CHAPITRE 19

Why are your poems so dark ?

Isn't the moon dark too, most of the time ?

And doesn't the white page seem unfinished

without the dark stain of alphabets ?

When God demanded light, he didn't banish darkness.

Instead he inveted ebony and crows

and that small mole on your left cheekbone.

Or did you mean to ask « Why are you sad so often ? »

Ask the moon.

Ask what it has witnessed.

— Linda Pastan

Pourquoi tes poèmes sont si sombres ?

La lune n'est-elle pas sombre elle-aussi, la plupart du temps ?

Et la page blanche ne semble-t-elle pas inachevée

sans la tâche sombre de l'alphabet ?

Quand Dieu a fait la lumière, il n'a pas banni l'obscurité.

A la place, il a inventé l'ébène et les corbeaux

et ce petit grain de beauté sur ta pommette.

Ou peut-être que tu voulais dire « Pourquoi es-tu si souvent triste ? »

Demande à la lune.

Demande lui ce qu'elle a vu.

— Linda Pastan


L'air était frais et sec en ce petit matin.

Serrés l'un contre l'autre, Harry et Draco traînaient leurs corps fatigués sur le sentier de pierre qui reliait les jardins de Poudlard à l'orée de la forêt, et Harry peinait à refréner ses bâillements. Leurs doigts s'entrelacèrent, une habitude quand ils étaient seuls.

Devant eux, le large domaine de l'école était recouvert d'une fine couche de neige brillante comme du cristal et clairsemée par endroits. Des fleurs précoces sortaient ça et là de terre, et les branches nues des arbres accueillaient déjà des bourgeons prometteurs. Au loin, les montagnes encore blanches sortaient de la brume.

C'était le vingt et un mars, et les deux sorciers ne trempaient pas le bas de leurs robes dans la neige par plaisir du froid. Snape avait insisté pour que Harry s'expose à la magie des sabbats, et Draco ne le pensait pas capable de réaliser un rituel digne de ce nom sans son aide. Il n'avait pas tout à fait tort, mais Harry avait rouspété pour la forme.

Arrivés à la jonction entre le sentier et le petit pont d'un bois si vieux qu'il valait mieux ne pas si attarder, Harry laissa glisser sa cape d'invisibilité de leurs épaules, et la replia dans son sac. Il posa un pied sur le pont, mais Draco le retint par le poignet.

« Attends, il faut quelques fleurs. » Le Sang-Pur se pencha pour examiner le sol, invitant Harry à l'imiter. Les traits de Draco reflétaient plus que jamais l'agitation qui le tiraillait ces derniers jours, mais lorsqu'il releva ses yeux clairs et lui offrit un sourire, Harry oublia ses lèvres gercées et ses cernes, frappé par sa beauté.

« Tiens, c'est de la petite pervenche », dit Draco alors que Harry s'accroupissait à côté de lui. « On l'utilise pour des potions liées à la mémoire. »

Il arracha quelques tiges délicates, et tendit à Harry les petites fleurs violettes aux pétales légers. Lui-même ramassa quelques primevères et pâquerettes qui poussaient entre les parcelles fondues de neige.

« Et ça, c'est quoi ? demanda Harry en tendant un doigt vers de hautes fleurs blanches et jaunes, ressemblant un peu aux jonquilles que lui faisait planter sa tante.

— Des narcisses. Tu peux en prendre une si tu veux, elles représentent le renouveau, c'est plutôt approprié pour Ostara. »

Harry compléta son bouquet par quelques longues feuilles d'achillée, et ils franchirent le pont, vers les coins sauvages de l'orée sylvestre encore ombragée et froide. Techniquement, la forêt interdite commençait plus loin, et ils longèrent le sous-bois à la recherche du vieux chêne qu'avait décrit Harry.

Durant plusieurs jours, il s'était familiarisé avec la renarde qui l'abritait en elle lorsque son esprit cherchait à fuir celui de Voldemort. Il avait partagé le fruit de sa découverte avec Draco, qui n'avait pas manqué de lui répéter que le Voyage était un art dangereux et qu'il ne devait en aucun cas perdre le contrôle sur son esprit quand il vagabondait à la recherche du premier animal venu. Le sarcasme de son petit-ami l'avait fait sourire, mais Harry devait admettre qu'il n'était pas mécontent d'enfin comprendre où son esprit partait si souvent se cacher.

« Ah, le voilà ! »

Près d'eux, le chêne qu'il cherchait déployait ses larges branches noueuses.

« Ça ressemble à n'importe quel chêne, dit Draco avec une moue.

— Mais c'est celui-là.

— Hm, hm… Il y en a littéralement une centaine d'autres dans le coin. » Draco murmura quelque chose à propos de quelqu'un qui ne savait pas faire la différence entre un chêne et un châtaigner, mais Harry avait l'ouïe fine.

— Eh, j'suis pas tanche ! répondit-il avec un petit rire, en lui envoyant de la neige que Draco évita.

— Tu sais repérer un chêne en hiver toi ? Sans feuilles, vraiment ? » Draco croisa les bras et le toisa d'un air goguenard. « Permet moi de douter des compétences de quelqu'un qui ne sait pas reconnaître une narcisse... »

Un petit son, proche d'un miaulement, interrompit leur asticotage. Harry tendit l'oreille, mais c'est Draco qui lui montra avec stupeur et émerveillement la créature sortant de sa tanière, délaissant ses petits.

La renarde aux yeux d'or fixait Harry, une patte figée en l'air, comme prête à s'enfuir. Il tendit son esprit légèrement et chercha à rassurer la renarde sur sa présence et ses intentions. Elle renifla, puis bondit entre les arbres sans un regard en arrière.

Harry se retourna vers Draco, qui haussa les épaules avec un sourire incrédule.

« C'est elle ?

— Hm hm », acquiesça Harry, les yeux brillants.

Ils observèrent l'animal s'éloigner en silence dans la neige, puis, une fois la stupeur passée, Draco se racla la gorge et le dirigea vers une souche non loin.

« Je pense qu'elle nous fait confiance, si elle laisse ses petits alors qu'on est ici… Là, ça serait pas mal. Ce n'est pas à proprement parler un autel mais… c'est proche de sa tanière. Ça devrait te permettre de renforcer ta magie du Seidr », chuchota-t-il, presque pour lui-même, un doigt sur la bouche, abîmant un peu plus ses lèvres, l'air à nouveau sérieux.

Harry se laissa guider par les préparatifs assurés de Draco, qui dégageait avec des mouvements de baguette les lierres rampant sur la souche encore humide, chassant les quelques insectes endormis qui se cachaient là. Les mains prises par les fleurs fraîchement cueillies, Harry pensa aux bouquets que certains élèves avaient reçus par la poste magique, accompagnés de lettres graves.

Ces derniers jours, de nombreuses attaques et attentats avaient eu lieu dans tout le pays, principalement à destination des familles mêlant sorciers et Moldus. La Gazette, bridée par le ministère de Fudge, peinait à trouver des explications plausibles aux nombreuses Marques des Ténèbres assombrissant le ciel, et la Confédération internationale des mages et sorciers faisait pression sur le Ministre de la magie pour qu'il agisse rapidement et « matte ce groupuscule extrémiste qui menace le statut du Secret », avait titré le journal dans un entretien à Babajide Akingbade, le nouveau prétendant au titre de Manitou Suprême.

Les élèves s'étaient habitués à la présence des Aurors en patrouille dans les couloirs du château, mais soufflaient lors des sorties à Pré-au-lard, ravis de s'extraire de leurs préoccupations studieuses, des pleurs des élèves endeuillés, et des éternels débats politiques qui animaient les maisons. Harry faisait de son mieux pour trouver sa propre place, entre les sorciers qui voyaient en lui celui qui avait une nouvelle fois survécu à Voldemort, et ceux qui le pensaient fou.

La main de Draco toucha la sienne et l'arracha à ses pensées. Il avait terminé leur autel rudimentaire, et Harry lui confia les fleurs, puis s'assit en tailleur à ses côtés, tâchant de faire le vide dans son esprit et d'ignorer ses jambes trempés de neige.

« Je crois que j'ai compris pourquoi tu as une aussi grande réserve magique. C'est parce que tu ne penses jamais à l'utiliser… Impervius », lança Draco sur leurs vêtements avec un soupir amusé.

Harry haussa les yeux au ciel avant de les clore, laissant sa magie grandir en lui, réchauffant son corps et tonifiant ses muscles, et serra la main de Draco, sentant sa propre énergie pulser dans ses veines.

Le jeune Malfoy traça un cercle autour d'eux d'un geste ample, puis redirigea son attention sur les fleurs printanières, les agençant dans un dessin complexe. Enfin, il serra ses deux mains sur sa baguette d'aubépine. Harry l'imita avec la sienne.

« Éostre, jeune fille qui émerge de la terre gelée, laisse partir les entraves de l'hiver pour que le vaste monde respire à nouveau », psalmodia Draco d'une voix grave et habitée.

Harry le vit relever ses yeux gris et tirer de la poche de sa robe une bougie, qu'il plaça sur la souche d'arbre. Harry l'alluma d'un mouvement de doigts. Il n'avait plus besoin de baguette pour les petits sortilèges de cette sorte. L'image fugace de Dumbledore impressionnant un Harry de onze avec ce petit tour l'amusa.

« Artémis, déesse de la lune, mon mystère est sans réponse, mais je dois le résoudre. L'Obscurité et la lumière sont en moi réunies. Je te prie, mais je te crains ; Je te cherche, mais te cache mon visage ; Je te parle, mais mes paroles sont inaudibles. »

Parler à voix haute à des divinités semblait un peu farfelu à Harry, mais il côtoyait bien des fantômes tous les jours.

L'expression de Draco était solennelle, et Harry admira son maintient et sa posture digne. Conscient de lui même, il se redressa un peu. Les pétales de fleurs qui entouraient la bougie s'élevèrent et dansèrent doucement autour de la flamme. Il sourit, et sentit les petites particules de magie environnante s'agglutiner autour d'eux et les effleurer. Il n'était plus aussi inquiet qu'avant de ces manifestations presque vivantes de la magie, et se laissa approcher. A ses côtés, l'énergie de Draco s'étendait elle aussi. Elle était fine, mais riche et agitée. Harry sentait comme une ambivalence à travers ses mouvements saccadés, et il ne trouvait pas de mots plus justes pour la décrire. La magie de Draco semblait plus vive qu'une couleuvre, cette note sauvage contrastant avec sa posture si contrôlée.

« Freyja au manteau de plumes et au collier d'or, maîtresse de la magie et de l'enchantement. Toi qui choisis ceux qui meurent. » Soudain, Harry sentit les magies s'emmêler réellement et les petites consciences animales autour d'eux se rapprocher. Quelque part, il sentait le regard de la Renarde. « Accompagne nos voyages dans ton char, et offre nous ta sagesse quand nous déployons notre magie. Je tend mon épée contre mes ennemis, car Freyja murmure les runes dans le creux de mon oreille. Freyja, Valkyrie, se tient à mes côtés. »

Harry répéta cette dernière phrase dans un murmure, sa magie si intimement liée à celle de Draco que c'en devenait étouffant, et les pétales se détachèrent de leurs tiges, tournant et tournant encore au dessus de la flamme, leurs cendres tombant sur le bois mouillé.

Draco plaqua ses mains moites sur ses cuisses et retint un gémissement de douleur alors que sa magie rentrait à nouveau en lui. En proie au même phénomène, Harry se laissa tomber sur la neige froide et lui serra la main. Sous sa peau, sa magie le picotait et lui semblait bien creuse sans celle de Draco.

Derrière eux, le soleil gagna du terrain et réchauffait le sol brillant de tendres rayons dorés. La forêt reprit vie en un murmure d'animaux et de craquements de bois. Éreinté et revigoré à la fois, Harry blottit son visage dans le creux la nuque de Draco, et ils respirèrent le parfum de l'autre, enivrés par la magie des lieux.


« Mon cousin m'a envoyé une lettre, dit Draco d'une voix incertaine, quelques heures plus tard.

— Ton cousin ?

— Sirius Black. Ton parrain. Le cousin de ma mère. Donc, mon grand cousin, si tu préfères. »

Harry ouvrit la bouche et la referma aussitôt. C'était logique, il avait même vu le nom de Draco sur la tapisserie des Black (ainsi que le nom de presque toutes les familles de Sang-Pur qu'il connaissait, y compris celle des Potter), mais il n'avait jamais vraiment conscientisé ce lien de parenté.

Adossé à l'épaisse rambarde du grand escalier, Draco observait le va et vient des élèves en dessous d'eux. Ils attendaient les autres élèves de Gryffondor et de Serpentard pour leur cours de Métamorphose, ayant d'un commun accord décidé de faire publiquement front depuis le scandale de la Saint Valentin.

« Il souhaite qu'on se rencontre, lui et moi… Qu'est-ce que tu en penses ? »

La prudence de Draco toucha Harry, mais il prit quelques instants pour identifier le sentiment qui naissait dans sa poitrine. Sirius était… le seul lien familial tangible et aimant qui le reliait encore à ses parents. Sirius, qui lui avait promis de récupérer sa garde un jour. Dumbledore avait assuré que c'était impossible, qu'il avait besoin de la protection de sa tante, mais, quelque part à l'intérieur de lui, Harry gardait un petit espoir de voir un jour cette promesse tenue.

Draco, lui, avait de la famille partout en Grande-Bretagne, mais qui allait l'accueillir, à part Sirius ?

Mais s'il devait être vraiment, parfaitement honnête avec lui-même… savoir Draco à Grimmaurd Place pendant que lui était à Privet Drive… Non, non il ne devait pas penser comme ça. C'était très bien. Draco avait parfaitement le droit de parler à son grand cousin, et il était hors de question qu'il retourne au Manoir de toute façon. C'était très bien.

« Tu devrais lui répondre », dit-il d'un ton un peu trop enjoué. « Parfois, il vient à Pré-au-lard, caché. Ça peut être une occasion de le voir ! »

Draco acquiesça et lui offrit un petit sourire sans croiser ses yeux, et Harry fit de son mieux pour faire taire la jalousie qui montait dans son ventre. Quelques marches plus haut, ses camarades dévalaient enfin l'escalier et Ron claqua une main sur son épaule, après avoir jeté un regard méfiant à Malfoy.

« Les elfes ont craqué, à ce que je vois, commenta Ron en observant les tresses de fleurs et les petits œufs colorés attachés en guirlande un peu partout, camouflant même quelques tableaux et leurs occupants outrés.

— C'est pour fêter le printemps, contra Hermione, c'est…

— Niais ? » proposa Dean en chassant une figurine de lapin qui courrait sur la rambarde.

Elle croisa les bras et défendit ardemment les elfes de maison et leur soucis de créer une ambiance festive pour apaiser l'humeur morose du château.

« Et puis, ils sont garants des traditions, c'est très bien de célébrer l'équinoxe de Printemps et de prendre un petit peu le temps de la réflexion, du temps qui passe, de, de— Hermione aperçut le regard goguenard de Draco et rougit.

— On a peut-être plus de points commun qu'on ne le croit, Granger », murmura-t-il d'un air amusé.

Elle réprima un sourire en coin par un haussement d'épaule et pris la tête du petit groupe, en direction de la salle de Métamorphose.

« Au moins, il n'y aura pas de fleurs dans la salle de McGonagall ! ajouta Dean.

— Méfies-toi… » râla Seamus, en proie à une crise d'éternuements.

Ils empruntèrent les marches du château à pas rapides, portés par les escaliers mouvants. Ils croisèrent le chemin d'autres groupes d'adolescents, grimpant ou descendant les différents étages, bras dessus bras dessous ou chuchotant à voix basse, selon leur âge et leur maison. Des pétales de fleurs voletaient des rampes à l'approche des élèves et se glissaient dans cheveux et robes sorcières. La peinture d'une fermière soufflait son foin vers quiconque passait devant elle, au grand dam de Seamus. De nombreux élèves finissaient leur petit déjeuner à la va-vite, trottinant vers leur salle de classe, et d'autres profitaient de cette interlude pour finir de lire leur exemplaire de la Gazette.

« Qu'est-ce que ça dit ? demanda Tracey Davis d'une petite voix.

- Rien d'important aujourd'hui », répondit Parvati en tournant bruyamment les pages du grand journal. Entre ses doigts aux multiples bagues d'argent, Harry aperçu un article évoquant les dépenses du Ministère dans le budget du bureau des Aurors. L'opinion n'y semblait pas favorable, mais un savant calcul représenté sur le papier faisait défiler des chiffres qui fit écarquiller les yeux de Ron.

« Merlin, j'ai jamais vu autant de Gallions mis au même endroit…

— Pas très étonnant, Weasley. Avance plus vite, ou pousse-toi de là », siffla Pansy en dépassant le petit groupe, une misérable Milicent Bulstrode traînant derrière elle. Ron grogna quelque chose que Harry n'entendit pas, mais il vit Draco avoir un rictus moqueur à l'égard de son ancienne amie.

La luminosité faiblit alors qu'ils s'enfoncèrent dans l'aile Nord de Poudlard, et au milieu du couloir les attendait la porte de leur salle de classe, grande ouverte.

Les hautes voûtes de la pièce n'arrangeaient rien à sa fraîcheur, et elle semblait être épargnée par la frénésie décorative des elfes de maison. Les élèves de Gryffondor et Serpentard prirent peu à peu place dans un calme matinal sur les bancs du petit amphithéâtre. McGonagall les attendait, lorgnant d'un air strict le pendule trônant au dessus de son tableau d'ardoise. Dessus, des inscriptions avaient été tracées à la craie, et Harry grimaça. Il n'avait clairement pas assez révisé pour ce cours.

« Assis-toi avec moi. »

Harry s'arrêta, surpris par la proposition de Draco. Il jeta un coup d'œil à ses amis, prêt à s'asseoir à leurs places habituelles. Ron fronça les sourcils mais, sous le regard pincé d'Hermione, se contenta d'un petit hochement d'épaules. Suivant leur stratégie — nommée le Pacte de Sympathie Inter-Maisons par Hermione —, les Serpentard de cinquième année opposés à Voldemort prirent place aux côtés des Gryffondor, sous le regard mauvais de Nott et ses accolytes.

Draco entreposa son encrier entre Harry et lui, et s'attela à la copie des diagrammes de la leçon du jour. Toute la surprise de McGonagall fut contenue en un haussement de sourcil et un petit toussotement.

« Je ne vous cache rien », commença-t-elle après avoir reprit contenance, « en vous rappelant que je n'accepterai dans les deux prochaines années aucun élève ayant obtenu moins qu'un Effort Exceptionnel à ses BUSE de Métamorphose. »

Les manuels de Métamorphose de niveau intermédiaire s'ouvrirent tous au chapitre quatre, annonçant le thème du cours : les sortilèges de Transfert. Neville gémit une plainte inaudible, mais le visage d'Hermione s'illumina et elle s'empressa de prendre des notes.

Harry observa Draco passer son doigt sur les formules du livre, comme s'il avait besoin de faire plus d'efforts que d'habitude. Ses traits étaient tirés, mais il semblait avoir repris un peu de poids. Ses joues claires rougirent quand il s'aperçut de l'attention de Harry.

« Concentre-toi », chuchota-t-il en se mordillant la joue.

Harry obéit sagement, et releva la tête. McGonagall les fixaient avec sévérité.

« La Métamorphose est un art complexe qui demande une haute précision. Vous pouvez lancer un sortilège sans grande conviction, ou avec peu d'énergie, ou tout simplement avec médiocrité, et pourtant voir un effet de votre magie. Mais la Métamorphose ne fonctionne pas comme ça. » Elle leva sa baguette et une craie retranscrit ses mots sur le tableau. « Une métamorphose réussie implique une relation entre la puissance de la baguette et la concentration de son sorcier, ceci en rapport avec la consistance du sort, la qualité de son exécution, et le poids de l'objet que l'on souhaite transformer. Tout ça doit être ramené à… »

Captant son attention, un petit bout de papier plié en forme de grenouille sautilla jusqu'aux mains de Harry.

Malfoy est toujours partant pour tout à l'heure ?

Si la fouine a changé d'avis, dis-lui que ça ne nous dérange pas du tout.

Harry reconnu l'écriture soignée de la première phrase, et le ton badin de la seconde. Il se tourna vers Hermione et Ron, installés derrière lui. Hermione lui fit un signe de tête appuyé, tapotant son Gallion.

Ensemble, ils avaient discuté de l'idée d'officialiser ce Pacte de Sympathie Inter-Maisons avec une réunion entre élèves favorables à cette alliance. Les conditions d'admission étaient simples : croire au retour de Voldemort et au meurtre de Cédric, être sympathisant de Dumbledore, et souhaiter s'engager dans la guerre à venir. Draco avait émis de nombreux doutes concernant l'adhésion générale au dernier point, demandant à être précis sur ce qui était attendu par engagement. Neville s'était agacé, et Draco avait quitté la bibliothèque en vociférant sur les risques que les enfants de Mangemorts prenaient déjà en traînant avec eux. Depuis, le sujet était tendu, et mis en pause.

Déterminée, Hermione avait néanmoins partagé son sortilège de communication gravé sur des faux Gallions métamorphosés à partir de boutons d'une chemise de Dudley que lui avait gracieusement cédé Harry. Les fausses pièces d'or étaient ensorcelées pour partager de cours messages à tout ceux qui possédaient une réplique du sortilège, avertissant leur propriétaire en chauffant dans la poche. Hermione bouillonnait de partager le fruit de son ingénieux travail à McGonagall, mais cela aurait évidemment ruiné toute l'affaire.

Harry glissa un faux Gallion à Draco. Celui-ci haussa un sourcil amusé devant la pièce mais étouffa un hoquet de surprise lorsque Harry transmis son message en tenant son propre Gallion ensorcelé entre sa main et sa baguette.

16h PSIM Tête du Sanglier, ok ?

Draco jeta un coup d'œil à Hermione derrière lui, puis acquiesça d'un hochement sec de la tête, et reporta son attention vers Harry, pressant sa cuisse contre la sienne dans une discrète réassurance. Harry sourit et plaça dans sa main d'autres Gallions, que Draco fit voleter sous les bancs à ses camarades.

Tout allait bien se passer.


La journée fila rapidement, marquée par une dispute entre l'Auror Dawlish et Snape à propos des allers et venues des Serpentard en dehors des heures de cours, mais Harry avait été plus préoccupé par l'assombrissement progressif de l'humeur de Draco à mesure que la fin d'après-midi approchait. Plusieurs fois, il avait essuyé sa raideur, et toujours devant les yeux d'Hermione ou Ron, au grand dam de Harry qui commençait à se demander si Draco avait bien en tête la définition du mot Sympathie.

Grelottant sur le parvis de l'entrée du château, les élèves munis d'un Gallion ensorcelé ne semblaient pas ravis à l'idée d'aller dans les allées obscures de Pré-au-Lard.

« Tu as une autre idée d'endroit, toi ? dit Ron dans un murmure boudeur.

— Oh, je ne sais pas, quelque part qui n'est pas le lieu de rendez-vous de tous les rebus de la société magique du coin ? » siffla Draco.

Hermione leva les bras au ciel et Harry se pinça l'arrête du nez, mais la petite voix timide de Tracey Davis se fraya un chemin dans leur dispute.

« Il nous faut juste un endroit tranquille où personne ne va jamais, c'est ça ? »

Harry détailla la discrète élève de cinquième année. Son carré de cheveux blonds cendrés cachait en partie son visage et il comptait sur les doigts d'une main le nombre de fois où il l'avait vue en dehors des salles de classe. Tout dans son attitude et son corps frêle criait sa volonté de se faire oublier ou de disparaître dans un coin. Et pourtant, elle était là, au milieu d'une tentative de résolution d'un conflit aussi vieux que les fondateurs.

D'un mouvement de tête, il l'enjoint à poursuivre son idée.

« Je crois que je connais le bon endroit. Vous êtes déjà allés dans les toilettes des filles du deuxième étage ? »

Harry, Ron et Hermione se jetèrent un regard en coin.

« Bien sûr que non, ils sont condamnés, tout le monde le sait, répondit Zabini avec un ton qui donnait envie à Harry de le remettre à sa place.

— C'est ce que tout le monde croit, corrigea Davis. Mais ils fonctionnent très bien.

— Alors pourquoi personne n'y va jamais ? »

Les filles du groupe grimacèrent et soupirèrent d'une même voix :

« Mimi Geignarde… »

Zabini fronça les sourcils, et Draco entrouvrit la bouche, l'air de réaliser quelque chose. Harry cacha un sourire derrière sa main. Le fantôme de la jeune fille aimait bien hanter la salle de bain des préfets, à leur grand agacement.

« Mini Geignarde ? demanda Zabini.

— Mimi Geignarde, soupira Hermione en croisant les bras. C'est un fantôme qui hante ces toilettes. Personne n'y va, parce qu'elle ouvre tous les robinets, bouche les canalisations et…

— Et elle chouine, qu'est-ce qu'elle chouine… se plaignit Greengrass.

— Elle s'appelle Myrtille Warren, elle a été tuée par le basilic il y a des années », murmura Davis d'une voix faiblarde.

Draco eu une moue surprise, et Hermione toussota, toujours gênée de médiser sur quelqu'un qui aurait dû inspirer la pitié et la compassion.

Harry frappa ses mains et haussa la voix, observant ses camarades en tâchant de paraître le plus confiant possible.

« Bon, c'est réglé alors, on va là-bas ! »

Ron tapa fidèlement son épaule. Les autres poussèrent des râles mais contre toute attente, le suivirent. Hermione tira son faux Gallion de la poche de sa robe pour informer les retardataires de leur nouveau lieu de rencontre. Ils se séparèrent en petits groupes de deux, prenant des chemins différents afin de ne pas trop attirer l'attention, puis se rejoignirent devant les portes closes des toilettes des filles du deuxième étage.

Rapidement, tout le monde arriva, et les sanitaires parurent bien petits.

« Bon… merci d'être venus. » Harry toussota, et Ron leva son poing en l'air avec un petit cri d'encouragement. « Merci Ron. Ok, alors, hm. Je ne vais pas vous mentir, c'est assez bizarre de se retrouver tous au même endroit. »

La plupart des élèves s'étaient assis à même le sol, l'observant, avec admiration pour certains comme Colin Crivey, et avec doute pour d'autres. Zabini était accoudé à l'un des robinets de l'imposante structure au centre de la pièce. Derrière lui, le symbole de Serpentard incrusté dans le métal mis Harry mal à l'aise et il ne réalisa qu'à cet instant que leur choix de rencontre n'était peut-être pas le plus approprié pour Ginny. Elle semblait pâle, mais ses yeux noisette révélaient une expression ferme et décidée.

« Mais je crois qu'on a quelque chose en commun, reprit-il. Tout le monde ici sait que Voldemort est de retour. »

Harry prit le temps d'observer chacun des élèves présent. Si la plupart tressaillirent à l'entente du nom maudit, aucune douleur ne déforma leurs traits, et aucun ne s'agrippa le bras. C'était déjà ça.

Il se gratta les cheveux et pris appui sur le mur, les mains dans les poches pour masquer sa gêne.

« Et aucun d'entre nous ne souhaite le voir prendre de la puissance. Aucun d'entre nous ne souhaite le rejoindre. » Il s'arrêta, laissant planer un petit silence, permettant à un éventuel lent d'esprit de changer d'avis et quitter les lieux. Mais personne n'ouvrit la bouche. « Certains d'entre nous ont perdu beaucoup à cause de lui. » Neville baissa les yeux, et Fred et George se rapprochèrent, posant leurs mains sur les épaules de Ginny et Ron. « Vous voyez bien ce qu'il se passe, depuis l'été dernier, il y a des attaques de partout. Des Moldus meurent, des sorciers meurent, tout le monde est attaqué. Même les Sang-Pur, s'ils osent lui dire non. » Draco détourna le regard. Les trois Montgomery partageaient une expression inquiète. « Alors, on peut décider de rester chacun dans notre coin et attendre que ça passe, en priant pour qu'il y en ai d'autres qui se battent et fasse le travail. Mais vous croyez vraiment que Voldemort va vous laisser tranquille ? Qu'il ne vous atteindra pas d'une façon ou d'une autre, vous, ou votre famille ? »

Isadora acquiesça vivement. Sa sœur affichait un air sombre, et leur cousin fronça les sourcils. Harry se demanda ce qu'il se passait dans leur famille.

« Et qu'est-ce que tu proposes, Potter ? l'interrompit Zabini. Qu'on se batte aux côtés de ceux qui, juste parce qu'on est de Sang-Pur et à Serpentard, nous imaginent déjà à Azkaban ?

— Oh pour certains, c'est plutôt parce que leur famille y a déjà fait un tour… » Le sarcasme de Neville fila droit vers Draco, qui contracta la mâchoire et croisa les bras.

« Je te ferai savoir que si j'ai eu une tante à Azkaban, j'en ai une autre dans l'Ordre du phénix, ainsi que deux cousins », répondit-il d'un ton sec.

L'Ordre du phénix. Le nom était dit, presque plus tabou encore que celui du Seigneur des Ténèbres.

« Et tes parents, qu'est-ce qu'ils font dans la vie, déjà ? répondit Dean.

— Dean, arrête, s'il te plaît », apaisa Harry, tendant sa main dans un geste appelant au calme. « Personne n'est responsable des actes de sa famille, d'accord ?

— Comment ça, deux cousins ? questionna Brigid Montgomery.

— Sirius Black n'a jamais trahit les Potter », dit Draco, révélant d'une voix agacée ce que les proches de Mangemorts et de l'Ordre du Phénix savaient déjà. « Et puisque nous sommes apparemment ici pour parler de mes parents, je vous rappelle que vous étiez tous là quand ils m'ont envoyé leur charmante beuglante. Je crois qu'elle était assez claire. »

Dans les canalisations, l'eau gronda, rappelant furieusement à Harry de mauvais souvenirs. Ginny déglutit, fixant un point loin devant elle. Ron glissa sa main dans celle de sa sœur, et murmura quelque chose à son oreille qui la fit sourire doucement.

Indifférents à ce qu'évoquaient ces sons lugubres, les autres élèves s'observaient en chien de faïence.

« Je le répète, si on est là, c'est parce qu'on partage quelque chose. On ne vient pas des mêmes endroits, on n'est certainement pas d'accord sur beaucoup de choses, et on n'a pas tous la même idée de comment résister à Voldemort. Et l'idée c'est pas de forcer quiconque à faire quoi que ce soit, je vous rassure ! Il n'est pas question de créer une armée ou je ne sais quoi. »

Certains d'entre eux se détendirent visiblement, et Harry reprit, l'esprit plus clair sur ce qu'il souhaitait leur dire.

« Je crois par contre que personne n'a envie de se battre pour Voldemort, et c'est déjà beaucoup. Je suis assez sûr que même à Serpentard, il n'y a pas grand monde qui rêve de faire carrière dans un groupe terroriste à la sortie de l'école, je me trompe ? »

Zabini eu une moue agacée, et Greengrass lui donna un coup de coude.

« Oui, je crois qu'on voit où tu veux en venir Potter. On est d'accord. Mais, qu'est-ce que tu proposes, concrètement ?

— Une protection. Une alliance. Une…

— Un pacte de sympathie inter-maisons, ajouta Hermione, son air réservé ne cachant rien de son espoir.

— On sait très bien que c'est compliqué pour certains ici de s'afficher publiquement contre Voldemort…

— On peut tout à fait rester neutre, le contredit Zabini.

— Arrête, Blaise, tu sais très bien que non, grogna l'aînée Montgomery. Ma mère reçoit de plus en plus de lettres, et je suis sûre qu'il y a des Mangemorts qui sont déjà passés à la maison. On ne nous laissera pas être neutres ! »

Zabini referma la bouche, et le ton de Brigid laissait deviner que c'était un sujet de dispute récurent dans leur groupe. Harry observa la jeune femme. Ses cheveux blonds tressés mettaient en valeur ses traits marqués par l'orgueil, et il ne voyait aucune malice en elle. Il saisit sa chance, accrochant son regard.

« Rester chacun de son côté est stupide. Ensemble, on sera plus solides et capables de se protéger les uns les autres. Et puis… on pourra se partager des informations.

— Des informations ? dit Adrian Pucey d'un ton méfiant, accoudé sur ses genoux.

— Écoutez, on ne va pas faire semblant, si ? » interrompit Ginny en fusillant le Poursuiveur du regard. « On sait très bien que les futurs petits Mangemorts ne vont pas attendre sagement leurs ASPIC pour rejoindre Tu-Sais-Qui, et qu'il se passe des choses dans le château.

— Les futurs petits Mangemorts, comme tu dis, ce sont nos amis, ajouta Greengrass en grinçant des dents.

— Vraiment ? » demanda Harry.

Daphné baissa la tête. Tout le monde avait remarqué le schisme qui séparait aujourd'hui les Serpentard entre ceux qui suivaient le mouvement de Nott, Crabbe, Goyle et compagnie, et ceux qui osaient proposer autre chose.

« Voilà, c'est pour ça que je n'arrive pas à croire qu'on puisse faire confiance aux Serpentard, désolé », grimaça Neville. « Elle était où, la Sympathie Inter-Maisons, quand Malfoy distribuait des badges insultant Harry, l'année dernière ?

— A sa décharge, c'était aussi des badges pro-Cédric, donc pro-Poufsouffle, ajouta Fred avec un sourire goguenard.

— Et il me semble que certains Gryffondor en portaient », siffla Draco en se tournant vers Seamus.

Ron eu le bon goût de rougir, et Seamus ouvrit la bouche pour se défendre, mais Hermione s'avança dans le cercle.

« Stop, on n'est plus en première année ! On parle de quelque chose de sérieux, de s'unir pour quelque chose de bien plus grand que les querelles de Poudlard !

— Poudlard est un reflet de ce qu'il se passe dehors, Hermione, murmura Neville. Je ne suis pas convaincu que personne ici n'ai pris la Marque et n'est pas juste là pour nous trahir. »

Harry leva les yeux au ciel en voyant à nouveau ses camarades se tendre. C'était une mauvaise idée, il n'aurait jamais dû écouter Hermione, créer une entente entre les maisons, par les temps actuels, était impossible…

« Je te dis que personne n'est un Mangemort ici, c'est ridicule, Neville, on est à Poudlard, on est tous encore des élèves. »

Mais Neville ne l'écoutait pas, fixant Draco comme s'il pouvait le pétrifier du regard et enfin lever son doute. Draco s'assombrit, et Harry reconnu sur son visage l'expression d'une colère sourde, nourrie par la peur et la honte. Le serpent allait mordre, et Harry devait trouver un moyen de calmer le jeu, très vite.

« Bellatrix avait quinze ans quand elle a prit la Marque, dit Neville d'un air grave.

Personne n'a pris la Marque, s'agaça Harry, saisissant le poignet de son camarade.

— ALORS QU'IL MONTRE SON BRAS ET QU'ON EN AI LE CŒUR NET ! »

Les paroles de Neville résonnèrent entre les carreaux froids des toilettes hantées.

Neville, d'ordinaire si calme, si réservé, qui s'était agité depuis les vacances d'hiver, sans que personne n'en prenne vraiment conscience. Neville qui avait dû apprendre dans la Gazette que la tortionnaire de ses parents s'était échappée d'Azkaban et vivait libre, chez les Malfoy.

Harry dévisagea son ami, et réalisa enfin toute la peine qui se cachait dans ses poings serrés.

« Je n'ai rien à te prouver, Longdubat. Harry me fait confiance, ça devrait te suffire. »

L'acier des yeux de Draco bouillonnait d'indignation, et il recula vers la porte, acculé par le regard des autres. Zabini s'approcha de lui et ils s'apprêtèrent à quitter les lieux, mais Neville sortit sa baguette et la pointa sur la manche de Draco. Harry réagit aussitôt, un sort de désarmement sur le bout des lèvres, mais Draco le devança.

« Bloclang », dit-il, réduisant Neville au silence.

Alors, les autres langues se délièrent et plusieurs échanges bruyants eurent lieu en même temps, rendant tout dialogue impossible. Hermione lui jeta un regard peiné, et Harry perçu vaguement un bruit derrière lui. Il releva les yeux vers Luna, qui semblait soudain avoir pris soixante centimètres, perchée sur un des robinets du centre de la pièce.

« Quand on sera parti de l'école, on s'en fichera de savoir qui était dans quelle maison, ou qui avait quoi sur le bras, ça ne voudra plus rien dire, parce qu'on sera peut-être mort », dit-elle de sa voix fluette. « Alors vous allez vous écouter maintenant. Draco Malfoy, tu restes ici, et on parle. Tous ensemble. »

Draco dévisagea Luna d'un air incrédule. Il jura à voix basse, foudroya Neville du regard et avança vers Hermione pour signer d'une plume acérée le parchemin qui scellait son adhésion au groupe, puis se retourna vers la porte.

« Finite incantatem », dit-il avant de quitter la pièce.

Harry soupira.

Après le départ de Draco, Neville resta silencieux, la mine contrariée, mais les autres parlèrent. Ils débâtèrent longtemps, les tensions apaisées par la voix tranquille de Luna ou par les blagues de jumeaux, mais, au bout de deux longues heures, tout le monde avait signé, ajoutant son nom à celui de Draco, le premier de la liste.


Ce soir-là, après le dîner, les élèves de Gryffondor et de Serpentard s'étaient à nouveau retrouvés en haut de la tour d'astronomie pour leur dernier cours en commun, mais Draco manquait à l'appel. Harry ne l'avait pas vu depuis la réunion du Pacte.

« Je vous propose ce soir un examen blanc théorique des BUSE, et selon vos notes, j'ai reçu l'autorisation du Directeur de créer des cours de soutiens aux élèves en difficulté. » annonça Sinistra Aurora de son habituel ton doux. Le visage caché par un large chapeau pointu, la grande femme au teint sombre réglait un à un les télescopes en cuivre, et ses mains s'attardaient sur les épaules des élèves les plus frigorifiés. « J'aimerais que vous parliez entre vous le moins possible, essayez de créer de réelles conditions d'examen. La nuit est claire, il vous sera un peu plus facile que d'habitude d'observer les étoiles… Commencez. »

Harry leva les yeux vers la lune complètement ronde qui brillait dans le ciel et déglutit.

Les élèves s'organisèrent pour utiliser à tour de rôle les télescopes anciens enracinés à la pierre du sommet de la plus haute tour du château, et Harry sorti un parchemin de son cartable en cuir pour préparer son devoir.

L'astronomie n'était pas son fort, et ses lunettes l'empêchait de correctement utiliser les outils. Sans aide, il était incapable de reconnaître les différentes étoiles qui constellaient le ciel, et encore moins de distinguer l'une d'entre elle d'une planète, mais il avait apprit par cœur la position de la constellation du Dragon, qui caressait la Petite Ours.

Où était donc passé Draco ?

« Je peux regarder s'il te plaît ? demanda t-il à Ron qui avait l'œil collé à la lunette du télescope doré.

— Attends un peu… » le pria Ron d'un geste de la main, avant de se reculer pour compléter sa carte du ciel et lui laisser la place.

Harry enveloppa ses doigts autour du télescope. Le cuivre s'adapta à la forme de son nez, englobant le haut de son visage mais bloquant sur ses lunettes. Il plongea son regard dans l'observation du ciel, mais ses mains étaient gelées. Pestant contre le froid, Harry se jeta un nouveau sortilège pour se réchauffer et recalibra le contrepoids et le chercheur. Le télescope baissé visait l'orée de la forêt et Harry y laissa traîner son regard quelques instants, cherchant par curiosité le recoin où se cachait le vieux chêne et le terrier de la renarde. Il n'y parvint pas, l'image beaucoup trop proche pour ne pas être tremblante. Il crut néanmoins distinguer un mouvement entre les arbres. Il tenta de la suivre, mais perdit rapidement sa trace.

« Monsieur Potter, concentrez-vous, c'est le ciel que vous devez regarder… »

Harry releva le tube optique et tâcha de se repérer dans le millier d'étoiles et de planètes grossies par la loupe. Au Nord-Est de la constellation du Sagitaire, d'après sa carte, il pouvait percevoir faiblement celle du Serpent, qu'il dessina sur sa feuille en essayant de respecter les bonnes distances dans le large cercle qu'il avait tracé de sa plume. C'était un serpent qui aurait enseigné à Asclépios l'art de la médecine, lui avait dit Draco. Paraissait-il que l'homme parlait Fourchelangue, sans pour autant avoir été sorcier, mais Harry n'avait pas compris comment c'était possible, ni comment un serpent aurait pu s'y connaître en médecine. Il se déconcentra, et cassa sa plume.

« Merde… » râla-t-il en tâchant sa feuille d'encre.

Ron sourit en lui montrant la sienne, complètement recouverte de planètes inconnues, crées de toutes pièces par sa plume baveuse.

Harry lui rendit le télescope, et abandonna l'idée de poursuivre ses efforts. Il avait trop froid. Il préféra admirer les plaines entourant le château, la cime des sapins illuminées par l'éclat du ciel. Son regard se perdit vers la forêt interdite. Repensant au calendrier lunaire de Snape et son décompte, Harry réprima un frisson en constatant l'absence totale d'ombre sur la lune, pleine et immaculée.

Où était Remus, ce soir ? Dans son bureau ? Enfermé, maté par sa potion ? Il y a avait pensé, n'est-ce pas ? Il avait bien pensé à la prendre ?

Ces inquiétudes n'avaient jamais traversé l'esprit de Harry auparavant. Mais l'image du loup rencontré en troisième année, les pupilles dilatées, la gueule béante, les membres déformés par la malédiction, se superposaient maintenant à l'idée d'un jeune Snape rampant dans un tunnel. Accrochés à la rampe de la plateforme d'observation, ses doigts transpiraient désormais contre le froid du métal.

Et si Remus l'oubliait à nouveau ? Et s'il croisait la route d'autres élèves ? Et si Snape n'était pas là, cette fois ?

N'importe qui pouvait traîner dans les couloirs du château à cette heure-ci. En cette saison, la nuit tombait tôt, Poudlard grouillait encore de vie. Le couvre-feu était encore loin. Des première année devaient se courir les uns après les autres, excité par l'ambiance festive d'Ostara. D'autres devaient réviser leurs BUSE dans la bibliothèque. Et puis certains étaient certainement en train de se compter fleurette, enlacés dans une alcôve, sous l'aura romantique de la pleine lune.

Harry ferma les yeux, se passa une main tremblante sur le visage, puis les rouvrit et se figea.

Sa respiration se coupa dans sa poitrine.

A côté des serres, non loin de l'entrée principale, une silhouette glissait entre les arbres.

Là. Juste là.

« Ça va, Harry ? »

La voix de Ron était à peine audible. Ce que Harry entendait par contre très bien, trop bien, c'était les battements de son cœur.

Il ne prit pas la peine d'arracher le télescope des mains de Ron pour vérifier. Il connaissait cette silhouette.

« Harry !

— Monsieur Potter, revenez ici ! Vous ne pouvez pas quitter un examen blanc comme ça, enfin, vous êtes noté ! »

Harry ignora les voix qui l'appelaient, laissa son sac, ses gants et son bon sens en haut de la tour d'astronomie, et dégringola les escaliers en colimaçon aussi vite qu'il le put.

Il l'avait vu !

Il l'avait vu en bas, près des serres.

Mais comment Remus avait-il pu être aussi stupide ?!

Son souffle lui brûlait la poitrine tandis qu'il courrait et courrait et courrait, bousculant les quelques élèves qui traînaient encore dans les couloirs sombres.

« Il est interdit de courir dans les couloirs jeune homme », lui rappela le Moine Gras. Harry le traversa sans état d'âme, laissant son corps être transpercé par sa glaceur spectrale.

Il devait appeler à l'aide, il devait demander à quelqu'un… mais… si Remus était vu en dehors de son bureau, il allait perdre son poste, et pour de bon, cette fois.

Ce qui serait plus sûr, susurra une petite voix qui ressemblait fort à celle de Snape, mais il chassa rapidement cette pensée.

Il devait juste s'assurer de le trouver en premier, et de… de… de le neutraliser, de le calmer et le forcer à rentrer dans son bureau. Ou dans une pièce, n'importe laquelle.

Tu ne connais aucun enchantement de protection...

Peu importe, pensa Harry. Il savait lancer un Stupéfix.

Le Grand Escalier ralentissait sa course, le faisant attendre entre chaque étage, le faisant manquer de trébucher dans le vide — ce n'était vraiment pas le moment d'être bloqué en l'air par le sort de protection de l'école —, et il pria tous les dieux qu'il connaissait de le laisser descendre, et vite.

Enfin, il atteignit le rez-de-chaussée, et son sang se figea dans ses veines quand il constata que la grande porte était à demi ouverte.

Il s'arrêta, reprenant son souffle.

Le dîner était fini depuis longtemps, aucun élève ne traînait dans les parages, et les ombres des torches ne reflétaient que les imposantes armures encadrant l'escalier principal.

Peut-être qu'il n'était pas rentré ?

La porte est ouverte, Harry.

Mais peut-être que… ou peut-être que Remus était monté plus vite qu'il n'était descendu, qu'il rôdait déjà dans les couloirs des premiers étages, attirés par les voix des élèves ?

Ou peut-être…

A sa droite, le petit escalier sombrant dans les donjons attira son regard, et Harry fut pris d'un terrible pré-sentiment.

Les humains les plus proches se trouvaient dans les sous-sols. Dans les salles communes de Poufsouffle et de Serpentard.

Au dessus de lui, perdu dans la vaste hauteur de la cage d'escalier, il entendit la voix lointaine de Ron qui l'appelait.

Il devait faire vite.

A tâtons, Harry se glissa dans les profondeurs du château, la main serrée autour de sa baguette et son cœur serré par l'adrénaline. Il maudit le programme scolaire de ne pas lui avoir encore apprit le sortilège de désillusion, et il se maudit encore plus sévèrement pour ne pas toujours avoir sa cape d'invisibilité avec lui. Sa gorge se contracta, et la salive s'accumula dans sa bouche, car il avait trop peur que le son de sa déglutition ne résonne entre les murs. Le pas léger, il avança avec précaution, dépassant le grand tableau de poire qui cachait les cuisines, puis la salle commune des jaune-et-noir, en sécurité derrière les cloisons de pierre. Avec appréhension, Harry poursuivit sa descente.

Charmée et imprégnée par la magie depuis des siècles, Poudlard était plus magique qu'aucune maison de sorciers. Devenue une entité consciente, elle gardait parfois ses portes closes malgré les protestations des professeurs qui avaient eu le malheur de dénigrer la froideur de ses murs. Souvent, elle rajoutait ou supprimait des marches à sa guise, allumaient les torches quand un couple tentait de se cacher d'un préfet, ou agrandissait ses salles si on parvenait à la persuader de faire un petit effort. Plus rarement, elle changeait des classes de lieu ou déplaçait les chaussures plus près de la chaleur de l'âtre.

Jamais elle ne restait parfaitement silencieuse.

Pourtant, là, étouffé dans les intestins du château, Harry percevait un froid qui n'appartenait pas qu'à l'hiver. Comme si l'esprit de l'école s'était retiré, retranché loin, dans ses hauteurs, l'abandonnant à la créature qui rampait dans ses entrailles.

Harry resserra sa prise sur sa baguette, et repensa à la prière que Draco avait murmuré ce matin.

Je tend mon épée contre mes ennemis, car Freyja murmure les runes dans le creux de mon oreille.

Il s'efforça d'imaginer le souffle chaud de la déesse contre sa tempe, et attira à lui les faibles traces de magie environnante. Il fit quelques pas dans les torsions sinueuses des donjons, non loin des quartiers des Serpentard.

Au détour d'un croisement, Harry détailla les ombres à droite et à gauche, retenant l'envie de se retourner et de fuir. Il prit la décision de suivre le chemin de la salle commune, puis s'arrêta net.

Au bout du couloir, un grondement sourd résonna d'entre les murs, sur la pierre et jusqu'à ses os.

Il est là, va-t'en, se dit-il.

Va-t'en, va-t'en, va-t'en

Dépassant du mur, une longue patte maigre se déploya, apportant avec elle un corps distendu et chimérique, rendu grotesque par une transformation ratée.

La créature s'engouffra dans le couloir, traînant derrière elle un membre disloqué et inerte, et se ratatina contre un mur, lui tournant le dos. Les cheveux de Harry se dressèrent sur sa tête. Le sang tambourinait dans ses oreilles.

Le loup qu'il voyait ne ressemblait pas à Remus.

C'était curieux, de réaliser qu'il était possible de distinguer deux loups-garous. Mais différence il y avait bien. Celui-ci n'était pas aussi grand, pas aussi robuste, et sa fourrure n'était pas aussi fauve. Les torches de chaque côté du couloir décalquait sa silhouette haletante contre la pierre, et Harry remarqua les côtes saillantes de l'animal. De l'humain. Du…

Soudainement, la respiration du loup-garou s'accéléra, et il tourna sa grande gueule en arrière. Leurs regards se croisèrent, et tout se passa très vite.

Le loup-garou grogna, montrant ses dents luisantes sous la lumière des flammes. Harry tendit sa baguette droit devant lui et déferla sa magie à travers elle.

« Stupefix ! » cria-t-il, sa voix tremblante courant entre les murs étroits.

Le sort frappa la créature dans le dos, et elle glapit. Elle se retourna alors complètement vers Harry, et tenta de se redresser sur ses pattes avant.

Harry ne remarqua pas son ralentissement ni sa faiblesse, il sentit simplement une volonté acérée s'emparer de son cœur, et ses traits se durcirent. A quelques couloirs de là, l'âme palpitante du collier des Brísingar résonnait avec la sienne.

Freyja, Valkyrie, se tient à mes côtés.

« SECTUMSEMPRA ! »

Le sort quitta ses lèvres, implacable, et toute force sembla l'abandonner alors qu'il observa le résultat de ce qu'il venait de faire, les yeux gris du loup-garou s'accrochant aux siens. Des yeux gris qu'il connaissait.

Sectumsempra, pour les ennemis.

Sur son corps déformé, de fines rainures rougeâtres se dessinèrent. Harry ouvrit la bouche, le souffle coupé par l'horreur, alors qu'il vit les grosses gouttes de sang glisser dans le pelage du loup-garou glapissant devant lui. Ses pattes cédèrent et il s'écroula sur le sol, le corps lacéré comme par des dizaines de morceaux de verre.

Harry trébucha, et couru vers lui, s'agenouillant à ses côtés.

« Non, non, non, non… Draco, non, non, s'il te plaît… »

Ses doigts s'agrippèrent à la fourrure du sorcier qu'il n'avait reconnu que trop tard. Les yeux gris rendus luisant par la douleur, Draco gémissait, la gueule béante, semblant chercher de l'air.

« Putain de merde ! Draco, Draco, reste avec moi… Episkey ! Episkey ! »

Affolé, Harry entailla sa propre main, et serra avec désespoir l'amulette à son poignet. Le Vörðr invoqué papillonna autour du corps souffrant de Draco, récoltant comme il le pouvait le sang qui se déversait de ses plaies à une vitesse alarmante. Harry s'accrocha plus fort à la colonne décharnée de Draco, étirée par une peau qui n'était plus tout à fait la sienne. Sous ses doigts, Draco tressaillit et poussa sa truffe contre la baguette de Harry, fixant son regard dans une supplique.

Harry, l'esprit ébranlé, laissa sa conscience glisser vers celle de Draco.

Snape, murmura Draco dans sa tête.

Mais Harry n'avait plus la force de convoquer un Patronus. A mesure qu'il voyait la vie revenir dans les veines de Draco, il sentait sa propre magie s'épuiser et un violent vertige le fit s'écrouler contre son pelage, à bout de souffle. A ses côtés, le Vörðr brillait d'une lueur lugubre.

Derrière lui, quelqu'un courrait dans les donjons.

Il releva la tête, l'air hagard et la vision trouble. Snape venait de surgir dans le couloir, le visage livide. Écartant brutalement Harry, l'homme s'agenouilla au-dessus de Malefoy, drapant ses longues robes noires au dessus d'eux, et sortit sa baguette. Il la passa le long des profondes blessures que le maléfice avait causé, marmonnant une incantation qui ressemblait à un chant.

« Vulnera Sanentur… Vulnera Sanentur… Vulnera Sanentur… Bannis le Vörðr, idiot, il puise dans ton sang ! Vulnera Sanentur »

Du bout des lèvres, Harry mis fin à son invocation, et pris une grande inspiration, tremblant contre le flanc de Draco. L'autre adolescent, emprisonné dans ce corps maudit, laissait sa gueule pendre entre les bras de Snape, les yeux clos.

« Pousse-toi, redresse-toi Harry », souffla la voix du professeur. Harry glissa sa main sur la pierre froide et se tint sur ses bras encore faibles. « Bois. » Il se saisit de la fiole que lui flanqua Snape entre les doigts, et s'accroupit pour la débouchonner maladroitement. Harry but au goulot sans réfléchir, et sentit rapidement la chaleur de la potion de force s'infiltrer dans son corps. L'adrénaline revient subitement accélérer son corps, et il observa Snape faire léviter le corps de Draco, abasourdit par sa monumentale erreur.

Au sol, une mare de sang s'étendait, prenant vaguement la forme du loup, et Harry y vit son propre reflet, troublé par les nouvelles gouttes tombant de la fourrure de Draco.

« Viens. »

Hébété, Harry s'appuya contre la pierre humide et se releva tant bien que mal, suivant son professeur jusqu'à la porte de ses quartiers. La porte se referma brutalement derrière eux. Harry se traîna jusqu'à la cheminée, n'osant s'asseoir malgré ses jambes encore faibles.

Snape débarrassa d'un mouvement sec de la main les affaires posées sur la table basse, et posa délicatement le corps lupin de Draco, trempé de sang. Ses côtes saillantes se soulevaient au rythme de ses inspirations profondes. De sa gueule entrouverte pointait sa langue et des dents acérés, mais il était évanouit.

« Je ne peux rien faire de plus avant le lever du soleil. Je n'ai aucune idée de l'effet que pourraient avoir des potions sur son organisme. »

Harry releva les yeux vers son professeur. Il était livide, et ne quittait pas du regard la créature posée sur sa table, les pattes débordant dans le vide. Sa main droite était serrée sur sa baguette, et son visage semblait paralysé par la peur.

« Je suis désolé », souffla Harry. « Je… je ne l'avais pas reconnu. »

Les yeux noirs de Snape se braquèrent sur les siens, et une expression incrédule adoucit ses traits.

« Tu es désolé ? » dit-il dans un murmure. Ce qui semblait être un petit rire nerveux s'échappa de la gorge de l'homme, qui secoua la tête et passa sa main sur sa bouche. « Draco n'aurait jamais dû se retrouver là… Il devait rester dans la forêt interdite… nous avions définit ensemble un périmètre de sécurité, les sortilèges étaient solides… »

Harry fit un pas et s'approcha de Draco, traçant du bout des doigts sa fourrure salie. Il sentait encore son propre sang danser dans les veines de Draco, lui donnant la nausée. Brusquement, Harry s'écarta, et marcha à pas rapides dans l'appartement, faisant l'aller retour dans la cuisine pour récupérer un torchon propre et un petit chaudron alimentaire.

« Aguamenti. »

Il revint dans le salon, s'accroupit aux côtés de Draco, et soigneusement, passa le linge humide sur son corps, retirant peu à peu le sang de son pelage clair. Sur sa patte avant, il dicerna la marque de la morsure maudite. Au dessus de lui, Snape l'étudia d'un air indéchiffrable.

« Sa patte arrière est cassée », dit Harry en nettoyant doucement le membre tordu. « Il était lucide, il était bien sous Tue-Loup... Je pense qu'il vous cherchait, quelque chose a dû lui arriver. »

Derrière son ton neutre, Harry bouillonnait.

Contre Snape, d'abord, et ses grands discours sur la négligence de Dumbledore, lui qui laissait Draco se transformer tout seul dans la forêt interdite, entouré par il ne savait combien de créatures tout aussi dangereuses.

Contre Draco, ensuite, pour ne rien lui avoir dit, pour ne pas lui avoir avoué ce qu'il s'était passé au Manoir, pourquoi ses camarades s'étaient détournés de lui après Yule. Pour lui avoir caché la morsure sous ses vêtements, camouflé dans le noir, ou derrière des enchantements.

Contre lui-même, enfin, pour ne pas avoir compris ses humeurs changeantes, l'odeur nouvelle de sa magie, et son refus de dévoiler son bras.

Il n'avait pas compris...

Debout, l'homme terrorisé n'avait plus l'aura d'un professeur, mais celle d'un adolescent coincé dans un tunnel près de la cabane hurlante.

« Maintenant Severus, vous allez m'expliquer ce qui lui est arrivé. »

Il ne daigna pas lever les yeux, mais sentit Snape se tendre.

Harry poursuivit ses soins avec dévotion et répugnance mêlées, attelé à faire disparaître la moindre trace de son acte cruel du corps de Draco. Au dessus du chaudron, il pressa une énième fois le linge, rougissant l'eau un peu plus. Après un long silence, Snape fini enfin par s'asseoir sur le canapé face à lui, la tête entre les mains.

« On ne peut pas refuser la Marque. C'est un honneur du Seigneur des Ténèbres. La refuser est une insulte. Draco a été très courageux. Stupide, même, peut-être… J'ai tenté de raisonner le Seigneur des Ténèbres, Lucius a voulu le convaincre d'attendre encore une année. Mais je pense qu'il est terrifié, il oublie la prudence. Il sait que Dumbledore est après lui. Il sait que nous venons de mettre la main sur deux horcruxes. Il a peur. »

Les poils mouillés laissèrent entrevoir la peau fragile du loup, et Harry découvrit ce dos ciselé par d'anciennes fines cicatrices, typiques de certains sortilèges qu'il avait appris à connaître en côtoyant Draco.

« Je pensais que Draco ne supporterait pas le Doloris. Que le Seigneur des Ténèbres verrait alors qu'il était trop jeune, pas assez mûr pour la Marque, qu'il n'y survivrait pas… Mais Lucius l'a trop puni, son corps était déjà habitué à la douleur… Il a continué à refuser. Cet idiot a insulté le Seigneur des Ténèbres, et le Seigneur des Ténèbres l'a puni autrement. Il voulait l'humilier, et s'assurer de faire rentrer les enfants de Mangemorts dans le rang en montrant l'exemple… Et, comme Greyback était là... »

Greyback était là.

Greyback qui les aimait jeune, ça, Harry l'avait déjà entendu. Greyback qui était responsable de la souffrance d'un petit garçon innocent, devenu plus tard un des sorciers au cœur le plus bon que Harry ait connu, un sorcier qui devait se terrer chaque mois pour fuir ses instincts dictés par une malédiction. Et maintenant Draco… Combien de lunes avait passé Draco seul ? S'il avait été mordu à Yule…

Trois. Déjà trois.

« C'était sa troisième transformation, non ? »

Face à lui, Snape releva la tête et l'observa nettoyer le corps du loup qui semblait lui faire si peur.

« Si l'on met de côté la nuit de sa morsure… oui.

— On se transforme, la première nuit ?

— Pas totalement, corrigea Snape d'une voix lointaine en se tordant les doigts. C'est variable, selon le nombre d'heures qu'il reste avant la fin de la nuit. Draco… Le corps de Draco a tenté de se transformer, mais il était trop faible et il s'est épuisé encore plus. La transformation n'a pas pu être complète. C'est ce qui a dû se passer ce soir, dans une moindre mesure. »

Draco, arqué sur le parquet ciré du Manoir, ses ongles griffant le bois et son corps cherchant à se disloquer de lui-même en vain…

« C'était une méthode, autrefois. D'affamer les loups-garous ou les affaiblir d'une façon ou d'une autre, pour empêcher la transformation. »

Harry eu envie de vomir.

Ses mains se resserrèrent sur la fourrure de Draco et il se perdit longuement dans la contemplation de sa cage thoracique qui enflait et se réduisait. Haut, bas, haut, bas. Il était bien vivant.

« Il ne doit pas rester tout seul la prochaine fois », souffla Harry.

Snape inclina la tête et entrouvrit les lèvres mais Harry le coupa.

« Remus m'a dit que ses transformations avaient été plus faciles à partir du moment où les autres Maraudeurs sont venus avec lui.

— Tu n'es pas un ani—

— Je peux être là. Pas, pas moi » il désigna son corps d'un geste de la main « mais la renarde, oui. »

Le visage du professeur se plissa d'incompréhension.

« De quoi parle-tu ?

— On a trouvé ce qui causait mes absences… C'est pas Vol—derien, enfin, pas vraiment. Quand une vision approche, je crois que je cherche à m'échapper—

— Tu n'utilises plus l'Occlumancie ? gronda Snape.

— Ça ne marche plus ! Plus aussi bien, d'accord ?! Je trouve des solutions là où il y en a ! » explosa Harry.

Sous ses doigts crispés, Draco eu un gémissement et Harry allégea sa prise d'un air désolé. Il reprit, d'un ton plus bas :

« Je ne sais pas trop comment, mais j'ai créé une connexion avec une renarde, elle vit dans la forêt. Je l'ai vu en vrai aussi, elle me connaît bien maintenant. C'est… c'est très facile de… de glisser en elle quand je dois fuir une vision. Et je crois que je pourrais le faire volontairement aussi.

— Tu as tissé un lien avec un animal dans la forêt, involontairement ? Jusqu'où tu as laissé divaguer ton Hamr ? demanda Snape d'un ton abasourdi.

— C'est vraiment important ? Ce qui compte, c'est que je n'ai pas eu de vision depuis des semaines, et que j'ai une solution pour être avec Draco à chaque pleine lune !

— Oh, parce que tu crois que ce renard sera d'accord pour se balader avec un loup-garou ?

— Ça vous importait pas tant que ça, l'accord des autres animaux, avant. Ne projetez pas trop vos propres phobies. »

Snape le fusilla du regard pour son impertinence, mais Harry était bien au delà de ça. Il était furieux contre Snape. Celui qui ne 'tolérait aucune négligence'. Par les couilles de Merlin, oui.

Les loups n'avaient pas à proprement parler un visage, mais Harry distinguait pourtant aisément les traits de Draco. Le museau d'un rose grisâtre était pointu, ses os fragiles et délicats, et son pelage clair était presque aussi doux que ses cheveux. Son odeur… l'odeur qu'il connaissait de Remus, qu'il aurait dû reconnaître, l'odeur du loup était entêtante, mais sa magie, elle, si reconnaissable. Sous cette forme, Draco restait encore juvénile, mais il voyait dans sa mâchoire la puissance qui pourrait le déchiqueter s'il n'était pas sous Tue-Loup.

Caché dans l'enveloppe de la renarde, Harry serait en sécurité, et même si elle se refusait à lui, sa décision était façon prise. Avec elle ou non, la prochaine fois, il serait là.


Et voilà, un nouveau secret enfin révélé, et des choses qui se passent dans l'ombre... A bientôt :)