TW : Mention de suicide (non détaillé)


Lettre à un Vivant

Aujourd'hui est ton dernier jour.

Je te sens avec moi, les bras noués sur mon torse, la respiration faible. Tes cils albinos papillonnent jusqu'à s'entrouvrir pour dévoiler tes iris rouges. Je te souris, les lèvres tressaillantes, menaçants de se faire tristes au moindre de tes gestes. Tu approches doucement tes lèvres blanches, quasiment aussi transparentes que le reste de ta peau, pour déposer ton empreinte éphémère sur ma joue.

Je me lève, te repoussant tendrement, pour aller ouvrir la fenêtre, laissant le froid envelopper la pièce. Un flocon s'envole, pour se poser sur le rebord de la fenêtre. Quelle ironie. Tu te lèves, tes yeux ternes illuminés par le blanc neige, et je me dirige vers toi pour te tenir jusqu'au paysage. Tu tournes le visage vers moi, ta bouche gercée traçant comme une esquisse de paroles de joie, la voix ne suivant pas. Cela ne nous gêne pas, l'habitude. Tes mains frêles se tendent vers les flocons, puis tes yeux semblent se faire tristesse lorsque tu remarques que tu n'as pas assez de force pour les saisir. Il m'arrive parfois de repenser à cette époque, ou tu franchissais tous les dangers, ou tu voulais faire des milliers de choses de ta vie, ou tu étais une petite bombe explosive, maladroite, intense, et joyeuse.

J'attrape tes épaules, pour lentement te déshabiller, défaisant bouton par bouton ta chemise, laissant ainsi dévoilé à la fraîcheur ton corps maigre. Ce n'est pas grave, tu as perdu la sensation du froid depuis le dépistage, de toute façon, tu n'avais jamais aimé la chaleur, ça te faisait te sentir mal. Ma main glisse sur ton torse, jusqu'à ton sexe. Depuis combien de temps n'avons-nous pas fait l'amour ? Cela me paraît des années, mais ça ne fait pourtant que quelques mois. Je commence à te caresser doucement, toi et ta douceur. Ce n'est qu'en sentant une larme brillante mouiller ma main que je me stoppe. Je ne veux pas que tu pleures en ce jour.. Alors je ramène mes mains à ton visage, passant mes pouces sur les billes roulant de tes yeux, essayant de te communiquer mon amour par le regard. J'arrive à lire dans tes pupilles, ton pardon, parce que tu es trop faible pour ça, ton pardon pour ce que tu me fais endurer, ton pardon pour tout.

Sais-tu comme j'ai envie de pleurer ?

Mais je me retiens.

Je t'ai habillé, garni d'un beau manteau bleu, d'un bonnet Serpentard, et de ton écharpe avec des citrons, tes préférés. Nous passons sous silence qu'ils servent surtout à cacher les veines noirâtres qui semblent dévorer ton corps et qui ont aujourd'hui fini leur route, parcourant ainsi la totalité de ta peau. Nous passons par la cuisine, sans s'arrêter. On a appris avec le temps, que manger ne servait à rien à part te faire vomir et perdre du poids. Pour mon cas, le stress a rongé mon appétit. J'ouvre la porte, et le vent porte dans notre maison des feuilles mortes et du crachin. Tu essayes de porter ta main à la mienne, et je la serre fort pour éviter qu'elle ne glisse de ma paume, et que tu ne t'écroules à terre sous l'effort de la marche. Je voulais prendre le fauteuil roulant, mais tu n'as pas voulu, pas aujourd'hui.

Tes pieds hésitants commencent à fouler la neige, quand soudain, tu glisses. J'arrive de justesse à te rattraper, observant ton visage encore surpris se fissurer d'un rire rauque, et tel un effet papillon, un sourire se dessine sur mes lèvres.

Sais-tu comme je t'aime ?

Je te repose doucement sur le tapis blanc, un bras sur ta taille, nos corps comme en transe, slalomant entre les pins recouverts de poudre, nos yeux levés vers le ciel avec émerveillement. Je sens tes doigts lâcher les miens, et tu t'élances, fragile poupée, tourbillonnant dans le vent mêlé aux flocons, les bras tendus dans un effort pour récupérer la neige fondante, tes dents brillantes exposée à la lumière telles des pierres précieuses. J'avais peur que tu t'écroules, mais j'oublie, le temps d'un instant, que ce n'est qu'une illusion de bonheur. Je m'approche, te prend dans mes bras, et nos rires percent le silence de notre propriété, s'envolant vers des jours meilleurs.

On s'écroule à terre, l'un à côté de l'autre. Tes cheveux sont humides, et ta langue bleuie quand tu la sors pour me lécher le nez. J'ai terriblement envie de te serrer dans mes bras à cet instant. Envie que le temps s'arrête, que tu vives avec moi pour toujours, j'ai l'impression que ce n'est qu'un rêve, que c'est impossible. Vivre dans le déni est tellement plus facile..

Nous avons fini la journée dans le canapé, blottis sur l'autre, à regarder Netflix. Puis je suis parti chercher un verre d'eau, et quand je suis revenu, tu n'étais plus là. Je t'ai cherché, longtemps, des heures. Ce n'est que vers 23 h, que j'ai aperçu ton corps, ou plutôt la forme de ton corps, tu avais été recouvert par la neige.

Tu étais assis contre un pin.

Paisible.

Tu n'avais même plus ton alliance.

Je me souviens parfaitement de ma réaction. Mais elle est dure à décrire. Cela constituait des émotions trop fortes. J'ai crié. Hurlé. Cherché à te réveiller. Je me sentais fou, j'avais cette épine qui me lacerais le cœur. C'est étrange n'est-ce pas ? Je n'y croyais pas alors que je savais qu'aujourd'hui était la fin. Je t'ai pris dans mes bras. Embrassé. Puis déposé dans ton lit, appelé les secours.

Mais quand ils ont su ton cas, qu'ils ont remarqué le jour entouré de rouge dans le calendrier, ils sont partis, tout simplement. Ils savaient.

Ton corps a été emporté à la morgue.

Tu y es resté 1 semaine, le temps de préparer ton enterrement. J'ai très mal utilisé ce temps. J'étais en colère. Pas en colère contre toi qui m'avais laissé, non, mais parce que tu ne m'avais pas dit au revoir. J'ai déchiré tes vêtements. Nos photos. J'ai jeté à la poubelle tes vernis et ton parfum. J'ai regretté fort après. Mais j'avais eu la conscience de garder un de tes sweats larges, que tu portais lors des week-ends, et qui me rappelais ton odeur. Et puis, les photos n'étaient qu'imprimées, il restait les numériques. Je ne suis pas sorti de la maison. Le jour de ton enterrement, mon visage était seulement marqué, pour des gens lambda, de grosses cernes et de fatigue. Je sais que toi, avec ta façon de lire à l'intérieur des gens, tu aurais vu ma douleur, mon ressentiment, ma peur, ma tristesse, et mon cœur qui se tordait dans ma cage thoracique. Lorsque j'ai posé un pied à l'extérieur, mes yeux ont parcouru le domaine d'un air morne. La neige avait fondu. Elle s'était éteinte comme toi. Le soleil illuminait le ciel, me faisant froncer les yeux, avant qu'un éclat dans l'herbe détrempée ne m'attire.

Ton alliance.

J'ai attrapé l'anneau d'or entre mes doigts. À l'intérieur se reflétait les mots que nous avions voulu graver, d'un accord commun. Dans la mienne était inscrit « Parce que c'est toi », et dans celle présente sur ma paume « Parce que c'est moi ».

J'ai glissé mes yeux sur les mots qui, pour certains, auront paru insolents de la part d'une alliance, mais qui pour nous, avaient toujours semblaient sincères, et, j'ai pleuré.

Silencieusement, j'ai compris ton geste de ne pas me dire au revoir. J'ai compris, et je ne vais pas te l'expliquer, car toi aussi, tu sais. J'ai enfoui le symbole dans la poche de mon manteau, et je suis parti vers ta mise en terre, tournant le dos à notre maison, un sourire plaqué sur le visage.

Parce que c'est toi.

Toi et ta manière toujours dramatique de faire les choses.

Et toi, qui ne m'as jamais paru aussi vivant que lors de ta mort.


Merci à tous d'avoir lu.. Cette histoire me tient énormément à cœur. Je l'ai écrite en pensant à quelqu'un que j'aimais beaucoup.