Sauver une vie
Lorsque que Bobby s'extirpa enfin de la benne, il jeta immédiatement un regard à l'ambulance où Ray et Dana s'affairaient autour du petit être. Il accepta l'aide pour se remettre sur la terre ferme et s'élança vers ses collègues.
– Merde, il coagule trop vite, pesta Ray.
– Il va bien ? s'enquit-il.
– Il est en hypothermie, répondit Dana. On doit le réchauffer pour pouvoir le stabiliser avant de l'emmener mais on n'arrive pas à le piquer. Son sang coagule trop vite et bouche la voie qu'on essaie de poser.
– C'est courant avec les bébés, confirma Ray.
– Il n'y a pas un autre moyen ?
Les deux ambulanciers échangèrent un regard et Bobby peinait à comprendre ce qu'ils ne disaient pas. Ray déplia une couverture de survie et emmitoufla le bébé avant de vérifier le monitoring.
– Ce n'est pas bon, Dana, confirma-t-il.
– Je sais. Allez petit, donne-nous une veine potable, lâcha-t-elle en piquant. Merde. La veine était trop petite, elle a éclaté.
– Putain, siffla Ray.
– Le corps à corps, lâcha Bobby se dégageant de l'emprise de son capitaine qui essayait de l'éloigner de la scène. Si on ne peut pas le réchauffer de l'intérieur, on peut peut-être le faire par l'extérieur.
– On n'est pas dans un film, Nash ! claqua Dana.
– Mais ça peut marcher, affirma Ray.
– On ne revient pas d'une hypothermie avec un corps à corps, lui rappela-t-elle. Cette technique aide avant qu'on ne sombre, pas après.
– Sauf qu'il est minuscule, renchérit-il. Un corps adulte dispose de bien assez de chaleur pour lui.
– Il a besoin de nos quatre mains pour survivre, lui rappela-t-elle. Une fois sur ma poitrine, je ne pourrais plus m'occuper de lui.
– Mettez-le sur la mienne, affirma Bobby qui n'avait rien perdu de l'échange. Ainsi, vous pourrez vous occuper de lui.
– Tu es sûr parce qu'il ne sent pas la rose, lâcha Ray.
– Moi non plus, répliqua-t-il en sachant très bien, que Ray voulait le protéger au cas où le bébé viendrait à mourir dans ses bras.
– Dépêche-toi, accepta Dana en lui laissant la place de monter.
Bobby retira sa chemise et souleva son t-shirt.
Dana le déposa contre son torse alors qu'il se calait dans l'ambulance. Il frissonna. Ce petit ange était complètement gelé.
Dana reposa le t-shirt par-dessus le bébé et arrangea les fils. Bobby referma sa chemise d'uniforme par-dessus lui sans l'écraser alors que déjà Dana lui repassait son manteau de participation sur le dos.
Puis, elle glissa sa main sous ses vêtements et attrapa le bras du bébé pour vérifier son réchauffement. Ray avait refermé les portes et monté le chauffage à fond.
– Allez petit ange, souffla Bobby en le serrant encore un peu.
Il essayait de ne pas penser à la vie qui s'échappait de ce petit corps.
Son regard s'attarda sur la planche dorsale mais si Dana et Ray le lui avait posé sur la poitrine alors c'était qu'ils avaient jugé qu'il n'avait aucune blessure nécessitant son immobilisation.
C'était un putain de miracle et Bobby en espérait un autre.
Son regard se balada sur la petite couverture qui avait enveloppé le bébé et sur la peluche de chien que l'enfant tenait entre ses bras lorsqu'il l'avait trouvé. Il avait dû être aimé, on ne donnait pas un doudou à un bébé qu'on n'aimait pas.
Faites qu'il s'en sorte, pitié, quoi qu'il lui soit arrivé, faite qu'il s'en sorte.
– Ô Marie, notre Mère, je Vous prie pour cet enfant malade, commença-t-il en le berçant. Vous êtes notre Mère et nous sommes Vos enfants. Vous nous connaissez en tout ce dont nous avons besoin. Cet enfant est très malade : je Vous en prie, serrez-le contre votre Sein et soyez pleinement Mère pour lui. Au nom de Jésus, je Vous le demande, donnez à cet enfant une bonne santé et bénissez-le, maintenant et toujours. Ainsi soit-il.
Il répéta sa prière une seconde fois avant que Dana ne retente de poser une voie.
– Ok, voie posée, lâcha-t-elle alors que Ray faisait passer la poche.
Bobby transpirait mais il refusait de relâcher le petit être qui se réchauffait lentement contre lui.
Il répétait inlassablement sa prière.
– Sa température remonte, affirma Dana en frappant sur l'ambulance. On bouge !
Enfin, l'ambulance bougea, signe que le bébé allait mieux et qu'il était assez stable pour être emmené à l'hôpital. Bobby ne relâcha pas ses efforts et continua de prier faisant abstraction de la sirène et des mouvements de l'ambulance.
Il se figea lorsqu'il sentit remuer contre sa peau.
Il sentit la petite main bouger contre son flanc et baissa les yeux pour tenter de voir le bébé. Dana continuait de s'affairer autour de lui alors que Ray surveillait ses constantes.
Il entendit ensuite un gémissement qui fit se figer Dana qui l'interrogea du regard.
– Il bouge, souffla-t-il en tremblant.
Il avait peur que le moindre son, le moindre souffle brise ce moment miraculeux, que le bébé qui avait repris conscience s'arrête tout d'un coup de respirer, de vivre.
C'était terrifiant.
– Ok, sa température est encore juste, confirma Dana. Encore deux minutes et je vais devoir l'ausculter.
– D'accord.
Le bébé bougea la tête et frotta son nez contre son torse.
Il sentit ses petites mains s'accrocher à sa peau comme il le pouvait. Il avait déjà un peu plus chaud et sa peau était moins blanche, quoiqu'il ne pourrait pas en jurer, emmitouflé de la sorte.
– Pose-le là, Nash, lâcha Dana. Je dois l'ausculter.
– T'es sûre ? demanda-t-il peu désireux de se séparer de lui et de ce qu'il lui faisait ressentir.
– Oui aller, je dois vérifier que tout refonctionne correctement.
– Ok, lâcha-t-il en l'aidant à sortir l'enfant de ses vêtements.
Il parvint à basculer le bébé sur son bras et le stabilisa avant de le déposer sur la planche. L'enfant ouvrit de grands yeux bleus sur lui et Bobby se sentit transpercer par ce regard.
Il lui agrippa le doigt avec force alors que Dana l'auscultait.
– Respiration ok, pouls presque à la normale, température correcte, pas de blessures apparente, énuméra-t-elle. T'es un vrai miraculé, toi.
Bobby eut un sourire qui se répercuta sur les lèvres du tout petit qui poussa un petit cri excité, ne le lâchant toujours pas du regard.
– Bon fonctionnement des poumons, s'amusa Ray.
L'enfant dû en avoir marre d'être tripoté, car il commença soudain à pleurer, s'agrippant aussi fort qu'il le pouvait au doigt de Bobby.
– Oui, je sais, affirma Dana. Tu veux qu'on te laisse tranquille. Mais il faut encore que je vérifie ta saturation en oxygène, mon petit chou.
Bobby tenta de l'apaiser en secouant sa main de façon ludique.
Il récupéra le petit chien en peluche de sa main libre pour le lui donner et l'enfant s'y agrippa avec force, tentant de calmer ses hoquets sanglotant.
Bobby regarda la peluche plus attentivement et vit le nom indiqué sur son collier pelucheux.
– Buck ? s'étonna-t-il.
– Oh, c'est trop mignon, s'exclama Ray.
– Qu'est-ce que c'est ?
– Tu vas devoir développer ta culture, Nash, le réprimanda-t-il. Buck est le héros du livre de Jack London, L'appel de la forêt.
– Jack London ? L'auteur de Croc-Blanc ?
– Je suppose que tu n'es pas si inculte, finalement, rit-il. Et bien, Croc-Blanc étant le loup qui voulait devenir chien, Buck est le chien qui devient loup. C'est un super livre, je te le conseille.
– Je verrai ça, soupira-t-il lorsque quelque chose attira son attention. Qu'est-ce qu'il a à l'œil ?
Dana récupéra un coton et nettoya sa paupière avant de vérifier la blessure potentielle.
– Je pense que c'est une tâche de naissance, affirma-t-elle. A part son hypothermie, je crois qu'il est en parfaite santé, il a été bien nourri et soigné.
– Ouais, il a seulement été jeté dans une benne à ordure, cracha Bobby en se penchant pour récupérer le petit qui se calma dès que son petit nez se colla à son cou.
Dana lui lança un regard de réprimande mais Bobby fit semblant de ne pas le voir.
Ils arrivèrent enfin à l'hôpital et Bobby descendit prudemment de l'ambulance alors que Dana faisait son compte rendu.
– Allez Bobby, souffla Ray. Il est temps de le laisser aux médecins.
Bobby le remit à un médecin à contre-cœur et voulu suivre mais Ray le retint et il se tourna vers lui, surpris.
– Notre mission s'arrête devant les portes vitrées, nous n'avons pas à les franchir, ce n'est pas de notre ressort.
Bobby sentit son cœur se briser à l'idée de laisser l'enfant seul dans ce grand hôpital mais Ray avait raison, ce n'était plus de son ressort. Il baissa les yeux sur ses mains et vit qu'il tenait toujours l'animal en peluche.
– Buck, sourit-il.
