Chapitre II - Marécage

Regagner la réalité était tout autant une épreuve qu'une histoire de chance. Le corps qui appelle la conscience à revenir, la conscience qui encourage le corps, les mêmes encouragements qui pouvaient être en chœur avec l'extérieur, les poumons qui s'emplissent de l'oxygène trouvable puis les nerfs qui s'agitent lentement de minuscules stimulus. Ce n'était pas tant tout le processus éreintant à retrouver des forces qui était difficile mais surtout cette douce paix qui l'appelait à rester et dont les bras étaient bien trop confortables pour s'en extirper. Obi-Wan puisa dans tous les enseignements qui lui avaient été inculqués, ou encore qu'il avait appris en conséquence des événements, ou même par simple intuition. C'est ce qu'il s'efforça à croire dans ce moment d'acharnement jusqu'à ce qu'il comprenne de façon inéluctable que tout ce qui l'encourageait à continuer était une pure colère contre la fatalité. Ils n'avaient pas échappé au vide spatial pour mourir d'un crash, ils n'avaient pas guerroyé pour leurs vies pour partir en une pincée de secondes et ils n'avaient pas survécu à tant de combats, de batailles et de chaos pour se laisser emporter maintenant. Il y songea cependant, à ce moment de trop où il ne voudra plus se réveiller et continuer, où la fatigue le noiera dans un silence bien plus accueillant et où il retrouvera tous ses chers amis disparus. Malgré tout cela, il savait que la paix ne s'y joindrait pas, car il restait encore tant à faire. Encore une fois.

Obi-Wan poussa ainsi sa chance en trouvant une nouvelle symbiose de la Force avec l'environnement dans lequel il avait atterri. Son corps hurlait tous les signaux de douleurs pour l'invectiver de rester dans sa position et il comprit qu'un traumatisme crânien l'avait sévi lorsque de léger vertiges s'accompagnèrent d'une sensation de nausée. Il semblait toujours avoir l'usage de ses membres, ceux-ci étant d'ailleurs entiers et, bien que son cœur perpétuait une course folle, sa respiration erratique gagnait en rythme. Ses sens lui revinrent peu à peu et il entendit quelqu'un l'appeler, demandant de lui un simple son de sa part pour signaler sa présence. Les ténèbres ne se dissipèrent pourtant pas une fois les yeux entrouverts. Tout était sombre et d'une chaleur étouffante, mais une nouvelle blessure brisa son éveil progressif dans une nouvelle salve de douleur. Son dos avait été lacéré voire labouré par le métal, et la souffrance lui arracha de faibles gémissements, un appel à l'aide misérable mais qui sembla fonctionner.

Dans un coin de sa vision, une traînée incandescente se dessina au travers de l'acier et scinda la plaque en deux pour y laisser filtrer une source de lumière. Une voix sourde et grave s'articula et les bribes de mots qu'il saisit lui promettait qu'il allait être sauvé. On l'extirpa avec toute la délicatesse que la situation pouvait opérer et il fut déposé contre une friche sableuse. Petit à petit, il distingua les traits de son sauveur et un soulagement réfrèna une crainte qui avait tout juste commencé à s'installer. Dans un halo de boucles mordorées brunies par les cendres, Anakin le scrutait, contrit mais surtout soucieux.

— Obi-Wan ? C'est moi. J-je suis… Ça va aller, OK ? Ça va aller.

La dernière phrase se répéta en une petite litanie assourdie alors qu'il tentait de lever le buste de son aîné. Le jeune Jedi n'était cependant pas encore au courant de la meurtrissure qui obstruait tout mouvement à son acolyte. Ce dernier se dépêcha donc d'exprimer tous les avertissements que son souffle court pouvait lui permettre.

— Attends… Ana- Ah !

La douleur le frappa de plein fouet jusqu'à expulser l'air de ses poumons. C'était plus sérieux que ce qu'il croyait, un fragment de métal était encore logé dans sa peau et entaillait une omoplate. Anakin le reposa immédiatement pour le laisser retrouver une position plus confortable et sembla se démener mentalement afin de trouver une solution. Après un temps de réflexion nerveux, il secoua la tête comme pour se clarifier les idées puis se leva d'un bond pour faire résonner sa voix.

— Medie ! Medie, réponds-moi !

Il y eut un silence consacré à la réponse où il fallut distinguer celle-ci entre le crépitement des flammes et le grésillement de l'électronique endommagée. Une petite série de sifflements et de bips éraillés s'élevèrent malgré tout de l'autre côté des débris. Le chevalier se précipita vers la source du bruit et s'adonna sans délai à retrouver le pauvre droïde certainement piégé sous les décombres. Quelques minutes après que son compère ait sauté au travers d'un voile de fumée noire, Obi-Wan entendit une résonance contre la terre. Ça pouvait être la carcasse du vaisseau qui grinçait encore dans sa lente agonie, ou bien le craquement des arbres fauchés par l'impact qui ne tenaient plus qu'à quelques branches. C'était néanmoins bien trop régulier, et il fallut un moment pour comprendre que le sol battait au rythme d'une troupe. C'était le tambourinement des pas de plusieurs individus, assez imposants semblaient-ils, qui ne devaient plus être qu'à une dizaine de mètres de leur emplacement.

Malgré la douleur, une poussée d'adrénaline incita le Jedi à se hisser sur les coudes pour finalement se tenir sur les genoux. Dans son élan, il dut cependant s'appuyer contre l'épave pour reprendre son souffle, ce qui lui permit de distinguer les voix étrangères qui s'amplifièrent à mesure qu'elles avançaient dans leur direction. Un dernier effort et il se tenait enfin debout, plus ou moins ancré sur ses deux pieds. Une main accrochée à l'une des branches épaisses encastrées dans le vaisseau, il se déplaça en regagnant peu à peu de sa vigueur et parvint à se frayer un chemin dans le nuage de cendres au travers duquel Anakin avait disparu. Il fut cependant vite stoppé dans sa course lorsqu'il se trouva face au cratère béant creusé par le crash et dont les réacteurs avaient brûlé la terre pour créer un véritable brasier de pierres et de racines. De l'autre côté, il aperçut le jeune Jedi réajuster le train bringuebalant de l'astromech, visiblement inattentif à ce qui s'avançait vers eux.

Le maître tenta de l'appeler sans trop élever la voix et cela prit malheureusement trois précieuses secondes pour que son cadet tourne enfin la tête dans sa direction, certainement alerté par le mouvement. Ce dernier parut ainsi saisir l'importance de la situation quand quelque chose frappa contre la tête de l'appareil alors qu'une conversation dans un dialecte étranger s'ébruitait à quelques pas. Le chevalier se leva lestement et fit un petit signe de tête à son acolyte pour pointer en direction de la frondaison vétuste dont les herbes seraient assez hautes pour les dissimuler. Medie sur les talons du Jedi, ils marchèrent ainsi en parallèle jusqu'aux fourrés. Arrivés au centre de la végétation, Obi-Wan laissa lourdement tomber un genou à terre, ne serait-ce que pour calmer son cœur déjà surexcité par le mal. Anakin s'approcha furtivement de lui en intimant au droïde de faire de même, lui demandant dans la foulée de lui tendre un de ses derniers stims. La capsule en main, il se tourna vers son compère et se hâta de presser la seringue contre la veine jugulaire de ce dernier.

— En attendant les soins intensifs, dit-il en injectant l'antalgique avec précaution.

La piqûre fut désagréable malgré tout, arrachant une grimace de douleur au Jedi. Ce genre de médicament s'administrait par voie intramusculaire et n'était donc muni que d'un pistolet à usage unique conçu pour percer peaux et vêtements en une pression.

— Tu aurais pu choisir le bras…

— De rien, Maître, rétorqua son acolyte ouvertement exaspéré par sa réflexion.

Obi-Wan ravala un soupir qui aurait été bien trop malvenu et se rattrapa avec le spasme d'un sourire pour marquer sa gratitude.

— Merci.

L'intraveineuse eut le mérite d'avoir un effet immédiat et ils purent enfin progresser à bon rythme jusqu'à se glisser derrière un tertre isolé. En scrutant les alentours, force était de constater qu'ils avaient atterri dans une réelle lande industrielle dont la nature semblait être en pleine reconquête. Le monticule qui leur servait désormais de cachette n'était par ailleurs qu'un amas de pièces détachées, de mécanismes dépareillés et de coquâtres de droïdes laissés à l'abandon. Des veines de lierres et de lianes avaient déjà enlacé ces charniers d'automates tandis que plantes et herbes s'étaient frayées un chemin entre les détritus pour trouver la lumière d'un crépuscule déjà voilé par une étrange brume grisâtre. Les secondes passantes, Obi-Wan comprit que sa respiration haletante n'était pas seulement dûe à son état mais bien plus encore, l'air impur. Ils étaient dans une des provinces de Cyrkon, loin des villes où l'oxygène devenait une denrée rare et précieuse pour les populations les plus modestes. Certes l'atmosphère paraissait être une moindre menace après avoir survécu à un tel désastre mais les conséquences délétères sur le long terme inciteraient n'importe qui à fuir cet endroit au plus vite.

— Des Kaleesh ?

La question extirpa le maître de ses pensées, le faisant se tourner vers son coéquipier visiblement en pleine contemplation du lieu du crash. Lorsqu'il se releva légèrement pour porter son regard dans la même direction, il constata effectivement un groupe d'individus à la peau brune, aux silhouettes élancées et aux têtes allongées où la partie inférieure de la mâchoire disposait d'une paire de crocs saillants. Harnachées comme de féroce mercenaires, leur apparence incitait peu à ouvrir le dialogue et l'agressivité émanant de leurs yeux perçants laissait entendre qu'ils étaient capables de tirer à vue. Puis il y avait aussi cette façon qu'ils avaient d'extraire les corps des clones des décombres pour les fouiller, récupérer quelques armes ou certaines parties d'armures pour finir par les dégager d'un coup de pied afin de les faire rouler au centre du cratère… Anakin se leva brusquement de toute sa hauteur dans un élan de rage que son aîné reconnut aussitôt. Ce dernier se précipita pour l'attraper par le bras et l'arracher à cette impulsion qui pourrait leur coûter cher. Il serra la main du Jedi déjà accrochée à la garde de son sabre-laser et l'incita lentement à s'accroupir à nouveau. Bien qu'il parvint à détourner son regard de la scène, le jeune homme refusa de lui rendre un contact visuel, dont il soupçonnait certainement une réprimande, et s'attarda plutôt sur les épaules de son ami.

— Il faut que tu te reposes, lança-t-il en scrutant une nouvelle fois les environs.

— On ne peut pas rester ici, soupira Obi-Wan en secouant la tête. On doit trouver un moyen de partir au plus vite.

— Et que je me retrouve à te porter vingt minutes après ? Hors de question. Medie peut certainement envoyer un signal pour donner notre position, pas vrai ? demanda-t-il en se tournant vers le droïde.

Celui-ci sembla pris au dépourvu et mit du temps à répondre dans une suite de bips saccadés, ce qui parut être une affirmation peu convaincante s'il l'on s'en fia à la mine renfrognée de son interlocuteur. À ce même instant, le maître sentit non seulement ses membres doucement s'engourdir du médicament qui lui avait été administré mais sa tête commençait également à ondoyer à la verge du sommeil.

— La seconde où ces brutes nous trouvent, je ne pense pas pouvoir faire grand-chose.

— Raison de plus pour que tu reprennes des forces. Ce bâtiment là-bas, dit-il en pointant du doigt une bâtisse de l'autre côté de la lande, pourrait nous servir d'abri.

Le maître tourna la tête pour examiner le potentiel havre en question. Celui-ci avait tous les aspects d'un hangar abandonné dont ils pourraient effectivement y trouver des choses intéressantes, ne serait-ce qu'un transmetteur pour communiquer par satellite et enfin joindre un de leurs alliés. Néanmoins, la concupiscence environnante rebutait à penser à un accueil chaleureux s'ils rencontraient quelque autochtones.

— Si tu veux mon avis, l'espérance de vie ici se résume au nombre d'armes que tu portes. Les deux tiers du territoire sont aux mains des gangs et ça m'étonnerait que les étrangers soient les bienvenus, à moins de savoir allonger les crédits.

— On se contentera de la loi du plus fort, rétorqua le jeune homme dans un haussement d'épaule.

— Est-ce que tu- ? Est-ce que tu pourrais prendre le temps de réfléchir au problème ?

— Alors suis tes propres conseils ! On a atterri dans un vrai coupe-gorge, on a encore aucune solution, la nuit va bientôt tomber et tu tiens à peine debout. Kriff ! Je veux juste qu'on ait une chance de s'en sortir ! Je ne veux pas… Je ne veux pas me retrouver à devoir te laisser derrière moi.

Il a peur. Le maître savait que cette acrimonie n'était que le reflet d'un tempérament à fleur de peau, et pourtant il resta stupéfait de ce coup de sang. Il était vrai que les événements s'enchaînaient sans qu'on ne leur accorde un temps pour reprendre leur souffle mais cela ne lui ressemblait pas. Le jeune homme ne pouvait plus, et ne voulait plus endurer d'autres épreuves.

— Anakin…

— Je peux nous protéger. Fais-moi confiance… D'accord ?

Bien que les derniers mots eurent toutes les tonalités d'une supplique, Obi-Wan leva tout de même une main devant lui en signe d'accalmie et de résignation. Ses forces restantes ne pouvaient lui offrir plus d'efforts pour faire face aux paroles de son ex-padawan. Il céda alors sans un argument de plus, faisant naître un authentique soulagement sur le visage de son ami. L'expression se mua cependant bien vite en confusion lorsqu'il perçut le léger vertige qui fit chanceler son compère.

— Qu'est ce qu- ? Il te faut une autre dose ? s'enquit immédiatement Anakin en le prenant par les épaules.

— Au contraire, je crois que… Medie ? appela le Jedi en fixant le droïde du regard. Ces stims sont plus que des anti-douleurs, hein ?

Le capteur du robot pivota successivement d'un homme à l'autre, à la recherche semble-t-il d'un quelconque indice qui pourrait laisser croire que la question était un piège. De fait, lorsqu'il répondit une nouvelle fois dans un petit sifflement éraillé, Anakin baissa la tête pour libérer un soupir et passer une main devant son visage. Une attitude qui parut déstabiliser l'astromech qui émit une seconde ligne de codes.

— Oui, c'est un détail qui aurait eu de l'importance. Bonne déduction, mon grand, cingla le jeune Jedi avec sarcasme.

Le droïde se sentit heurté par sa réaction parce qu'à l'instant même où il comprit ces mots, il baissa son capteur vers le sol comme confondu en excuses. La peine ressenti à l'égard de la pauvre machine mêlée à l'absurdité de la situation suscita un amusement sans amertume chez Obi–Wan. Certes il y aurait eu des moments plus propices à ce genre de bévue mais ils allaient bel et bien devoir composer avec le problème, comme ils l'avaient fait de nombreuses fois auparavant. Par ailleurs, bien qu'il doutait que son acolyte est la rancoeur facile envers leur nouvel ami dont il avait eu tant de soin à réparer, il s'empressa d'apaiser l'échange pour sauver des minutes de dispute inutile.

— Ce n'est pas grave, dit-il d'une langueur médicamenteuse. Il faut juste… se dépêcher.

Le moment où il se leva, le monde vacilla devant ses yeux et il retomba immédiatement à terre pour reprendre son souffle. La narcose l'assomma plus vite que prévu.

–✶–

— Obi-Wan ?

Anakin prit le visage de son ami entre ses mains et tenta de le maintenir éveillé en l'incitant à le regarder. Ses iris paraissaient déjà voilées par le sommeil sous ses paupières mi-closes et sa tête tombait lourdement contre sa paume de chair. Son corps n'allait pas tarder à suivre le mouvement tandis qu'il le vit s'asseoir nonchalamment sur le sol pour s'avachir contre la coque vide d'un automate. À défaut d'avoir un réel coupable, le chevalier maudit intérieurement la Force pour son mauvais sens du timing et peut-être même de l'humour. Il n'avait pas le luxe de quelques minutes de plus et ils devaient se mettre en route dès maintenant, si son coéquipier pouvait encore rester alerte. Il secoua ce dernier en espérant le sortir de sa torpeur et retenir son attention.

— Hé, reste encore un peu avec moi. Je vais te porter mais il va falloir que tu t'accroches.

Le jeune Jedi bénit sa chance restante lorsqu'il vit son aîné s'appuyer sur ses cuisses pour s'avancer vers lui. Il se tourna pour inviter celui-ci à se tenir à ses épaules et laissa échapper un "ouf" de surprise quand il affala lourdement son buste contre son dos. A ses côtés, Medie bipa une fois de plus pour lui proposer son aide. Son interlocuteur rit en réponse.

— T'en fais pas. Ce n'est pas la première fois que ça arrive, ajouta-t-il avec un clin d'œil.

Au même instant, il entendit marmonner contre son épaule, ce qu'il comprit avec un peu de retard comme une protestation de la part de son ancien maître. Celui-ci savait manifestement déjà ce qu'il sous-entendait par ces mots, et bien qu'il aurait eu le plus grand plaisir d'étendre l'échange à de rudes combats fuis ou gagnés de justesse en passant par quelques soirées où le brandy avait été surdosé, il se contenta d'en faire une bonne histoire pour plus tard pour se reconcentrer sur sa tâche première. Tandis qu'il ajustait ses bras autour de ses jambes, Anakin poursuivit à l'attention du droïde.

— Tu peux nous ouvrir la voie, mon grand ? On te suit.

Il désigna du menton le bâtiment de l'autre côté du terrain et l'astromech ne tarda pas à se mettre en marche, roulant sur la bruyère avec son train cahotant. En y attardant un œil plus attentif, il était clair que celui-ci avait encore besoin d'une bonne remise en état. Paramétrer les câbles, remplacer les leds endommagés, lui trouver un nouveau bras mécanique, quelques plaques d'armatures, réalimenter ses réserves de bacta… D'ordinaire, le jeune homme aurait été enthousiaste à l'idée de réparer leur nouvel ami avec la plus grande minutie mais il avait désormais un autre compagnon dont la santé l'inquiétait bien plus.

En un saut, il parvint à se tenir debout, se penchant légèrement vers l'avant pour éviter qu'Obi-Wan n'ait trop à s'accrocher à lui et risque la chute si jamais il perdait entièrement connaissance. C'est cependant après quelques pas qu'il constata sa désillusion. Ce n'était effectivement pas la première fois que ça arrivait mais sa mémoire avait vraisemblablement occulté le poids que pouvait faire son aîné et qui allait certainement lui demander quelques pauses sur le chemin.

Lui aussi avait perdu beaucoup d'énergie. Il éprouva ce sentiment d'affaiblissement lorsque de sombres pensées fusèrent dans son esprit, lui faisant presque croire qu'il avait en réalité un cadavre sur le dos et qu'il nageait en plein fantasme pour entretenir son courage. Une kyrielle de phrases fusèrent dans sa tête, toutes acharnées à défier ses idées noires. La rapidité à laquelle il tomba dans ce tourbillon de rumination était déconcertante. Il est vivant. Pourquoi pensait-il des choses pareilles ? C'était ridicule. Il avait déjà appris à vivre avec ce genre de questionnement, il avait appris à s'en défaire. Ils allaient s'en sortir, comme ils l'ont toujours fait par le passé. La Force ne les laisserait pas tomber. Il devait juste continuer. Tout allait bien, tant qu'il n'était pas seul…

Ça va aller.

Un écho tut le tintamarre dans son crâne. Ça ne venait pas de lui. Pourtant, il reconnut cette voix qu'il avait entendue maintes fois auparavant. Une résonance qu'il avait appris à estimer puis à dédaigner, à mépriser comme à aimer, et qu'il ne pensait pas entendre à nouveau un jour aussi forte et aussi distincte. Cet instant l'immobilisa, lui donnant l'opportunité de comprendre ce qui se passait. Derrière lui, il pouvait entendre le souffle irrégulier d'Obi-Wan nuancé de quelques profondes inspirations, prouvant qu'il gardait encore une prise sur le réel. Anakin constata au même moment qu'il agrippait ses jambes avec beaucoup trop de poigne, il assouplit alors immédiatement sa prise, calmant de facto l'haleine de son compère. Il hésita à lui parler, et ouvrit une première fois la bouche pour serrer les lèvres dans la foulée. Il l'avait imaginé. Vu son état, ce n'était pas surprenant que son esprit se défende de l'insanité avec tout ce qu'il pouvait trouver, il était épuisé.

Timidement, il tâtonna au travers de la Force pour ressentir à nouveau ce lien mais ne perçut que l'immensité insondable habituelle de celle-ci, le tout et le rien à la fois. Il n'y avait que cette énergie perpétuelle qu'il pouvait déceler chez chaque ami Jedi mais aucune autre liaison comme celle qu'il partageait avec Ahsoka. Du moins, qu'il croit partager avec sa jeune Padawan. Il n'avait plus osé y penser après la catastrophe près de Bothawui mais le lien était si fragile depuis que cette Chose les avait attaqués. Il avait désormais la désagréable sensation que chaque seconde, chaque pas, l'éloignait un peu plus d'elle et de tout ce qu'elle signifiait pour lui; le conseil Jedi, ses frères et sœurs d'arme, ses amis, Padmé… Leur lien paraissait mort, et cela ne fut qu'un nouveau heurt envers sa confiance. Ses sentiments tournoyaient à présent dans l'ombre de l'incertitude et il redoutait qu'elle n'éclate en rage.

Cette introspection se stoppa brutalement après qu'un éclat de voix se fit entendre bien plus proche qu'il n'avait imaginé. Les Kaleesh qu'ils avaient entraperçus quelques minutes plus tôt devaient commencer à soupçonner qu'il subsistait des survivants au crash, et ils n'allaient pas tarder à suivre leur trace. Le cœur battant d'adrénaline, le Jedi enterra ses pensées dans un coin de sa tête et se remit en route. Les yeux désormais rivés sur leur nouvel objectif érigé parmi le maquis et les ronces, il resta assuré de son idée quand il n'y décela aucune lumière aux fenêtres malgré l'obscurité de la brune. Il ne pourra bientôt plus qu'en discerner les contours s'ils n'accéléraient pas le rythme, c'est pourquoi le chevalier s'adonna alors scrupuleusement à suivre le sillage creusé par les chenilles du droïde pour garder la cadence. Contrairement à ce qu'il avait supposé au début, il s'arrêta très peu en chemin, naturellement poussé par la crainte d'être retrouvé, et c'est après vingt minutes à piétiner dans la terre bourbeuse des bois qu'ils se tinrent enfin devant leur potentiel refuge.

A court d'haleine, Anakin entra dans l'édifice et se hâta de trouver un endroit où poser son ami. Il balaya l'espace du regard et put constater la décrépitude des lieux où la quasi-totalité des meubles et du matériel avait été emportés, volés ou simplement saccagés. Il ne pouvait toujours pas dire avec certitude à quoi avait servi ce bâtiment, mais il avait toutes les apparences d'une base d'avant-poste ou d'un fortin abandonné. La végétation n'avait pas encore envahi les lieux mais l'air était humide et méphitique malgré les fenêtres cassées et les trous béants des murs détruits ou désagrégés. Il était impensable qu'ils restent dans cet environnement plus d'une heure.

A la recherche d'une nouvelle idée, le Jedi remarqua soudainement l'escalier en métal collé à l'une des façades et avança dans sa direction tout en indiquant à Medie de faire de même. Ce dernier prit les devant afin de scanner les marches pour s'assurer de leur solidité puis bipa à la positive et les invita à les emprunter à sa suite. En montant, les suppositions d'Anakin se confirmèrent et ils gagnèrent peu à peu fraîcheur et salubrité. C'est une fois arrivés en haut que le chevalier vit finalement ce qui devait être ce qu'il y avait de plus confortable en ce lieu. Non loin de la fenêtre de la plus grande pièce, une banquette poussiéreuse accolée contre un mur sauva ses poumons de plus d'effort, et c'est avec toute la délicatesse qui lui restait qu'il y allongea Obi-Wan.

Il l'avait deviné sur le trajet mais c'est en regardant plus attentivement son visage qu'il constata toute l'étendue de ce qu'il endurait. Bien qu'inconscient, son aîné luttait contre la douleur dans un sommeil agité. Il ne parvenait pas à stabiliser sa respiration, son teint était livide, ses tempes perlaient de sueur et ses sourcils se fronçaient et se déliaient à la merci de sa géhenne. Anakin se sentit peu à peu dépourvu face à la situation et il détesta ce sentiment d'impuissance qui s'immisça au fil de ses pensées. Il était exténué et c'est avec beaucoup d'inquiétude qu'il se demanda s'il lui serait possible d'encaisser une autre mésaventure sans perdre son sang-froid. Il occulta cette dernière réflexion en secouant la tête. Certes, ça ne tenait qu'à un fil mais il n'avait encore aucune raison de baisser les bras. A vrai dire, il avait encore toutes les raisons de se préserver, il suffisait de trouver une solution. Tout en laissant son esprit divaguer à cette chasse aux idées, Anakin s'accroupit et leva une main pour la porter au visage de son ami et dégager les mèches de son front. Cet homme avait besoin de lui et il était le seul à pouvoir le protéger. Aucun mal ne lui sera fait, personne ne s'en approchera et la Force ne le lui arrachera pas.

Noyé dans ce bouillonnement d'émotions, le Jedi eut un soubresaut de surprise à l'appel du droïde pourtant à ses côtés. C'est avec confusion qu'il se détourna de la figure souffrante du maître pour s'adresser à Medie.

— Est-ce que tu…? Désolé, souffla-t-il. Tu peux répéter, s'il-te-plaît ?

Le robot marqua une pause, semblant ainsi décrypter l'expression de son interlocuteur dont il devait vraisemblablement deviner le trouble, puis il dévia son capteur vers Obi-Wan tout en allongeant l'un de ses bras mécaniques dans sa direction. Il y eut un nouveau silence où il scanna l'entièreté du corps allongé sur le sofa pour qu'il se tourne encore une fois vers le jeune homme et émette une autre série de mots binaires.

— Tu… Tu pourrais le soigner ?

Malgré l'espoir fou qui gonfla en lui à la proposition de son ami, Anakin se renfrogna immédiatement à celle-ci compte tenu des circonstances délétères évidentes dans lesquelles ils se trouvaient.

— Je ne pense pas que l'opérer dans un endroit pareil soit une excellente idée. C'est à peine si l'air nous tue pas…

Medie le coupa avec une gamme de petits bips exaltés et enchaîna les arguments avec une telle vigueur que le chevalier se retrouva à y croire malgré la raison, rien que pour apaiser le tumulte d'inquiétudes qui grossissait au tempo de la respiration grondante de son acolyte. Le processus demandait beaucoup de précaution et bien que le droïde n'avait visiblement pas perdu de sa dextérité, le Jedi redoutait le moment fatidique où les choses pouvaient tourner au mieux comme au pire. La réalité était cependant bien plus pressante car une fois la blessure refroidie, Obi-Wan ne pourra jamais tenir dans cet environnement hostile et toxique, même avec Anakin se jurant de le protéger corps et âme, le risque qu'ils y laissent la vie était bien trop grand pour ne pas tenter sa chance.

L'astromech était manifestement résolu à l'idée parce qu'après une dernière ligne de code il déploya enfin progressivement tous les instruments de son arsenal en une roue de scalpel, bistouri, ciseaux, seringue, pinces, pour appuyer ses compétences avec plus d'assurance. Le chevalier aurait aimé rire de cette débauche de moyens que le petit robot mettait en œuvre pour le convaincre, mais la situation préoccupante ne lui donnait pas plus de choix. Le droïde marqua une nouvelle pause et s'exprima finalement pour lui promettre qu'il aiderait son maître avec autant d'égard qu'il l'avait réparé. Le jeune homme flancha à ces paroles.

— Medie, tu n'as aucune dette- Hé !

Le Jedi se tut alors que la pointe d'un bistouri lui piqua les côtes. Il n'avait visiblement plus l'opportunité d'un autre argumentaire et il leva alors la main en signe de rémission.

— D'accord. Je te fais confiance, affirma-t-il en stabilisant son regard sur le capteur optique.

Le robot fit tournoyer son dôme dans un tour complet en signe de satisfaction.

— Mais il va falloir trouver un endroit plus adapté.

Ses mots restèrent en suspens tandis qu'il balayait la salle du regard mais à peine s'était-il levé pour explorer les lieux que Medie le devança et l'appela à le suivre, lui confirmant qu'il avait déjà repéré ce qu'ils cherchaient. Anakin ne s'attarda pas et releva le maître Jedi de la banquette pour le porter à nouveau. Cette fois-ci cependant, il se contenta de le hisser sur son épaule en adressant quelques encouragements, autant à son encontre qu'à celle du futur patient.

Bien que pénible pour sa moindre énergie, le chemin ne fut pas long et il n'y eut qu'à revenir devant l'une des deux arches qu'ils avaient dépassé en examinant l'étage un peu plus tôt pour trouver une pièce exiguë et tout aussi dépouillée que les autres mais dont il restait quelques néons fonctionnels et une longue table en son centre, assez basse pour que le droïde puisse y opérer. Le jeune homme s'efforça à oublier ses réticences et agit vite en déposant son compère comme demandé par le robot. C'est en se reposant sur la confiance qu'il avait envers ce dernier qu'Anakin solidifia son bon pressentiment et alors qu'il commençait à retirer l'armure d'Obi-Wan, ce qu'il vit confirma qu'il avait fait le bon choix.

Il n'avait pas encore examiné la blessure jusque-là et en posant les yeux sur la large estafilade qui avait percé la cuirasse blanche, une colère commença à consumer sa peine. Sous le plastron du général, le vêtement était trempé de sang et de sueur et il fallut les ciseaux de l'astromech pour le lui ôter sans contrainte. La plaque qui entaillait son dos, dont une lame de duracier dépassait de l'épiderme de quelques centimètres, se dessinait en une ligne écarlate partant du haut de l'épaule jusqu'au milieu des lombes. Avec un des lambeaux de l'habit, il nettoya les contours de la plaie et les autres lacérations, plus bénignes mais assez profondes pour nécessiter plusieurs cataplasmes de bacta.

Les conditions spartiates de la situation les précipitèrent à terminer les préparatifs en quelques minutes et après une injection de ce qui lui restait d'anesthésiant, Medie procéda à l'opération dans un silence religieux. Anakin n'avait jamais réellement tourné de l'œil devant la violence des combats en passant par les incidents malencontreux jusqu'aux horreurs de la guerre, pourtant cette intervention le perturba au-delà de ce qu'il avait imaginé. À vrai dire, cela relevait moins de la nature de celle-ci que des évènements qui l'avaient poussé à vivre ce moment. Tout se rejoua devant ses yeux, de la seconde où on leur avait assigné cette mission jusqu'à cette instant où le fragment de métal était extrait de la chair de son maître.

L'émotion le submergea malgré lui. Tandis que la fatigue l'avait désinhibé, cet enchevêtrement de tristesse et de rage dont il avait ressenti les bribes quelques minutes plus tôt l'envahit. Il avait perdu tant de ses congénères et tant d'autres dont il ne savait pas s'il allait les revoir, il ne pouvait pas en perdre un autre aujourd'hui. Ce n'était pas de l'égoïsme, se convainc-t-il, ce n'était qu'une façon de se relever de cet échec et enfin trouver un peu de lumière. Il ne pouvait pas laisser une autre catastrophe se dérouler, il devait les protéger, rien ne devait leur arriver. Il ne voulait pas et ne pouvait pas finir seul.

Lorsqu'il fut rappelé à la réalité, le Jedi se trouva à scruter le paysage au travers de la fenêtre, le dos tourné à ses compagnons. En se focalisant à nouveau sur eux, il put constater que l'astromech avait déjà commencé à appliquer quelques pansements sur les plaies et lui demandait à présent de l'aider à bander le buste.

— T-tu as terminé ?

Abasourdi par cette absence qui l'avait arraché à son devoir, il se précipita pour étudier la plaie désormais étirée en une ligne rouge vif. Le droïde lui répondit à l'affirmative, mais se dépêcha d'ajouter que les conditions actuelles ne pouvait offrir une meilleure alternative à son rétablissement et conclut en insistant pour que son patient se repose. Un soulagement suivi d'une bouffée de gratitude enfla chez le jeune homme et il s'agenouilla pour poser une main sur le dôme de son bienfaiteur.

— Medie. Merci, dit-il sincèrement. Merci beaucoup.

Un faible sourire rehaussa le coin de ses lèvres, prouvant que réparer ce robot avait été sa meilleure idée depuis longtemps. Ils échangèrent un dernier regard chaleureux et Anakin s'attela de suite à la tâche qui lui avait été demandée, déchirant les habits éparpillés sur le sol pour en faire des bandages de fortune. Puis, alors qu'il ajustait le corps d'Obi-Wan dans le creux de ses bras, un bruit retint son attention et s'il l'entendit c'était surtout parce qu'une présence l'avait d'abord interpellé. Ça pouvait être un animal sauvage ou un habitant égaré s'il voulait être optimiste, mais même ces éventualités ne devaient pas s'approcher d'eux, et il était certain que le jeune homme ne jouira d'aucun sommeil cette nuit. Il regagna ainsi leur cachette à pas feutrés où il put enfin reposer le maître sur le sofa et le laisser à son sommeil léthargique. Le teint de ce dernier était toujours un peu pâle, mais son visage détendu et son pouls régulier pressentait sa guérison. Le Jedi se tourna vers le droïde et lui intima de ne pas faire de bruit pour le moment.

— Je vais faire le tour pour m'assurer qu'on est en sécurité et en profiter pour fouiller l'endroit. Garde un œil sur lui, d'accord ?

Medie acquiesça fièrement à sa requête et se plaça en sentinelle près de son patient. Anakin jeta un dernier regard sur ses deux compères et remercia silencieusement la Force pour ce tableau aussi réconfortant, lui donnant ainsi assez de courage pour partir avec confiance.

L'obscurité était désormais totale et les seules loupiotes suspendues ou accrochées au mur ne pouvaient éclairer au-delà d'un mètre de distance. Le rez-de-chaussé se révéla encore plus sombre, si cela ne relevait pas de la présence de quelques plantes phosphorescentes essayant déjà de trouver un soupirail parmi les brèches du bâtiment. A cela s'ajouta l'odeur pestifère qui s'insinua à nouveau dans ses poumons et selon toute réflexion, il se demanda si cela ne venait pas des spores nitescens virevoltants à l'intérieur comme à l'extérieur. Faire le tour ne lui aurait pas demandé plus d'un quart d'heure selon la taille des lieux mais le Jedi était maintenant aux aguets et descendait l'escalier à pas de loth-loup, son sabre-laser en main. La quiétude de l'environnement était oppressante mais s'avérait également être une aubaine pour distinguer le moindre son inhabituel au-dessus de la brise et du chant nuptial des insectes. Au bas des marches, il avisa la plus grande salle d'où il perçut plusieurs étagères dont il semblait rester quelques provisions. Le Jedi se laissa encore quelques secondes à l'affût d'un potentiel importun puis actionna son sabre afin de l'aider à s'éclairer.

Tout ce qu'il y avait de plus intéressant avait bien évidemment déjà été dérobé. Que ce soit nourriture, médicament, armes ou munitions, tout avait déjà trouvé un propriétaire dans le besoin et Anakin ne pouvait pas leur en vouloir. Il était encore difficile de dire à qui avait appartenu cet endroit mais une brève inspection laissait supposer qu'on lui avait donné plusieurs vies. A demi-effacé sur l'un des murs de la pièce, le logo de l'Alliance Séparatiste avait été dégradé par des gravures combinant insultes, symboles et mots inconnus dont les différentes calligraphies laissaient penser que des gangs s'étaient partagés ou disputés le bastion. Des têtes de droïdes de combat avaient été vissées au sommet de bouteilles d'alcool de contrebande, des brûlures de lasers ornaient chaque paroi de l'édifice et il était presque sûr que les herbes hautes de l'extérieur dissimulaient une mine de crânes à ses yeux. S'il ne pouvait pas encore affirmer qu'il s'agissait d'un no man's land, il pouvait tout de même dire qu'il foulait un ossuaire, et si tous les moyens lui avaient été donnés, le chevalier aurait déjà construit le vaisseau pour les éloigner de cette planète au plus vite.

De nouvelles découvertes allégèrent tout de même cette sombre atmosphère et c'est avec un peu de persévérance qu'il trouva une couverture au tissu certes rugueux mais qui pourrait maintenir son maître au chaud pour la nuit ainsi que divers matériaux utiles à la rénovation de son ami astromech. C'était peu mais il n'en fallait pas plus pour lui redonner l'espoir nécessaire afin de maintenir leur survie. Cette lueur s'assombrit cependant bien vite lorsqu'un cri strident résonna dans la structure suivi d'un vacarme dont il distingua un tir de blaster. Il ne lui fallut pas plus d'une seconde pour deviner que le bruit venait du premier étage. Anakin abandonna immédiatement toutes ses trouvailles et se dirigea vers l'escalier pour monter les marches quatre à quatre et se précipiter là où il avait laissé ses compères. La scène à laquelle il fut confronté ne laissait pas de doutes sur ce qui s'était passé.

Reculé dans un coin de la pièce, Medie ne bougeait plus, son panneau de contrôle central percé par le tir de blaster. Son assaillant, un jeune Kaleesh cuirassé, gisait au sol, inerte et une main posée sur le trou béant qu'il avait au ventre. Enfin, éveillé et pantelant, Obi-Wan était assis au pied du canapé, son sabre-laser négligemment tenu de la main. Il parut revenu du combat le plus éprouvant qu'il eut à mener et ce n'est que très lentement qu'il releva la tête pour échanger un bref regard avec le chevalier Jedi. C'était l'impulsion qu'Anakin avait attendu. Il se rua alors dans la direction de son ami et se prosterna à ses côtés pour l'étreindre de toutes ses forces.

Il ne chercha pas à savoir si un mal quelconque lui avait été fait, car dès l'instant où il l'enlaça une pensée lui intima que rien ne lui était arrivé. Il allait bien, il n'avait pas à s'inquiéter pour lui, ils allaient s'en sortir... Des larmes de rage se formèrent aux coins de ses yeux et il enfouit son visage dans le creux du cou de son aîné pour cacher sa détresse. Ce qui ne sembla cependant pas duper ce dernier.

— Anakin, murmura-t-il à bout de souffle. Ça va aller.

— Tais-toi, rétorqua le jeune homme d'une voix étranglée. Je t'en prie, j-j'ai tourné le dos cinq minutes et tu as failli…

Son cœur battait à tout rompre dans un déchaînement de peur et de colère dont il n'avait plus le contrôle. En ne les protégeant pas, il avait échoué une nouvelle fois. Chacune de ses réalisations mutila un peu plus son esprit parce que cette énumération de blâmes l'entraîna dans un abîme d'aversion envers lui-même. Tout était soudainement devenu bien trop intense pour lui et ce trop-plein d'émotions déborda au-delà de ses défenses et se libéra dans la Force tel un exutoire. Obi-Wan ressentit cette onde ravageuse alors que ses muscles se tendirent et qu'il laissa échapper un râle de douleur. Anakin s'obligea à desserrer son emprise et laisser son maître gagner en air et en répit. À sa surprise cependant, celui-ci leva une main pour la poser sur la nuque du chevalier et marqua une pause pour le dévisager en silence. Alors que tous deux semblaient déjà à court de mots, l'aîné des Jedi approcha leurs têtes afin de presser leurs fronts l'un contre l'autre puis ferma les yeux. Le jeune homme s'apprêta à s'excuser en tentant de rappeler ses émotions à l'ordre, mais cet exercice parut vain et surtout bien moins sémillant que l'éclat réconfortant qui charma son chaos.

Cette énergie était tout ce qu'il y avait de plus inhabituel de sa part et pourtant celle-ci venait bel et bien d'Obi-Wan. Elle n'était plus une mer de sérénité qui voulait éteindre un feu trop ardent mais une source lumineuse aussi pure que puissante dont chaque sentiment avait été mis à nu. Bienveillance, camaraderie, amitié, affection et gratitude ne cherchaient pas à taire son exaltation mais à se retrouver en elle et à se nouer pour créer un nouveau pouvoir. Lorsqu'il laissa son âme partir à la rencontre de cette onde, Anakin sentit de chaudes larmes couler sur ses joues et une véritable libération de ce qu'on lui avait souvent appris à refouler. De nombreuses questions émergèrent dans l'esprit de chacun, voire même des inquiétudes sur ce que tout cela signifiait, mais pour le moment les deux hommes se contentèrent de consacrer leurs pensées à cette étrange paix, indifférente du monde extérieur.