Ce que Stiles supportait le moins dans cette situation, outre le fait qu'il était très probablement dans de sales draps, c'était de subir les affres de sa mémoire. C'était simple : parfois, il se souvenait de ce qui lui était arrivé et l'instant d'après… Il se posait la question, comme si le souvenir relatif à l'origine de ses blessures s'était envolé avant de revenir, un peu plus tard. Si l'on ajoutait à cela le fait que son corps avait fini par se réveiller complètement… Il était clair que ça n'allait pas vraiment. De plus, il pensait – beaucoup. Ce qui revenait le plus souvent ? Son passage à tabac qu'il oubliait autant qu'il s'en rappelait, sa fuite, qu'il devait organiser le plus rapidement possible, son hypothétique avenir et la visite étrange de Peter.

D'ailleurs, le vieux loup n'était pas revenu. Stiles était seul dans cette chambre depuis deux heures et trente-sept minutes. Si sa vue n'était pas aussi nette que d'habitude, il n'avait aucun mal à lire l'heure sur le réveil numérique qui trônait sur la table de nuit. Il la suivait, d'ailleurs. Chaque minute qui s'égrenait l'angoissait plus que de raison et le rapprochait d'une potentielle visite supplémentaire. Stiles était de fait désormais certain d'une chose, et pas des moindres : Derek et Cora étaient là aussi. L'humain trouvait invraisemblable l'idée qu'ils ne soient pas avec Peter alors qu'ils voyageaient ensemble. En toute logique, ils devaient ou être en ville à l'heure actuelle, ou dans une autre pièce de ce qui lui semblait être une sorte d'appartement. En tout cas, la pièce dans laquelle il se trouvait lui paraissait trop grande pour être une simple chambre d'hôtel. Autant dire que rien de ce qu'il constatait ne le rassurait, au contraire : cela ne faisait que décupler ce besoin qu'il avait de fuir ou du moins, d'essayer.

Très franchement, il aurait transformé ce désir en acte s'il en avait la force. Stiles avait beau être pressé de s'en aller, il savait qu'il était encore loin d'en être capable. Bouger restait difficile et c'était d'autant plus vrai que lorsqu'il essayait de se tourner sur le lit, son corps le tirait tant qu'il n'arrivait pas à retenir une grimace. Au bout d'un moment, Stiles avait fini par se rendre à l'évidence : son départ n'était pas pour tout de suite. Si se tourner était déjà particulièrement difficile, comment ferait-il pour marcher, courir ? Il poussa un soupir aussi discret que léger. Il n'avait pas envie de se faire mal – chaque mouvement le faisait souffrir quelque part – et encore moins qu'on l'entende. Rien ne l'arrangeait plus que de faire oublier sa présence… Au moins le temps qu'il puisse suffisamment récupérer et se contrôler pour se lever sans s'effondrer. Evidemment, ne rien faire d'autre que penser ne l'aidait pas vraiment à se sentir bien, ni même à appréhender la situation de façon un peu plus sereine. Plus il y réfléchissait, plus il la tournait et la retournait dans tous les sens… Moins elle en avait.

Le simple fait qu'une meut de loups l'ait passé à tabac lui n'en avait pas le moindre. Il n'y avait pas plus humain et insignifiant que Stiles : pourquoi donc s'inquiéter… De sa présence ? Si le souvenir de ce moment restait on ne peut plus fluctuant, l'hyperactif essayait de trouver un moyen de l'interpréter et de… Préparer quelque chose, une preuve de sa bonne foi. Si la chose se reproduisait, Stiles voulait avoir la possibilité de montrer pâte blanche et d'apaiser les esprits. Il ne désirait embêter personne… Il avait juste besoin de travailler – et il le ferait dans son coin sans aucun problème, il devait juste trouver où. Enfin, personne ne chercherait à l'embaucher en le voyant ainsi. Des ecchymoses, des marques de violences… Ce n'était pas extrêmement vendeur. Tant qu'il serait dans cet état, il était clair que Stiles ne trouverait pas grand-chose et le problème… C'est qu'il avait besoin d'argent – rapidement, qui plus est. La situation actuelle lui déplaisait donc en tous points : mais malgré cet état de faiblesse, Stiles ne se laissait pas abattre. Il se savait non loin du but qu'il s'était trouvé en quittant Beacon Hills. Il ne lui restait plus grand-chose à faire, le plus dur ayant été de partir… De tout laisser derrière lui et d'accepter l'idée… Qu'il fuyait. Pouvait-il néanmoins s'en vouloir de désirer survivre ? De se laisser une chance, celle qu'on avait décidé de ne pas lui accorder ? Stiles était d'avis qu'il avait sa valeur, comme tout le monde. Elle ne lui paraissait pas extrêmement élevée, mais suffisamment pour qu'il se dise qu'il pouvait vivre pour lui. L'humain n'aspirait qu'à une chose : la tranquillité. Après que la vie ait décidé de tout lui arracher – ou presque –, pouvait-il garder au moins cela ? Il ne demandait rien de plus. Si Stiles pouvait reconnaître le fait de ne pas avoir la vie la plus difficile qui soit, il fallait avouer que la sienne le fatiguait, surtout en ce moment. Il n'était pas contre un peu de calme… Et la suppression de ses angoisses de son existence. La famille Hale, qu'importe à quel point il l'avait appréciée, en faisait partie.

Disons que Stiles n'imaginait pas que les choses puissent bien se terminer… S'il était près d'eux. Pour lui, Hale signifiait McCall. McCall traduisait du noir. Un passé qui, s'il restait présent, ne ferait que tuer son futur. L'air de rien, Stiles n'avait pas envie que sa vie s'arrête là. Une grande page se tournait. C'était douloureux, certes, mais il n'était pas prêt à baisser les bras pour autant.

Le seul problème, c'était son corps complètement hors service.

Stiles, qui fixait le plafond, ferma les yeux. Il ne faisait que ça depuis un moment. Les ouvrir, puis les fermer. Rester conscient pour être dans cet état-là et attendre d'aller mieux… C'était aussi fatigant que rageant. Dans un sens, il s'estimait heureux de ne pas passer ce temps-là dehors, mais… Il aurait préféré tomber sur des inconnus. Des gens qui ne savaient rien de lui, qui n'auraient rien à lui reprocher et qui n'auraient, pour le juger, que l'argument de ses blessures. Stiles préférait qu'on l'imagine caïd, à chercher à provoquer plus grand que lui, plutôt que des choses de ce qu'il devait désormais considérer comme du passé. Il pouvait accepter que l'on pense qu'il avait fait des choses, mais pas de transformer la vérité pour l'adapter à son bon vouloir.

Enfin, aucune de ses réflexions n'avancerait jamais son départ alors autant profiter de ce confort auquel il avait accès malgré lui car c'était une chose qui ne durerait pas. Les prochains jours s'annonçaient durs. Durs et longs. Et Stiles pria aussi fort qu'il le put pour qu'une âme charitable ait pitié de lui et l'embauche quelque part. Il avait besoin d'argent le plus tôt possible et ça… Ça passait avant beaucoup de choses.

Le seul point positif de cette situation, c'était le lit sur lequel il se trouvait. Plus que confortable, il était moelleux, au contraire du peu qu'il avait expérimenté ces jours-ci. De toute manière, tout était mieux que la banquette arrière de Roscoe. Disons que Stiles appréciait malgré lui l'idée que l'on ait pu prendre soin de lui. Si c'était déjà arrivé par le passé, il ne pouvait pas dire que c'était chose courante. Savoir que les Hale l'avaient pris sous leur aile, même si c'était provisoire… Il trouvait ça agréable d'autant plus que la famille de loups-garous n'était pas connue pour accorder de tels privilèges à n'importe qui. Ils avaient formé une meute et appartenaient aujourd'hui à celle de Beacon Hills. Cependant, aucun des trois Hale n'avait de lien réellement proche avec aucun de ses membres – en tout cas pas au point d'en recueillir un, de le soigner dans la mesure du possible et de le garder auprès d'eux. Parce que Stiles sentait les bandages, les pansements : s'il n'appréciait en général pas beaucoup l'idée qu'on ait pu voir son corps maigrelet, cette fois-ci, il n'en avait cure. Il se savait fier… Mais pas au point de nier le fait qu'il avait eu besoin de soins. On ne l'avait véritablement pas raté.

Mais Stiles n'arrivait pas à se reposer réellement car malgré le fait qu'il savait que rien ne l'aiderait à s'en aller plus rapidement, une question revenait sans arrêt tambouriner contre les portes de sa psyché.

Les Hale avaient-ils parlé à Scott ?

Puis d'autres, liées au sujet mais secondaires : savaient-ils ce qu'il s'était passé ? L'avaient-ils recueilli en toute connaissance de cause ou Stiles se verrait sèchement rejeté une fois que la vérité aurait éclaté de leur côté ? Stiles s'efforça à les ignorer autant que faire se peut. Il était… Fatigué et certaines images continuaient de danser dans son esprit, un peu à la manière d'apparitions partiellement transparentes. Ces souvenirs qui se rappelaient à lui avant de sembler s'effacer, de revenir… Et ainsi de suite. En fait, l'hyperactif se mit dans le meilleur état d'esprit possible, histoire que son temps seul lui soit un minimum utile. En d'autres termes, il aspirait à essayer de se reposer un peu, de gratter quelques minutes de sommeil, ou… De profiter réellement de ce confort éphémère. De le graver dans sa mémoire pour s'en rappeler lorsqu'il en aurait besoin. C'était sa façon à lui de fonctionner : mettre tout ce qu'il pouvait de son côté pour faire fonctionner au mieux ce mécanisme de survie qui le maintenait à flot. Ce n'était pas du déni, pas vraiment. Stiles avait conscience de bien des choses, même actuellement – il écartait simplement celles qui ne lui servaient pas ou peu.

Ainsi, il parvint au bout d'un temps monstrueux à penser un peu moins. A se « relaxer » autant que faire se peut. A en oublier partiellement la douleur qui le tiraillait de part en part. A flotter entre le conscient et l'inconscient, sans réellement dormir non plus. S'il se savait épuisé, il ne l'était pas assez pour s'accorder le droit de baisser sa garde à ce point-là. C'était plus fort que lui, il n'y arrivait pas. La chose pouvait paraître idiote, mais il se sentirait sans doute plus en sécurité dans sa chambre d'hôtel miteuse que dans celle-ci, bien plus spacieuse et confortable. Parce qu'il y serait seul : pas besoin de se préoccuper de Scott, de cette meute qui n'était plus la sienne.

Clac. Le bruit était discret, mais Stiles le perçut instantanément. Il se raidit. La porte. Un instant, il eut la rage : il avait mis un temps fou à se détendre suffisamment pour atteindre cet état à mi-chemin entre le sommeil et l'éveil, et l'en voilà arraché malgré lui. S'il décida instantanément de garder les yeux fermés pour feindre l'état dans lequel il était précédemment et faire comprendre à son visiteur qu'il essayait de se reposer, c'était parce que faire semblant de dormir lui serait inutile. Ses battements de cœur le trahiraient. Stiles se demanda toutefois ce que lui voulait encore Peter. Certes, ses réponses à ses questions n'avaient pas été extrêmement… Parlantes, mais l'humain ne pouvait pas faire mieux pour l'instant. Qu'on ne lui demande pas de donner plus que ce sont il était capable : faire davantage lui semblait impossible. Parler, il sentait qu'il n'y arriverait pas encore. A quoi bon essayer ? Il n'en avait même pas envie, ne ressentait aucune frustration quant à ce fait. Le silence lui convenait très bien pour l'instant et ça l'emmerdait de savoir qu'on allait le briser incessamment sous peu.

Mais aucun mot ne s'éleva dans l'air. Stiles attendit longuement, mais il ne perçut pas le moindre son, mis à part le bruit feutré de pas légers sur la moquette. Il s'était trompé, ce n'était peut-être pas Peter. Arrêt devant le lit, il l'entendit. Une main se saisit de son poignet avec un mélange de douceur et de fermeté. Même s'il restait horriblement raide, Stiles ne chercha pas à réagir de quelque manière que ce soit. S'il voulait faire comprendre qu'il se « reposait », autant y aller à fond, ne rien faire qui pourrait contredire cette attitude.

La chaleur qui l'inonda soudainement lui fit lâcher malgré lui un léger soupir d'aise… Et de soulagement. Parce que la douleur, si elle n'était pas violente, restait si insistante et entêtante qu'elle s'avérait fatigante.

Elle s'envola avec douceur.

Et Stiles sombra sans s'en rendre compte dans cet état qu'il recherchait tant sans avoir à faire le moindre effort.