un bruit fracassant de vaisselles cassées.
Ni une, ni deux, Sasuke et Itachi restés au séjour coururent en direction du bruit où ils trouvèrent leur mère agenouillée au sol au milieu des débris de porcelaine, une main sur sa joue enflée. Et cette fois-ci, ce fut la colère d'Itachi qui devint presque palpable. En une fraction de seconde, il s'était jeté sur leur père pour l'attraper par le col et le coller contre le comptoir. Les yeux écarquillés, Sasuke regarda la scène, bien incapable de bouger.
- Si tu la touches encore une fois, jura Itachi. Je te le ferais regretter.
Fugaku recula le visage pour observer son fils aîné et ce nouvel aplomb dont il faisait preuve. De là où il se trouvait, Sasuke pouvait presque sentir son haleine imbibée d'alcool.
- Tu paieras pour tout ce que tu as fait, papa.
Les doigts d'Itachi se resserrèrent autour du col de leur père et ce fut la première fois qu'il vit cet air menaçant sur le visage de son frère.
- Un jour, tu paieras pour tout le mal que tu as fait.
Fugaku resta fidèle à lui-même, austère, faisant croire qu'il ne se laisserait impressionner par personne.
Mais la vérité, c'est que ce jour-là, Sasuke comprit que Fugaku ne frappait que les plus vulnérables que lui. Et qu'il faudrait se défaire de la peur pour échapper à son emprise.
En Décembre suivant, Sasuke n'avait toujours pas trouvé de réponses à ses questions. Si bien qu'un soir, il avait embrassé Naruto. Juste pour sentir, juste pour comprendre ce qui le tourmentait depuis presque des années maintenant. Si cela avait été étrange d'embrasser son meilleur ami, cela n'en avait pas été moins électrisant. Et pour la première fois depuis le début de ses doutes, Sasuke avait commencé à entrevoir quelque-chose. Quelque-chose qui ressemblait à une réponse, ou à l'accomplissement de soi. Comme un soulagement.
Il avait embrassé Naruto et il avait aimé ça. Même si ce baiser valut à Sasuke de se faire ignorer quelques jours par son meilleur ami, cette incroyable soirée semblait avoir remis les choses en ordre.
Naruto éclata de rire dans le silence de la nuit et Sasuke le regarda comme s'il était un extraterrestre, encore essoufflé de leur course. Ils venaient de tenter de voler l'ancien sac de frappe du lycée et s'y étaient introduits par effraction avant de manquer de se faire choper par le vieux serpent qui leur servait de pion.
Naruto était beau, hilare sous la lumière des réverbères du square de la cité, les joues rosies par leur course effrénée. Les rondeurs de gamin avaient laissé place à une mâchoire carrée et harmonieuse. Alors gagné par sa joie de vivre, Sasuke éclata de rire à son tour, soulagé et heureux de constater que leur amitié n'avait finalement pas été ébranlée par le baiser des jours précédents.
- T'imagines la tête de ce vieux serpent au lycée demain !rit Naruto de plus belle.
Naruto était le seul à lui faire oublier ce que pouvait bien être sa vie et son rire communicatif lui apportait un bien-être que personne au monde ne serait capable d'imaginer.
Leurs yeux se rencontrèrent et un instant, l'immense océan azur sembla déclencher une avalanche dans l'onyx de Sasuke. Alors naturellement, leur hilarité se calma peu et à peu et ils échangèrent un long regard silencieux dans la nuit noire. Le froid de décembre était mordant mais Sasuke n'en avait cure.
Il n'existait plus que Naruto.
Naruto.
Naruto.
Sasuke ravala cette envie irrépressible de l'embrasser et préféra couper court à leur échange visuel en reprenant tranquillement la route vers le Bâtiment B.
- Tu viens, idiot ?
Naruto pesta contre lui et, au pas de course, le rejoignit dans un rire étouffé. Alors ils flânèrent le long du sentier, épaule contre épaule dans une quiétude apaisante. Puis à force que leurs doigts ne se frôlent, Naruto lui attrapa la main d'un geste désintéressé. Le cœur battant, Sasuke tourna la tête vers le blond, le sondant d'un regard perdu. Son ami qui avait piqué un fard garda obstinément la tête tournée pour ne pas croiser son regard.
Alors Sasuke ne sut pas vraiment comment interpréter ce geste, mais il s'en contenta. Peu importe de quelle façon Naruto était présent dans sa vie de toute façon, du moment qu'il était là. C'était le plus important. Alors il resserra sa prise sur la main hâlée et ensemble, ils remontèrent les escaliers jusqu'au septième palier. Mais lorsque la lumière automatique s'alluma d'un coup, Sasuke se figea.
Juste là sur le septième palier, Fugaku les attendait alors qu'ils avaient tous les deux fait le mur. Paniqué, Sasuke retira sa main de celle de Naruto. A côté de lui, celui-ci s'était tendu. Puis le visage de Fugaku sembla être déformé par la colère et il ne fallut pas moins d'une fraction de seconde avant que le large poing de son père ne vienne percuter le visage de Sasuke.
L'impact fut douloureux, d'autant qu'il dévala quelques marches en arrière.
- Rentre chez toi, Naruto, ordonna froidement Fugaku.
En se relevant piteusement, assommé par le coup, Sasuke vit que Naruto était resté figé sur la dernière marche des escaliers, prostré entre lui et son père, les poings serrés à s'en faire blanchir les phalanges.
C'était la première fois que Fugaku était violent en dehors du cercle familial. Devant témoins. Il devait être terriblement en colère et en se hissant comme il pouvait sur ses bras, Sasuke fut pris d'un vent de panique.
Et s'il venait à faire du mal à Naruto ?
- Dégage Naruto ! cria Sasuke, et cela ressembla davantage à un ordre sévère qu'à un désir de le protéger.
Naruto lui jeta un regard effrayé, les dents serrées alors que Sasuke pouvait presque voir la colère monter en lui. Et la frustration de ne pas savoir comment agir. Le blond était devenu un jeune homme grand et aux muscles développés, pourtant il n'osa pas intervenir.
- Mais Sasuke !
- Dégage !
Naruto resta pantois encore quelques secondes et Sasuke vit même des larmes de frustration envahir ses yeux bleus. Finalement, le blond partit s'enfermer dans son appartement et il soupira de soulagement.
Soulagement qui ne fut que de courte durée car Fugaku dévala les escaliers, le visage furieux et attrapa les cheveux de Sasuke d'une poigne ferme pour le tirer jusqu'à leur appartement. Encore sonné par le coup de son père, il se laissa traîner comme un vulgaire pantin, quelques cris de douleur alertant malgré lui les voisins. Alors il ne reprit réellement conscience que lorsque Fugaku le fit tomber à terre devant la lunette des toilettes au fond du couloir et il n'eut pas la force de se défendre quand l'homme lui plongea la tête dans la cuvette.
- Pédale ! hurlait incessamment son père. Je ne veux pas de pédale dans ma famille !
Sasuke but la tasse, tentant de se débattre comme un fauve. Mais l'emprise de son père était bien trop importante et tout ce dont il se rappelait réellement de cette fois-là, c'était des quelques instants où Fugaku lui relevait la tête et qu'il entendait sa mère hurler de peur pour qu'il le lâche.
- Tu vas le tuer ! hurlait-elle. Itachi ! Itachi !
Elle implorait son fils aîné d'intervenir, mais ce soir-là, Itachi aussi avait fait le mur avec ses copains.
Cela dura longtemps, et il se put bien qu'il perde quelques fois connaissances lorsque son père cessa de tenter de le noyer pour le rouer de coups de pieds. Ce fut une patrouille de police qui intervint, mettant fin à son calvaire. Et les yeux dans le vague, Sasuke aperçut au loin les hommes de son père s'excuser platement de les avoir dérangés. Et de l'autre côté du palier, sur le pas de leur porte, la famille Uzumaki observait la scène. Naruto était là, protégé derrière Minato qui semblait défier Fugaku du regard.
Tout le monde savait à présent. Tout le monde savait mais se tairait, parce qu'ils venaient tous d'apprendre que Fugaku était le capitaine de police de Konoha.
Plus tard dans la nuit, Sasuke sortit de son lit à pas de velours. Itachi n'était pas encore rentré et Mikoto avait pansé ses plaies. Alors il quitta discrètement l'appartement dans son pyjama, rejoignant la porte de l'autre côté du palier qu'il ouvrit sans un bruit. Mais contre toute attente, il tomba sur les mines mortifiées de monsieur et madame Uzumaki qui, sous la lumière tamisée du séjour, semblaient en proie à la réflexion.
Il passa un ange avant que Minato ne se lève vivement de son fauteuil pour venir vers lui.
- Sasuke, fiston.
Sasuke ne savait plus vraiment où se mettre, navré d'avoir été pris en flagrant délit alors qu'il se faufilait chez ses voisins pour rejoindre Naruto.
- Je suis désolé, s'excusa-t-il. Je voulais juste...
- Tu es le bienvenue chez nous, coupa Minato. Pour voir Naruto ou pour... te réfugier. Notre porte te sera toujours ouverte.
Sasuke ouvrit la bouche sans savoir quoi répondre. Les yeux azurs de Minato -semblables à ceux de Naruto- veillaient sur lui comme ceux du père qu'il n'avait jamais eu.
- Littéralement, Sasuke, ajouta Kushina, un sourire bienveillant sur le visage. Nous ne fermerons plus la porte, si tu as besoin de venir, viens. Tu seras en sécurité ici.
Une boule monta dans la gorge de Sasuke.
- Mon père, s'il découvre...
- Je m'occuperai de ton père, coupa cette fois Kushina. Il ne nous fait pas peur.
Sous cette douceur inégalable, Kushina semblait également être une femme féroce. Naruto avait de qui tenir. Minato posa une main rassurante sur son épaule.
- Naruto est dans sa chambre, je doute qu'il ait pu trouver le sommeil.
Alors Sasuke le rejoignit et sans un mot, vint s'allonger sous les draps de son meilleur ami. Et dans un silence total, Sasuke pleura pour la première fois devant lui. Pour la première fois, il fut le plus faible d'entre eux. Et Naruto le prit simplement dans ses bras sans le juger.
Les mois qui suivirent, Sasuke trouva refuge dans cette famille aimante lorsque le courroux de Fugaku devenait trop important. Ou lorsqu'il buvait trop. Ou encore quand Itachi n'était pas là pour les défendre, leur mère et lui. La nuit, Sasuke se faufilait chez les Uzumaki près de Naruto, là où il se sentait le plus en sécurité.
Ces nuits furent salvatrices, les rapprochant encore davantage même si Naruto avait commencé à le harceler de questions concernant Fugaku. Est-ce qu'il t'a encore frappé ? Pourquoi tu ne te défends pas? Tu ne le détestes pas ? C'était souvent la même rengaine et souvent les mêmes réponses qu'il lui apportait. Fugaku était son père et il en avait peur. C'était ainsi, même s'il excellait dans l'art de la boxe, il n'avait jamais eu le même courage que son frère pour s'élever contre lui.
Les mois se déroulèrent sans heurt jusqu'à ce fameux matin du 26 Juillet 1999, alors que Naruto et lui venaient à peine d'échanger leur premier vrai baiser ; celui qui lui confirma qu'il n'était pas le seul à ressentir quelque-chose d'étrange pour son meilleur ami. C'a avait été une délivrance. La fin des doutes, comme le début d'une quiétude nouvelle.
Mais alors qu'ils se séparaient à l'aube sur le palier, Fugaku leur tomba dessus, noir de colère. La suite, les jurés la connaissaient déjà. Naruto qui avait juré de le protéger, avait finalement tenu sa promesse.
Et Fugaku y avait laissé la vie.
Dans l'audience, il planait un silence de mort parmi les jurés. Alors Sasuke se tut un instant, coupant son récit pour s'adresser à eux.
- Si vous pensez vraiment que Naruto a ôté une vie, demandez-vous plutôt combien il en a sauvé ce jour-là.
Mikoto et lui n'étaient probablement encore en vie que parce que Naruto avait agi.
Le silence perdura et Sasuke les défia tous du regard. Boruto le fixait sans sourciller, égal à lui-même, bien que Sasuke soit partie en roue libre depuis longtemps sur le discours qu'ils s'étaient fixés. Parmi la foule, Itachi avait les yeux humides. Quant à ceux de Naruto, ils lui brûlaient la peau.
- C'est un meurtre, objecta l'avocat de la partie civile. Quelles que soient les circonstances, un homme est mort !
Sasuke l'ignora, plongeant son regard dans celui de Naruto.
- Je crois que je ne t'ai jamais remercié de m'avoir sauvé la vie ce jour-là, Naruto.
Le coin des lèvres de Naruto tressauta imperceptiblement, mais Sasuke le vit.
La juge Senju tapa du marteau contre son pupitre.
- Continuez votre récit, monsieur Uchiwa.
Dans la salle, le regard de Naruto était indéchiffrable.
A suivre...
On est à un cheveux de la fin. J'espère que cette suite, immergée au coeur de l'enfance de Sasuke vous a plu et qu'elle vous a permis de comprendre davantage leur relation mais aussi et surtout le pourquoi Sasuke est devenu ce qu'il est. Suite et fin au prochain chapitre, où on les verra entrer dans l'âge adulte et vous comprendrez aussi pourquoi Sasuke est parti aux états unis etc...
Merci infiniment pour toutes vos reviews, je suis extrêmement touchée par vos retours.
Bises,
Akane
