Chapitre I - Intersidéral
Anakin errait et vacillait dans le tumulte de son esprit encore en proie aux aléas de la Force. Ses connexions furent toujours hasardeuses et difficilement domptables mais ces dernières semblaient à cet instant étonnamment dociles et il était rare qu'il puisse flâner ainsi dans les nébuleuses de son influence sans devoir rivaliser ou être épaulé pour gagner une once de paix. Peut-être était-ce dû au palliatif d'une drogue ou bien encore à l'épuisement criant de son corps, mais c'était agréable. Très agréable… Une nouvelle houle cotonneuse l'assaillit et un étrange sentiment émergea, cette sensation ne lui était pas inconnue. Elle revint comme un souvenir oublié d'un temps où il s'était perdu et où l'esprit du jeune Jedi avait frôlé un chaos presque irréparable. Un temps où, tout juste entré dans l'adolescence, il se façonnait et cherchait une place au sein d'un univers encore nouveau et incertain. Un jour où il pensait avoir prouvé sa valeur en se battant vaillamment contre ses démons mais où il ne s'était finalement accroché qu'à une main tendue devant sa détresse. C'était une présence réconfortante, même consolante, qu'il n'avait connu que par bribes et qui s'était dérobée, ou laissée mourir… Ou l'avait-il simplement refoulée ? Alors qu'il s'apprêtait à poursuivre et investiguer les reliquats de ce fantôme, ce dernier s'évanouit lorsqu'une pression inhabituelle pesa sur son sternum et le rappela brusquement du dédale de sa méditation.
La douleur était atroce et il crut encore flotter dans le néant tant il frôlait l'asphyxie. Ses poumons comprimés par le poids de sa chair le confortèrent cependant à penser qu'il avait gagné une atmosphère proche d'une pesanteur tellurique, s'il omettait son asthénie flagrante qui rendait chaque respiration miraculeuse. Lorsque ses faibles convulsions se stabilisèrent pour maintenir un rythme cardiaque affolé mais cadencé, l'environnement dans lequel il se trouvait commença à se matérialiser dans sa conscience mais également dans son champ de vision. Il était vivant. Stupidement vivant. Les yeux ouverts sur un plafond métallique et cabossé, il profita du temps que ses membres reprennent de leur vigueur pour rassembler et connecter les derniers souvenirs avant sa perte de connaissance.
Une mission près de Bothawui, une bataille contre les Séparatistes, une branle-bas de combat puis une force inconnue, une puissance à la fois céleste et animale. Les deux camps avaient tous deux subi la violence d'une rage démesurée et incontrôlée. Quelque chose nous suit avait murmuré ses sens alors qu'un frisson était monté le long de son échine. La "Chose" avait bousculé la Force et les plus sensibles avec elle, les assommant tous d'un mal de crâne lancinant. Il avait vu ses compères essayer de protéger les leurs ou tenter de les sortir d'affaire tout en évitant les ennemis qui y voyaient encore une opportunité de triompher. Quand la céphalée s'allègea, il n'avait pas perdu de temps à se remettre aux manettes pour dégager et fuir la zone, mais au même moment le champ d'astéroïdes changea soudainement de gravitation et révolutionna dans une nouvelle attraction. Les roches s'attirèrent les unes aux autres et s'entrechoquèrent avec une vitesse telle que les éclats fusèrent jusqu'à pourfendre les vaisseaux. La mêlée fut sauvagement balayée en une poignée de secondes, et à peine Anakin avait-il regagné ses esprits qu'une collision les propulsa contre un autre chasseur dont l'explosion du moteur et des canons arracha la poupe de l'appareil, créant une faille qui aspira avidement corps et objets dans le vide.
Ce n'était là encore que quelques fragments dont il manquait certainement des détails mais le résumé restait cohérent. L'après-impact était obscur et confus. Avait-il aussi été aspiré ? Avait-il réussi à enclencher les capsules de secours ? Avait-il sorti le vaisseau de la débâcle ? Y avait-il des survivants ? Ça ne sonnait pas juste dans ses pensées, ce n'était pas ce qui s'était passé. Un nouveau souvenir, plutôt une sensation, reflua. Dans un élan désespéré de sauver ses acolytes, il y avait eu une détonation de ses liens avec la Force. Une énergie pure et cyclopéenne aussi étrangère que familière qui l'avait envahi et que le jeune chevalier ne pouvait contenir sans en être consumé. Il avait partagé ce pouvoir, avec la seule personne qui pouvait le recevoir… Obi-Wan était là.
Un coup contre le métal accompagné d'un râle le sortit de ses réflexions. Bien que le décor tanguait encore, il perçut un mouvement du coin de l'œil et ce qu'il vit confirma ses pensées. Dans un halo brumeux, il distingua une silhouette en armure blanche levant son buste du sol. Ils approchaient d'une lune ou d'une planète, et la lumière commençait à poindre dans leur direction, juste assez pour qu'il reconnaisse les cheveux et la barbe fauve de son ancien maître. Anakin tenta lui aussi de se mouvoir dans ce que son corps exténué qualifiait d'audacieux. Il ne put que se tourner lourdement sur le côté et étouffa un grognement quand une vive douleur lui indiqua une méchante contusion sur son flanc gauche.
— Anakin ?
Le Jedi leva les yeux et se contenta d'offrir une grimace peinée à son compère. Il vit l'inquiétude progressivement se transformer en soulagement à mesure que celui-ci approchait, glissant péniblement jusqu'à lui. Arrivé à ses côtés, Obi-Wan posa une main sur son épaule, un geste de réconfort nécessaire pour l'un comme pour l'autre.
— Je suis là, croassa-t-il alors qu'il se tenait les côtes dans une seconde tentative de se lever.
Ses mots adoucirent les traits sur le visage de son ami mais pour un court instant. Ce dernier releva en effet la tête et balaya les alentours du regard. Le silence s'étira à mesure qu'il étudiait minutieusement l'endroit. Sa bouche s'ouvrit une première fois sans qu'aucun mot n'en sorte, puis il inspira comme pour regagner ses esprits et s'exprimer enfin.
— Je… Je crois que nous sommes les seuls…
Il laissa sa phrase en suspens et Anakin fronça les sourcils. Le jeune homme tourna la tête d'une lenteur léthargique pour analyser les lieux à son tour. Ça ne faisait pas sens. Il y avait une dizaine de soldats sur le sol, comment pouvaient-ils être les seuls à avoir survécu ? Aucun bruit ne s'élevait, aucune poitrine ne se soulevait, aucun mouvement ne se produisit. Sa tête devait encore lui faire défaut et ses souvenirs ne concordaient pas. L'incompréhension se mua en une étrange affliction. C'était impossible. Ils s'en étaient sortis, pas vrai ? Il ferma les yeux, encore à la recherche du moindre indice que tout cela n'avait été qu'une illusion.
— Je pensais… qu'on avait réussi.
Il venait d'assembler tous les rouages des événements, et il était certain de leur véracité. Il se souvient avoir manipulé la Force comme jamais il ne l'avait fait auparavant. Il se souvient avoir poussé les siens dans le vaisseau pour les protéger du vide, avoir scellé la nef puis ouvert les réserves d'oxygène. Il se souvient enfin du son des respirations avant de s'écrouler d'épuisement.
— Tu étais là, Obi-Wan. On était…
— Je ne sais pas ce qui s'est passé, le coupa abruptement le Jedi.
Voir l'aplomb martial de son ancien maître aussi fragilisé était naturellement déstabilisant, mais à bien y réfléchir, ce dernier devait également être tout aussi déconcerté en ne retrouvant plus l'assurance quasi-téméraire de son acolyte. Il cherchait ses mots, pondérant ce qui était le plus approprié ou non, tout en luttant visiblement contre une atonie aussi bien physique que psychique. Le regard perdu dans le vague, il élucida son récit à tâtons de sa mémoire.
— Après le choc, je me suis senti envahi par un immense désespoir, admit-il avec un léger tremblement dans la voix. Honnêtement, je ne pense pas avoir déjà connu une chose pareille. Je me pensais prêt à m'abandonner à la Force et j'ai cherché cette sérénité, en vain… Je pense qu'à ce moment-là, je me suis simplement raccroché à tout ce que je pouvais.
Il fronça les sourcils dans ce qui semblait être une tentative de réconcilier ses souvenirs avec une certaine logique. Il leva ensuite le regard pour le planter dans celui de son ami et continua.
— C'est là que j'ai ressenti cette énergie qui t'a traversé, affirma-t-il déconcerté. Bien trop grande pour que tu la détiennes entièrement. J'ai d'abord pensé que ça venait de toi, et j'ai instinctivement renforcé notre lien pour tenter d'apaiser quoi que ça puisse être, et c'est à ce moment-là que cette… puissance a déferlé dans ma direction.
Le chevalier Jedi n'avait pas à réfléchir plus longtemps pour comprendre ce qui s'était produit.
— Elle cherchait à se stabiliser, donc elle a établi un pont entre nous deux pour rééquilibrer son pouvoir, expliqua-t-il encore à bout de souffle. C'est… ce qui nous a sauvé.
Obi-Wan sembla peu convaincu par ses mots. Ce n'était visiblement pas le dénouement qu'il aurait aimé entendre. Anakin chercha une nouvelle manière de formuler cette révélation mais il n'y avait rien de plus à ajouter au désastre qu'avait été cette mission. C'était ce qui s'était passé, de manière concise et chronologique.
— Pourquoi ?
Il avait aussitôt murmuré la question alors qu'il se perdait dans un nœud de réflexion. Cette interrogation était une toute autre énigme, bien plus sibylline mais également bien plus importante à ses yeux. Cette puissance était étrangère et ça ne faisait aucun doute qu'elle avait découlé de la Chose qui les avait attaqués.
Son aîné soupira et secoua légèrement la tête, mais lorsqu'il s'apprêta à répondre, un faible son résonna près des sièges pilotes. Le vaisseau entier semblait également à court d'haleine. L'habitacle était déformé et rétréci au point qu'une seule personne pouvait y accéder, un débris avait entaillé le tableau de bord de part et d'autre, des câbles arrachés dépassaient des coffres comme étripés de l'appareil et les diodes restantes s'affolaient dans un jeu de lumières exalté. De plus, l'aile, ou même le moteur côté gauche, avait certainement été sectionné à la vue du plancher incurvé. Il était certain que ce vaisseau, ou plutôt cette canette spatiale, ne faisait à présent que dériver sans but.
Obi-Wan réussit péniblement à se remettre sur pied et se dirigea nonchalamment jusqu'aux commandes. Au même moment où Anakin hasarda ses jambes à supporter son poids, il vit du coin de l'œil la planète de laquelle ils approchaient.
— Est-ce qu'on est toujours dans l'espace Bothan ?
Son acolyte marmonna à la négative tout en testant les contrôles, examinant le peu qui semblait encore fonctionnel.
— Je crois même qu'on a dépassé la Bordure Médiane, répondit-il en étudiant le plan holographique de l'appareil. On est sur un de leurs vaisseaux de poursuite. Du moins, ce qu'il en reste, ajouta-t-il les yeux rivés sur l'hologramme exposant l'état pitoyable de l'engin.
Enfin dressé de toute sa hauteur, Anakin ne put retenir une grimace désolée à la vue de tous les corps jonchés à ses pieds ou adossés contre les parois. Les armures amochées et déloquetées altéraient cette réalité en une collection de jouets endommagés dont un enfant aurait négligé d'en prendre soin. Cette dernière pensée acheva de libérer ce grand sentiment de culpabilité qui le rongeait un peu plus chaque seconde depuis son réveil. Ce n'était pas la première fois qu'il perdait des hommes, mais cette scène le révoltait tout particulièrement, parce que ça n'aurait pas dû se terminer comme ça. Il scruta la nacelle, encore à la recherche d'un quelconque mouvement ou de l'écho d'une voix. Il constata bien vite que s'il n'avait pas le cœur de se reposer sur la Force pour y déceler la moindre vibration vitale, c'était simplement parce qu'il ne cherchait pas une confirmation trop brutale. Il resta visiblement bien trop longtemps à faire état de la situation, tout du moins juste assez pour qu'Obi-Wan le sorte de sa transe d'une main contre son épaule.
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Anakin se tourna dans sa direction et le maître Jedi put entièrement constater la mine abattue de son coéquipier. Il dut concéder que voir ce dernier dans un tel état émotionnel était un défi délicat auquel faire face désormais. Lui aussi évitait autant que possible de poser le regard sur le triste spectacle. Non seulement était-ce un énième déchirement de voir un tel charnier de ses camarades, mais c'était aussi un rappel douloureux que, malgré son talent, son ex-padawan avait été propulsé dans une guerre à peine entré dans la vingtaine. Devoir, responsabilités, commandement, il le savait dévoué à ce qu'il estimait juste, mais il devait encore souvent réajuster son équilibre. L'expérience ne lui manquait pas, mais le temps de la digérer en revanche…
Au fil de ses pensées, Obi-Wan remarqua la main mécanique d'Anakin enroulée autour de son abdomen. Ses lèvres tressaillirent d'une moue compatissante et il s'adonna à la meilleure aide qu'il se sentait prêt à prodiguer à cet instant. Il saisit ainsi le bras du jeune Jedi pour exposer la blessure, posa une main contre ses côtes et mut la Force pour la déverser dans une sève de guérison. Il en profita pour y insuffler une onde de calme, ce qui sembla fonctionner à merveille s'il s'en fia aux rides qui se délièrent sur le visage de son compère. Le temps de la cicatrisation se compta en une pincée de secondes, une vivacité qu'il retint en se demandant s'il n'y avait pas là encore quelques reliquats de la mystérieuse énergie qu'ils avaient partagé plus tôt. Ce genre de questionnement devra attendre cependant, il ne voulait en aucun cas corrompre le lien avec ce sombre sentiment de malaise qu'il sentit monter à cette réflexion. Ce qu'il refoula tout en se concentrant une dernière fois pour apaiser la douleur et offrir une ultime vague de force.
— Il nous reste encore beaucoup à faire, l'encouragea-t-il tout en serrant son épaule encore une fois. Et il me faut un copilote.
Il ne réprima pas sa fierté quand il constata que sa proposition fit tiquer le coin des lèvres de son acolyte pour le tirer dans un petit sourire.
— Il n'y a qu'un seul siège, répondit ce dernier en désignant la cabine du menton. Et si tu crois avoir la moindre chance de l'obtenir…
Cela prouvait bel et bien que le maître savait encore trouver les bons mots pour faire réagir son ancien apprenti. Il redoutait sincèrement le jour où ça ne sera plus le cas, et il se sentit presque malade rien que d'y songer. Ce jour pouvait arriver n'importe quand.
Anakin ne perdit plus de temps et entra dans l'habitacle pour s'atteler à la remise en état de l'appareil. La tâche paraissait déjà ardue au premier coup d'œil mais celle-ci l'était bien plus quand on y mettait la main à la pâte. Le moteur latéral gauche avait été scindé, le propulseur arrière ne répondait plus, il était impensable de sauter dans l'hyperespace, la radio était coupée, seul un canon laser pouvait encore les défendre d'une quelconque menace et le consommable restant ne pouvait tenir que deux jours tout au plus. Ceci étant, les plans érigeaient un véritable bijou de construction, à la fois transporteur et machine de guerre, la bête aurait pu ravir n'importe quel bon connaisseur. C'est donc sûrement face à ce constat que son coéquipier laissa échapper un rire résigné.
— J'y crois pas, maugréa-t-il en se passant une main sur le visage. Pour la première fois où je pose la main sur un vaisseau Lancer, il faut qu'il soit à moitié mort.
Désormais occupé à étudier le bras d'alimentation d'un droïde, Obi-Wan haussa un sourcil dans sa direction et commenta d'un air absent.
— Que tu l'ai eu neuf ou non, je ne pense pas que le résultat aurait été très différent…
Le jeune Jedi se tourna pour lui jeter une œillade noire, puis leva les yeux au ciel pour feindre l'indifférence.
— Je me demande pendant encore combien de temps tu t'obstineras à ce genre de blagues dès que tu me vois aux commandes.
— Aussi longtemps que mon instinct de survie me le demandera.
— À toujours entendre la même rengaine, j'ai bien peur que le troisième âge arrive plus tôt que prévu, Maître, le railla-t-il avec un grand sourire.
— Si seulement c'était la seule raison à tous mes cheveux blancs…
Anakin roula des yeux et soupira un pff moqueur, mais laissa un petit sourire se dessiner sur ses lèvres. Quelques minutes passèrent dans un silence diligent, et quand le chevalier parvint à rétablir une connectique pour réalimenter le tableau de bord, les deux hommes scrutèrent la carte stellaire avec attention. Bien que l'hologramme soit grésillant et instable suite aux dégâts, ils purent repérer leur position et ainsi envisager les options. Ils étaient à présent dans la Bordure Extérieure, dans l'espace Hutt plus précisément, et si le détail de la carte était correct, la planète qui se dressait devant eux était…
— Cyrkon, annonça le jeune Jedi. On aurait pu tomber sur mieux comme on aurait pu tomber sur pire.
Aux dernières nouvelles, la planète avait en effet quelques déboires notamment en terme de politique économique, et les échos relataient une surexploitation des ressources qui avait entraîné un second gouvernement sous le joug du profit. En conséquence, l'industrialisation galopante des lieux entraînait une toxicité partielle de l'air, ce qui affolait aujourd'hui les autorités à la construction de dômes protecteurs autour des villes et notamment Motok, le cœur de tous les échanges commerciaux. La corruption sévissait à chaque coin de rue et beaucoup d'habitants, bien souvent dans le besoin, n'étaient pas difficile à convaincre moyennant finance. Encore quelques années à patienter et cet endroit sera un hameau de la contrebande, s'il ne l'est pas déjà.
— Une chance que l'argent n'a pas d'odeur.
Anakin voyait juste. Il était bien évidemment plus sûr qu'un binôme de Jedi reste discret dans un lieu comme celui-ci mais ils pouvaient encore s'assurer une certaine protection s'ils savaient manier charme et surtout crédits.
— Motok n'est plus très loin, ajouta-t-il. On pourra au moins établir une communication avec Coruscant une fois là-bas.
Obi-Wan continuait d'examiner le droïde sous tous les angles. Il avait lui aussi subi des dommages considérables lors de la collision et il s'en trouvait l'armature transpercée par une plaque de duracier. Son bras d'alimentation avait également été broyé mais son interface était encore intact, il suffisait qu'il puisse réactiver son comlink pour le raccorder en tant que signal radio du vaisseau.
— Si j'arrive à retirer le communicateur de cet astromech, on pourrait avoir notre entrée pour la ville.
Son compère eut une moue dubitative en le regardant fouiller le mécanisme interne pour débrancher les différents connecteurs.
— Je pense qu'il sera plus simple de le réactiver entièrement, suggéra le chevalier.
— Et risquer qu'il nous signale au premier Séparatiste qu'on croise ?
Il est vrai qu'ils devaient déjà s'estimer heureux qu'aucun ferrailleur ne les avait encore embarqué pour revendre la carcasse de la navette, mais bien qu'ils avaient regagné des forces, le Jedi ne voulait pas perdre plus de temps et d'énergie à affronter un énième opposant ou un chasseur de primes s'il savait qu'il existait une alternative bien plus douce.
— Tu ne sais juste pas parler aux droïdes…
Obi-Wan s'apprêta à lever les yeux au ciel à cette atteinte mais l'instant où il s'attarda sur le visage de son ami, son offense fléchit. Il aurait bien évidemment dû s'y préparer. Anakin ne devait désormais que chercher une once de mérite dans l'échec de la mission. Lui aussi se raccrochait à tout ce qu'il pouvait. Le maître Jedi était même presque certain qu'il le faisait inconsciemment. Si ce droïde pouvait être une lueur dans le macabre décor dans lequel ils se trouvaient, il n'hésiterait pas à le lui offrir.
— Très bien, concéda-t-il finalement. Mais tu en auras l'entière responsabilité.
A ces derniers mots, il retira et tendit le condensateur du robot avec un léger sourire que son ancien apprenti lui rendit instantanément.
— Marché conclu, promit ce dernier en s'emparant du dispositif.
Merci.
La voix le prit par surprise, et Obi-Wan écarquilla les yeux à cet écho fugace mais terriblement familier. Il raviva le souvenir d'une époque certes peu éloignée mais succédée par tant d'événements et d'histoire qu'il ressurgit comme un vestige qu'il croyait perdu. Était-ce la même chimère qui l'avait transi juste avant son réveil ? La voix de son ancien Padawan avait résonné ainsi lors de son sopor, un son qu'il avait accueilli avec une mélancolie singulière qu'il nia difficilement. La légère vague de gratitude sembla cependant s'évanouir à mi-chemin du lien, si bien qu'il se convainquit prestement de l'avoir imaginé. Cette puissance énigmatique devait continuer de lui jouer des tours et il frissonna en y songeant une énième fois. Anakin l'avait qualifiée de salvatrice mais son ancien Maître restait décontenancé par ce qu'il n'avait compris que comme une grande perte de contrôle où il n'eut plus le sentiment d'être lui-même. Il avait été à la fois conquis et libéré. Il se maudit à cette dernière pensée. Il avait bien évidemment été terrifié à ce moment-là, mais il avait aussi touché du doigt quelque chose de prodigieux et qu'il concevait bien plus grand et ancien que la République ou l'Ordre Jedi lui-même. Il avait été saisi mais il avait aussi succombé.
Il inspira soudainement à plein poumons pour reprendre ses esprits, et se tourna vers la radiocommunication, laissant Anakin réparer le droïde avec la plus grande méticulosité. Il ne parvenait pas encore à concilier cet événement avec la raison, et il doutait encore moins être prêt à pleinement en discuter avec le jeune homme. Le fera-t-il même un jour ? La question resta en suspens dans le pêle-mêle de ses réflexions tandis qu'il ajustait vainement les fréquences du transpondeur.
— C'est la première fois que je vois ça.
Obi-Wan se tourna vers son compère, la mine interrogée à sa déclaration. Maintenant affairé à réviser les mécanismes internes du robot, le jeune Jedi examinait chaque capteur avec le plus grand soin, l'instant d'après il tapota du doigt une colonne transparente.
— On dirait des réserves de bacta. Il a aussi été équipé de stims et d'outils chirurgicaux, ajouta-t-il en tirant un par un sur les bras mécaniques. Cet astromech a été reprogrammé en droïde médical.
— Voilà une idée à proposer à R2.
Anakin esquissa l'ombre d'un sourire à sa réponse puis replaça le condensateur à l'intérieur du coffre et rebrancha les derniers connecteurs. Une décharge se libéra autour de la tête du droïde suivit d'une litanie de mots binaires. Quand le crachat de plusieurs déclics et de crépitations de remise en route se termina, le dôme au sommet commença à s'éveiller dans une petite scansion de diodes et cligna plusieurs fois son capteur central. Le robot sembla enfin réévaluer son environnement quand sa tête fit un tour complet et s'arrêta en face de son réparateur.
— Salut, mon grand, l'accueillit ce dernier.
A peine eut-il le temps de formuler une nouvelle phrase que le droïde paniqua dans une série de bips et de sifflements crescendo. Le chevalier se précipita pour décrocher le sabre-laser de sa ceinture et le lancer à Obi-Wan, celui-ci l'attrapa au vol tout en contemplant son acolyte en plein acte de diplomatie.
— Je suis désolé, j'ai retiré ta puce de sabordage. Tu ne pourras plus t'autodétruire à partir de maintenant, expliqua-t-il les paumes levées pour calmer son interlocuteur. Je sais que tu as été programmé pour servir la Confédération mais on aimerait te faire une proposition très simple, aide-nous et on t'aidera.
Le droïde dévia son capteur sur le maître Jedi et parut s'enquérir de la situation dans une série de questions en langue-code qu'Obi-Wan eut du mal à suivre. Il fallut peu de temps pour qu'Anakin établisse son portrait. Il était fidèle et surtout dévoué au point de ne s'identifier que par son utilité à ses détenteurs. Les arguments devaient être convaincants.
— Je pense que ta survie pourrait être plus que profitable pour ton armée, je peux te garantir qu'un droïde avec autant de fonctionnalités que toi est assez rare.
Obi-Wan exhala un rire en voyant le sourire charmeur se dessiner sur les lèvres de son compère. Celui-ci avait toujours un effet lors d'une première rencontre et le jeune homme le savait. Ce qui lui rappela la fois où il l'avait justement confronté à ce sujet en lui demandant où est-ce qu'il avait appris une telle technique, ce à quoi son Padawan à l'époque lui avait simplement rétorqué "Je tiens ça de vous, Maître."
— Si tu nous aides à nous identifier au spatioport de Motok, je pourrais t'optimiser avec quelques améliorations une fois sortis d'affaires. Qu'est ce que t'en dis ?
Lorsqu'Anakin eut émis sa suggestion, le droïde sembla confus, certainement concentré à peser le pour et le contre du marché. Sa tête pivota d'un Jedi à un autre dans une suite de petits clics nerveux. Une quinzaine de secondes s'écoula quand il fixa son capteur sur son principal négociant et bipa une nouvelle fois pour demander leurs noms. Quand le jeune Jedi les présenta tous les deux, le robot ne réagit pas à leur évocation. De façon générale, il fallait admettre qu'il avait l'air plutôt crédule et surtout déboussolé. On pouvait aisément supposer que son processeur était encore sonné de l'incident mais quelque chose suggérait également qu'il ne devait pas avoir l'habitude de se trouver dans la mêlée des combats. Il passa ainsi encore de longues secondes à analyser chaque homme devant lui puis délivra enfin son nom dans un binaire hésitant.
— R3-M4, répéta le jeune homme, pensif.
Ce dernier parut cogiter le nom tout en le murmurant encore une fois, puis l'inspiration le saisit quand il s'attarda sur l'un des bras mécaniques au sein du droïde.
— Et si on t'appelait Med ? Ça t'irait ?
— Medie, le corrigea aussitôt Obi-Wan. Medie, c'est plus affectueux, se justifia-t-il alors que son acolyte le dévisageait, un sourcil arqué.
Bien que le Jedi sentit l'embarras réchauffer sa nuque, leur nouvel ami gagna un air décidé et cliqua une affirmative timide mais bien plus engageante. Anakin garda un sourire en coin et reporta son regard sur le robot, dont ils semblaient finalement avoir obtenu une confiance frileuse mais assurée.
— Promis, rien ne te sera fait même quand tu auras rempli ta part du travail. Et si je mens, crois-moi que cet homme serait prêt à me jeter dans un Sarlacc pour ne pas avoir tenu parole.
Quand le droïde recentra son capteur sur sa personne, Obi-Wan se contenta de hausser les épaules comme pour confirmer les dires de son partenaire et se pencha doucement dans sa direction pour lui chuchoter.
— Et ce ne serait que le début…
Il revint enfin sur Anakin qui avait désormais une main tendue devant lui.
— Alors, qu'est-ce que t'en penses ? On fait affaire ?
Ses mots restèrent en suspens pour un court instant d'hésitation, puis le droïde allongea un de ses petits bras télescopiques dans la paume ouverte du Jedi que ce dernier pressa légèrement pour conclure l'accord.
— Bienvenue dans l'équipe, Medie.
Obi-Wan ne réfréna pas la pointe de tendresse qui s'éleva en admirant la scène. Il était vrai que son ex-apprenti avait une meilleure approche avec les droïdes, et l'observer dans un tel moment de calme harmonisait non seulement ses liens avec la Force mais également avec ceux de son ami. Ces moments leur étaient tellement rares aujourd'hui.
— On se met au travail ?
Le robot bipa une nouvelle fois pour acquiescer à la demande du jeune homme. Bien que désormais directement connectée au transpondeur de l'appareil, la communication mit du temps à se mettre en place, les voies commerciales obstruant la liaison avec les satellites. Malgré cela, il dut admettre que remettre le droïde sur pied fut une bien meilleure solution à leur problème, celui-ci pouvant ainsi trier les fréquences avec beaucoup plus de célérité que s'ils avaient simplement usé d'un communicateur où ils auraient dû s'y prendre manuellement. Il lui fallut ainsi une poignée de minutes avant de pouvoir envoyer un signal de détresse à la tour radio de la métropole.
— Radio sol de Motok, ligne 3 à droïde R3-M4, quelle est votre urgence ?
— Nous avons besoin d'aide. Notre vaisseau n'est plus opérationnel, nous devons atterrir-
Tout juste Anakin avait-il ouvert le dialogue que la ligne se coupa. Le silence qui emplit la cabine pesa à mesure que les secondes passaient sans que le problème ne se résolve, ni même s'explique. Medie ne manqua pourtant pas de bonne volonté et tenta d'y remédier en testant toutes les combinaisons possibles dans une kyrielle de cliquetis fébriles. Les canaux étaient brouillés, comme si un champ électromagnétique avait isolé l'entièreté de leur signal. Ça pouvait être le rayon tracteur d'un quelconque cargo de ferrailleur, d'un contrebandier opportuniste, ou même d'un collectionneur itinérant, mais Obi-Wan regretta amèrement toutes ces hypothèses déjà peu réjouissantes lorsque son instinct clama un danger bien plus sinistre. Une présence que lui et son compère reconnurent à la moindre oscillation qui bouscula tous leurs liens avec la Force. Les ondes trépidaient à la fois d'impatience et d'appréhension, prouvant bel et bien qu'elle les avait suivis.
— Obi-Wan…
Le murmure de son ami fut l'ultime impulsion qui le poussa à saisir les bras de ce dernier avec force pour les positionner face à face. La panique se refléta dans les yeux de l'autre tandis qu'ils s'agrippaient mutuellement avec espoir. Il chuchota tout en posant une main sur la nuque du jeune Jedi.
— Avec moi, Anakin. Elle ne doit pas nous voir. Concentre-toi.
Ils devaient se dissimuler de la Force, effacer leur présence de l'espace mais aussi du temps jusqu'à en retirer toutes les réminiscences de leur passage. Cette éclipse sollicitait une euphonie parfaite, prouesse qu'ils n'avaient encore jamais expérimenté auparavant. Une seconde fois, ils devaient prester dans une nouvelle communion où chacun s'accrochait à ce qui comptait pour y puiser du courage. Seulement, cette fois-ci, aucun d'eux ne s'abandonna à leurs pouvoirs, et l'union ne concorda pas. L'harmonie qui dut être une modulation progressive et synchrone des ondes se transforma en une perte de contrôle suite à l'approche de cette puissance grondante, puis à un entrechoc de vagues d'énergie opposées. La distraction qu'elle offrait était vertigineuse et irrésistible pour toute personne sensible à la Force. Elle les appelait à céder et chaque homme tenta d'y résister, mais de façon différente.
Contrôle-toi.
Bats-toi.
La dissonance l'attira et le hurlement du droïde les sortit de leur méditation chaotique. Le vaisseau vacilla une première fois et enchaîna dans une débauche de vrombissements assourdissants qui forcèrent les deux Jedi à sauver la situation par les derniers moyens à leur disposition. Anakin réagit par pure impulsivité et se rua aux commandes pour rediriger le flux de consommable dans l'hyperdrive de secours. Dans un dernier laps de temps, il échangea un bref regard avec Obi-Wan. Trop de sens pouvait être déterminé dans cette dernière connexion. Réconfort, regret, remords ou même simple excuse. Aucun mot ne fut prononcé avant qu'il ne charge le propulseur et les fasse sauter dans l'hyperespace.
