Chapitre 5
Au sanctuaire, la soirée était bien avancée. Le ciel avait revêtu un manteau pourpre. Quelques étoiles commençaient à briller avec l'apparition de la constellation de la casserole. Les festivités continuaient dans le temple du pope, et de la musique était jouée au loin. Les chevaliers d'or présents s'amusaient et festoyaient avec les invités.
Toujours tenus à l'écart de la cérémonie : Milo et Aiolia s'étaient aventurés dans le village des chevaliers, près de la zone d'entraînement. Ils avaient une belle vue sur les écuries où quelques soldats faisaient des allées et venues vers un terrain de combat. Beaucoup d'équidés là-bas transportaient le matériel d'entraînement du sanctuaire. Ces animaux descendaient de races crétoises qui servaient aux guerres. Aiolia les observait silencieusement, tandis que Milo sortait des aliments qu'il venait d'acheter.
C'est sans échanger le moindre mot qu'ils avalèrent leur pain accompagné d'une salade grecque. Milo mâchouillait sa feta avec des tomates. Il regardait dans le vide, tandis qu'Aiolia semblait plus préoccupé. Il s'inquiétait à propos de son frère, se doutant que celui-ci devait être contrarié. Il l'avait probablement déçu. Mais il préférait rester emmuré dans son mutisme et avaler ses olives et son fromage de brebis plutôt que d'exprimer ses sentiments.
— Que vont-ils faire de nous ? demanda Milo.
— Je suppose qu'ils vont nous faire passer l'examen plus tard…
Milo lâcha un "Mmmm" peu convaincu. Sans rien ajouter de plus, il piqua un morceau d'œuf dur dans la gamelle d'Aiolia.
— Mon frère ne nous écarterait jamais ne nos armures d'or, assura Aiolia. Être chevalier, c'est notre destin.
— Tu parles. Ils ne nous ont même pas laissé assister à la cérémonie. On n'a même pas pu féliciter nos camarades. Camus va encore me faire la gueule, tiens.
— C'est pas grave. Je suis sûr qu'ils vont nous faire passer l'épreuve finale demain. Faisons de notre mieux.
— Qu'ils aillent se faire voir chez Hadès. Je vais me concentrer sur mon fromage, et ensuite j'irais dormir dans les écuries.
Milo ronchonnait, alors qu'Aiolia eut un rire amusé. Un vent lugubre se leva juste après. Ce souffle chaud s'engouffra dans les écuries, ce qui provoqua des ruades de chevaux affolés. Plusieurs poules sortirent du bâtiment en battant des ailes comme si leur vie en dépendait. Quelques soldats s'agitèrent suite à ces hennissements, et tentaient de calmer les animaux. Leurs montures étaient affolées et hurlaient à la mort. Même les deux chiens de garde des soldats se mettaient à aboyer et à grogner sans raison. Milo lâcha son repas devant l'agitation, et décida d'aller voir. Aiolia préféra rester à sa place pour l'observer s'éloigner vers le bâtiment antique.
— Il y a un problème ? questionna Milo en approchant.
— Quelque chose a l'air de leur avoir fait peur, mais on a rien vu d'anormal, répondit un des soldats.
Les gardes, habillés d'une tunique et de simples protections de cuir semblaient confus. Les chevaux ne se calmaient pas, et continuaient à se cabrer en poussant des cris. Deux gros chiens croisés bergers grognaient dans la direction des écuries. Milo entendit des couinements au fond d'un des boxs, et décida d'entrer. Il sortit en même temps la griffe rouge au bout de son doigt, et se tenait prêt à attaquer. Le malaise le prit un peu plus en découvrant la source de ces agitations ; dans la paille grouillaient des rats. Une dizaine de rats passaient entre les pattes d'un cheval pour dévorer le contenu de sa mangeoire. Un passage entre deux pierres contre le mur leur permettait d'entrer et sortir. Ils avaient des petits yeux brillants et un pelage noir comme du charbon. Cependant, le Scorpion n'eut pas l'air dégoûté par les rongeurs. Il se contenta de baisser sa griffe pour la rétracter, et poussa un sifflement pour chasser ces intrus.
— Ce ne sont que des rats ! prévient Milo aux gardes. Rien à signaler.
— Des rats ? Il faudrait s'en débarrasser avant qu'ils ne pullulent au sanctuaire, répondit un des soldats.
— On est déjà infestés, fit remarquer Milo. Si on en voit autant en journée, la nuit, ça doit être pire.
Milo se tourna vers la jument blanche attachée à côté de lui. Il passa sa main sur son nez pour la caresser et la calmer. Le jeune homme se sentait plus à l'aise avec les animaux que les humains, et tentait d'adoucir les peurs de l'équidé qui continuait à agiter la tête et qui ne tenait pas sur ses jambes. Il supposait qu'elle était effrayée par les grognements des chiens à côté. Les deux molosses ne cessaient de japper sur les rats qui prenaient la fuite vers un autre bâtiment.
— Je crois qu'ils sont partis, constata un des gardes.
— Ouais, j'irais pas courir après, s'enquit son collègue. J'ai pas envie de chopper des saloperies en me faisant mordre. Je vais plutôt prendre ma pause, c'est le moment d'aller à la taverne. Qui vient ?
— Très bonne idée. Tu nous suis, le jeune ?
C'était très tentant, Milo devait bien l'avouer. Mais pas raisonnable à son âge et en vue de l'heure tardive. La taverne était un nid à problèmes, et Milo en avait déjà bien assez en ce moment. Il préféra retourner auprès de son ami pour terminer son repas. Il trouva le lion en compagnie d'Aiolos, assis au même endroit où il l'avait laissé quelques minutes plus tôt. Les deux frères discutaient, ce qui dissuadait Milo de les rejoindre. Finalement, il irait bien à la taverne.
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Les flammes des torches éclairaient les pavés qui menaient à la zone d'entraînement. Des chevaliers se battaient à quelques mètres, et s'entraînaient jusqu'à très tard pour être dignes d'une armure. Le soleil s'était couché depuis un moment lorsque Aiolos avait rejoint Aiolia à cet endroit. Il s'était changé en quittant la fête avec son armure étincelante du Sagittaire. Son petit frère tourna son attention vers lui, Aiolos ne portait plus cette armure aussi souvent depuis qu'il était devenu pope. En le voyant ainsi, le lion comprenait déjà ce que son frère avait en tête : il désirait l'entraîner pour son examen. Il soupira, sachant combien son frère se montrait strict et exigeant lorsqu'il lui enseignait l'art du combat. Il était presque impossible pour Aiolia de satisfaire ses attentes tant elles étaient élevées.
— Si tu veux devenir un chevalier digne de ce nom, dit Aiolos. Je vais te préparer pour l'examen. J'espère que cette journée t'aura donné une leçon. Porter ton armure d'or est un privilège, ne l'oublie jamais.
— Et si je n'étais pas digne de mon armure ? s'inquiéta Aiolia. J'essaye. J'essaye de devenir aussi fort que toi. De toutes mes forces. Mais, je n'y arrive pas. Peut-être que ma place est ailleurs, et non dans vos rangs.
Aiolia ne savait pas si ces mots exprimaient sa peur, ou un réel souhait de ne plus être chevalier. Il avait toujours admiré son frère, et désirait devenir comme lui. Il pensait que c'était la destinée qui l'attendait. Mais plus les années passaient, et plus il réalisait qu'il n'aimait pas se battre. Après tout, il n'avait aucune raison de le faire. Aiolos eut une pointe de compassion dans son regard. Son visage était fatigué, mais déterminé à l'aider. Il lui adressa un sourire de toutes ses dents, et passa ses mains dans les cheveux de son petit frère pour le décoiffer. Aiolia détestait qu'on touche à sa coiffure ; il était tel un lion qui tenait à la beauté de sa crinière. Il poussa un rire et repoussa son aîné des deux mains pour lui témoigner son agacement.
— Aiolia, être chevalier d'Athéna demande beaucoup plus qu'une bonne condition physique. Il te faut du courage, de la volonté, de la persévérance… et beaucoup de travail pour t'améliorer chaque jour. Si je suis plus dur avec toi qu'avec les autres, c'est parce que je sais que tu as les capacités pour devenir le meilleur.
— Tu dis ça parce que je suis ton frère.
— Non, je le pense vraiment. Tu as déjà accompli tant de choses.
Les deux frères commençaient à marcher pour se rapprocher du terrain d'entraînement. Les soldats encore sur place les saluèrent, et partirent se reposer vers de vieilles maisons en pierre. Aiolos entra dans l'arène tout en invitant Aiolia à le suivre. À cette heure, le Colisée du sanctuaire était vide. Seules la lune et les torches leur prodiguaient une source de lumière.
— Milo n'était pas avec toi ? questionna Aiolos qui s'étirait avant l'exercice. Il serait bien qu'il s'inquiète aussi pour son examen.
— Il était parti voir si tout allait bien dans les écuries, admit Aiolia. Il y avait de l'agitation tout à l'heure. Après, il a suivi les soldats, je ne sais pas où il est parti.
— De l'agitation ? Personne n'est venu m'en faire un rapport.
— Je n'en sais pas plus, s'excusa Aiolia.
Le lion eut un instant de silence, tout en se pinçant les lèvres. Il continuait d'être préoccupé par ce qu'il avait vu dans la ville de Mysa dans la journée. Après une petite hésitation, il décida de se confier à son frère ;
— Tout à l'heure, j'ai emmené Saori faire une balade à Mysa. Et… on a croisé des… des genres de mendiants. C'était bizarre. L'ambiance n'était pas comme d'habitude.
Aiolia bafouillait. Il ne parvenait pas à décrire ce qu'il avait observé dans la ruelle avec sa petite sœur. L'odeur, les mouches, leur état physique préoccupant. C'était indescriptible à ses yeux.
Le regard de son frère s'était subitement assombri. Aiolos ne comprenait pas où son frère voulait en venir, mais il retenait qu'il avait emmené Saori en ville sans son autorisation. Son rôle en tant que pope était de protéger Athéna, et il ne pouvait accepter que son frère transgresse les règles pour la mettre en danger. Et aujourd'hui, il l'a fait à de nombreuses reprises. La colère lui brûla les yeux. L'aîné attrapa brusquement son frère pour le jeter sur le sol, la tête en avant. Aiolia fut surpris par la violence du coup et s'écorcha à terre. Son visage s'était écrasé sur la roche de l'arène. Emporté par un feu funeste, l'aîné leva le bras pour attraper son arc. Qu'était-il en train de faire ? Allait-il le punir de sa flèche ?
Aiolia ne se releva pas sur le coup. Encore secoué. Ce n'était pas la première fois qu'Aiolos lui mettait une raclée. Des coups, il en recevait régulièrement lorsqu'ils s'entraînaient ensemble. Mais cette fois-ci, c'était différent. Il aurait pu lui briser la nuque. À cet instant, sa vie avait moins d'importance que tout le reste. Comme s'il n'était plus qu'un simple soldat du sanctuaire à ses yeux.
— Combien de règles as-tu brisées aujourd'hui ? s'énerva Aiolos. Je suis ton frère, mais je suis aussi le pope. Je ne peux pas te faire de privilèges. Tu as mis la vie de Saori en danger, alors que tu étais responsable d'elle. C'est inexcusable. Tu connais les règles vis-à-vis d'elle. Elle ne doit jamais sortir du sanctuaire ou de notre villa sans moi ou Saga !
— C'est ce que tu crois ? Que je ne me soucie pas de ma sœur ? Elle est plus importante que tout à mes yeux. Je pourrais mourir pour elle.
Aiolia releva la tête vers son frère. Du sang coulait de son nez, ainsi que de plusieurs coupures qu'il avait maintenant à la lèvre inférieure et à l'arcade. Aiolos se confronta à son regard. Quelque chose entre eux venait de se briser. Le Sagittaire ne saurait dire s'il s'agissait de sa confiance ou de l'affection qu'il lui portait en tant que frère, mais leur relation ne serait plus la même à partir de cette nuit-là.
Aiolos se rendit compte qu'il était allé trop loin. Ses doigts qui effleuraient le métal froid de son arc le rappelèrent à la raison. Un frisson d'horreur le parcourut en réalisant ce qu'il était sur le point de commettre. Hélas, le mal était déjà fait. Le pope ne savait pas quoi dire pour réparer son geste.
— Ne perds plus ton temps avec moi, cracha Aiolia. Je renonce à mon armure.
— Aiolia !
Son petit frère détala comme un lapin dans la nuit. L'aîné préféra ne pas courir après.
Ne sachant pas vers qui d'autre se tourner, Aiolos trouva la compagnie de Saga dans le palais du Pope. Le Gémeaux se trouvait dans ses appartements et s'apprêtait à se reposer dans un divan plein de coussins aux coutures dorées. Cette salle était luxueuse, à l'image d'une partie du palais avec des tapis et des rideaux de satin rouge d'une grande valeur. Même la décoration autour était faite de vases hors de prix et de tableaux de maîtres. L'homme aux cheveux bleus eut un sourire en voyant son collègue le rejoindre, et lui laissa une place à ses côtés. Il lui proposa même un bol rempli de loukoums et de dattes à la chaire couleur miel.
— Ta visite a été expéditive, fit remarquer Saga.
— Je crois que j'ai perdu mon frère, avoua Aiolos en s'installant près de lui. Je me suis emporté, j'ai été trop loin. Je crois qu'il me déteste.
— Ne t'en fais pas, Kanon a vécu bien des choses, et il me considère toujours comme son frère. Laisse-lui le temps.
— J'ai cru un instant que j'allais lui ôter la vie. Je ne me suis jamais autant emporté sur lui. Imagine si je le tuais ? Cette idée me terrifie.
— J'ai déjà tenté de tuer Kanon dans le passé, confessa Saga d'une voix douce. Il n'aurait pas fallu grand-chose pour que je réussisse. Pourtant, il ne me déteste plus. Je lui ai offert des pierres précieuses, le confort d'un appartement dans le palais. Je lui ai aussi offert un pur sang arabe et une place de chef d'état-major pour pardonner mes fautes. Il les a acceptés et aujourd'hui, nous avons retrouvé une relation de frères.
Aiolos secoua la tête. Il ne savait pas trop quoi en penser. L'idée d'acheter l'amour de son frère avec des présents lui paraissait trop facile.
— Tu suggères de me faire pardonner en le couvrant de cadeaux ? dit Aiolos. Peut-être qu'avec Kanon cela fonctionne, mais Aiolia est différent.
— C'est ma façon de lui témoigner mes regrets, et mon affection. Chacun a sa manière de l'exprimer. Un cadeau spécial ; quelque chose qu'il rêverait d'avoir lui permettrait de voir que tu te soucies de lui et que tu le connais bien.
Aiolos avait bien une idée en tête. Il savait que quelque chose en particulier ferait plaisir à son frère. Mais, il avait longtemps pensé que c'était une terrible idée. D'autant plus avec Saori sous leur protection.
Alors qu'il réfléchissait à tout ça, il sentit Saga frémir. Il porta son attention sur lui et réalisa qu'il se tenait la tête, comme s'il était migraineux. Sa respiration était douloureuse, il luttait. Après quelques instants à tenter de résister, ses cheveux changèrent de couleur. Aiolos le laissa changer d'apparence sans l'aider, et eut un léger sourire au coin des lèvres en découvrant le rouge de ses yeux. Le lemur de Saga avait repris le dessus sur son hôte.
— Arès, le salua Aiolos.
Bien sûr, ce n'était pas le dieu de la guerre. Mais, l'être maléfique qui possédait parfois le corps de son ami aimait qu'on l'appelle par ce nom. Cela permettait à Aiolos de différencier les deux lorsqu'il lui adressait la parole.
— As-tu aimé ce frisson ? questionna Arès. Celui de la toute-puissance. Du droit de vie et de mort sur ton frère ?
Aiolos lâcha un rire nerveux. Mal à l'aise. Et pourtant, Arès avait le don de toucher une corde sensible chez lui. Oui, ce frisson, il l'a aimé. Seulement, il avait terriblement honte de cette part d'ombre dans son cœur. Il cherchait à l'enfouir au plus profond de lui. Mais ce mal, Arès la voyait briller comme une flamme.
Note de l'auteur : Toujours vivant (lancez la chanson)... avec un nouveau chapitre, après quelques mois à avoir eu des difficultés à me remettre à l'écrit. J'avoue que j'ai eu du mal à trouver du temps pour continuer mes fics ces derniers temps. Mais je suis très heureux de pouvoir travailler enfin sur la suite maintenant que j'ai un peu plus de temps pour écrire. J'ai aussi une ou deux autres histoires en tête que j'aimerais travailler, et une autre à refaire complétement. Mais, j'y vais un pas à la fois, alors pour le moment je me concentre sur cette histoire-là.
