K-FicModo (qui avait la flemme de se connecter mdr) : Coucouuuu ! Merci pour cette adorable review et je me permets de te dire que tu t'es plantée dans tes prévisions, tu avais parié sur une publication en Juin 2023 et juste pour te contredire, j'ai attendu Octobre 2023 xD Blague à part, j'espère que tout va bien pour toi. Je t'embrasse et je te dis à très vite !

Mani300 : Coucou ! Merci infiniment pour ta review sur cette histoire. Ça fait des années que tu ne manques jamais de me laisser un mot gentil sur mes histoires et je ne pourrai jamais suffisamment t'en remercier. Mille fois merci, même si ce n'est pas assez ! J'espère que la suite te plaira tout autant. Gros bisous !


Note : ce chapitre fait référence aux évènements survenus dans la Partie 4 que je vous invite à relire pour ceux et celles qui le souhaitent :)


Long love letter

Partie 6

Septembre 2000.

Sasuke,

Ici le temps est long, comme s'il passait à une vitesse différente que pour vous dehors. Je fais beaucoup de sport, parce qu'il n'y a pas grand-chose d'autre à faire. J'en viens même (parfois) à apprécier les cours qu'on nous donne. Je pense que ma mère serait ravie d'entendre qu'il m'est arrivé de demander un devoir supplémentaire en maths pour tromper l'ennui. (Bon c'est arrivé une seule fois). Et j'avoue que je devais rattraper ma moyenne pour ne pas me prendre de corvées supplémentaires. (J'ai eu une mauvaise note, finalement, et j'ai dû récurer les chiottes pendant un mois. Quel traumatisme ! Je jure à présent que je travaillerai bien à l'école. )

Sinon la cantine est bonne. Je me suis fait des potes aussi, ça me permet de passer le temps un peu plus vite jusqu'à ma libération. Je devrais sortir le jour de mes 18 ans. L'avocat dit qu'ils sont incapables de prouver réellement mon implication. Que mon incarcération n'était que de la poudre aux yeux pour calmer la police et les magistrats. Parce qu'il fallait un coupable, et que l'emprisonnement d'Itachi ne leur était pas tout-à- fait satisfaisant. Je ne comprends pas tout, mais l'idée de sortir pour mon anniversaire me fait tenir bon.

Comme tu le vois, j'essaie de m'occuper. Mais chaque minute de silence me replonge dans les souvenirs de ce matin-là. Le visage éteint de ton père m'obsède jusque dans mes rêves. Ta détresse me hante, dès que je ferme les yeux. Et Itachi… Peu importe. Je sais que nous avons fait un serment tous les trois et même si ta sécurité est tout ce qui m'a toujours importé, je ne peux pas m'empêcher de me sentir coupable.

Je voudrais pouvoir tout recommencer. Revenir à notre première rencontre et me rendre compte bien plus tôt de ce qu'il se passait. J'aurais aimé avoir le courage d'agir avant et espérer ne jamais avoir à en arrivé là où nous en sommes rendus aujourd'hui. Mais ce qui est fait, est fait et rien ne pourra jamais venir modifier le cours des choses. Alors même si personne ne connaîtra jamais la vérité, ma conscience, elle, me punira bien assez pour le restant de mes jours.

Je t'ai fait la promesse de te protéger.

Je l'ai tenue et je la tiendrais toujours.

Peu importe ce qu'il m'en coûte.

Naruto


- Qu'est-ce que tu fais ?

Sasuke sursauta, froissant précipitamment la lettre entre ses doigts. Voilà des semaines qu'il la lisait en boucle, espérant lire entre les lignes.

- C'est quoi ? demanda l'autre en désignant le papier d'un coup de menton. Tu révises tes cours ?

- Ouais, c'est ça.

Sasuke enfonça la lettre au fond de la poche de son short. La logique aurait voulu qu'il la brûle, elle, et tout son contenu qui remettait en cause le serment qu'Itachi, Naruto et lui avaient fait ce matin-là. Son ami avait écrit des aveux que n'importe quel surveillant pénitentiaire aurait pu lire et les conséquences auraient pu être dramatiques. Spécialement pour son frère, qui purgeait la peine qui aurait dû leur être destinée.

Sasuke aurait dû brûler cette lettre et pourtant, il en avait été incapable. Naruto semblait rongé par la culpabilité, ne faisant qu'augmenter la sienne. Lui non plus, n'avait jamais oublié ni le visage tuméfié de son père, ni ses yeux vitreux restés inanimés sur le plafond décrépit.

Depuis ce jour, Sasuke avait freiné ses passages à Konoha. Parce que monter les escaliers de la tour B et atteindre le septième palier faisait constamment remonter le souvenir du sang qui se répandait sur les marches immaculées. Alors il fuyait, profitant de sa rentrée à l'université quelques mois plus tôt pour limiter ses passages dans sa ville natale. Au grand chagrin de sa mère, épouse fraîchement veuve et mère éplorée d'un fils en prison. C'était devenu difficile de rester près d'elle. Et à cet âge-là, Sasuke n'avait pas encore compris combien elle avait pu souffrir de sa solitude.

- T'es sûr que ça va ? demanda Sasori, ses yeux verts tentant de sonder les siens. On dirait presque que tu as vu un fantôme !

- Ça va, grommela-t-il. Qu'est-ce que tu veux ?

A l'université de Suna, personne n'avait jamais entendu parler du meurtre de Fugaku Uchiwa. Alors pour se préserver, Sasuke n'avait jamais attiré la lumière sur cette histoire. Alors il ne parlait jamais ni de sa vie passée, ni même de Naruto.

Surtout pas de Naruto. Parce que son souvenir demeurait intact dans l'intimité de ses pensées.

- T'es prêt ? continua son ami. C'est aujourd'hui que le nouveau coach arrive.

Sasuke hocha la tête, délaissant le bout de papier au fond de sa poche. Alors il attrapa son sac de sport posé au pied du banc et se leva machinalement, emboîtant le pas à son ami. Et celui-ci ne posa pas davantage de questions.

Ils s'étaient rencontrés au club de boxe de l'université, sympathisant sur le ring lors des entraînements, malgré leur différence d'âge. Sasori était en dernière année, tandis que lui venait seulement de s'installer sur le campus. Il était rapidement devenu un ami. Le seul avec qui il appréciait de passer du temps. Parce qu'il n'était pas trop intrusif. Parce que c'était simple, avec lui, de penser à autre chose que tous ces lugubres souvenirs qu'il avait laissés à Konoha.

- C'est pas le jour pour être en retard, lui intima Sasori tandis qu'ils traversaient la cour pavée qui menait au gymnase. Il paraît que c'est un ancien champion en poids mi-lourds. C'est incroyable.

Sasuke opina de la tête, les pensées à mille lieux de là alors qu'ils franchissaient les portes du gymnase pour rejoindre leurs camarades. La lettre de Naruto le hantait, incapable de se concentrer sur autre chose que sur cet ami qui avait été prêt à commettre le pire juste pour lui sauver la vie. Au manque qu'il ressentait depuis maintenant plusieurs mois. A la culpabilité, aussi, qui le rongeait chaque jour depuis qu'il avait été emmené en maison de correction.

Naruto avait été son salut et Itachi, leur sauveur. Lui n'avait été qu'une victime, coupable du déclin des deux autres. Et c'était sa sentence à lui, pour n'avoir pas su se protéger tout seul. Pour avoir laisser les autres tomber à sa place. Il devrait à jamais composer avec cette culpabilité inexpugnable. Et continuer de vivre, pour ceux qui s'étaient sacrifiés pour lui.

Il salua quelques camarades dans les vestiaires en enfilant les bandes autour de ses poignets avant de rejoindre Sasori avec qui il s'entraîna en attendant le coach. Coach qui se fit longuement attendre, faisant élever le mécontentement des élèves autour du ring, pressés de découvrir cet ex-champion dont on leur avait tant fait la publicité. Puis enfin, après une éternité d'attente, la porte du gymnase s'ouvrit, laissant la silhouette du désiré apparaître dans le contre-jour. Sasuke s'arrêta en même temps que ses camarades, tournant la tête vers le nouvel arrivant, les yeux plissés.

- Bonjour à tous ! cria l'homme depuis l'entrée alors qu'il s'avançait le pas nonchalant vers eux. Désolé pour mon retard.

Le mécontentement des élèves passa comme un long murmure depuis les quatre coins du gymnase. Mais la hâte de découvrir cet ancien champion était si forte, que tous se turent lorsqu'enfin, son visage fut à la lumière de tous. Puis il y eut un tonnerre d'applaudissements, encouragés par les sifflements de certains, excités d'avoir devant eux le grand Kakashi Hatake, autrefois l'une des plus grandes figures de la boxe qu'ils avaient probablement tous idolâtrés dans leur enfance.

Tous, comme Sasuke, à l'époque. Cette époque où les mains de ce monstre n'avaient pas encore touché son corps d'enfant.

- Attention !

Les gants en l'air, Sasuke avait baissé sa garde et malgré son avertissement, Sasori n'avait pas su retenir son coup et son poing s'écrasa dans le visage du plus jeune. La douleur fut vive et il tomba au sol

- Merde, Sasuke, ça va ?

Sasori s'était précipité au-dessus de lui, le front ridé, soucieux de lui avoir fait mal. Mais Sasuke voyait les étoiles, sonné par le coup, abasourdi par le choc de revoir cet homme que sa mémoire avait pourtant si longtemps enterré. Il retira machinalement son protège-dents et cracha un mollard de sang sur le ring, gêné par le goût de fer qui ruisselait sur ses gencives.

- Ça va, t'inquiète pas.

Sasori l'aida à se remettre debout et il tituba un instant, écrasé par les souvenirs de son passé qui s'entrechoquaient violemment dans sa tête.

- Excuse-moi, Sasuke, j'avais pas vu que tu avais baissé ta garde. J'ai pas pu contrôler mon coup.

Sasuke ne lui jeta qu'un regard en biais, focalisant son attention sur le nouveau coach sorti tout droit de son passé. Celui-ci qui, attiré par l'agitation, arriva en petites foulées vers eux. Leurs yeux se croisèrent un instant et il ne fallut pas moins d'une seconde pour sentir de nouveau son corps d'adulte contre le sien. Pour revivre le souvenir de cette nuit-là, où l'innocence de son enfance s'était brisée en des milliers de morceaux qu'il n'arriva jamais à recoller. Parce qu'il n'avait jamais rien pu dire, les lèvres à jamais scellées par la honte dévorante d'avoir été violé.

Alors lorsque l'homme arriva à sa hauteur, Sasuke fut secoué par un haut le cœur et il vomit aux pieds de Kakashi Hatake sous les râles de dégoût de ses camarades.

- Il faut l'emmener à l'infirmerie, ordonna le coach. Eh, ça va, petit ?

Trop faible pour se redresser, Sasuke garda la tête bêche et l'homme lui saisit le bras pour l'aider à se redresser. Mais le plus jeune fut brûlé par ce contact qui transperça sa peau jusqu'à toucher son âme d'un violent coup de fer rouge.

- Ne me touchez pas !

Hatake Kakashi resta un instant dans l'incompréhension avant de saisir plus fort le bras du garçon pour l'aider à se remettre sur pieds. L'horreur remua une nouvelle fois Sasuke et pris par un sentiment de panique, il se recula vivement.

- NE ME TOUCHEZ PAS !

Son regard fou foudroyait le coach et il passa un instant de latence. Comme un temps mort qui figea un instant toute vie aux alentours. Un moment si long que Sasuke se souvenait encore avec exactitude de l'instant même où il le reconnut.

- Sasuke ?

Il y eut des murmures dans l'attroupement d'élèves qui s'était formé au pied du ring. L'homme plus ridé qu'autrefois le dévisageait, à la fois surpris de retrouver l'enfant brisé qu'il avait laissé derrière lui bien des années plus tôt.

Possiblement apeuré de voir ses déviances exposées au grand jour.

Mais Hatake Kakashi sembla se reprendre, faisant preuve d'un sang froid qui répugna Sasuke.

- Toi, là, dit-il en s'adressant à celui qui avait mis le coup. C'est quoi ton nom ?

Sasori passa une main dans le dos de Sasuke qui le repoussa comme s'il avait été sauvage.

- Sasori Akasuna, monsieur.

Le coach passa une main à l'arrière de ses cheveux. Puis ses yeux croisèrent à nouveau ceux emplis de haine de Sasuke. L'échange fut bref, puisque l'homme reporta à nouveau son attention sur Sasori pour ne pas perdre la face.

- Emmène le petit à l'infirmerie, tu veux ? On va commencer le cours.

Sasori hocha la tête, son regard inquiet cherchant frénétiquement celui de Sasuke.

- Bien, monsieur.

Le coach s'éloigna, les épaules droites et pourtant, Sasuke fut certain de reconnaître une démarche mal assurée. Mais vidé de son énergie, il manqua de retomber au sol, rattrapé de justesse par son ami qui le traîna tant bien que mal hors du gymnase.

L'air frais lui permis de prendre une grande inspiration, comme s'il en avait été incapable depuis l'arrivée du coach. A nouveau, Sasori grimaça, soucieux.

- Je t'ai pas raté, bon sang. Est-ce que ça va ?

Sasuke s'accrocha désespérément à son épaule, affaibli et sonné par toutes ces images du passé. Lui aussi, devait faire preuve de sang-froid, sous réserve de voir son pire secret révélé au grand jour. C'était impensable, pour lui qui s'était promis, enfant, de ne jamais parler de ça. De ne plus jamais se laisser atteindre par ce qu'il avait mis des années à ensevelir.

Alors il prit une nouvelle inspiration pour tenter de calmer tous ses organes qui s'étaient emballés avec violence.

- Ça va. J'ai été surpris, c'est tout. Ne t'inquiète pas.

Mais son visage devait probablement être livide, parce que Sasori ne sembla pas être réconforté alors qu'ils traversaient la cour pavée pour rejoindre l'infirmerie. Au moins, Sasuke fut rassuré de ne pas l'entendre poser de questions, pas même sur sa réaction excessive devant le nouveau coach.

Lorsqu'il fut enfin couché dans l'un des lits sous la surveillance de l'infirmière, Sasuke se roula en boule sous le drap, serrant fermement la lettre froissée de Naruto entre ses doigts crispés, fantasmant la présence rassurante de son ami à ses côtés. Mais les nuits qui suivirent furent solitaires et plus noires encore que si toutes lumières avaient définitivement disparues de son être.

Le cœur froid de solitude, Sasuke se fit la promesse de s'en sortir et que jamais plus il ne deviendrait la victime d'un autre bourreau. Qu'à partir d'aujourd'hui, il serait capable de se relever seul sans jamais impliquer à nouveau ceux qui, comme Naruto et son frère, s'étaient sacrifiés pour qu'il puisse se défaire de ses peurs.


Sasuke avait profité de son état de santé pour se faire prescrire des médicaments pour combattre l'anxiété. Il avait été arrêté jusqu'à la semaine suivante, échappant aux cours et à la boxe, à laquelle il pensa longuement ne plus jamais remettre les pieds. A abandonner son rêve et celui de Naruto de devenir un jour de grands champions. Il se força alors à l'exil dans sa chambre d'étudiant, dont son colocataire était souvent absent. Pour réfléchir et panser ses plaies.

Ce fut Sasori qui le sortit de sa torpeur le dimanche soir, tambourinant à sa porte de chambre, inquiet de ne pas le voir remonter sur le ring. Il le força à le suivre jusqu'au gymnase -chemin sur lequel Sasuke manqua de vomir une nouvelle fois- pour le faire reprendre l'entraînement. Et peut-être aussi pour le faire parler de cet état de panique qui n'avait pas manqué de faire jaser ses camarades.

- Il y a un problème avec le nouveau coach ? demanda Sasori, attrapant le gant de Sasuke pour lui faire baisser le poing. T'as agis bizarrement, l'autre jour.

Sasuke tiqua, agacé d'en reparler puis se dégagea de l'emprise de son ami. C'était une épreuve pour lui, de tenir debout sur ce ring ce soir. Pourtant très vite, sa passion pour la boxe sembla faire rayonner à nouveau une faible lueur en lui. Une lueur qu'il décida d'attiser, pour ne pas se laisser sombrer. Alors il frappa, encore et encore, comme pour évacuer les ténèbres qui encerclaient son cœur.

- Aucun problème, répondit-il en assénant un nouveau coup. Rien qui ne vaille la peine d'être évoqué.

Sasori n'eut aucun mal à esquiver son poing pour en rengainer un nouveau. Ses cheveux roux collaient à son front de sueur et Sasuke l'attaqua de nouveaux gestes comme s'il avait été un ennemi.

- Mais tu le connais, Hatake ?

Par-dessus sa protection, Sasuke serra les dents. Il ne voulait pas parler de cet homme qui avait brisé sa vie et qui pourrait tout aussi bien briser ses rêves. L'abandon serait peut-être un choix sensé, finalement ; s'il fallait compter que sa carrière ne tenait qu'à ce type monstrueux engagé pour lui donner des cours.

- Un ami de mon père, maugréa-t-il en relevant sa garde. Un souvenir du passé.

Sasori l'attaqua à plusieurs reprises, et après plusieurs jours sans pratiquer, Sasuke sentit qu'il manquait d'entraînement. La peur de revenir dans ce gymnase lui liait les poings, alourdissant chacun de ses pas sur le ring jusqu'à le rendre paralysé.

- T'es pas comme d'habitude ! se plaignit le rouquin. Qu'est-ce qui t'arrive ?

Mais Sasuke refusa de répondre, tentant de se concentrer sur le combat : en vain. Il ne fallut qu'une ruse pour lui faire prendre un nouveau coup au visage et il recula d'un pas, légèrement sonné. Sa rage n'était pas suffisante pour le faire combattre correctement. Il lui faudrait probablement bien plus qu'un entraînement pour le remettre suffisamment d'aplomb.

Pourtant, Sasuke s'acharna à reprendre le combat.

- Rien ! répondit-il dans un nouveau coup. Mais je ne suis pas certain de reprendre la boxe.

Au loin, la porte du gymnase s'ouvrit mais ils n'y firent pas vraiment attention.

Sasori eut l'air surpris et Sasuke en profita pour lui porter un coup qui lui permit de reprendre l'ascendant dans le combat. Le niveau fut relevé et tous deux eurent l'air satisfaits de la tournure.

- Quoi ? Mais t'as le niveau pour passer pro ! Qu'est-ce que tu racontes !?

Mais Sasuke resta muet un instant. Comment pourrait-il pratiquer dans un club régi par le bourreau de son enfance ?

- Ce sont mes affaires, ok ? Ne te mêle pas de ça.

Il y avait d'autres possibilités. Et même si elles étaient encore floues, Sasuke se devait de les chercher. Il ne pouvait pas abandonner la boxe. Et même si le club universitaire était probablement sa meilleure chance d'espérer toucher un jour son rêve du bout des doigts, il n'en demeurait pas moins impossible d'être coaché par Hatake Kakashi.

- C'est sérieux, Sasuke ? Tu ne peux pas abandonner !

Le plus jeune leva les yeux au ciel et dans un excès de colère, il repoussa Sasori par les épaules pour le faire taire. Ce geste n'avait rien à faire au milieu d'un combat et son ami rouquin sembla comprendre le message. Et bien qu'il en fut vexé, ils continuèrent le combat sans se laisser de répit. Et Sasuke apprécia de mettre son corps à rude épreuve après plus d'une semaine de repos.

Mais c'était sans compter sur Sasori qui, ce soir, semblait vouloir le pousser à bout. Pour tenter de le faire sortir de son mutisme et à nouveau, celui-ci revint à la charge. Il le repoussa à son tour par les épaules et Sasuke fut retenu in-extremis par les cordes qui délimitaient le ring.

Alors il fronça les sourcils.

- Qu'est-ce qui te prend !?

Le débardeur noir du roux contrastait avec sa peau blanchâtre, encerclant la musculature développée qu'il entretenait depuis plusieurs années et, le regard colérique, Sasuke le regarda prendre de profondes respirations.

- Ne gâche pas ton talent, espèce d'idiot ! Combien de mecs seraient prêts à payer pour être à ta place ?

Sasori était un môme de quartier, lui aussi. Un môme qui avait appris à se canaliser via la boxe et qui vouait littéralement un culte à cette discipline. Mais malgré son amour et sa dévotion pour ce sport qu'il pratiquait lui aussi depuis toujours, lui n'avait probablement pas un tiers de son talent. Il était bon, suffisamment pour être un adversaire agréable à affronter… mais pas suffisamment pour être un rival que Sasuke pourrait totalement estimer.

- Si seulement je pouvais être à ta place… grogna Sasori et ses yeux colériques acculèrent les siens. Putain, si j'avais ton talent, jamais je ne laisserais passer ma chance !

- Ça ne te regarde pas !

Sasori lui cogna l'épaule, repoussant à nouveau Sasuke contre les cordes.

- Bien-sûr que si, ça me regarde ! Et ça regarde tous ceux qui comme moi ne pourront jamais atteindre un niveau professionnel !

A nouveau, Sasuke fronça les sourcils et il allait répondre avec véhémence lorsqu'une voix en contrebas du ring les surprit tous les deux.

- Il a raison, Sasuke. Tu ne peux pas abandonner.

Le nommé avait fait volte-face, la voix de Hatake Kakashi déclenchant son instinct de survie sans qu'il ne puisse seulement tenter de le contrôler. Le coach se tenait nonchalamment sur l'un des piliers qui soutenaient le ring, le regard rivé sur lui.

Il y eut un silence, durant lequel Sasuke sentit ses jambes manquer de force. Et le moment fut suffisamment étrange pour que le regard dur de Sasori ne devienne soucieux.

- Qu'est-ce que vous faites là, coach ? demanda Sasori en enlevant ses gants. On a le droit d'utiliser le gymnase en dehors des cours.

Le rouquin semblait méfiant et Sasuke le remercia d'être capable de garder la face. Pourtant, Kakashi haussa une épaule, mains dans les poches.

- Je voulais toucher un mot à Sasuke avant la reprise des cours.

Celui-ci frémit, paralysé par la simple présence de l'homme. Il y eut un nouveau silence, et contre toute attente, ce fut Sasori qui le coupa le premier. Il avança d'un pas pour s'interposer, laissant à Sasuke la sensation d'être protégé derrière ses épaules. Alors il observa la scène depuis l'arrière, tétanisé comme s'il avait treize ans à nouveau.

- Et qu'est-ce que vous lui voulez, à Sasuke ?

- Ça ne regarde que lui et moi, répondit Kakashi, détendu. Rien que lui et moi.

Sasuke était si contracté qu'il lui sembla difficile de respirer et il apprécia de voir Sasori se mettre entre eux, comme si son corps pouvait faire office de barrière. Celui-ci tourna légèrement la tête vers lui, pour chuchoter par-dessus son épaule :

- Tu veux que je reste ?

Sasuke fut étonné que son regard apeuré ne le trahisse pas. Mais il pinça les lèvres, pour tenter de se reprendre. Pour garder la face, parce qu'il s'était fait une promesse. Parce qu'il était un adulte aujourd'hui, et qu'il était peut-être grand temps de chasser le dernier monstre de son enfance.

- Je vais gérer ça tout seul, répondit-il. Merci, Sasori.

Sa voix tremblante n'eut rien de très assurée et son ami eut l'air d'hésiter. Mais Sasuke insista d'un rictus qu'il voulut rassurant.

- Je t'attends devant le gymnase.

Cela n'avait rien d'une interrogation et Sasuke opina machinalement de la tête, échangeant un dernier regard avec ce nouvel ami qui avait su jauger du danger imminent. Puis le rouquin sauta du ring pour quitter le gymnase, sac de sport sur l'épaule et clope au bec, bien décidé à rester dans les parages jusqu'à la fin de cet entretien inopportun.

Et à le voir ainsi de dos, l'image furtive de Naruto se superposa à celle de Sasori.

Le silence régna un instant dans le gymnase et Sasuke regagna le regard de Kakashi Hatake.

- J'ai appris pour ton père, commença-t-il en s'avançant pour monter sur le ring. J'ai été désolé d'apprendre sa mort.

L'instinct de survie fit reculer Sasuke lorsque l'homme approcha d'un pas.

- Et désolé d'apprendre que c'est Itachi, qui a commis ce crime. C'est une tragédie.

Le plus jeune serra les poings au fond de ses gants, tendu au possible d'être si proche de celui qui avait volé sa dernière lueur d'innocence. Et parce qu'il était un combattant émérite, Sasuke savait bien qu'attaquer serait probablement sa meilleure défense.

- Vous n'avez pas été désolé de violer son fils, pourtant.

La pomme d'Adam roula le long de la gorge du coach, et le silence devint plus oppressant. Le gymnase était immense, pourtant Sasuke eut la désagréable sensation d'être happé par la présence étouffante de l'homme. Celui-ci avança d'un pas, et lui recula à nouveau jusqu'à se faire coincer à nouveau par les cordes.

- Je ne suis plus un gamin. Si vous approchez, je…

- Je suis désolé pour ça, Sasuke, coupa le coach, son regard flegme posé dans le sien. Et je ne t'ai pas…

L'hésitation déforma le visage balafré du coach.

- Je ne t'ai pas violé… chuchota l'homme, comme s'ils pouvaient être entendus. Je… C'est pas ce que je voulais, je…

L'homme cherchait ses mots et Sasuke sentit une violente décharge de haine le submerger.

- Je m'en suis voulu toute ma vie, tu sais. Je…

Silence. Et son air profondément désolé termina de répugner Sasuke qui enleva ses gants pour les laisser tomber aux pieds du coach.

- Vous, quoi ? Vous pensiez qu'un gamin pouvait être consentant, peut-être ?

Kakashi Hatake s'était stoppé au bord du ring, ses doigts triturant les cordes comme elles avaient trituré son corps de gosse des années auparavant.

- Non ! Bien-sûr que non ! se défendit-il, le visage pincé. J'avais trop bu et je…

Sasuke eut un rire dédaigneux.

- L'alcool, évidement.

Il se décolla des cordes dans l'idée de sortir du ring mais Kakashi s'avança vers lui à grandes foulées pour le rattraper, lui happant l'épaule.

- Attends, Sasuke !

L'horreur saisit à nouveau Sasuke qui réagit au quart de tour pour faire une clé de bras à son assaillant et un plaisir malsain l'envahit en voyant grimacer son bourreau de douleur. Alors il resserra sa prise pour mettre l'homme à genoux dans un cri animal.

Lorsque leurs yeux se croisèrent à nouveau, les rôles avaient été inversés. Cette fois-ci, c'était lui, le bourreau. Et c'était un sentiment de puissance dont il avait manqué toute sa vie.

Alors Sasuke le jaugea de haut.

- Ne me touchez pas. Plus jamais. Ou je ruinerais votre carrière.

L'homme resta immobile, le bras tordu par son élève.

- Tu es doué, voulut rattraper l'homme. Je t'ai vu t'entraîner tout à l'heure. Et ton ami a raison, tu as du talent. Ne le gâche pas.

- Je ne comptais pas le gâcher avant de vous voir enseigner ici, cracha-t-il. Il est hors de question que vous m'entraîniez.

Mais le coach n'avait pas dit son dernier mot et il tenta de dégager son bras maladroitement. Sasuke raffermit une nouvelle fois sa prise, contrôlé par ce flux meurtrier qui dévalait ses veines. C'était à la fois puissant et excitant, comme si l'enfant souillé de treize ans avait attendu cet instant tout au long de sa vie.

- Je peux faire de toi un champion, Sasuke.

Celui-ci ne faiblit pas, appréciant d'être, pour une fois, celui qui maîtrisait la situation. Pour que plus jamais, il ne soit une victime.

- Tu as les capacités, continua Kakashi, les lèvres tordues de douleur. Je sais reconnaître un potentiel quand j'en vois un.

- Et pourquoi j'accepterai ?

Une goute de sueur dévala la tempe du coach.

- Parce que je suis le meilleur entraîneur du pays et que…

Kakashi se tint le bras pour soulager la pression exercée.

- Et que j'ai des contacts. Je peux te dégoter ton premier contrat, si tu t'entraînes assidument.

Sasuke railla entre ses dents, le regard meurtrier.

- Si j'accepte de garder le silence, c'est ça ?

L'autre soutint son regard, ne faisant qu'accroître le dégoût de l'adolescent.

- C'est ça, oui.

La porte du gymnase se rouvrit sur Sasori, et d'instinct, Sasuke relâcha le bras du coach. Mais même de loin, le visage suspicieux du rouquin leur parvint à tous les deux.

- Est-ce que ça va, là-dedans ?

Sasori s'était affalé nonchalamment contre la porte du gymnase, attendant fermement son ami, conscient qu'il se tramait ici quelque-chose qui le dépassait.

- On en a fini, répondit Sasuke en ramassant ses gants. C'est la dernière fois que je mets les pieds ici.

Il s'avança d'un pas, mais la voix de Kakashi le stoppa :

- Tu devrais y penser. Je suis ta seule chance de passer professionnel.

Sasuke lui jeta un regard empli de ressentiments, et cracha de dégoût aux pieds de l'homme. Puis il sauta du ring sans demander son reste et s'avança vers son ami qui faisait le guet.

- Tout va bien ?

Il échangea un regard avec Sasori et sentit à quel point il pouvait être impliqué dans cette situation qui ne le concernait pas. A quel point il pourrait devenir un ami de confiance, comme l'avait été Naruto durant toutes ces années.

- C'est réglé, merci Sasori.

Et s'il ne voulut pas faiblir devant les autres, Sasuke fut portant obligé de prendre un médicament pour calmer son anxiété. Seul dans sa chambre d'étudiant, il tourna et se retourna entre ses draps, les pensées obsédées par cette proposition indécente qui pourrait bien changer le cours de sa vie. Qui pourrait, dans un avenir proche, l'extirper de cet état de victimisation dans lequel il se sentait plongé depuis sa tendre enfance.


- Et t'as fini par accepter, c'est ça ?

Sasuke hocha lentement la tête, jugé par la clarté des yeux de Naruto. Ils s'étaient mis à l'abri, dans leur ancienne salle de boxe du quartier où Naruto entraînait encore les gosses de la cité. Tout se terminerait probablement juste là, assis sur le bord du ring où tout avait commencé près de trente ans plus tôt.

- J'ai accepté plusieurs mois plus tard, oui.

Les yeux accusateurs ne le lâchèrent pas et Sasuke eut la désagréable sensation d'assister à un procès bien pire que celui auquel il devait faire face actuellement. Naruto était le miroir de son âme et son jugement le heurta plus qu'il ne l'aurait voulu.

- Je ne comprends pas.

Naruto était sur la défensive depuis leur altercation, juste un peu plus tôt dans la soirée. Et même s'il avait accepté de l'écouter, Sasuke marchait sur des œufs. Parce que peu importe leurs disputes, peu importe les années d'absence : son ami n'avait jamais remis en cause la force du lien qui les unissait. Jamais. Jusqu'à ce soir.

- Je ne comprends pas, Sasuke, sévit Naruto, condamnant son ami d'un ton implacable. Quelle putain de raison tordue a bien pu te faire accepter une telle proposition, hein ?

Révéler devant un tribunal entier ce qu'il avait toujours gardé pour lui avait profondément ébranlé Sasuke. Davantage que parmi l'assistance, il avait fallu composer silencieusement avec les regards meurtris de Naruto et Itachi. De ces deux hommes sans qui il ne serait probablement plus en vie aujourd'hui.

Ainsi affaibli, soutenir le regard de Naruto à cet instant lui sembla être l'une des pires épreuves de sa vie.

- C'était la seule façon d'espérer sortir de l'enfer dans lequel j'avais plongé, à l'époque. Je n'ai pas trouvé d'autres solutions. Il fallait que je survive.

Les sourcils blonds se froncèrent.

- Que tu survives ?

Il y eut un silence, laissant planer un nouveau jugement.

- On s'est mis ensemble dès que je suis sorti de la maison de correction, Sasuke. J'étais là. Et tu sais combien j'aurai pu donner ma vie pour te sortir de n'importe quel enfer.

- C'était justement pour ne pas t'emmener dans le gouffre avec moi, répondit durement Sasuke, révolté par des accusations restées entre eux toutes ces années. C'est parce que j'étais amoureux de toi, que j'ai décidé de partir.

Naruto resta idiot un moment. Sasuke n'avait jamais été bavard sur ses sentiments et en trente ans, c'était seulement la deuxième fois qu'il avouait avoir éprouvé de l'amour. Et il savait que son incapacité à parler de la profondeur de ce sentiment avait fini par étioler son lien avec Naruto.

Pourtant, son ami d'enfance eut un hoquet dédaigneux lorsque la surprise fut passée.

- Tu dis que tu m'as laissé derrière toutes ces années pour me protéger, c'est ça ?

Un rire désabusé souleva la poitrine de Naruto.

- Tu te fous de ma gueule ? Il t'aura fallu, quoi ? Vingt-cinq ans pour me trouver une excuse aussi minable ?

Sasuke accusa une nouvelle fois le coup. Il savait qu'il méritait tous ces reproches et il n'essayait pas de se dédouaner. Ni d'avoir fui, ni même d'avoir brisé à plusieurs reprises le cœur du seul homme qu'il n'ait jamais aimé.

Il méritait d'être mis face à ses responsabilités. D'être traité comme l'égoïste qu'il avait toujours été. La priorité de convaincre Naruto à s'enfuir ce soir était bien plus importante que le vieil égo blessé qu'il avait traîné toutes ces années.

- J'étais en train de crever à petits feux et j'aurai fini par te faire sombrer, toi aussi.

Mais Naruto ne semblait pas convaincu et il le vit lever les yeux au ciel.

- Honnêtement, je crois qu'on a fait le tour, souffla-t-il en retrouvant son regard. Je me suis accroché durant des années au fantasme d'une relation qui jamais ne s'essoufflerait. Mais j'ai été idiot de croire que toi aussi, de ton côté, tu chérissais ce lien. Ça fait mal de se rendre compte que j'ai été le seul à avoir suffisamment de foi pour être certain que la vie finirait toujours par nous rapprocher.

Sasuke encaissa silencieusement ce que son ami avait gardé pour lui toutes ces années.

- Finalement, je me rends compte que ce lien, notre lien, n'avait rien de plus extraordinaire qu'un mélange d'amitié et d'amour. Que comme tous les autres liens ordinaires, il avait besoin d'être entretenu. Et que chaque absence n'a fait que le détériorer un peu plus.

Sasuke pinça les lèvres, le cœur serré.

- Tu as raison, répondit-il, désormais incapable de soutenir son regard. C'était une erreur de croire qu'il n'aurait pas besoin d'être nourri. Mais Naruto…

Celui-ci avait plongé ses yeux céruléens au fond de l'abysse, à la place exacte où ils auraient dû se trouver ces trente dernières années.

- Tu te trompes, si tu penses que j'ai cessé un jour de croire en notre lien. Chaque moment de ma vie n'a fait que tourner autour de toi, toutes ces années. Peu importe la distance ou les absences. Tu as toujours été l'élément central autour duquel gravitait ma vie. Inlassablement. Volontairement ou non. C'était toi. Et ça a toujours été toi.

Il vit Naruto déglutir, déstabilisé d'entendre ces paroles qu'il avait probablement toujours espéré recevoir. Puis il remarqua ce changement infime sur son visage. Changement qu'il était probablement la seule personne sur cette Terre à pouvoir déceler. Parce qu'il l'avait aimé si profondément qu'il le connaissait par coeur. Parce qu'il avait observé son visage si longtemps qu'il aurait pu le redessiner les yeux fermés.

Et ce changement, si infime soit-il, lui indiquait que Naruto n'était plus tellement sur la défensive. Que son discours avait réussi à les toucher, lui et ce qui restait de leur lien.

- Et… qu'est-ce que c'était, cet enfer duquel je n'aurais pas pu t'extirper ?

Sasuke passa d'une pupille à l'autre, rassuré d'avoir évité le pire. Tout n'était pas encore perdu.


Novembre 2000

Un baiser au coin des lèvres. Une caresse langoureuse sur le flan. Sasuke papillonna des cils, entremêlant le noir à ceux si blonds qui entouraient les yeux si purs de son petit-ami. Naruto sourit entre leurs lèvres, embrasant le cœur de son amant. Ils étaient en sécurité, ainsi cachés sous les couvertures protectrices du petit lit de l'Uzumaki. C'était leur cocon de sérénité, là où personne ne pouvait les atteindre. Et cela avait toujours été le cas, dans ce matelas qui l'avait abrité des colères de Fugaku, à l'époque.

Allongé sur le dos, Naruto le ramena davantage contre lui, accentuant ce sentiment réconfortant de sentir leur peau nue l'une contre l'autre. C'était chaud et tendre, juste comme une petite bulle d'intimité que Sasuke n'aurait à ce moment-là voulu quitter pour rien au monde.

- A quoi tu penses ? murmura Sasuke.

Leurs yeux se rejoignirent dans la semi-pénombre. La veilleuse sur le bureau de la petite chambre émettait encore une faible lueur, malgré l'heure tardive. Ils avaient fait l'amour silencieusement, pour ne pas réveiller les parents Uzumaki. Pour se choyer, le peu de temps qu'il leur était accordé.

- C'est rien, le rassura son petit-ami. Essaie de t'endormir.

Il demeurait une tendresse infinie dans les yeux de Naruto. Ils s'étaient mis ensemble après son retour de la maison de correction, un mois plus tôt, parce que cela avait été une évidence. Et depuis, son petit-ami le couvait d'une douceur que Sasuke n'avait jamais connue.

C'était différent d'un amour maternel ou de ce lien étroit qu'il avait toujours partagé avec son frère. C'était Naruto. C'était cette amitié évidente devenue plus intense encore. Plus haute. Plus forte. Si bien qu'il ne savait pas réellement comment décrire ce sentiment trop puissant pour être quantifié.

- Dis-moi, insista-t-il.

Les yeux de Naruto devinrent rieurs, malgré la fatigue qui gonflait ses paupières.

- T'es vachement curieux, en fait.

Son sourire devint taquin et Sasuke se sentit tout chose entre ses bras. Quel était ce sentiment à la fois si doux et si puissant qui réchauffait sa poitrine à cet instant ? Il n'avait jamais connu ça. Pas une fois, et surtout pas avec une telle intensité. C'était si fort que Sasuke avait la sensation que son cœur était sur le point d'exploser.

Naruto se pencha pour lui donner un chaste baiser et lorsque leurs yeux se retrouvèrent, son regard avait changé. Plus incertain, mais tout aussi doux.

- Je pensais… à ton père, à vrai dire.

Sasuke se figea et il sentit son petit-ami hésiter à poursuivre.

- J'y pense tout le temps, en réalité. Je…

Naruto s'échappa de leur contact visuel et, le cœur serré, Sasuke lui attrapa doucement le menton pour le faire revenir à lui.

- Raconte-moi.

En voulant s'échapper, les yeux de Naruto s'étaient humidifiés et Sasuke eut la sensation de mourir de l'intérieur.

- Je… C'est idiot, mais…

Le blond se racla la gorge pour chasser le vilain sanglot qui s'y était logé. Par égard pour lui, Sasuke fit comme s'il n'avait pas entendu le serrement dans sa voix.

- Je n'arrive pas à oublier… ce que j'ai fait.

Sasuke demeura silencieux. Lui non plus, n'avait pas oublié.

- Et j'ai l'intuition que je n'oublierai jamais.

Il vit Naruto soulever ses mains pour les regarder sous les draps comme si elles étaient à jamais tâchées du sang de Fugaku. Sasuke attrapa l'une d'elle pour la serrer dans la sienne. Et sa chaleur rattrapa l'attention de son petit-ami sur lui.

- Je suis désolé que tu aies à vivre une telle culpabilité.

Sasuke aurait aimé être davantage rassurant. Mais comme tout ce qui concernait l'accident de Fugaku, il fut incapable de s'étendre sur ce qu'il ressentait lui-même. Parce que la culpabilité de Naruto était un miroir de la sienne et qu'il avait beaucoup de mal à composer avec. C'était incompréhensible pour lui de ressentir une telle chose pour son père. Ça ressemblait à s'y méprendre à une variante du syndrome de Stockholm et pourtant, Sasuke était incapable d'accepter sa mort.

Il ne regrettait évidemment pas les coups ni les humiliations. Pas même cette peur indicible dans laquelle il avait grandi. Mais il ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable lui aussi d'avoir ôté la vie d'un homme. De son père, de surcroit, peu importe l'homme immonde qu'il avait été de son vivant. Et c'était davantage intolérable que ce soit Naruto qui, pour toujours et à jamais, devrait composer avec sa conscience.

- Je voudrais être capable de prendre ta douleur, Naruto.

Naruto resserra ses doigts autour des siens. Il avait commencé à sombrer tranquillement, lui aussi réconforté par la chaleur de leur cocon.

- J'espère que tu n'as plus peur, maintenant.

Sasuke dut retenir cette vague d'émotions qui lui piqua la rétine. Naruto sombra définitivement dans un sommeil réparateur. Alors il observa son visage un long moment, incapable de s'endormir à son tour. Coupable d'avoir condamné son meilleur ami à une souffrance éternelle.

Son cœur empli de douceur quelques instants auparavant venait juste de se briser dans sa poitrine. Et ce fut la première fois que Sasuke comprit ce que c'était, ce sentiment si puissant qu'il ressentait. Ce même sentiment qui régulait ses humeurs en fonction de celles de Naruto et qui le blessait profondément d'être impuissant face à sa douleur.

L'amour. Le vrai. Le seul qu'il n'avait jusqu'alors jamais connu.

Et parce que cet amour était si puissant, Sasuke fut incapable de trouver le sommeil, le cœur en vrac d'être responsable du fantôme qui hanterait Naruto toute sa vie.

Alors il se leva silencieusement pour éteindre la veilleuse dans la petite chambre. Et dans la discrétion de la nuit, Sasuke avala un anxiolytique pour faire redescendre son stress. Puis un second, pour être certain que le premier agirait plus rapidement.

Et ce fut le début de cet enfer, duquel même Naruto n'aurait jamais pu l'extirper.


Sasuke se réveilla en sursaut, le corps couvert de sueur. Même la fraîche nuit d'automne n'avait su repousser ses mauvais rêves. C'était incessant, depuis son retour de Konoha. Chaque nuit, aussi courte soit-elle, était accompagnée de son lot de cauchemars. Du visage éteint de son père aux mains ensanglantées de Naruto. De ses yeux azurs emplis de larmes qui n'arrivaient plus à se débarrasser de leur culpabilité.

Sasuke souffla en se rallongeant comme un poids mort sur son matelas. Sa discussion avec Naruto avait éveillé en lui un cas de conscience si fort qu'il en avait perdu le sommeil. Aujourd'hui, les conséquences le dépassaient complètement.

Comment avait-il pu le rendre coupable d'une telle atrocité ? Cette question n'avait de cesse de hanter son esprit, sans pour autant jamais trouver de réponse. Et dans la noirceur de sa chambre d'étudiant, Sasuke en venait souvent à penser qu'il ne valait peut-être pas beaucoup mieux que Fugaku, finalement. Lui aussi, était devenu le monstre d'un autre.

Sasuke se leva silencieusement, prenant garde de ne pas réveiller son colocataire. Et pour faire taire ses pensées, il avala la moitié de la plaquette de ses médicaments. Pour faire lever le brouillard et espérer se rendormir d'un sommeil sans rêve.

Mais le brouillard dura bien trop longtemps et le lendemain, Sasuke fut incapable de se rendre à ses examens trimestriels. Alors il resta seul au fond de son lit, vide d'énergie et les pensées sombres. Pour les faire taire ? Il ne trouva qu'une seule solution et ainsi se referma sur lui le cercle vicieux de l'addiction.


Sasuke ne rentra à Konoha que pour les vacances de Noël, au grand damne de Naruto qui ne comprenait pas cette soudaine distance. Il avait espacé volontairement ses visites, bien incapable de se fustiger davantage de la culpabilité de son petit-ami. Il avait préféré le fuir, plutôt que d'affronter les conséquences de son manque de courage.

Toute sa vie, Sasuke n'avait été qu'un lâche. Face à Fugaku et Kakashi. Et même Naruto, maintenant. Le schéma se répétait inlassablement. Encore et encore. Et il prendrait probablement une nouvelle fois la poudre d'escampette s'il le pouvait. Mais comment éviter définitivement ce garçon qui faisait battre anormalement son cœur depuis leur enfance ? Comment rester si longtemps loin de lui, alors que son absence était aussi meurtrière que sa culpabilité ?

Sasuke ne trouvait pas de réponses à ses questions.

Naruto lui mit un coup de coude pour attirer son attention.

- Tu t'es ramolli, Sas'ke. Qu'est-ce qui t'arrive ?

Ils flânaient sur le sentier qui bordait la cité, sac de sport jeté sur l'épaule tandis qu'ils rentraient du club de boxe du quartier. Ils avaient combattu, comme une veille habitude depuis leur enfance. Mais cette fois-ci, Sasuke n'avait pas été à la hauteur. Lui qui avait toujours eu une longueur d'avance sur Naruto, s'était pourtant fait battre avec une facilité déconcertante.

- Je te l'ai dit : je n'ai pas pu m'entraîner depuis ma blessure.

Sasuke avait prétendu une blessure à l'épaule pour ne pas avoir à avouer qu'il avait simplement cessé de se rendre au club de boxe universitaire. Parce que si Naruto avait posé les bonnes questions, il serait probablement devenu trop difficile de lui mentir. Mais avouer cette honte qu'il traînait depuis ses treize ans était au-dessus de ses forces. Même à celui qui jamais ne le jugerait. Même à celui qui avait tout sacrifié pour sa sécurité.

Ce secret faisait partie de lui, comme incrusté profondément dans sa chair. Et il faudrait probablement qu'il meurt pour l'en extirper.

- Hm… Et au fait, tu fais le réveillon avec nous finalement ?

Le soleil d'hiver brillait dans les yeux clairs de Naruto ce matin-là.

- Je vais rester avec ma mère. Elle est fatiguée.

- On n'aura qu'à se voir après ?

Sasuke hocha la tête en signe d'approbation. Ils bifurquèrent pour entrer dans la tour B et Naruto l'entraîna dans une course à celui qui arriverait le plus vite sur le septième palier. Et malgré lui, l'Uchiwa se fit arracher un rire que seul son petit-ami était capable de lui tirer. Véritablement rouillé, l'autre le devança et il arriva bon dernier sur la dernière marche, essoufflé comme il l'avait rarement été.

Naruto éclata de rire en le voyant arriver et Sasuke maugréa dans sa barbe. Pourtant, l'autre ne lui parut jamais aussi beau que ce jour-là et il se laissa amadouer quand ses grandes mains vinrent se poser jalousement sur ses hanches.

- C'est pas la grande forme, hein, murmura Naruto, le visage proche du sien. Tu es sûr que tout va bien ?

L'hilarité avait laissé place à de l'inquiétude et Sasuke se sentit fondre sous son regard.

- Ne t'inquiète pas, Naruto.

Mais Naruto le connaissait mieux que personne et il était prêt à parier qu'il n'avait jamais cru à cette histoire de blessure.

Le blond lui sourit tendrement. Puis il scella leurs lèvres avec une douceur qui réchauffa le cœur de Sasuke. Le baiser éveilla leurs sens et il se sentit pousser vers le vieux mur décrépi du septième palier. Naruto le surplomba, laissant son corps plus imposant épouser le sien. C'était naturel, chaud et réconfortant. Même lorsque la langue humide de son petit-ami vint caresser la sienne. Même lorsque ses doigts curieux passèrent tendrement sous le tissu de son sweat.

Sasuke sentit une intense vague de chaleur l'envahir. Naruto recula un instant son visage. Ses yeux rieurs étaient devenus fiévreux et lui aurait aussi bien pu mourir sous son regard. Jamais il n'avait été désiré de la sorte auparavant. Jamais il ne s'était ainsi senti aimé. C'était pour ce regard, pour cet amour, que Sasuke était bien incapable de prendre ses distances. Même s'il souffrait de la culpabilité que lui infligeait sa présence.

- Naruto, je…

Sasuke faillit le dire. Sans pouvoir le contrôler, Sasuke manqua de lui dire combien il était amoureux de lui. A quel point son cœur battait fort dans sa poitrine en sa présence. A quel point il souffrait d'être devenu son bourreau. Mais la porte de l'appartement des Uzumaki s'ouvrit au même moment et ils sursautèrent tous les deux en s'éloignant instinctivement l'un de l'autre.

- Uzumaki Naruto, gronda sa mère, tablier autour de la taille. Je viens de recevoir ton bulletin de notes. Tu peux m'expliquer ce que veut dire ton professeur d'histoire quand il dit, et je cite : « Naruto est probablement un élève intelligent, si seulement j'avais l'honneur de le rencontrer. » ?

Les mains de Naruto avaient quitté sa taille à une vitesse précipitée. Kushina savait qu'ils étaient ensemble, pourtant, ils demeuraient tous deux des adolescents timides.

- Mais m'man…

Naruto n'eut pas le loisir d'essayer de se défendre. Kushina était si en colère que ses cheveux roux semblaient s'être dressés au-dessus de sa tête et Sasuke camoufla un sourire moqueur de voir son petit-ami se faire enguirlander par sa mère.

- Tu rentres immédiatement, ordonna-t-elle et Naruto sembla se mettre au garde-à-vous. Désolée Sasuke. Tu verras Naruto plus tard. Il faut qu'il révise.

- Mais m'man c'est les vacances !

Les yeux autoritaires de sa mère le firent taire et penaud, Naruto se retourna vers Sasuke.

- Ne croise pas son regard, lui souffla-t-il. Elle pourrait te pétrifier.

Kushina grogna et elle s'avança à grands pas sur le palier pour venir chercher son fils par l'oreille.

- Je t'ai entendu, imbécile, pesta-t-elle en tirant son fils par le lobe vers l'appartement. Va réviser, maintenant !

- Aïe, lâche-moi Médusa !

La porte de l'appartement se referma sur eux et Sasuke resta un instant seul sur le palier, amusé par ce spectacle. Naruto avait toujours été très proche de ses parents. De sa mère particulièrement, malgré cette fâcheuse tendance qu'elle avait toujours eu de lui coller la honte devant ses amis.

Sasuke sourit pour lui-même. Puis il ramassa son sac et rentra dans l'appartement dénué de vie des Uchiwa.


Sasuke reposa sa cuillère dans son assiette creuse. C'était le soir du réveillon de Noël et Mikoto n'avait pas eu la force de préparer autre chose qu'une soupe qu'ils avaient partagé ensemble devant la télévision. La solitude de sa mère avait fini par la ronger, vidant son énergie à mesure que les mois passaient, chargeant encore un peu plus la culpabilité de Sasuke à chaque visite.

C'était devenu difficile de rester ici. C'était pesant, de voir sa mère détruite par l'absence d'Itachi. Elle subissait aujourd'hui toutes ces années à tenter de rester debout près d'un homme qui l'avait tant de fois forcée à se mettre à genoux. A présent, Mikoto Uchiwa n'était plus que l'ombre d'elle-même. Et Sasuke était incapable d'assister à sa déchéance.

Elle lui embrassa le sommet du crâne comme lorsqu'il était enfant et rejoignit sa chambre, épuisée des efforts que lui demandaient chaque nouvelle journée. Sasuke resta un long moment dans le noir, éclairé seulement par la pette télévision familiale qui diffusait les images des lumières qui illuminaient New-York en cette période de fête. Après avoir pris son anxiolytique du soir, Sasuke resta fasciné par cette ville qui avait, en plus, la qualité d'être à des milliers de kilomètres de Konoha.

Comme convenu, Sasuke attendit jusque tard dans la nuit pour se faufiler dans l'appartement des Uzumaki où Naruto l'attendait. Il se glissa dans ses draps avec habitude et il se sentit accueillit immédiatement par cette chaleur réconfortante.

Naruto l'embrassa tendrement.

- T'as été super long ! Qu'est-ce que tu faisais ?

Sasuke resta vague volontairement. Son cachet avait suffisamment agi pour le détendre jusqu'à lui faire un peu perdre la notion du temps.

- Pourquoi ? Tu te languissais de mon absence ?

Ils échangèrent un regard taquin. A nouveau, Naruto l'attira à lui pour lui voler un nouveau baiser. Plus langoureux cette fois-ci. Plus tendancieux, aussi. Et Sasuke attisa la flamme de son désir en lui mordant tendrement la lèvre inférieure.

- Tu m'as manqué… murmura le blond contre ses lèvres. Terriblement manqué…

Le baiser qui suivit fut d'une telle intensité que leurs deux corps s'échauffèrent instantanément. Ils ne s'étaient presque pas vus de la semaine. Naruto n'avait fait que réviser, esclave des ordres de sa mère qui refusait de le voir à ce point en échec scolaire.

Il ne fallait pas se méprendre. Naruto avait toujours été un cancre. Mais Sasuke savait que ça n'avait jamais été à ce point. Quelque-chose avait changé depuis son retour de la maison de correction. Cette fois-ci, son petit-ami était au bord de la déscolarisation et ils savaient tous les deux que sans quelques années à l'université, le blond serait probablement condamné à bosser à l'usine comme son père. A abandonner ses rêves et gagner un salaire qui ne lui permettait que de survivre ici.

- Naruto… le coupa-t-il en reculant son visage. Qu'est-ce qui se passe au lycée ?

Sorti de force d'un baiser si langoureux, Naruto sembla dans l'incompréhension l'espace d'un instant.

- De quoi est-ce que tu parles ?

- Tu es en échec scolaire, n'est-ce pas ?

Privé d'une année de cours, Naruto avait dû repiquer sa terminale tandis que Sasuke avait pris le chemin de l'université. Aujourd'hui, il était incapable de savoir ce qui se tramait dans la tête de son petit-ami. Même s'il n'avait pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour comprendre que la mort de Fugaku y était probablement pour beaucoup.

Naruto soupira en se replaçant sur le dos, coupant la profondeur de leur contact.

- Et alors ? soupira-t-il. J'ai toujours été un idiot, de toute façon.

Sasuke se redressa sur un coude pour capter son regard.

- Certes, lui accorda-t-il, leur permettant d'échanger un rapide sourire complice. Mais au point de manquer les cours ? Où est passée ton ambition d'intégrer le club de boxe universitaire de Suna ?

Naruto se racla la gorge et sa réponse se fit attendre.

- C'est l'enfer au lycée, avoua-t-il. Depuis mon retour de la maison de correction. Même si j'ai été innocenté. L'affaire de ton père a fait le tour de la ville et les autres chuchotent à chaque fois que je passe dans les couloirs.

Sasuke fronça les sourcils, sondant les yeux étrangement résolus de Naruto.

- Et alors ? Qu'est-ce qu'ils peuvent bien dire qui te pousse à décrocher ?

- Que je suis un meurtrier, entre autres.

Sasuke posa un instant son front contre l'épaule large de son petit-ami.

- Mais tu as été innocenté. Qu'est-ce que tu en as à foutre ?

Naruto inspira longuement, soulevant sa poitrine nue contre le visage de Sasuke.

- Parce que c'est la vérité, innocenté ou pas. Et où que j'aille, j'ai l'impression qu'on ne me laissera jamais oublier ce que j'ai fait.

Sasuke resta muet un instant, fustigé à nouveau par la souffrance qu'il entendait dans la voix de son petit-ami.

- J'entends certaines rumeurs sur toi, Sasuke. Et même… Et même si je suis certain que ce n'est pas la vérité, ça me rend fou. Je ne suis pas capable d'entendre ça.

- Qu'est-ce qu'ils disent ? questionna-t-il, bien insensible à quelconque rumeur à son sujet. On s'en fout des rumeurs, Naruto. Toi et moi, on sait ce qu'il s'est vraiment passé ce jour-là. C'était un accident.

Naruto s'enferma dans un mutisme suffisamment long pour que Sasuke s'interroge.

- Ça n'a rien à voir… Ils disent…

Naruto souffla, comme pris par l'émotion et Sasuke chercha son regard à travers la pénombre.

- J'ai cassé la gueule à ce connard de Kiba avant les vacances.

Son petit-ami semblait tourmenté, et il le sentit gigoter contre lui.

- Qu'est-ce qu'il a dit ? Raconte-moi…

Après une pause interminable, Naruto lâcha enfin ce qui le tourmentait.

- Il a dit que ton père avait abusé de toi… Sexuellement, je veux dire. Je n'y avais jamais vraiment pensé avant. Mais cet enfoiré de Kiba m'a mis cette idée dans la tête et depuis, je n'arrête pas d'y penser.

La voix de Naruto trembla tandis que sa main venait chercher le visage de Sasuke.

- Je ne peux pas supporter l'idée qu'il t'ait touché. Pas comme ça, Sasuke.

Sa détresse heurta Sasuke et il attrapa la main de Naruto dans la sienne pour le rassurer.

- Il ne m'a jamais touché. Tout ça, ce ne sont que les fantasmes de quelques connards qui n'ont pas assez de leur propre vie pour s'amuser. Je t'assure. Mon père ne m'a jamais violé.

Naruto était sensible dès lors que cela concernait Sasuke et une nouvelle fois, il le vit ravaler quelques larmes qui menaçaient de s'échapper. Fugaku avait commis des atrocités, comme cette arme à feu qu'il l'avait forcé à sucer jusqu'à ce qu'il en mouille son pantalon. Mais il ne l'avait jamais abusé. Jamais. Contrairement à Hatake Kakashi. Mais il devait préserver Naruto de toutes ces choses qu'il ne serait pas capable de supporter.

Jamais Sasuke ne lui avait dévoilé quelconque détail des sévices subies dans son enfance. Naruto ne savait rien de plus que les coups et les brimades. Que les traces corporelles devenues des cicatrices, comme cette balafre à la lèvre laissée par la cross du revolver de service de Fugaku.

Naruto inversa tranquillement leur position pour le surplomber et à nouveau, Sasuke fut enseveli par sa tendresse. La main chaude du blond s'égara dans ses cheveux et il se laissa envahir par la chaleur rassurante qu'elle dégageait.

Les yeux sincères de Naruto accrochèrent les siens.

- Je pourrais mourir pour toi, Sasuke.

Le brun ferma douloureusement les yeux avant de les rouvrir.

- Je sais, souffla-t-il. Mais s'il-te-plaît, n'abandonne pas l'école. Tu dois te battre pour sortir de cette cité pourrie.

Naruto posa son front contre le sien, laissant sa poitrine nue reposer sur la sienne.

- Seulement si tu n'abandonnes pas la boxe, Sas'.


Alors à la rentrée de Janvier, Sasuke avait pris la décision de poursuivre son rêve, même si cela nécessitait d'accepter la proposition du répugnant Hatake Kakashi. Pour lui et pour Naruto. Pour qu'ils puissent un jour sortir de cette spirale et qu'ils ne soient plus jamais ces deux gosses écorchés par la vie. Il porterait sur ses épaules le devoir de les protéger tous les deux, cette fois. Parce qu'il le lui devait bien.

Alors le premier jour, fort de son cachet pour calmer ses angoisses, il se rendit au gymnase pour accepter le deal proposé des mois plus tôt. Pourtant, les choses ne furent pas si simples et Sasuke se heurta pour la énième fois de sa vie à une perversion qui le dépassait complètement.

- Et pourquoi je te reprendrais dans le programme, Sasuke ? Ça fait des mois que tu ne t'es pas entraîné.

Sasuke se renfrogna, mains dans les poches. Quelques élèves s'entraînaient ça et là autour d'eux.

- Dois-je vous rappeler que nous avions un deal ? Mon silence contre votre appui pour me dégoter un contrat en professionnel ?

Kakashi eut un rire amusé.

- Personne ne te croira. Je suis le meilleur coach du pays, argumenta l'homme. J'ai eu peur en te voyant ici, la première fois. Mais finalement, ce sera ta parole contre la mienne. Et que vaut la parole d'un môme perturbé par les coups de son père face à celle d'un sportif reconnu et respecté ?

Sasuke écarquilla les yeux, heurté de plein fouet par la cruauté à laquelle il faisait face.

- Tu passeras pour un menteur prêt à tout pour passer professionnel. C'est tout. Alors si tu veux réintégrer le club et bénéficier de mon soutien, il te faudra faire preuve de bien plus d'imagination, mon garçon. Mais jusque-là, je ne peux rien faire pour toi.

La douche froide fut difficile à encaisser et il fallut beaucoup de courage à Sasuke pour faire face à ses traumatismes.

- Et qu'est-ce que ça veut dire, faire preuve d'imagination ?

Kakashi réhaussa un coin de sa bouche qui manqua de faire vomir Sasuke.

- Sois inventif, c'est tout.

- Vous êtes répugnant.

L'homme se moqua ouvertement de son impuissance.

- Vous êtes répugnant, répéta-t-il. J'y arriverai, avec ou sans vous.

Sasuke cracha à ses pieds. Il saurait se débrouiller sans lui. Il devait se débrouiller sans son appui. Alors il se força à ignorer la voix moqueuse de Kakashi qui lui souhaitait bon courage lorsqu'il tourna les talons.

Mais en revenant à Konoha les quelques week-ends qui suivirent, Sasuke ne put que constater à quel point Naruto pouvait se trouver en situation d'échec. Minato et Kushina avaient été convoqués à plusieurs reprises pour son absentéisme et son comportement violent à l'égard d'autres élèves. C'était peine perdue. Naruto avait réellement commencé à sombrer.

Alors à la fin du mois de février, Sasuke prit la décision qui s'imposait. Certainement celle qui, vouée à arranger les choses, n'avait finalement fait que les empirer. Celle qui l'avait rendu malade jusqu'à ne plus pouvoir se regarder dans un miroir durant quelques années.

Alors un soir après les cours, Sasuke se rendit au bureau de Kakashi pour faire preuve d'imagination. Mais il n'oublia jamais ni l'humiliation d'avoir à se mettre à genoux pour obtenir des faveurs, ni celle de mettre le sexe de son bourreau au fond de sa gorge.

Finalement, la peur ne l'avait jamais quitté.

Sasuke demeura pour toujours un enfant meurtri. Abusé. Et la honte non plus, ne s'estompa jamais.

Suite à cela, il se fit de moins en moins présent à Konoha, incapable de se retrouver face à Naruto. Au lieu de les sauver, cette décision n'avait fait que les diviser. Avec le recul, elle était les prémices du déchirement de ce lien si particulier qui les unissait tous les deux. Comment pouvait-il affronter celui qui était prêt à mourir pour lui, quand lui n'avait fait que prendre des décisions qui ne les souilleraient que davantage ? Comment pouvait-il être si peu digne des sentiments de Naruto à son égard ?

Alors quand Kakashi tint parole en lui dégotant un contrat aux Etats-Unis, Sasuke n'hésita pas à saisir l'opportunité de fuir le monstre qu'il était devenu. C'était au mois de mai de l'année 2001. Et ce fut pour lui la façon la plus saine d'éviter toutes ces choses qui menaçaient de le tuer un jour. Comme la solitude de sa mère, ou cet amour dévastateur pour Naruto qui ne faisait que refléter combien il était devenu monstrueux.

Il avait eu besoin de se reconstruire, loin d'ici et loin de ses erreurs.

Alors il avait fui, comme le lâche qu'il avait toujours été.


Assis sur le rebord du ring, cordes dans le dos et pieds ballants dans le vide comme ils avaient longtemps pu le faire, gamins, Naruto semblait complètement décontenancé. Son regard céruléen ne faisait que le fixer en silence depuis le début de son récit, incapable d'émettre le moindre son. Alors Sasuke déglutit, faible de s'être ainsi mis à nu devant lui. Pour la première fois en plus de trente ans.

- Dis quelque-chose, s'il-te-plaît.

Naruto sembla reprendre ses esprits, et il le vit passer une main tremblante sur son visage.

- Honnêtement, je ne sais pas quoi te dire.

Il n'y avait ni reproche, ni hostilité dans la voix de son ami de toujours.

- J'ai pris un tas de mauvaises décisions à ce moment-là, mais celle-ci était de loin la pire. J'ai cru que ça me sauverait de laisser Konoha derrière moi... De te laisser derrière moi. Et finalement ça n'a été que le début d'une longue descente aux enfers.

Naruto parut hésiter. Même après toutes ces années, Sasuke voyait à quel point il semblait perturbé d'apprendre la vérité.

- Je ne comprends pas… lâcha finalement Naruto, à bout de souffle. J'ai tout sacrifié pour toi et pourtant… j'ai l'impression que je ne t'ai jamais connu, finalement.

Sasuke déglutit difficilement, affaibli de lâcher les armes après tout ce temps.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Tout ça, putain… souffla Naruto. Je pensais être la personne qui te connaissais le mieux et pourtant… je n'ai jamais rien su de toi. Ni de tes pensées, ni de tes souffrances.

Son ami prit une pause, vraisemblablement rongé par une émotion qui les dépassait tous les deux.

- Comment j'ai pu passer à côté de tout ça ?

Une nouvelle fois, Naruto passa sa main sur son visage. Et l'humidité au coin de ses yeux n'échappa pas à Sasuke. Après toutes ces années, son ami était toujours aussi sensible à son sort et cela le conforta de savoir que leur lien, bien que fragile, avait bel et bien survécu à toutes ces absences.

- Tu ne pouvais pas deviner ce que j'ai mis tant d'énergie à te cacher.

Naruto détourna le regard pour cacher combien il pouvait être ébranlé.

- J'aurais pu t'aider…

Sasuke fit non de la tête.

- Personne ne le pouvait.

Il y eut quelques non-dits. Mais Sasuke pouvait voir combien Naruto s'en voulait de n'avoir rien vu. Pour son addiction aux anxiolytiques et pour Kakashi Hatake.

- Je t'ai détesté si longtemps d'être parti sans moi, reprit Naruto, la voix serrée. Tu as dit que tu étais parti pour réaliser ton rêve et moi, je t'ai haï pour ça. Alors qu'en réalité, ton calvaire avait continué tout ce temps.

Sasuke força un sourire. Ce n'était plus le moment de reculer à présent.

- J'ai pris la mauvaise décision à ce moment-là. Mais je n'ai jamais douté du lien qui nous unissait, toi et moi. Je n'ai jamais douté de l'amour que je te portais, à l'époque. Ni de la conviction profonde que l'on finirait par se retrouver.

Naruto eut un hoquet ironique.

- Pourtant la vie en a décidé autrement.

- J'en sais rien, répondit Sasuke en un souffle. On ne serait pas là, si c'était le cas.

Ils échangèrent un regard durant lequel chacun tenta de sonder l'autre.

- Et qu'est-ce qui s'est passé, ensuite ? questionna Naruto. Après ton départ aux Etats-Unis. Tu ne m'as jamais raconté cette partie de l'histoire.

- J'imagine que j'aurais largement le temps de te raconter cette partie de l'histoire pendant nos vingt ans de prison, ironisa-t-il.

Il y eut un silence, suivit d'un coup de coude et pour la première fois depuis longtemps, Sasuke retrouva leur complicité dans l'échange d'un sourire.

- Raconte-moi, insista Naruto. J'ai besoin de savoir.

Sasuke passa d'une pupille à l'autre, la bouche sèche de s'être tant dévoilé.

- J'imagine que tu as le droit de savoir, après tout ce temps.

Ils échangèrent un regard entendu et Sasuke se replongea dans son récit.


HELLOOOOO !

Je suis ravie de vous retrouver pour cette histoire qui, vous le savez certainement maintenant, est ma petite préférée. Elle n'est pas si évidente à écrire car j'ai toujours peur de la gâcher. Alors j'espère avec beaucoup de sincérité que cette suite vous a plu. Je me suis lancée l'objectif d'y mettre un point final avant le 31 Octobre 2023, parce qu'il est grand temps !

Concernant cette suite, j'espère que vous comprenez un peu mieux Sasuke. Qu'après tous les traumatismes subis lors de son enfance, il n'a jamais été aussi fort que ce qu'il a pu montrer à Naruto. Les séquelles étaient finalement bien plus profondes et il a fini par se perdre en chemin pour survivre. Finalement, ce n'est peut-être pas Naruto qui a eu la pire vie dans cette histoire ahah

Néanmoins je sais que cette histoire manquait de douceur et que les quelques moments de tendresse entre Naruto et Sasuke dans ce chapitre ont su vous rappeler la profondeur du lien si particulier qui les unit dans cette histoire :)

J'ai hâte de connaître vos avis et vos pronostics à ce stade de l'histoire. J'avais dit (je sais) que cette partie serait la dernière mais impossible de faire plus synthétique. Alors on se voit fin Octobre pour la fin.

A bientôt,

Akane